lallier.gif (25925 bytes)Le maire de Québec dirigera une mission en Chine
Entrevue avec Jean-Paul L'Allier, maire de la Ville de Québec
Depuis sa réélection pour un troisième mandat de quatre ans, en novembre dernier, le maire de Québec semble vouloir redonner du galon au volet international de sa charge, particulièrement celui de la promotion et du développement économique. Les ressources du Bureau des relations internationales de la ville ont d'ailleurs été sensiblement augmentées et le maire ne cache pas sa volonté d'appuyer les gens d'affaires de toute la région dans leurs démarches sur les marchés étrangers. Il accordait, le 17 septembre dernier, une entrevue à COMMERCE MONDE Québec Capitale pour en parler.
Entrevue réalisée par Daniel Allard

(CMQC) Depuis votre réélection, on a l'impression que vous avez décidé de changer votre façon d'être maire, en matière d'affaires internationales, que vous vous sentez plus libre de prendre des initiatives. Et c'est d'ailleurs ce que vous faites. Comment expliquez-vous ce vent de changement? A quoi faut-il s'attendre pour les quatre prochaines années?

(Jean-Paul L'Allier) "Je ne sais pas si les choses ont changé, mais j'ai une attitude très, très précise à ce sujet. (...) La "politique" d'une ville - si on peut parler de politique - c'est de se servir des liens qu'elle peut avoir, soit dans les organisations internationales, soit directement avec certaines villes, pour faire la promotion d'échanges à caractères économique et socio-culturel au niveau de la ville. Cependant, ça ne peut pas être indépendant des politiques du gouvernement. On n'est pas un ministère. Donc, ça c'est la première chose...

Québec, ville du patrimoine mondial, fait que je suis aujourd'hui président de l'Organisation des villes du patrimoine mondial (OVPM). Ce réseau peut me servir à établir des contacts... Pour le reste, on suit les demandes qui nous sont adressées par les ministères. C'est surtout Québec qui nous demande cela. Je n'ai pas connaissance qu'Ottawa nous ait demandé de recevoir un visiteur étranger. Alors on est dans le pattern d'accueil du gouvernement du Québec et dans toute la mesure du possible, je ne refuse pas cela.

Pour ce qui est des activités avec des villes, comme avec Namur, avec Bordeaux, j'ai pris le relais de ce que mon prédécesseur faisait. Jean Pelletier est allé en Chine à la tête d'une mission de la ville; moi je ne suis pas allé en Chine. J'ai toujours répondu à des invitations lorsqu'elles comportaient un certain contenu. (...) Donc, mon rôle, au niveau international, c'est d'être présent dans les organismes où on peut l'être. Il y en a deux en particulier, l'Association internationale des maires francophones (AIMF), dont je suis vice-président... et l'OVPM. Pour le reste, on est en support."

(CMQC) Vous n'avez pas encore parlé du Bureau des Relations Internationales (BRI) de la Ville de Québec? Que va-t-il pouvoir faire de plus qu'avant?

(J.-P. L'A.) "Moi, j'ai demandé [au nouveau directeur du BRI, Luciano] Dorotéa, de donner un axe beaucoup plus accentué à la coopération à caractère économique. Qu'est-ce qu'on peut faire pour appuyer nos entreprises? (...) A cause de son expérience, il a des outils que madame Jolin n'avait pas... Il peut développer beaucoup plus vigoureusement le secteur économique et cela, ça correspond à mes choix aussi.

Il y a également Yves Dallaire, qui a été affecté à demi-temps actuellement, chargé des affaires économiques du BRI, qui a une grande expérience des dossiers économiques à la ville.

Je reçois toutes les semaines des délégations, surtout au niveau municipal et des pays d'Asie. Les Asiatiques - et en particulier les Chinois - fonctionnent beaucoup au niveau municipal. Beaucoup plus qu'au niveau des États... Et en ce sens là, ces gens s'attendent à ce que nous ayons la même réaction. Quand ils viennent ici, je suis obligé de leur parler de la Beauce, de toute la région, car ces gens n'iront pas en Beauce, ils n'iront pas voir le maire de Beauport ou de Charlesbourg. Et donc, j'accepte volontiers d'être le porte-parole de toute la région sur le plan du développement économique, de l'Université Laval aussi..."

