ANALYSES DE LA SEMAINES
En collaboration avec les étudiants du Programme de journalisme international de l'Université Laval.

 

Les dix étudiants du Programme de journalisme international de l'Université Laval publiront, pour les prochaines semaines, leurs meilleurs textes hebdomadaires. Le cyberjournal COMMERCE MONDE s'est engagé à publier pour cette période tous les textes qui seront jugés pertinents en rapport avec son mandat et sa mission dans cette nouvelle rubrique spéciale du journal: ANALYSES DE LA SEMAINE. Florian Sauvageau, le directeur de ce programme conjoint Laval-Lilles (en France), qui en est à sa quatrième année, a accepté de se joindre à cette initiative du cyberjournal COMMERCE MONDE - Québec Capitale voulant reconnaître la qualité du travail journalistique des étudiants de l'Université Laval et souhaitant faciliter le rayonnement de la présence à Québec du Programme de journalisme international de l'Université Laval. Cette initiative veut aussi reconnaître l'importance de favoriser le plus vite possible l'intégration des étudiants de l'Université Laval à la vie professionnelle. Le Groupe pour le rayonnement international de la région de Québec (GRI) a également accepté de s'associer à cette démarche allant dans le sens du rayonnement international de la région de Québec. En mai 2000, avant que les dix finissants et finissantes du programme ne quittent la région pour leur stage de fin d'étude dans divers coins de la planète, trois bourses seront remises aux meilleures textes écrits, suite à une évaluation faite par le rédacteur en chef du journal et le directeur du programme de journalisme. La première bourse sera de 500$, la deuxième de 300$ et la troisième de 200$. Des bourses qui sont rendues possibles grâce à la participation financière du Groupe pour le rayonnement international de la région de Québec.
 
Sommaire

Articles - semaine du 18 avril

Articles - semaines antérieures


La victoire du camp réformiste aux élections législatives en Iran : Une révolution dans la Révolution 

par Blaise Robinson 

Le Président iranien Mohammad Khatami ne se sentira plus seul à la tête de l’Iran. Lors des élections législatives du 18 février, les partis réformateurs ont délogé la majorité conservatrice qui contrôlait depuis la Révolution de 1979 le Majlis, le Parlement iranien. Ils ont remporté près de 80% des sièges de député. 

Selon les résultats préliminaires, le camp réformateur doit en principe remporter la totalité des trente sièges qui étaient en jeu pour la ville de Téhéran. L’obtention des 146 sièges (sur un total de 290) nécessaires pour avoir la majorité relative au Majlis leur est quasiment assurée et sera confirmée lors du deuxième tour qui doit se tenir en avril. 

La participation a atteint plus de 83% au niveau national, signe de la volonté de changement des Iraniens qui étaient 38,7 millions à voter. Leur vote massif en faveur de l’entourage du président Khatami montre à quel point le programme de réformes de celui-ci est soutenu par la population, dont les attentes sont fortes. 

Un second tour aura donc lieu en avril pour la soixantaine de sièges qui restent en jeu et ce n'est qu'en mai, lors de l'élection du nouveau président du Majlis, que le rapport de force précis apparaîtra clairement, bien que le sens général du vote ne fasse pas de doute. 

Pour Khatami et ses alliés réformateurs, grands vainqueurs des élections législatives, la tâche sera ardue pour arriver à satisfaire les attentes de changement politique, social et culturel de la population iranienne, en particulier des jeunes et des femmes qui ont voté massivement en faveur du changement. 

Dès le lendemain de leur triomphe aux législatives, les réformateurs ont annoncé une série de mesures visant à promouvoir une meilleure liberté d’expression. Ils devront mettre à exécution leur promesse d’amender la législation sur la presse. Depuis quelques années, les journalistes sont victimes de poursuites arbitraires de la part d’un tribunal spécial sur la presse.

Sur le plan politique néanmoins, la situation est peut-être un peu moins simpliste que ce que laisse entendre les médias internationaux en parlant d’une opposition bipolaire conservateurs-réformateurs. Les partis politiques qui s’affichent du côté réformateur sont loin d’avoir tous le même programme politique. Les divergences sont nombreuses, ce qui ne sera pas sans effet sur les capacités à gouverner du Président Khatami. 

Malgré les idées reçues des éditorialistes de la presse étrangère sur le débat politique, nous sommes loin d’un effondrement des structures de la République islamique en Iran. Plus de démocratie ne veut pas automatiquement dire moins d’islamisme. Allons voir d’un peu plus près. 

