Immigration et commerce international
En se contentant d'accueillir moins de 3% des immigrants au Québec, la région de la capitale manque-t-elle le bateau?

par Dominique Jeanneret, Sylvain Boisclair et Daniel Allard

Si on considère les statistiques du taux de natalité en baisse et de la croissance démographique insuffisante au Québec, on peut se demander ce que l'immigration apporte à notre province puisque les quotas d'immigrants baissent chaque année: 26 181 immigrants ont été accueillis en 1998, alors qu'en 1991, elle en recevait 51 707. De ce nombre, 2,5% sont venus s'installer dans la région de Québec comparativement à 69,7% sur l'île de Montréal.

source: Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration du Québec

Les entreprises cherchent plus que jamais à vendre et même à s'établir à l'étranger, mais réussir en affaires dans un autre pays est habituellement plus difficile que chez soi. Les distances ne se comptent pas qu’en kilomètres ou en décalages horaires et elles sont aussi - et surtout - culturelles. Engager un travailleur immigrant dans son entreprise, c'est déjà une façon d'y faire «entrer» un pays et un marché étranger. Les patrons un peu rusés utilisent souvent cette tactique qui permet, d’une certaine manière, d'introdiure le pays dans l'entreprise, afin de mieux faire entrer l'entreprise dans le pays!

Où sont les immigrants du Québec? Très largement dans la région de Montréal. Plus des deux tiers se trouvent sur l'île de Montréal seulement. Les lois mathématiques étant ce qu'elles sont, on peut se demander si, en accueillant bon an mal an moins de 3% des immigrants du Québec, la région de la capitale manque le bateau?

DES TRAVAILLEURS IMMIGRANTS "EN DEVENIR"...

À la Société de promotion économique du Québec métropolitain (SPEQM), on ne se pose plus la question. La réflexion est faite depuis longtemps et l'étape de l'action est déjà engagée. La région de Québec dépend de plus en plus des entreprises de la nouvelle économie et celles-ci comptent, pour assurer leur développement, sur des travailleurs stratégiques - entendons essentiels au développement de l’entreprise - qu’ils doivent souvent recruter à l’étranger. Pour accroître la compétitivité de la région et de ses entreprises, la mise sur pied d’un service facilitant l’établissement des travailleurs stratégiques et leur famille devient nécessaire. Et suffisamment de cas d’immigrants stratégiques venus mais vite repartis lui ont été rapportés pour qu’elle passe en mode action. L'accueil des travailleurs stratégiques est d'ailleurs une des trois nouvelles priorités que la SPEQM a retenue dans son plan d'action de cette année.

Un processus d'appel d'offres pour ce projet - dont la fermeture de réception des candidatures avait lieu le 4 février 2000 et qui avait reçu pas moins de 25 propositions - a finalement permis de sélectionner la firme de consultants Groupe Zone Communications. D'ici trois mois, la consultante Manon Corneau a donc pour mandat de:

  1. Identifier la façon de faire d’autres régions en matière d’accueil de travailleurs stratégiques et le rôle des organismes responsables (i.e. Montréal International).

  2. Réaliser un inventaire des besoins des entreprises régionales en matière de recrutement et d’accueil de travailleurs stratégiques et de leur famille.

  3. Dresser un tableau des services offerts par la région aux travailleurs et à leur famille (y inclus ceux disponibles en anglais) tels écoles, garderies, cliniques médicales, complexes sportifs, services municipaux et autres.

  4. Recueillir les témoignages d’une vingtaine de travailleurs stratégiques déjà établis dans la région sur leur expérience de vie.

Quelle forme prendra ce service? "Impossible de le dire pour l'instant. Beaucoup de choses dépendront évidemment du ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration dans ce dossier, mais nous espérons que le service sera offert dès cet automne", explique la responsable des communications à la SPEQM, Paule Bissonnette.

La démarche de la SPEQM veut essentiellement aider les entreprises à «faire atterrir en douceur dans la région» les travailleurs stratégiques que ces dernières ne trouvent pas au Québec et qu'elles sont obligées de chercher ailleurs dans le monde. C'est finalement de s’organiser pour mieux accueillir l’immigrant "en devenir", qui ne l’est pas encore, mais que son futur employeur va convaincre de faire le grand saut jusque dans son entreprise.

...AUX DÉJÀ IMMIGRANTS RÊVANT DE DEVENIR TRAVAILLEURS!