(CMQC) Après les missions de Team Canada et d'Équipe Québec, est-ce à dire que vous préparez des missions du même type?

(J.-P. L'A.) "Il pourrait y avoir une mission de la région, que je dirigerais, en Chine! Mais cela serait une mission de LA RÉGION. [D'une façon générale, ce que je dis, c'est] si on m'invite, je vais y aller, aux missions du gouvernement. En Chine, cela ne se présente pas de la même façon. Cela fait trois fois que nous recevons des visiteurs de la ville de Sian, en Chine, et de d'autres villes également, qui insistent beaucoup pour établir des liens avec la région de Québec. Sian, c'est la plus vieille ville, la ville historique, comme nous au Québec. Or, lorsqu'on creuse ça un peu, on s'aperçoit qu'à l'Université Laval, il y a des professeurs qui sont fortement impliqués, en particulier le Dr Couture, et ces gens-là disent qu'il serait bon - on a atteint une masse critique - qu'on se regroupe et qu'on aille rendre les politesses aux Chinois... On a une sorte d'obligation de suivi, sinon ils vont se désintéresser... Donc ce sera probablement prévu pour le printemps prochain, mais pas tout seul, en collaboration financière avec le gouvernement, avec la SPEQM, l'Université Laval... J'avais suggéré que la mission soit présidée par un ministre, mais l'analyse qui est faite, c'est qu'en Chine, un maire ne fait pas ça avec un ministre.

[...outre] en Chine, dans la prochaine année, des missions économiques je n'en vois pas d'autres, à moins que la SPEQM en organise. Peut-être une autre à Plattsburg, qu'on a reçu et qui veut nous recevoir, et une participation à la Foire régionale de Bordeaux, qui inclurait un colloque économique de partenariat entre nos deux régions."

(CMQC) Croyez-vous que tous les maires de la région devraient se mettre à faire comme vous?

(J.-P. L'A.) "Pas nécessairement. Le maire de la capitale a quand même... plus de ressources, plus d'audience lorsqu'il voyage à l'étranger que le maire de Ville de Vanier - avec tout le respect que je lui dois... Chacun est libre de faire ce qu'il veut. Aussi longtemps que cela rapporte aux affaires de la ville..."

(CMQC) Etes-vous d'avis que le maire de Québec arrive à bien représenter l'ensemble de la région de Québec sur la scène internationale?

(J.-P. L'A.) "Oui! Et les autres maires le savent. C'est pour cela que mon travail, c'est d'accepter que dans ma valise j'ai... ce que j'appellerais le dépliant de toutes les villes [de la région]... et j'inclus la Beauce, Charlevoix, Trois-Rivières à la limite."

(CMQC) Très concrètement, vous sentiriez-vous à l'aise (cela veut dire que vous accepteriez) de voyager en mission commerciale avec des gens d'affaires de L'Ancienne-Lorette et de Lévis?

(J.-P. L'A.) "Tout à fait..."

(CMQC) Y-a-t-il un consensus à la CUQ à savoir qui du président de la CUQ ou du maire de Québec doit assumer le rôle de représentation régionale à l'étranger?

(J.-P. L'A.) "Je sens qu'à la CUQ on considère que cela fait largement partie de la fonction du maire de Québec, que personne ne remet cela en cause, d'autant plus que ça ne leur coûte rien... Je n'ai jamais voyagé au nom [aux frais] de la communauté urbaine."

(CMQC) Est-ce un débat qui existe au sein de la CUQ?

(J.-P. L'A.) "Non, non! Pas du tout! C'est reconnu comme ça [la représentation internationale de la région, cela revient de facto à la ville de Québec]. C'est pour cela que je suis un peu surpris que vous me posiez la question."

(CMQC) Je vous pose la question parce qu'actuellement, vous êtes limité à ne financer le BRI qu'à partir des 172 000 payeurs de taxes de la ville, donc avec des ressources qui ne sont pas le reflet de la force que représente la région à l'étranger. N'y a-t-il pas là une situation qui restreint les capacités de la région sur la scène internationale?

