CHRONIQUE DE L'ALTERMONDIALISME

par Renaud Blais, militant altermondialiste

Le Forum social mondial est une référence incontournable pour toutes celles et ceux qui ont choisi de contribuer à la construction de l'Autre monde possible. Depuis le lendemain de l'événement historique de Seattle 99 (qui marque la fin du IIe millénaire…) où des militantes ont réussi à empêcher la tenue d'une importante réunion de l'OMC. Le Forum social mondial donne maintenant le ton pour ce qui est du " projet " de l'Autre mondialisation (la première édition de ce forum marque le début du IIIe millénaire…).

Contrairement aux manifestations visant à lutter contre le projet de libéralisation extrême du commerce, les forums sociaux, nettement plus positifs, plus constructifs, contribuent à l'édification de cette Autre façon de construire la mondialisation. De façon très brève, le temps est révolu ou le développement économique peut être la motivation unique des efforts collectivement consentis. Les investissements collectifs doivent servir les collectivités. Ce qui ne remet pas en cause le fait que des individus peuvent toujours avoir comme motivation leur enrichissement personnel. Mais celles et ceux qui investissent toutes leurs énergies pour accumuler des richesses devront le faire exclusivement à leur frais et surtout plus un sous de fonds publics dans des poches privées, ce qui laisse sous-entendre que les impôts reportés, non payés et autres utilisations de paradis fiscaux légalement ou non devront cesser.

Des groupes de plus en plus nombreux luttent contre les mises à pied massives qui ne sont que le fruit empoisonné de la dictature des actionnaires. Cet état de fait (la dictature des actionnaires avares) ne prend pas du tout en compte le concept de l'entreprise qui se prétend encore très souvent être un " bon citoyen corporatif ".

Le Forum social est clairement devenu un espace, une agora qui se répand en surgissant localement, à l'échelle des localités, des provinces, des pays et des continents. Depuis que l'idée a été lancée de tenir des forums sociaux régionaux, lors du FSM2, à Porto Alegre en 2002; de nombreux forums sociaux régionaux et/ou thématiques ont eu lieu et se préparent encore plus nombreux. Des nombreux liens sur le Web à partir du site du FSM à : www.forumsocialmundial.org.br vous conduirons aux sites des différents forums sociaux tenus et à venir. De plus pour celles et ceux qui souhaiteraient avoir plus de détails sur les projets d'édification de l'Autre mondialisation, il faut choisir la rubrique : " biblioteca das alternativas ", de nombreux textes sont traduits en français, mais au moins existent en version anglaise et/ou espagnole, langues plus répandues que le portugais.

Tous les continents, sauf celui des Amériques qui est en préparation (Foro Hemisférico de las Américas), ont déjà tenu leurs forums sociaux continentaux. Près d'une cinquantaine de pays ont tenu leur forum social national, sans compter le Forum social palestinien et les forums sociaux locaux comme celui ici de Québec-Chaudière-Appalaches, dont la deuxième édition est prévue pour la fin 2003 ou début 2004. De nombreux forums sociaux thématiques ont également eu lieu, comme celui sur le commerce de la drogue et le Plan Colombie tenu dans ce pays. Des exemples éloquents sont le Forum social asiatique de Hyderabad en Inde, les deux forums sociaux africains déjà tenus, jusqu'aujourd'hui. Ceci jusqu'aux très petits forums sociaux comme celui de la jeunesse estrienne PQ, et celui thématique sur les arts tenus à Baie Ste-Catherine dans Charlevoix, à la fin de juin dernier. Et ce qui est très prometteur pour un avenir meilleur c'est l'élargissement du nombre de participantEs. Un bel exemple est le projet pour cet automne du Forum social Québec-Canada-Premières nations. Ce qui crée des liens entre ces diverses activités de différentes formes ce sont les revendications qui sont souvent les mêmes.