D’abord réformateur n’est pas synonyme de laïc. La principale coalition réformatrice dirigée par le frère du président Khatami, Mohammad Reza Khatami, s’appelle le Mocharekat, le Front de Participation Islamique d'Iran, dans lequel coexistent laïcs et religieux. Son programme électoral se fixe d'ailleurs comme priorité première l'émergence d'une véritable société civile et l'introduction de l'État de droit, mais toujours au sein du système islamique existant. Pas de grandes remises en question à l’horizon. 

Dans la mouvance réformatrice toujours, le Mocharekat n'est pas le seul nouveau parti. D'autres ont récemment été créés, tel le Parti de la Solidarité islamique, ou le Parti islamique du Travail (gauche socialisante), auxquels se sont ralliés d'anciens radicaux islamistes. 

Devant leur défaite électorale, les conservateurs semblent accepter la décision des Iraniens. Ils en ont néanmoins profiter pour saluer le triomphe de la Révolution islamique qui a su se forger des institutions démocratiques dans un cadre islamique. 

Lors d'une conférence de presse rapportée par Reuters, le Président sortant du Majlis, le conservateur Ali Akbar Nateq-Nouri, a expliqué: « Les perdants sont ceux qui ont essayé de dissocier le peuple du système islamique. Ceux qui ont voté croient dans le système, à ses principes et à ses valeurs », a-t-il ajouté. 

Enfin, le réformiste Mohamed Reza Khatami a tenu à répéter lors d’une conférence de presse que la victoire des réformateurs était un phénomène purement intérieur, qui ne devait pas être interprétée comme la preuve de l'abandon de la Révolution islamique et de ses principes révolutionnaires ou religieux. 

Voir dans ces résultats électoraux une remise en question de la primauté des lois religieuses comme fondement de la théocratie iranienne serait donc faire de la projection d’occidentaux désirant en découdre avec ce système islamique qui semble bien fonctionner. D’autre part, les conservateurs, majoritaires au parlement iranien sortant, restent largement maîtres des grandes décisions politiques en Iran, malgré leur défaite aux élections législatives face aux réformateurs. 

En outre, le Majlis n'est qu'une des nombreuses institutions qui se disputent le pouvoir au sein de la République islamique. Ainsi, les députés n'ont quasiment aucune emprise sur les forces armées, les services de sécurité ou le système des prêches du vendredi - trois centres du pouvoir que contrôlent les conservateurs. 

Les lois passées par le Parlement doivent être approuvées par le Conseil des gardiens, constitué de 12 membres et contrôlé par les amis de l'ayatollah Khamenei, à qui revient le dernier mot. Le Conseil des gardiens, dominé par des religieux conservateurs nommés, a en effet le pouvoir de bloquer toute loi jugée non conforme à la chari’a (loi coranique) ou à la Constitution. 

La constitution iranienne accorde de très vastes prérogatives au Guide suprême l'ayatollah Ali Khamenei qui, en vertu de l'article 110 de la loi fondamentale peut démettre le Président de la République. Aussi, la justice, générale ou révolutionnaire, est encore le principal bastion des conservateurs qui contrôlent aussi directement la radio et la télévision d'État, dont le chef est nommé par l'ayatollah Ali Khamenei. Les organisations de propagande au sein du régime, toutes les tribunes de la prières hebdomadaires dans les grandes villes comme Téhéran, ainsi que les 40.000 mosquées du pays, sont contrôlées par les conservateurs. 

Le pouvoir législatif va ainsi devoir composer avec les institutions contrôlées par les conservateurs, directement ou par l'intermédiaire du Guide suprême. La victoire des réformistes est certes un grand événement en soi, mais ne dépasse pas le cadre d’une révolution dans la Révolution. Les Iraniens ne sont pas sur le point de renier la Révolution islamique. Ils sont plutôt en train de réinventer la démocratie dans un cadre islamique.  (retour au menu)


Maroc: M6 Le piégé

par Blaise Robinson

Des centaines de milliers de personnes venues à pied de tout le Maroc s'étaient massées le long du parcours pour rendre un dernier hommage au souverain. Après 38 ans de pouvoir, un pouvoir longtemps absolu, Hassan II laissait à son fils un pays en plein bouleversement social. À 35 ans, Sidi Mohammed, devenu lors de son accès au trône Mohamed VI, prenait la direction d'un Maroc en pleine transition sociale et politique. Neuf mois plus tard, avec la crise sur le « Plan d’intégration de la femme au développement », le nouveau roi Mohamed VI, ou « M6 » comme le surnomme les journalistes français, déchiré entre traditionalisme et modernité, semble marcher sur des œufs. Le 20 août 1999, dans son premier discours du Trône, le jeune homme de 36 ans qui vient de succéder à Hassan II a rompu avec la tradition de silence qui prévalait jusque-là au Palais dès qu'il était question du statut des femmes. Il parle pour la première fois de la condition « injuste » qui leur est faite et de « l'urgence de les intégrer au processus de développement ». Le débat était lancé. 