(J.-P. L'A.) "On n'a pas ce que j'appellerais une communauté urbaine de "pigeons voyageurs". Les gens font leur job puis la SPEQM est là pour cela. Si une mission est organisée par la SPEQM en disant on veut avoir les maires de X-Y-Z... les maires vont y aller... On travaille pour la mise en commun des ressources... La CUQ, il ne se passe rien parce que la CUQ met son budget de développement économique à la SPEQM, parce que la CUQ met son budget de développement touristique à l'OTC, donc ces gens là en font des missions...

On ne veut pas dédoubler ce qui existe. Or, il y a probablement une bonne quinzaine de sources de relations internationales à Québec actuellement... Mon rêve, c'est de mettre tout ce monde là autour de la même table en se disant on se donne un plan de match de deux ans: on va chercher deux entreprises, par exemple. C'est vers ça qu'il faut tendre. Et une des raisons qui me réjouit de la présence de monsieur Dorotéa avec nous, c'est que c'est un des dossiers sur lesquels il a travaillé au ministère avant d'arriver ici."

(CMQC) L'automne dernier, à l'occasion de votre passage à Bordeaux, en France, le ministre Guy Chevrette a consacré un jumelage de la région de Québec avec la région Aquitaine (soit Bordeaux). Plus récemment, un lien Québec-Cannes a été officialisé. Sans faire un bilan des liens de Québec avec l'étranger, où en est-on actuellement?

(J.-P. L'A.) "...La ville de Cannes est petite. Mais en même temps à forte densité touristique... Les autorités de la ville de Cannes ont dit "on veut, nous, faire des choses avec la ville de Québec parce qu'à l'échelle de nos activités touristiques, ont est à peu près au même niveau". C'est fort intéressant... D'autant plus que cela faisait 2-3 fois qu'ils nous invitaient... Alors, j'y suis allé, en revenant de Tunis, et on a signé ce pacte d'amitié... On a reçu cet été deux fois 60 jeunes de Cannes, qui sont venus dans des familles à Québec...

Avec Bordeaux c'est autre chose, avec Lyon c'est autre chose, avec la région Rhône-Alpes c'est autre chose..."

(CMQC) Lesquelles de ces relations ville-ville jugez-vous les plus dynamiques? Les plus propices à éventuellement conduire à une mission commerciale?

(J.-P. L'A.) "La plus ancienne, c'est Bordeaux... Je ne suis pas capable de répondre à votre question... Toutes les régions où on a des contacts c'est très sympathique. Ca dépend du type d'entreprise qui, chez-nous, a un potentiel d'exportation qu'il faut essayer de jumeler avec un potentiel d'accueil. Peut-être avec une ville où on n'est jamais allé et où il va falloir commencer à établir des relations... Les entreprises de la région, c'est avec la SPEQM, autour du port de Québec, de l'Université Laval et là-dedans, moi, je suis beaucoup plus ou en soutien, ou ouvreur de portes...

Les gens d'affaires, chez-nous, qui pensent, qui savent avoir un produit performant ont tout intérêt à explorer qui peut être le porteur de leur ballon ou qui peut jouer dans leur équipe pour aller faire la promotion. Une des faiblesses, souvent, des entreprises québécoises, c'est qu'elles se connaissent mal en rapport avec d'autres entreprises concurrentes et surtout en rapport avec des zones d'échanges potentielles. Elles ne savent pas avec qui elles pourraient faire des affaires. Elles ne prennent pas le temps de regarder ça. C'était peut-être un peu la job de la SPEQM de faire ces analyses-là! Si tu fabriques des chaussures de sports, tu n'as pas le temps de regarder où tu vas les vendre, si tu les vends toutes ici.

(...) Vous parlez de changement. On a réussi à regrouper le Bureau du film de Québec à la SPEQM. Et ça, je trouve que c'est extrêmement important qu'on face cela. Éventuellement, on va regrouper Sports Internationaux à la SPEQM."

(CMQC) A la fin des années 80, un groupe de promoteurs rêvait de doter la région de Québec d'un espèce de quartier d'affaires international. Vous avez compris que je parle du projet de WTC de Québec. A Montréal, le développement du Quartier international est déjà un acquis et fait partie de l'arsenal dont dispose la ville pour stimuler son développement. Y-a-t-il ce genre de projet dans les cartons de la ville? La ville ou la CCNQ se sont-ils déjà penchées sur la pertinence d'identifier ainsi une zone du territoire de Québec?

