"C'est beaucoup plus qu'une économie de tourisme et de canne à sucre. Pour 1996-2000, la croissance du PNB a été de 36%".

- Bruno Picard

Entrevue avec Bruno Picard, ambassadeur du Canada en République Dominicaine.

Fermée en 1969, principalement pour des raisons économiques, la représentation diplomatique du Canada en République Dominicaine a été rouverte en 1990. Bruno Picard, en poste à Santo Domingo depuis septembre 1999, est cependant le premier canadien à y occuper le poste d'ambassadeur. Jusqu'ici, les chefs de mission qui l'ont précédé n'avaient jamais eu le statut supérieur de la hiérarchie diplomatique. La récente nomination de l'Ambassadeur Picard fut donc une forme de reconnaissance, par le Canada, de l'importance grandissante qu'il accorde à ce pays de 8,5 millions d'habitants, voisin d'Haïti.

Québécois originaire de la région du Témiscouata, ce gradué de l'Université Laval (Bacc. en administration), explique que c'est dès l'âge de 19 ans, alors qu'il a l'occasion de vivre deux ans en Côte-d'Ivoire, en 71-73, dans le cadre d'un emploi pour l'organisme de coopération internationale canadien CUSO, qu'il découvre son intérêt pour les questions internationales. Après quelques années dans l'Outaouais comme professeur dans le secteur public, il rentre au ministère dès sa sortie de l'université en 1977. D'abord délégué commercial en poste à Montréal, il reçoit dès l'année suivante une première assignation à l'étranger, au Caire, en Égypte (78-80). Durant les années 80, il occupera deux postes à Ottawa, dont un sur les questions mexicaines  (82-85), qu'il entrecoupe d'un poste au Maroc (85-88). Après Bruxelles (90-93), il revient à Ottawa pour occuper le poste de directeur des communications pour le ministre Roy MacLaren de janvier 94 à mars 96. Depuis lors, des responsabilités en formation professionnelle à l'Institut du Service extérieur, à Hull, l'avait mobilisé, jusqu'à ce qu'il vienne relever le défi de sa première assignation à titre d'Ambassadeur en carrière, un poste qu'il occupe depuis septembre 1999.

Agent de carrière du Service extérieur canadien, le jeune ambassadeur Picard - il a 48 ans - accordait cette entrevue à COMMERCE MONDE le 9 mars dernier, dans son bureau de la jolie petite villa qui sert d'Ambassade à Santo Domingo, au 39 de Maschena, à dix minutes de marche à l'ouest de la grande avenue Maximo Gomez, juste à la hauteur de la magnifique Plaza de la Cultura - où la capitale dominicaine concentre son Théâtre national, sa Bibliothèque nationale, son Musée d'histoire naturelle, son Musée d'Art moderne, son Musée d'histoire de l'homme dominicain et d'agréables jardins et espaces verts - et, autre repère efficace, également à quelques pas de marche de l'Ambassade des États-Unis d'Amérique!

Entrevue réalisée par Daniel Allard

(CMQC) Avant de faire le point sur la situation économique du pays, pouvez-vous nous présenter votre équipe, ici à l'ambassade?  
(Bruno Picard) "C'est principalement à cause de l'importance du tourisme qu'est dûe la réouverture de 1990. Car le tourisme de masse canadien, qui est débarqué ici à partir de la fin des années 70, suscitait de plus en plus de besoins. Ici, il y a actuellement 8 employés recrutés localement, dont six travaillent à l'administration. Une personne agit aussi comme agente commerciale. Pour l'instant, je suis le seul canadien en poste. Mais un autre canadien va arriver à l'été. Et je ne vous cache pas que j'ai très hâte de pouvoir compter sur cette ressource humaine supplémentaire, dont le mandat sera, d'ailleurs, pour 40 à 50% de sa tâche, de s'occuper des questions commerciales.