Grâce à l’ouverture de Hassan II durant les dernières années de son règne, le royaume chérifien connaît aujourd’hui une alternance politique. Au gouvernement : l’équipe du socialiste Abderrahmane Youssoufi, que Hassan II avait jadis emprisonné et qui occupe actuellement le poste de premier ministre. Profitant d’un climat ouvert aux réformes, Youssoufi lance, au printemps 1999 le « Plan d’intégration des femmes au développement ». 

Ce fameux Plan, bloqué depuis lors, prévoit entre autre l’interdiction de la polygamie, de la répudiation et l’augmentation de l’âge minimum du mariage de 15 à 18 ans. « Qui peut être contre ça ? », titrait un journal de Casablanca en mars dernier. Les franges traditionalistes et islamistes au Maroc, qui mènent depuis plusieurs mois une campagne contre toute réforme du statut de la femme, se sont dits « prêts à aller jusqu’où il faudra aller », pouvait-on lire dans un reportage publié récemment dans Jeune Afrique. 

Le 12 mars dernier, soit un an après le dévoilement du Plan, deux manifestations monstres faisaient trembler le Maroc. D’un côté à Rabat, les mouvements de la gauche, les syndicats et les mouvements féministes défilaient dans le cadre de la Marche des Femmes 2000 ainsi que pour manifester leur appui au Plan. Au même moment à Casablanca, des centaines de milliers de personnes mobilisées et encadrées par les mouvements traditionalistes et islamistes marchaient pour dénoncer le Plan. Ils reprochent aux femmes modernes de « vouloir imiter les Occidentales ». Entre les deux courants, le roi, piégé entre son titre de « Commandeur des croyants », donc de garant de la sha’ria, et l’ardent désir d’esquisser une émancipation féminine « à la Marocaine » sans une remise en question des traditions musulmanes qui ont toujours prévalues au Maroc. 

Pays de contraste, pays de clivage, le « Maroc à deux vitesses » n’a probablement jamais été aussi divisé. La journaliste de Jeune Afrique, Fawzia Zouariil, explique dans un article paru le mois dernier qu'il existe « un Maroc des femmes dures » et « un Maroc des femmes soumises », celui des femmes pour qui le mariage reste la plus grande sécurité, et celui pour qui le célibat offre le seul mode de liberté. « Des rebelles et des militantes d'un côté, et, de l'autre, celles qui appliquent la tradition et refusent de scolariser leurs filles. Le Maroc d'une élite francophone moderne, branchée sur Internet, et, parallèlement, celui où le taux d'analphabétisme des femmes atteint des taux vertigineux, surtout à la campagne. »
 
Hassan II arrivait à conjuguer tradition et modernité, valeurs arabo-islamiques et idées européennes héritées de ses études universitaires en France. Après l'Indépendance, il a su construire un sentiment national autour d'une monarchie constitutionnelle, qui fut d'abord un puissant symbole anti-colonial, pour ensuite devenir le pilier de l'unité nationale du Maroc d'aujourd'hui. 

Profitant d'une légitimité religieuse qu'il détenait grâce à ses origines remontant au prophète Mohamed, Hassan II n'a pas trop eu à craindre des mouvements islamistes marocains. En 1997, il permet même à des députés islamistes modérés d'entrer au Parlement. 

Mais Mohamed VI, malgré qu’il soit -tout comme son père l’était- le Commandeur des croyants, c’est-à-dire le chef religieux du Maroc, est loin d’avoir autant d’autorité religieuse que son père. Et les islamistes ne semblent pas partis pour lui donner beaucoup de chance. 

Joint au Maroc, Khalil Hachimi Idrissi, rédacteur en chef du magazine Maroc Hebdo, parle d’une succession importante, mais sereine pour le Maroc, lié à la réalité de deux générations. « Il n'y aura pas de crise de succession comme l'appréhendaient certains médias français. Mohamed VI n'est peut-être pas très connu à l'étranger, mais ici, il n'est ni mystérieux, ni inconnu. Le peuple ne peut que lui faire confiance. »
 
Instruit, selon la tradition marocaine, dans le sérail du collège royal de Rabat, formé en droit dans une université française tout comme son père, le jeune monarque tente si bien que mal de faire ses preuves comme nouveau roi du Maroc. « Il lui faudra reprendre le chantier de son père et aller plus loin pour consolider et moderniser les structures et les institutions d'un pays qui a déjà une vieille tradition étatique », explique Khalil Hachimi Idrissi. 