À côté de ces gens qui ont déjà virtuellement un emploi au Québec, et ce avant même d'y être réellement un travailleur immigrant, il y a ceux qui y sont déjà des immigrants, mais qui n'ont pas d'emploi!

Entre le 1er avril 1998 et le 31 mars 1999, 541 de ceux-ci sont passés par les services du SOIT (Services d'orientation et d'intégration au travail de Québec inc.):

  • (45%) provenaient de l’Europe;

  • 164 (30% de l’Afrique;

  • 92 (17%) des Amériques;

  • 44 (8%) de l’Asie.

Les personnes qui consultent les services du SOIT ont par ailleurs un niveau d’instruction élevé: 66% détiennent un diplôme de niveau collégial, universitaire ou post-universitaire - une formation acquise soit dans leur pays d’origine, soit au Québec - et 20% sont des techniciens de profession alors que 30% sont des professionnels.

Tableau 1
Niveau d'instruction  

Primaire 11 02%
Second. 175 32%
Collégial 138 26%
Univ. 1er 138 26%
Univ. 2er et 3e cycle 79 14%
Total 541 100%

(Source: Services d'orientation et d'intégration au travail de Québec inc., Québec, février 2000)

 

Tableau 2
Répartition de professions  

O. non spécialisé 48 9%
O. spécialisé 72 13%
Technicien 106 20%
Empl. de Bureau 90 17%
Professionnel 163 30%
Sans profession 59 11%
Total 541 100%

(Source: Services d'orientation et d'intégration au travail de Québec inc., Québec, février 2000)

 

LE SOIT

Le SOIT (Services d'orientation et d'intégration au travail de Québec inc.) est un organisme sans but lucratif créé afin d'aider les nouveaux immigrants à s'intégrer dans la région et à y rester. Le 1er avril 2000, les 13 personnes qui constituent actuellement l'équipe du SOIT fêteront officiellement le troisième anniversaire de la formule actuelle de l'organisme. Mais, en fait, ils représentent ensemble 15 ans d'expérience dans le domaine de l'aide à l'intégration et au placement des immigrants. Le SOIT étant le résultat de la fusion d’Orientation travail et des Services d’intégration pour les immigrants de Québec, deux organismes également sans but lucratif spécialisés dans l'assistance à l'emploi pour la clientèle immigrante de la région de Québec qui fonctionnaient auparavant chacun de leur côté. L’organisme que dirige Pierre Touré depuis 1985 n'a évidemment pas le monopole du placement des travailleurs immigrants à Québec. Il est cependant le seul à offrir ces services gratuitement, autant pour les immigrants que pour les employeurs.

L’éventail des services à la clientèle va de la formation préparatoire à l’emploi jusqu'au placement en entreprise, en passant par des services à la carte, individuels, ponctuels et rapides, de même que des services de groupes plus structurés  pouvant déboucher sur des stages de formation en entreprise.

Le SOIT place-t-il fréquemment des immigrants suite à une demande spécifique d’un employeur qui cherche à améliorer les forces en commerce international de son entreprise? «Nous n’avons pas de chiffres précis en cette matière. À ma connaissance, c’est arrivé quelques fois dans les cinq dernières années, soit depuis que notre Service de placement est en place... Maintenant, je dirais que les entreprises sont un peu plus ouvertes à la valeur ajoutée que représente un immigrant au sein de leur équipe», explique Pierre Touré.

Le Service de placement dont il parle, c’est Laurence Amat et Xiaomian Xie! Deux femmes manifestement passionnées par leur travail. Leur mission: travailler avec les entreprises pour trouver du travail aux immigrants de la grande région de Québec. "Ce que l'on fait, c'est finalement une pré-sélection gratuite pour les entreprises." résument-elle, lors d'une interview commune dans les bureau de l'organisme, au 275 rue de l'Église, dans le quartier Saint-Roch de Québec.

"Le premier des messages que nous souhaitons passer aux patrons d'entreprises de la région, c'est appelez-nous!" lancent aussi les deux agentes de placement. "Il y a des entreprises qui nous appellent, mais c'est plutôt rare", précise Laurence Amat. La vérité, c'est que si elles attendaient que le téléphone sonne, la très grande majorité de leurs clients resteraient chômeurs pour l'éternité.