Mais ici, la priorité absolue reste le consulaire, surtout à cause de la complexité et de la lourdeur des cas - 2500 demandes de visas en 1999, soit le double des demandes par rapport à 1998 - même si c'est le bureau régional situé à Port-au-Prince, en Haïti, qui délivre les demandes de visa faites ici."

(CMQC) Je suis passé dans cette ville en décembre dernier et j'ai facilement remarqué un nombre impressionnant de chantiers de construction de routes, de ponts, etc... On semble construire ici, en même temps, une autoroute métropolitaine et un boulevard Décarie! Ce "boom économique" a-t-il un rapport direct avec la tenue des élections présidentielles de mai prochain?
(B. P.) "Non, je ne le pense pas. L'élection présidentielle de 1996 avait beaucoup permis au pays de décoller et les chiffres de la croissance du PNB sont d'ailleurs explicites à ce titre: 36% de croissance pour la période 1996-2000. En 1999, la croissance du PNB a été de 8,3%.

Et il y a un élément très rassurant pour l'avenir et la stabilité de ce pays: qu'importe qui va gagner les élections (16 mai pour le premier tour, 30 juin pour le second tour et 15 août pour la passation du pouvoir), il n'y aura pas de remise en question des acquis."

(CMQC) Que pensez-vous de l'économie de ce pays?
(B. P.) "Il y a plusieurs choses à dire sur l'économie du pays et tout d'abord qu'il s'agit d'une économie variée. Elle est encore souvent caractérisée pour l'importance de la canne à sucre, mais ce n'est pas vrai!

Prenons seulement l'exemple des zones franches, qui ont très bien fonctionnées surtout dans le textile jusqu'à maintenant et qui prennent présentement le virage des nouvelles technologies de l'information et des télécommunications.

Le secteur de la construction va aussi très bien, les télécommunications également. Le pays dispose d'un important secteur minier et le tourisme n'a pas été ici une économie d'importation. À lui seul, le secteur de l'électricité devrait investir 2 milliards $US dans les 3 à 5 prochaines années. Dans les télécommunications, la société Codetel, maintenant privatisée et d'ailleurs cotée à la Bourse de New York, fait d'excellentes affaires avec des compagnies canadiennes comme Nortel et Newbridge. Tricom est aussi une entreprise dominicaine importante du même secteur.

En transport, je tiens à souligner que c'est une entreprise canadienne, Les Aéroports de Vancouver, qui vient de remporter, avec un consortium, le contrat de gestion pour 20 ans des quatre aéroports internationaux du pays, où 400M$ seront investis durant la même période. Plus spécifiquement pour la ville de Santo Domingo, il y a aussi un projet de métro léger actuellement en appel d'offre. Un projet intéressant pour la compagnie québécoise Bombardier.

Sur le tourisme, la particularité, cette année, c'est que le tourisme en provenance du Canada éclate de partout. Au début, les Québécois ont ouvert massivement ce marché - un peu comme à Cuba - puis ensuite les Ontariens se sont ajoutés. Mais cette année, les touristes canadiens arrivent de partout et le chiffre de 220 000 est avancé! Il y a même des vols directs qui arrivent de Yellowknife!

Si on parle de l'économie de ce pays plus globalement, actuellement, les statistiques révèlent que les exportations du Canada atteignent officiellement le 100M$ par an en République Dominicaine. Mon estimation de la réalité est cependant différente: je situe ce chiffre plutôt entre 200 et 250 000 000$CAN. Pourquoi un tel écart? Si on parle strictement du cas de Codetel, c'est déjà 100M$, car je sais qu'ils font livrer beaucoup de leurs achats du Canada via les États-Unis. L'économie de la République Dominicaine importe annuellement pour 8,5 milliards $US et 56% de cette somme va actuellement aux États-Unis, alors que nous calculons que la part du Canada n'est que de 1,2%.

Monter cela à 4 ou 5% devrait se faire assez facilement et je souhaiterais effectivement voir cela d'ici la fin de mon mandat, dans trois ans... Le gros défi, c'est de faire connaître le Canada!"