Néanmoins, les attentes sont nombreuses et les milieux progressistes commencent à s’impatienter. Le remerciement à l’automne du puissant ministre de l'Intérieur, Driss Basri, connu pour sa résistance au changement, a été très bien perçu au Royaume. Mais après neuf mois de pouvoir, le Maroc fait toujours face aux mêmes grands problèmes. 

Avec un taux de chômage qui dépasse les 20 % et des inégalités sociales flagrantes, la situation économique du Maroc reste aujourd'hui, malgré le changement de pouvoir, très précaire. Les pressions sont fortes sur Mohamed VI pour qu'il soit plus radical et qu’il accélère les réformes socio-économiques initiées par le gouvernement du premier ministre Youssoufi. 

D’ici, il peut paraître paradoxal qu’un roi, de surcroît chef religieux de son royaume, semble vouloir engager son pays dans la modernité, ou du moins une modernité adaptée au contexte maghrébin. « Au Maroc, le fait monarchique est indiscutable. C'est lui qui structure toute la vie politique et culturelle, c'est la clé de voûte des institutions marocaines et de toute l'unité du pays », souligne Khalil Hachimi Idrissi. 

Mais dans ce royaume du Maghreb, à en croire la presse marocaine des derniers mois, plusieurs sont ceux qui attendent du nouveau roi qu'il engage la monarchie vers un modèle constitutionnel plus moderne, à l'image de l'Espagne ou de la Grande-Bretagne. Dans son héritage politique comme dans sa manière de gouverner, le souverain chérifien devra affronter encore bien des défis. En attendant, M6 surfe toujours sur une vague incroyable de popularité. (retour au menu)

Les Marocaines et la Loi La Moudawana est aux Marocaines ce que le code du statut personnel est aux Tunisiennes ou le code de la famille aux Algériennes, c'est-à-dire une série de lois relatives au statut de la femme. En vertu de la Moudawana, les Marocaines ne peuvent se marier sans l'accord du père, ni transmettre leur nationalité à leurs enfants si elles épousent un étranger; elles risquent d'être répudiées. L'absence de mariage civil interdit le divorce judiciaire. Contrairement à la législation tunisienne, qui a pris la liberté d'interpréter la sha’ria, la Moudawana se fonde sur le droit musulman d'obédience malékite et prétend légiférer selon la loi divine. Aussi nombreux sont les Marocains qui la jugent intouchable. Source : Jeune Afrique, mars 2000 

La 5e République vénézuélienne en marche
CHAVEZ OU LA TYRANNIE DE LA MAJORITÉ

par François Messier

Les Vénézuéliens sont convoqués à de nouvelles élections générales le 28 mai prochain, et tout porte à croire que le président Hugo Chavez et ses acolytes obtiendront tous les leviers du pouvoir. Les réformes politiques, menées à un train d'enfer inquiètent les investisseurs. Le mouvement de contestation qui a porté Hugo Chavez à la tête du Venezuela ne s’essouffle pas.

Élu chef de l’État en décembre 1998 avec 60% des votes, Chavez a profité de sa première année à la tête du pays pour mettre les institutions politiques du pays sans dessus dessous. Le scénario se répète sans cesse. Afin de sanctionner ses projets, Chavez en appelle aux urnes. Et le résultat est toujours le même. La proposition de réformer la constitution a été acceptée par 90% de la population en février 1999. Les élections des membres de la nouvelle assemblée constituante ont plébiscité les candidats chavistes à 90%. Et la constitution de la 5e République a été approuvé, en décembre dernier, par 72% des électeurs. Satisfait de ces résultats, le président Chavez a annoncé à ses fidèles qu'il avait atteint, en moins d'un an, «le macro-objectif de forger une nouvelle constitution et la base d’un nouveau système politique.»
 
La commande était précise, estime Claude Pereira, journaliste à Caracas. Les partisans de Chavez ont reçu l'instruction de «réformer de fond en comble le clientélisme politique, d'autoriser la réélection immédiate du chef de l'État et d'instaurer un quatrième pouvoir, le " pouvoir moral ", destiné à défendre la notion de citoyenneté.» Ce nouveau départ, estime Chavez, permettra de construire une économie pour tous les citoyens, « un modèle qui n’a pas la barbarie de l’actuel, dont seulement quelques Vénézuéliens bénéficient.»
 
