Éditorial de l'an 2000
Les années 2000 vues du Sommet du Québec et de la jeunesse

Craintes et/ou espoirs?

Les années 2000 sont maintenant une réalité. Le monde des humains leur fera-t-il honneur devant l'Histoire? Et le Québec dans tout cela? À peine la poussière du dernier nouvel an tombée, sa capitale, la ville de Québec, était le rendez-vous du Sommet du Québec et de la jeunesse. Une promesse électorale du premier ministre Lucien Bouchard, finalement tenue du 22 au 24 février 2000 après quelques reports de calendrier, qui a assurément dépoussiéré les cerveaux vieillissant de plusieurs ministres, haut-fonctionnaires et autres élites de la société québécoise réunis en séance de "sommetocratie", d'ailleurs pour la deuxième fois - et presque une fois de trop!- en tout juste quarante mois. L'occasion était belle d'y prendre le pouls du Québec, et d'un certain bout de planète, en devenir. Sans jouer ici le jeu des résolutions, osons tout de même une analyse des craintes, mais aussi des espoirs qu'il est légitime d'avancer pour l'avenir de la Terre vue de Québec.

Québec inc. se meurt! Vive Québec.com ?

Sans surprise, l'événement Sommet - incluant son Sommet alternatif - aura élevé au sommet le grand rêve de la planète branchée. Au delà de la mode Internet, plusieurs saisissent déjà très bien les enjeux de la véritable révolution qu'Internet provoque à l'échelle planétaire. La mort de plus en plus souvent annoncée de Québec inc. et du modèle de l'État Providence à la sauce québécoise mutera-t-il en douceur vers le nouveau mot fétiche: Québec.com ?

Absolument personne ne semble s'objecter à la voie de la démocratisation la plus rapide possible de l'accès à Internet. Devant ce retour aux beaux idéaux humanistes années 60-70 à la Jean-Jacques Servan-Schreiber, il ne faut évidemment pas éteindre l'espoir. S'il y a crainte, c'est face au décalage entre les paroles et promesses des ministres au pouvoir et les résultats sur le terrain. Le ministre responsable de l'inforoute David Cliche a beau se faire rassurant, le Québec traîne actuellement cruellement de la patte en Amérique du Nord et même l'européenne  France lui dispute sérieusement son marché en francophonie. Le Québec se dit "riche", mais ses moyens ressemblent de plus en plus à ceux du dit "Tiers Monde"! "Tiermondisation du Québec" n'est pas une expression agréable à dire. Elle commence pourtant à hanter la conscience collective des Québecois. Regardons donc justement ce qu'un supposé pays du tiers monde façonne en matière d'accès à l'Internet pour toute sa population:

Coordonné par l'Universal Service Agency (USA), un organisme national sud-africain  soutenue par le CRDI, l'organisme canadien d'appui à la recherche et au développement international, le premier télécentre expérimental d'Afrique du Sud, installé à Yilani, date de mars 1998. Quinze mois plus tard, le nombre de télécentres qui avaient vu le jour atteignait 18 et l'USA compte en créer plusieurs centaines d'autres, d'ici la fin de 2002, année où se terminera son mandat.

Les télécentres d'Afrique du Sud - souvent de simples comptoirs téléphoniques, mais parfois des établissements tous services installés dans une bibliothèque communautaire - sont issus d'un programme visant à offrir des services universels de télécommunications. Ils constituent un puissant moteur du développement rural et un instrument privilégié de lutte contre la pauvreté.

En Afrique du Sud,
la télédensité globale était de 9,5 lignes téléphoniques
pour 1000 habitants en 1999.

Dans de nombreux pays, l'arrivée de la société de l'information donne lieu à la création d'une information pour l'élite, infligeant aux citoyens les plus pauvres une autre forme de privation. En Afrique du Sud, on tente avec les télécentres de réduire cet écart. Le contexte financier actuel du pays empêcherait, semble-t-il, d'ici au moins 30 ans, l'installation de lignes téléphoniques dans tous les foyers. Le gouvernement espère cependant qu'au cours des prochaines années, grâce aux télécentres, que l'accès au téléphone dans un rayon de 5 kilomètres (ou une demi heure de marche) de chaque habitation sera offert.

"Les écoles du Québec sont à 100% branchés, les bibliothèques publiques également, maintenant nous allons brancher les Maisons des Jeunes", s'enthousiasmait le ministre Cliche, dernier à prendre la parole lors de l'atelier sur l'Ouverture sur le Monde du Sommet. Malheureusement, le Québec, avec son 25% de population "analphabète fonctionnel" et sa fracture entre le Québec urbain et le Québec rural, n'est pas si loin que ça des problématiques sud-africaines!   

Le Québec des années 2000 n'a présentement plus les moyens de ses rêves et de ses politiques! La ministre des Relations internationales Louise Beaudoin, en entrevue à la chaîne de télévision continue canadienne RDI pour montrer qu'elle faisait quelque chose pour les jeunes dans le contexte du même Sommet, a fait sourire les observateurs attentifs en ramenant comme seul exemple son programme de la Décennie des Amériques incluant un volet jeunesse avec l’Agence Québec-Amérique pour la Jeunesse, une initiative fort louable, mais déjà vieille d'un an! Son aveu d'impuissance n'avait pas échappé à COMMERCE MONDE ( Voir l'entrevue du #15) lors de l'entrevue qu'elle nous accordait en janvier dernier: "La priorité du gouvernement c'est la santé. Toute la marge de manoeuvre va à la santé", soupirait-elle alors. C’est finalement le ministre des Finances, d’ailleurs absent du Sommet, qui aura le dernier mot sur tout cela, lors de la présentation de son budget dans quelques semaines.