(J.-P. L'A.) "La Commission de la capitale nationale (CCNQ) n'a rien à voir là-dedans, en ce sens que ce n'est pas son mandat et elle n'a pas les ressources. Encore une fois, il faut que ce soit la SPEQM, à qui on confie toutes ces responsabilités-là. Et c'est la SPEQM - avec les chambres de commerce - qui doit déterminer quel outil elle veut se donner. La CCIQM a déjà proposé un "Centre d'accueil des entreprises" et ça foiré, parce que la chambre s'est découragée, parce que si, parce que ça.

Moi, j'ai l'inventaire, il y a 25 organisations qui font du développement économique [dans la région]. Dans ce qui marche le mieux, il y a la SPEQM. A partir du moment ou la SPEQM, dans mes livres, c'est la meilleure, on va tout accrocher dessus."

(CMQC) Un de vos adversaires à la mairie proposait même, dans la lignée du concept de zone franche, la mise en place d'une Zone économique spéciale vouée au commerce international qui offrirait des avantages aux entreprises et développerait ce secteur de notre économie régionale. Que pensez-vous de cette idée?

(J.-P. L'A.) "Tu peux bien en parler lorsque tu es candidat à la mairie, mais tu n'as aucun espèce de pouvoir de décider que cela va se faire ou pas... On peut bien le souhaiter! D'abord, ceux qui en parlent ne savent pas qu'est-ce que c'est... Posez la question à celui qui a proposé cette idée. C'est très démagogique de faire croire aux gens qu'il y a de l'argent qui dort dans des coffres au trésor et qu'il s'agit juste de les ouvrir.

(...) Mirabel devrait devenir une zone franche, à mon avis, à cause des équipements qui sont là.

(...) A la ville, ce n'est pas un créneau qui est étudié parce que ce n'est pas porteur pour nous, à moins que tu aies des produits très particuliers que tu développes autour d'un axe très précis... mais ce n'est pas à nous à faire ces analyses-là. Si on voulait travailler quelque chose à Québec, il faudrait le faire autour du port et de l'aéroport... Ce n'est pas évident."

(CMQC) A Québec on parle beaucoup de tourisme, de culture, de haute technologie, du rôle de capitale, du vieillissement de la population. On parle parfois de déclin de la population, surtout au centre-ville, mais très rarement d'immigration et d'immigration internationale. Le pays a déjà connu une période ou même les villes s'impliquaient énormément en matière de recrutement de nouveaux citoyens à travers le monde. La Ville de Québec semble très timide en la matière. Ne voyez-vous pas là une clé importante du développement économique de la région?

(J.-P. L'A.) "On est la seule ville qui a déposé un mémoire assez costaud au ministre Boisclair, il y a deux ans... On a déposé tout un argumentaire là-dessus et on n'a pas eu d'échos. Le ministère a dit merci beaucoup bonjour et ils sont repartis avec ça.

Je pense que Québec a un potentiel d'accueil, à condition qu'on le dise... mais c'est difficile de dire dans quel domaine d'emploi on est capable comme région de recevoir des immigrants. Je reçois tous les jours des lettres de gens qui disent je suis prêt à aller travailler chez-vous. Mais ils n'ont pas le 500 000$ en tant qu'investisseur ou ils correspondent au domaine pour lesquels on a 10% de chômage. C'est terminé!

On a une politique d'immigration qui n'est pas basée sur le développement, mais qui est basée sur l'économie. En d'autres mots, c'est uniquement quand il y a un apport à court terme, qu'on va accueillir du monde, alors qu'un territoire comme le notre devrait avoir une politique - je le dis comme je le pense - de peuplement - à un certain point de vue - en étant accueillant y compris pour des gens qui n'ont pas d'emploi, mais qui ont du potentiel pour s'en développer.

(...) On est la seule ville qui a une Table des communautés culturelles. On travaille fort, mais on n'a pas les ressources pour faire ça. (...) A chaque année, on fait une réception pour les nouveaux arrivants, pour les accueillir. Trouvez d'autres villes au Québec qui font cela, qui prennent la peine de fouiller les listes et d'inviter leurs nouveaux arrivants à l'Hôtel-de-ville, de leur dire c'est votre Hôtel-de-ville. On le fait! (...)"

(CMQC) Merci de la part des lecteurs de COMMERCE MONDE.