Les opposants de Chavez désarçonnés 
Beau programme, certes, mais qui ne s'applique pas sans heurts. La révolution bolivarienne crée sans contredit des entorses au sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. Le Congrès, occupé majoritairement par les deux mêmes partis traditionnels depuis 1958, s'est vu dépouillé de tous ses pouvoirs. L'Assemblée constituante, toute puissante, a confié les pouvoirs législatifs à un congressillo de 21 membres. Exit les opposants du président ! 

Le nouveau Congrès, composé d'une seule chambre, recevra une pléiade de projets chers à la révolution chaviste : nouveau code criminel, réforme des gouvernements régionaux et municipaux, assignation des officiels, des juges et des membres de la commission électorale. Il sera élu en mai prochain. De là à dire que les parlementaires ne seront qu'une bande de béni oui oui, il y a un pas qu'il convient d'attendre avant de franchir. Mais les opposants du présidents, déjà nombreux parmi les élites traditionnels du pays, brandissent cette menace depuis que la campagne électorale est lancée. Deux anciens compagnons d’armes de Chavez, impliqués avec lui dans une tentative de coup d'État en 1992, l'accusent maintenant d’instaurer une « dictature constitutionnelle ». 

Le premier, Jesus Urdaneta, a démissionné de son poste de chef des services de renseignements en janvier dernier. Il dit détenir des preuves de 46 cas de fraudes, impliquant Hugo Chavez, un de ses principaux bailleurs de fonds, Tobias Carrera, ainsi que le président de l’Assemblée constituante, Luis Miquelena. Le second, Arias Cardenas, a annoncé, le 15 mars, sa candidature à l’élection présidentielle. Il soutient que Chavez et ses conseillers corrompus trahissent le programme révolutionnaire qui l’a porté au pouvoir. Gouverneur de l’État de Zulia, Cardenas est appuyé par les deux partis traditionnels et le maire de Caracas. Mais cette fronde unie risque fort de tomber à plat. Le populisme chaviste bénéficie d'un auditoire tout trouvé. Le désastre économique au Venezuela survient après des années de riches rentes pétrolières dont n'a bénéficié qu'une toute petite élite. Plus de la moitié de la population du pays vit en effet sous le seuil de la pauvreté.

Le retour du pendule
Confronté au prix du baril de pétrole qui atteignait un plancher historique début 1999, le prédécesseur de Chavez, Rafael Caldera enfonçait le clou des pauvres du pays, en sabrant dans les dépenses publiques. 

L'arrivée de Chavez a inversé la tendance de façon draconienne. Après avoir été élu, Chavez a créé le plan Bolivar 2000. Doté d’une caisse de 950 millions de dollars, le plan mobilise l’armée pour distribuer des denrées de premières nécessités à bas prix et pour effectuer des travaux sur les écoles, les hôpitaux et les cliniques du pays. Selon le directeur de Bolivar 2000, le capitaine Moreno, au moins 4000 établissements auraient été ainsi restaurés depuis l’arrivée de Hugo Chavez au pouvoir. 

D'autres mesures lui garantissent le soutien de la population. Le salaire minimal a été haussé de 20%, et le nombre de personnes éligibles au régime de sécurité sociale vient de doubler, pour atteindre 1,3 millions de bénéficiaires. Pour les nombreux partisans de Chavez, les politiques du président sont, porteuses d'espoir. Mais l'envers de la médaille, c'est que les finances publiques du pays, déjà fragiles, risquent d'en souffrir avant longtemps. Selon l’association patronale Fedecamaras, les dépenses en éducation et en santé augmenteront de 5% cette année pour atteindre 30% du PIB. Au total, les dépenses publiques augmenteront de 36% cette année.

La clé de l'économie : le pétrole
Et pourtant, tous les indicateurs économiques du pays sont au rouge. Le service de la dette extérieure totale (38 milliards de dollars) rogne 39% du PIB. La croissance économique est passée de 4,7% en 1997 à -0,7% en 1998 pour atteindre -7,2% en 1999. Depuis l'arrivée au pouvoir de Chavez, le taux de chômage est passé de 13 à 20% de la population. L’inflation a bel et bien été maîtrisée autour de 12%, mais c'est en grande partie parce que la consommation des ménages a chuté de plus de 20% depuis le début de 1999. Le déficit budgétaire (10 milliards de dollars à l'arrivée de Chavez au pouvoir) risque fort de s'accroître dangereusement. 