(CMQC) Y-a-t-il un représentant de l'ACDI en poste ici?
(B. P.) "L'ACDI a eu un programme bilatéral jusqu'en 1985 avec ce pays, mais qui n'a pas été renouvelé depuis. Mais l'aide de l'ACDI à travers les ONG est très présente et un retour direct de l'ACDI a moyen terme est loin d'être impossible! Je vous donne ici strictement ma position d'ambassadeur: l'analyse suggère qu'il y a place pour un programme bilatérale d'aide au développement entre le Canada et la République Dominicaine.

Sur un autre plan de la coopération internationale, actuellement, je dispose de 250 000$ annuellement grâce au Fonds canadien pour l'initiative locale (FCIL) - un budget que je ne devrais pas avoir de difficulté à faire porter à 300 000$ dès l'an prochain - et ma priorité avec cette ressource financière, c'est de me coller à la stratégie du pays de lutte contre la pauvreté. Je veux que chacun des projets financés par le FCIL permettent à un membre de chaque famille dominicaine concernée de ressortir avec un acquis d'éducation et une amélioration de sa capacité de pouvoir gagner honorablement sa vie.

Je tiens aussi à mentionner l'initiative d'effacement de la dette, un geste qui a permis au Canada de créer un Fonds de 1,2M$ - actuellement engagé à 80% - qui sert en priorité à des projets de reconstruction de maison, suite au passage de l'ouragan Georges, il y a deux ans. Ici, nous construisons surtout des maisons à environ 3 500$ l'unité."

(CMQC) À première vue, beaucoup de parallèles semblent faciles à faire entre la réalité du Port de Santo Domingo et celle du Port de Québec en ce qui concerne l'industrie des navires de croisière et des aménagements de terminal pour passagers. Pensez-vous que les autorités de la ville de Québec auraient avantage à s'inspirer de l'exemple des terminaux de passagers d'ici?
(B. P.) "Malheureusement, c'est un sujet que je ne maîtrise pas encore. Je sais très peu de chose sur le port et l'industrie des croisières ici. Je sais simplement que les compagnies maritimes avaient cessé de venir ici au début des années 90, car elles avaient trop de problèmes côté salubrité des infrastructures, mais je ne peux pas vous en dire plus à ce sujet!"

(CMQC) Plan Nagua, une ONG de la ville de Québec qui intervient en République Dominicaine depuis plus de trente ans maintenant, met actuellement la dernière main à son initiative de commercialisation de café équitable dominicain, qu'elle compte bien vendre sur le marché québécois très prochainement. Le premier conteneur de café doit arriver au Québec fin mars, début avril prochain! Quel rôle comptez-vous jouer en la matière? Innovateur, ce projet est aussi très audacieux! Pourriez-vous aller jusqu'à agir en tant que partenaire officiel d'une telle initiative avec Plan Nagua?
(B. P.) "Je suis au courant de leur projet. J'ai déjà rencontré un représentant de Plan Nagua, que j'ai dirigé vers le Bureau de facilitation du commerce, à Ottawa. Car nous, nous n'avons pas tous les chiffres dont ils ont besoin par rapport au marché canadien. Je sais, par ailleurs, que la directrice générale de Plan Nagua viendra, plus tard en mars, et qu'elle a déjà un rendez-vous de planifié avec moi. Nous, nous sommes là pour leur donner des conseils. C'est ce que nous avons fait à ce jour. Pour mettre toutes les chances de leur côté, ils devront se doter d'une véritable structure commerciale. Je sais aussi qu'ils ont actuellement deux stagiaires ici et j'attend qu'ils viennent me voir."