  • Les principales et les plus répandues sont :
  • la démocratisation réelle de toute décision prise par des élues;

la préservation du rôle de l'état comme responsable des services publics et sociaux universels et des législations pour distribuer la richesse et préservé l'environnement (par exemple, l'imposition d'une taxe sur les transactions financières et l'abolition des paradis fiscaux, des dettes déjà largement payées par les pays du sud, du secret bancaire, etc.).

Les références exposant la relativité des deux points de vue se multiplient. Par exemple, " L'enjeu ? Poser le principe selon lequel, à côté des actionnaires et de leurs droits de propriété, d'autres acteurs, a priori plus soucieux de l'intérêt général, peuvent peser sur les décisions de management social et environnemental des entreprises. Une pierre significative à la mise en oeuvre d'une bonne gouvernance mondiale. "

Une très grande source d'espoir pour les militantes de l'Autre monde possible est le fait que de plus en plus de monde, et étonnamment depuis longtemps, quitte les rangs des promoteurs intéressés à la libéralisation du commerce pour " retourner leur veste " et dire tout haut que le point de vue qu'ils avaient avant en était un très intéressé et très bien payé mais surtout alimenté d'idéologie comme en fait foi l'expression : " seul le marché libre peut fixer les prix ". Je donnerai ici que trois exemples, l'histoire en est pleine.

Premièrement, " (...)en 1935, le général Smedley Butler résumait ainsi ses trente années passées comme officier dans les Marines des ÉU: "J'ai été un bandit à la solde du capitalisme." "

Un autre exemple, bien placé pour connaître l'importance du " complexe énergico-militaro-industriel " :

" (…)nous devons nous protéger contre l'apport d'une influence injustifiée de la part du complexe militaro-industriel. Le potentiel pour une montée désastreuse d'un pouvoir hors de propos existe et existera. Nous ne devons jamais laisser cette agrégation mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Rien ne devrait aller de soi. Seule une population alerte et bien informée peut contraindre le véritable réseau de l'immense machinerie industrielle et militaire de la défense et ce avec des méthodes et des buts pacifiques, afin que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble. "

Et enfin, le cas bien connu de Joseph Stiglitz, vice-président et économiste en chef à la Banque mondiale de 1997 à 2000, qui a quitté en claquant la porte afin de reprendre sa liberté de parole et dénoncer les nombreux, et bien documentés, effets pervers de la libéralisation du commerce à l'échelle de la planète.

Voici un extrait d'un texte très révélateur du nouveau paradigme qui prend forme chez les militantEs de l' " Autre mondialisation ". Malgré les nombreuxSES participantEs qui viennent de tous horizons la plupart partagent les valeurs des forums sociaux qui sont : solidarité, interculturalité, intersubjectivité, ouverture-disponibilité, antiracisme, antipatriarcat, anti-globalo-libéralisme…

" L'hétérogénéité du mouvement altermondialiste est une force. C'est la preuve que le mouvement occupe un vaste espace politique. Il intègre en son sein des acteurs dont les points d'entrée sont très divers. Cette hétérogénéité, pour ne pas être porteuse d'éclatement et de division, suppose un fonctionnement au consensus dont le mouvement s'est doté quasiment spontanément. Le consensus dont il est question ici se veut être autre chose que le plus petit dénominateur commun et doit être compris comme un processus dynamique. Il se construit dans les débats, ce qui suppose d'avoir le temps de les mener, et essaie de dépasser les positions antagoniques en présence. Il s'appuie sur un cadre politique minimum de référence commun à toutes les forces en présence. Le mouvement a été capable d'incorporer leurs préoccupations dans une problématique générale basée sur deux exigences, le refus de la marchandisation du monde et l'aspiration à une démocratie réelle. Ces deux exigences sont le socle sur lequel le mouvement altermondialiste s'est construit. "