Pour l'heure, la situation semble sous contrôle. Car la première année de Chavez au pouvoir a coincidé avec le triplement du prix du baril de pétrole. L'or noir compte pour 70% des exportations du pays, et lui fournit le quart de ses revenus. En 1999, les revenus du pétrole ont apporté des surplus de près de 6 milliards de dollars au Venezuela. Malgré tout, remarquait le Financial Times, la compagnie publique du pays, PDVSA, ne rapporte qu’un profit d’environ 800 millions de dollars. Ce qui a fait dire à un économiste de Caracas, Robert Bottome, que la compagnie affichait une « piètre performance, à moins que des revenus ne soient pas comptabilisés ». 

Interviewé par le FT, M. Bottome ajoutait : « le gouvernement dépense en fou, ce qui créera l’apparence d’une croissance. Mais cette politique va exploser au visage du président. Le prix du pétrole lui permet de souffler, mais à la même période l’an prochain, on doit s’attendre à un énorme déficit budgétaire. »

Investisseurs frileux
Pour l'instant, la dérive autoritaire du régime crée plutôt une incertitude suffisante pour assombrir l'avenir économique du pays. Chavez a installé 300 officiers supérieurs, actifs ou à la retraite, à des postes clés de l'État et de la fonction publique. Les accusations de corruption et les politiques économiques socialisantes achèvent de miner la confiance des investisseurs. Les investissements étrangers ont reculés de 23,4% l’an dernier. La compagnie pétrolière PDVSA s’est certes associée à la brésilienne Petrobras pour former Petroamerica. Mais en excluant le secteur pétrolier, seuls 2 milliards de dollars étrangers ont été investis au Venezuela en 1999. Et Chavez ne se montre pas trop enclin à brader les compagnies publiques. Le sort de la compagnie d’aluminium publique, Venezuela Aluminium Corporation, est un bon exemple de l'orientation économique de l'administration Chavez. Déficitaire de 70 millions l’an dernier, la compagnie nécessite des investissements estimés à 440 millions de dollars. 

Le gouvernement précédent planifiait vendre une des quatre unités de production. Chavez, lui, cherche des partenaires pour investir. La politique économique poursuivie par Chavez devra être changée pour attirer les investisseurs, estiment 97% des membres de la Chambre de commerce américaine. Malgré cette belle unanimité, il est peu probable qu'une telle chose se produise. La 5e République naîtra de facto dans deux mois. À moins d'un revirement de situation majeure, les urnes plébisciteront Chavez et la révolution bolivarienne se poursuivra. Et malheureusement pour Chavez, le prix du pétrole ne se fixe pas dans les bureaux de vote. (retour au menu)


Guerre et paix  

par Olivier Joulie

La boucle est bouclée. Le pouvoir en place en Russie depuis le début de la décennie a su tirer profit des circonstances de ces dernières années pour se mettre à l’abri. Sur fond de scandales politico-financiers, répression furieuse et guerre en Tchétchénie, la Bienheureuse Famille Eltsine, et ses milliards de dollars, sera finalement parvenue à enterrer ces secrets dans l’avenir désordonné d’une Sainte Russie abandonnée à quelques oligarques tout puissants. 

Il y a un an jour pour jour, la Famille nageait allègrement dans la moiteur d’une affaire de comptes secrets en Suisse. L’ex-premier ministre Primakov se hissait en tête de tous les sondages qui le donnait gagnant aux élections de juin 2000, envers et contre tous. Envers et contre le clan Eltsine, ses alliés, sa puissance financière, son pouvoir médiatique. Il aura fallu, pas grand chose somme toute, pour rétablir la balance infernale du pouvoir en Russie et assurer la tranquillité de Mônsieur Eltsine si pathétique lors de sa sortie du nouvel an. On aurait presque pleuré à le voir confus et fébrile, mêlant ses explications gênées à ses regrets innocents de vieux grand-père attaqué par la vodka. Excuses peureuses pour crimes contre l’humanité, la sentence est gravement lourde pour plus de 100 millions de citoyens enchaînés à la tradition et exploités par la modernité. Le passé a dévoilé les fruits d’une politique encore fermement attaché à son héritage communiste - l’idéologie ne s’achète pas -, le présent tente de l’y empêcher mais l’avenir, seul, dira ce que veut réellement Vladimir Poutine. 