(CMQC) Les nouvelles à la télévision locale montraient cette semaine une manifestation de citoyens d'un quartier de la capitale qui réclamaient de l'eau! Quelle est la situation du pays en matière d'eau potable et d'assainissement?
(B. P.) "Il y a principalement un problème d'infrastructure important. Je sais que le gouvernement dominicain travaille actuellement avec la Banque mondiale pour l'obtention d'un prêt pour une réforme administrative du secteur. Ce serait une première étape. Je pense qu'ils veulent faire comme ce qui a été fait dans le secteur de l'électricité. L'idée étant de procéder à des investissements de par l'actuel Institut national  (l'INAPA), pour relever le secteur et ensuite privatiser. Mais tout reste à faire en cette matière, et l'exemple du secteur de l'électricité montre qu'il faut avoir les reins solides pour s'impliquer. Ici, on dit que pour se faire payer une unité d'électricité, il faut être capable d'en produire trois; et ce serait la même chose pour l'eau!"

(CMQC) Je ne peux pas ne pas vous parler des deux récents meurtres de Québécois d'origines! Sentez-vous qu'il y aura un impact sur le tourisme en provenance du Québec?
(B. P.) "Je n'ai pas de chiffres qui permettent de dire quelque chose à ce propos. Les avions du Québec semblent aussi pleins qu'avant! Il y a eu quatre morts de Canadiens dans ce pays en cinq ans, ceci incluant les deux Québécois, qui sont malheureusement morts tous les deux le même jour, ce qui a évidemment amplifié l'impact médiatique au Québec. Mais je précise que ces deux personnes n'étaient pas des touristes et qu'ils vivaient en permanence ici."

(CMQC) Est-ce facile de faire des affaires ici pour les Canadiens? Faut-il, entre autres, s'attendre à être régulièrement confronté à des problèmes de corruption?
(B. P.) "Le 8,5 milliards $US d'importations est essentiellement réalisé avec le secteur privé. C'est déjà une nuance importante. Faire des affaires suite à une conversation dans un bar n'est assurément pas la bonne méthode à suivre. Et ici, j'allume la lumière rouge grosse comme ça! Je ne suis ici que depuis six mois et j'ai vu des cas malheureux dans des projets immobiliers! Ici, comme ailleurs, avant de s'engager dans une affaire commerciale, il faut faire ses devoirs correctement."

(CMQC) On entend dans les médias d'ici que la République Dominicaine négociait un accord de libre-échange avec le CARICOM. Qu'en savez-vous?
(B. P.) "C'est une question très importante. Effectivement, le gouvernement a non seulement négocié un ALE avec le CARICOM, mais aussi avec les pays de l'Amérique centrale. La République Dominicaine a même demandé son adhésion au CARICOM. Mais dans les deux dossiers, ils sont en attente de ratification devant leur congrès."

(NOTE: Le système politique est essentiellement du même type que celui des États-Unis, à une nuance près; depuis 1996, les élections présidentielles sont à deux tours.)

(CMQC) Vous avez sûrement déjà identifié des opportunités d'affaires particulièrement intéressantes?
(B. P.) "Avec l'importance que le tourisme canadien a pris dans ce pays - 180 000 à 200 000 touristes par année en moyenne - je pense qu'il serait très bien venu de voir, par exemple, l'industrie canadienne du tourisme se mobiliser pour appuyer une initiative visant à contrer les impacts négatifs de cette industrie sur les populations locales. Une idée me tient particulièrement à coeur ici, c'est de voir naître une Fondation. Par exemple: la "Fondation Air Transat". Pourquoi pas?

Non, je ne connais pas de précédent ailleurs en la matière, mais je pense que c'est une bonne idée et j'ai bien l'intention d'en faire la promotion.

Toujours dans le domaine de l'industrie touristique, je sais aussi qu'il y a un important projet de revitalisation du secteur de la cité coloniale de la capitale. La vieille ville de Santo Domingo est ici souvent comparée à celle de Porto Rico, qui est montrée comme un exemple de gros succès! Je sais que la Banque interaméricaine de développement est présentement en négociation avec le gouvernement dominicain, pour un prêt en matière de rénovation."

(CMQC) Merci monsieur l'ambassadeur.

Ambassade du Canada
C.P. 2054
Santo Domingo
République Dominicaine
Tél.: 1-809-685-1136
Fax: 1-809-682-2691

E-mail: sdmgo@dfait-maeci.gc.ca