Je reviendrai plus largement sans doute, cette automne, sur la question plus spécifique du projet d'hégémonie commerciale des ÉU, avec leur projet de ZLÉA. En attendant, voici un extrait du "Message de la Mobilisation des Peuples des Amériques". Les Journées de Résistance contre la ZLÉA, avec l'Assemblée Continentale des Peuples où l'on a déterminé les principales idées à suivre pour la continuation de la Campagne Continentale contre la ZLÉA, concluent à Quito le vendredi 1er novembre 2002, durant lesquelles les ministres du commerce étaient réunis pour faire avancer le projet de libéralisation des échanges pour toutes les Amériques. Ce message adressé aux ministres du commerce international des 32 pays dits " libres " des Amériques fut prononcé par : Léonidas Ise, président de la Conférence des Nationalités Indigènes de l'Équateur - CONAIE: " Nous ne sommes pas contre l'interrelation et les accords entre les pays. Nous sommes pour un modèle différent de celui que l'on veut imposer avec la ZLÉA; nous sommes pour des accords souverains et démocratiques qui garantissent vraiment un développement juste, égalitaire et soutenable pour chacune de nos nations ".

Un survol très large de la résistance à la prétention arrogante des " maîtres du monde " à s'accaparer de plus en plus de richesse a été réalisée et publiée par Jean Ziegler, rapporteur officiel des Nations unis, dans le 4e chapitre du livre : Les Nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Paris, Fayard, 2002.

À l'échelle de la planète, un exemple éloquent de la construction de l'Autre façon de voir la mondialisation est l'édification du " G monde ", rassemblement qui a franchi une autre étape importante lors du sommet d'Évian récemment, sur lequel je reviendrai…

En terminant, je " cède le crayon " au document invitant à la participation au 2e Forum social mondial thématique : Droits de l'homme, violence et narcotrafique, tenu en Colombie en juin 2003.

" La Conférence de Vienne en 1961, dans le cadre des Nations Unies, adopta une politique de prohibition, menant à la pénalisation de la production, du trafic et de la consommation de certaines substances psychotropes, politique qui semble aujourd'hui avoir échoué. Le Forum social mondial thématique doit être perçu comme le lieu de discussion et de proposition des alternatives à ces problèmes devant la Communauté internationale, en vue de comprendre la politique mondiale de lutte contre la drogue, dans le cadre des spécificités régionales. Ceci dans le but d'approfondir les diagnostics, les différents points de vue, mais aussi la possibilité de formuler des alternatives qui aident à la solution des problèmes que ce phénomène fait peser sur le monde.

En second lieu, les mobilisations massives, le 15 février dernier, de citoyennes et citoyens à Washington, Madrid, Paris, Barcelone, Rome, Rio de Janeiro et sur toute la surface de la Terre [dont 16 villes au Québec] pour dire non à la guerre, pour signaler par la force de la solidarité humaine, souhaitant construire une société dans laquelle la " sans raison " de la force militaire ne devienne la raison par laquelle certains imposent leurs vues sur le droit des peuples à l'autodétermination, ces mobilisations ont démontré, au nom de la conscience mondiale, leur rejet de la prétention des gouvernements des ÉU, Espagne et Angleterre à définir ce qui est bon pour l'humanité.

En troisième lieu, la crise de la démocratie et la crise politique vont de pair. Les questions relatives à la représentativité des organisations politiques et par conséquent les mécanismes pour inclure les groupes traditionnellement exclus des décisions politiques, tels que les jeunes, les femmes, etc., sont à l'ordre du jour.

Enfin, il est nécessaire d'avancer dans la caractérisation d'une philosophie des Droits de l'Homme qui garantisse une vie digne, faisant référence en particulier à une compréhension large des droits économiques, sociaux et culturels. Il faudrait aborder systématiquement les causes et les conditions dans lesquelles se produisent les phénomènes de déplacements forcés, migrations et population réfugiée, puis considérer les différentes alternatives pour faire face à ces phénomènes du point de vue de la société civile. Il faut réclamer la responsabilité des États dans l'accomplissement de leurs obligations et la garantie de l'exercice des droits et libertés fondamentales. Il est nécessaire d'approfondir l'analyse des conséquences des politiques de sécurité et du caractère des actions terroristes depuis le 11 septembre, tant sur la démocratie que sur le plein exercice des droits et libertés. "

Québec, le 15 juillet 2003


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Commerce Monde #36