Les chroniqueurs pronostiquent. Les analystes militaires paniquent. La diplomatie internationale tire sa révérence. Le monde chancelle, retient son souffle. Il y a un nouveau président en Russie. Celle-là même qui a vu naître successivement Lenine, Staline, Brejnev, Gorbatchev et aussi Dostoïevski puis Tourgueniev parmi beaucoup d’autres. L’incomprise de l’occident, le réservoir d’âme le plus romantique de notre petite planète. Obscure et flamboyante Russie rattrapée par ces vieux démons. Ceux qui la guide vaillament et inconsciente, aujourd’hui encore, sur les sentiers de la Tchétchénie en quête d’un héroïsme jadis unanime et victorieux contre Napoléon. Pauvre Russie condamnée à perpétuité par quelques peuples vaniteux venus de l’Ouest. Vénérée Russie, qui trouvera la douceur dans le printemps de sa renaissance. Sur le chemin de ses ancêtres scintille encore les traces humides de leurs pas, immortalisés par Tolstoï. Esprits dans le vide, nous scrutons vos âmes endormies, envieux et apitoyés. La paix reviendra sur la vaste terre et puis la guerre, et puis la paix, pour l’éternité. Malheureuse Russie, demain est un autre jour. (retour au menu)


Vladimir Poutine gagnera les prochaines élections ou la fabrication du candidat à la présidentielle de 2000

par Olivier Joulie

Un silence pesant règne sur la scène politique du Kremlin. Le clan fidèle de Boris Eltsine prend son souffle pour le dernier acte du nouveau chef d’oeuvre de la grande dramaturgie russe. Le murmure du public, agité par les derniers rebondissements du poête suprême, appelle dans un chuchotement le verdict de la sentence publique. Dimanche, les russes vont aux urnes. 

Poutine gagnera, forcément. C’est prévu. Depuis au mois le mois de juillet dernier. Date à laquelle Vladimir Poutine a été définitivement choisi par la famille du président démissionnaire. Souvenez-vous. Le scandale des comptes en Suisse de la famille au pouvoir éclate. Le procureur général de Genève saisit 24 comptes en banques. Tous appartiennent à des responsables du Kremlin: Pavel Borodine, ses adjoints, mais aussi, semble-t-il, Tatiana, la fille ainée d’Eltsine et tous les autres. C’est la panique au Kremlin. D’autant plus que Primakov, candidat potentiel à la présidentielle et heureux bénéficiaire du pouvoir d'une opposition parlementaire dopée par la crise de 1998 et ennemi juré d’Eltsine, grimpe férocement dans les sondages. Il faut un sauveur. Ce sera Vladimir Poutine, le fidèle. 

Recruté en 1996 par le clan Eltsine pour faire l’inventaire des biens de la famille à l’étranger, il présente le profil idéal de celui qui pourra garder un secret. Car, finalement, tout est une histoire de secret. Et lui sait le garder. Tant et si bien qu’en juillet 1998, il sera nommé chef du FSB, ex-KGB, les services de renseignements russes. Poutine saura se rendre indispensable. Il le prouve de manière décisive, quelques mois plus tard, au printemps 1999, quand le scandale Skouratov éclabousse. Un procureur russe, Iouri Skouratov rassemble un certains nombre de preuves accusant la famille Eltsine de corruption. La Douma menace de mettre celle-ci en accusation. Rompu aux efficaces techniques des renseignements, Poutine ordonne de faire tourner une vidéo pornographique montrant un citoyen russe, indiscernable sur le film, au lit avec deux prostitués. Le procureur est publiquement accusé par Eltsine puis renvoyé pour abus de pouvoir. L’instruction judiciaire sur la fortune du clan Eltsine est stoppée nette en Russie. 

Hypothèses de complot
Quelques mois passent. Nous sommes en juillet 1999. Les comptes en suisses sont découverts par un procureur suisse, Carla Del Ponte, alerté quelques mois plus tôt par Skouratov. La menace Primakov se durcit. Il faut riposter. Choisir pour de bon un candidat éligible aux présidentielles, détourner l’attention, sauver la peau du clan Eltsine et ses milliards de dollars, attirer les voix de la Russie. Ce sera Poutine, définitivement. Berezovski s’assure une dernière fois de la loyauté du prétendant. «Boris a fait comprendre à Poutine qu’il savait des choses sur lui, sur son passé à Saint Petersbourg », explique un politologue russe. 