Les deux femmes sont continuellement pro-actives et prennent tous les moyens pour dénicher des opportunités d'embauches. Cette année, elles se donnent comme objectif particulier de développer davantage la région Chaudière-Appalaches. Ensemble, elles ont constitué une banque de plus de 300  entreprises. "C'est donc plus de 300 entreprises où nous avons au moins parlé une fois à la personne responsable du recrutement du personnel" explique Xiaomian Xie.

 La banque
du Service de placement du SOIT
compte plus de
300 entreprises

 Et dans leur travail quotidien, quel niveau d'ouverture d'esprit des employeurs face aux avantages à engager un travailleur immigrant constatent-elles? «À compétence égale, un c.v. passe mieux si un candidat a une expérience de travail au Québec à présenter... et à compétence égale un employeur va encore généralement prendre un candidat local», risquent-elles sans hésitation. Et l’aspect commerce international dans tout cela?

Quelques cas récents viennent rapidement à leur mémoire, mais leur témoignage montre manifestement que c’est plus souvent indirectement que cela arrive. Elles citent l’exemple d’un informaticien récemment placé dans une entreprise, où l’employeur a ensuite beaucoup apprécié découvrir aussi sa compétence en espagnol. «Mais nous ne plaçons pas fréquemment notre clientèle avec ce souci là", constatent-elles.

"Si nous offrons un candidat, c'est que nous sommes persuadées qu'il est prêt pour travailler. Sinon, on le renvoie dans les autres services du SOIT pour parfaire ses compétences," précisent-elles. Évidemment, la situation inverse est aussi fréquente: l'employeur est en demande, mais la perle rare n'est pas au rendez-vous. "Actuellement, nous avons, par exemple, une pénurie de chefs-cuisiniers," explique Laurence Amat.

BRANCHÉ JUSQU'À MONTRÉAL

Pour augmenter ses chances de succès, le Service de placement du SOIT n'hésite donc pas à élargir sans cesse ses réseaux de contacts: "L'an dernier, nous avons beaucoup travaillé avec nos collègues de Montréal. Les gens d'affaires de Québec doivent aussi retenir que nous sommes capables d'aller chercher des immigrants de Montréal qui ont de l'intérêt pour venir travailler à Québec. Nous y travaillons avec des  réseaux bien établis avec d'autres organismes comme le SOIT. Et à deux reprises, nous nous sommes impliquées dans des visites industrielles en entreprises à Québec concernant des candidats qui venaient de Montréal", expliquent-elles encore.

Même si le SOIT n'a jamais fait d'étude systématique de satisfaction des employeurs ayant utilisé ses services de placement, Laurence Amat, après quatre ans à ce poste, et Xiaomian Xie, pour qui cela fera deux ans très bientôt, sont cependant persuadées d'une choses: "Nos employeurs sont contents. On le sait, nous leur parlons constamment!" Et bientôt, elles pourront d'ailleurs mettre des chiffres sur cette impression du quotidien, car un questionnaire est justement en préparation à cette fin.

LE PARI DE L'AVENIR

Même si la région immédiate de Québec a connu un accroissement de sa population d’environ 10% depuis 1986, sa masse critique de population n'est actuellement pas suffisante pour créer un effet boule de neige pour l'immigration. «Il faudrait que les décideurs publics et privés inscrivent l'immigration dans leur priorité à titre de levier économique régional» suggère Yuho Chan, coordonnateur des services et conseiller en emploi au SOIT.

Pour lui, bien que des efforts de sensibilisation soient effectués régulièrement, la mobilisation régionale face à la question de l’immigration se place encore au rang des attentes. "Tant que les décideurs de tous les niveaux ne passeront pas à l'action concrète, nous y perdrons en terme de développement durable de l'immigration", ajoute l'homme, qui pense évidemment ici aux immigrants investisseurs, qui représentent à eux seuls un effet de levier stratégique pour une économie régionale, mais aussi à l'accroissement démographique que représente l'immigration. Des gens qui vivent et consomment "chez nous" avant toute chose. Et il y a en plus l'échange multiculturel, qui couronne l'apport économique de l'immigration d'aujourd'hui.

Pierre Touré n'est sûrement pas celui qui va dire le contraire. Bien établi depuis 30 ans à Québec et au parfum des enjeux de la région, le directeur ne cachait d'ailleurs pas que le SOIT faisait partie des entreprises ayant sousmissionné pour le projet sur les travailleurs stratégiques de la SPEQM cité plus haut.