 

Quoi faire, face à la mondialisation? Résistance vs. appropriation!

Autre préoccupation majeure des jeunes et des moins jeunes du Sommet: la mondialisation. "On peut définir la mondialisation comme étant la propagation de la libre circulation des biens, des services, des capitaux, des hommes et des idées entre tous les pays en faisant abstraction des frontières politiques qui les séparent", expose Antoine Ayoub. Difficile d'être globalement contre cette quasi-vertu. Tous les jours, citoyens que nous sommes, nous faisons cependant des choix de consommation qui contribuent au type de mondialisation en construction!

Oui à la mondialisation des solidarités, demandent largement la jeunesse québécoise! Mais pour faire quoi et surtout comment? "Nous sommes en faveur de la mondialisation, mais d'une autre mondialisation; à la place de la mondialisation néolibérale, bâtissons à faire naître la mondialisation de la justice, de la solidarité et de la paix, dans un concert mondial d'altérités complémentaires et égales en dignité et en liberté", explique mon Agenda latino-américain 2000. "La grande perversion du néolibéralisme est sa formidable aptitude à produire des inégalités", lance Ignacio Ramonet.

Mais ce n’est pas la mondialisation qui fait problème, ici. C’est ceux qui contrôlent le phénomène! À l’heure des compagnies globales, ne faut-il pas équiper la démocratie planétaire d’un gouvernement global?

À la mondialisation néo-libéraliste et capitaliste pure, il faut sans doute dire non. Mais sûrement pas à la mondialisation de la coopération, des échanges culturels et sociaux, des solidarités. Faut-il choisir entre la souveraineté citoyenne ou celle des compagnies! Pas nécessairement, mais la balle est ici assurément dans le camps des patrons. Dans le sillon des événements de Seattle en décembre dernier, l'OMC, successeur du GATT, est accusée par les mouvements anarchistes et libertaires nord-américains de fonctionner comme un "gouvernement virtuel de l'ombre". Voilà le gros problème!

Rappelons que suite aux protestations faites d'abors à Montréal, puis à Genève, Paris et Manille, les négociations sur un Accord multilatéral sur les investissements (AMI) ont été stoppées.

Comme si l'humanité arrivait au point maximal de la pyramide de son évolution, un autre élément fondamental de son mode de pensée est atteint. L'avenir est maintenant façonné par la manière dont nous faisons face aux problèmes globaux de l'humanité toute entière et à cela, il faut évidemment répondre par une démocratie planétaire, pour un type ou l’autre de gouverne planétaire efficace.

Deux siècles et demi après la Révolution française clâmant le triptique LIBERTÉ-ÉGALITÉ-FRATERNITÉ, le monde aura probablement à choisir de nouvelles priorités, de nouvelles valeurs, s'il veut survivre: COMMUNICATION (As-tu le sida? Peux-tu ou pas consommer ceci?) -ÉQUITÉ-JUSTICE devront prendre du galon. Et face à la nécessaire mondialisation, il faut dire non à la résistance et plutôt oui à son appropriation par le citoyen.

Démographie, exclusion des communautés culturelles et racisme

Globalement, au Québec, la proportion de personnes âgées fera un bond de 12% à 25%, d’ici 2026. C’est le rythme le plus rapide de tous les pays industrialisés! Dans la même période, le nombre de jeunes subira une forte réduction de 22%. Neuf des 17 régions administratives - dont celles de Québec et de Chaudière-Appalaches - subiront d’ailleurs une décroissance de leur population. En 1996, il y avait 63 personnes âgées de 65 ans et plus pour 100 jeunes de moins de 14 ans. En 2026, la proportion sera de 178 aînés pour 100 jeunes, si les tendances lourdes actuellement confirmées ne varient pas! L’immigration et une meilleure inclusion des différentes communautés culturelles déjà présentes au Québec sera une des incontournables solutions - voire là solution! - à la lutte au déséquilibre intergénérationnel. Mais:

"...bref, les autres..." a pourtant banalement échappé Gérald Larose, lui aussi en entrevue télévisée à la chaîne continue canadienne RDI, en fin de couverture du Sommet. Les AUTRES! Voilà une bonne partie du problème. Les élites politiques et syndicales du Québec d'aujourd'hui continuent de garder la porte fermée.

Autre indice préoccupant, le premier ministre à le front d'affirmer qu'il a obtenu un concensus à son Sommet. Pourtant, la même journée, quelque part vers midi en pleine séance d'atelier sur l'équité, toutes la délégation des Inuits et autochntones (près d'une trentaine de personnes), ont solennellement quitté le Sommet. Consensus? Peut-être, mais d'un Québec sudiste encore un peu plus coupé de son Nord et de ses Premières Nations!

Et ce n’est pas tout, la dizaine de portes-parole observateurs Noirs que j’ai croisés sur le planché du Sommet, le dernier jours, m’ont avoué qu’ils ont dû se battre jusqu’à la dernière minute pour avoir la possibilité de venir mettre de la couleur dans la masse des participants!

Quelles belles occasions ratées!

Daniel Allard
Rédacteur en chef


CARICATURE
1er Jam mondial des neiges, Québec, Canada 28 déc. 1999 - 9 janvier 2000