Les commentateurs et certains journalistes évoquent avec prudence les hypothèses de scénarios qui se seraient joués cet été là, en 1999. Scénarios unanimement tournés vers les mêmes objectifs: obtenir l’immunité pour Boris Eltsine et faire gagner la présidentielle à Poutine. L’histoire se règlera tout simplement le 1er janvier 2000, lors de la démission d’Eltsine et la nomination de Poutine comme intérimaire. Un décrêt plus tard, le premier de Poutine, la famille est à l’abri des mandats d’instructions russes et internationaux. Pour la présidentielle, ce sera plus laborieux et dramatique mais désespérément efficace. Selon un politologue russe cité par Le Nouvel Observateur, une rencontre discrête entre le patron de l’administration présidentielle, Alexander Volochine, et les frêres Bassaiev, visait à se mettre d’accord sur les modalités d’invasion de certains tchétchènes au Daguestan. Objectif: détourner l’attention et préparer les opinions à Vladimir Poutine. Difficile de savoir la vérité. 

Ce qui est plus sûr, rappelle Vincent Jauvert, du Nouvel Observateur, c’est que le Kremlin a envisagé très tôt d’envahir la Tchétchénie. Sergueï Stépachine, auteur parmi d’autres du stratagème, l’a confirmé après son limogeage, ainsi que Boris Berezovski, lui-même. Mais Stépachine n’aura pas le temps de mettre ses plans à execution. Il est viré le 9 août et remplacé par Poutine. La fabrication de A à Z du personnage Poutine commence dans les couloirs du Kremlin. Conseiller à l’image, Gleb Pavlowski, le gourou de la famille, à la technique, Pavel Borodine, le financier, aux relations publiques, Boris Berezovski, propriétaire de médias nationaux et aux discours, Vladimir Poutine en personne. «Nous irons buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Interjection devenue fameuse, elle est de lui. 

Enquêtes

Mais ce sont les attentats de septembre, à Moscou, qui vont stigmatisés en quelques jours la victoire très certaine de Vladimir Poutine. Deux bombes explosent à Moscou. 300 morts et les cris de la populations. Les tchétchènes sont accusés, sans détour. Poutine saute sur l’occasion, s’adresse à la nation sous le choc, rassure les gens, promet des réprimandes, vend sa guerre en Tchétchénie. Il s’envole littéralement dans les sondages. Le feu vert d’une invasion armée en Tchétchénie est donné par le peuple lui-même. Les russes envoient leurs enfants dans les montagnes entourant Grozny, à la chasse à ceux qu’on appellera désormais en Russie, «les bandits tchétchènes, les terroristes.»
 
Une enquête corroborant tout un ensemble de suspiscions autour des attentats moscovites vient d’être publiée par un journaliste russe de Noveya gazeta. Elle met en lumière un éventuel rôle joué par les services secrets russes dans les explosions. Beaucoup le chuchottaient, lui a prouvé que le FSB avait dissimulé une bombe dans un immeuble de Riazan, sud-est de Moscou. Après son désamorçage, le FSB a affirmé qu’il s’agissait d’un exercice d’entraînement. Le journaliste, lui, en paye le prix. Invectives, répression, piratage informatique des ordinateurs de sa rédaction. Sept journalistes sont sur la liste noire. Sept journalistes de plus. 
A quelques jours du scrutin, donc, toutes les analyses se joignent pour donner Poutine gagnant. Les moyens évoqués mis en oeuvre pour y arriver sont à la hauteur des ambitions de Poutine. Alors, pour entretenir le suspens, on évoque les petits soubresauts que subissent, sporadiquement, les courbes des sondages commandés par le Kremlin. Ces derniers jours, par exemple, la déclaration de Poutine d’un éventuel rapprochement avec l’OTAN a placé les intentions de votes pour le dauphin du Kremlin en-dessous de la barre des 50%. Le responsable des élections Alexander Veshnyakov disait, dans une interview à Investia, mercredi dernier, "aujourd’hui, je dirais que la probabilité d’un second tour est très haute". Ce constat pourrait changer très vite. Des instituts de sondages scrutent.  

Dernier acte
Des organismes, également, s’attachent méticuleusement à sonder les désirs de la population. Un d'eux a rendu les résultats d’une enquête commandée par les autorités russes l’année dernière, pour déterminer, d’après les impressions du peuple, le profil type du prochain président russe. Il en ressortait que l’opinion publique était très attachée à l’image de Iouri Andropov, le successeur de Brejnev. Amoureux de l’ordre et de la discipline, austère et souvent stricte, la nouvelle image de Poutine devra coller de très près à ces aspirations. Phrases courtes, logiques, discrétion, réponses claires, la syntaxe et la phraséologie du probable nouveau président russe se répand rapidement dans les médias et s’immisce subrepticement dans l’imaginaire collectif de tout un peuple acquis à la cause d’un renouveau du nationalisme et de la fierté russe. Les oligarques au pouvoir auront franchi sains et saufs la première alternance démocratique de toute l'histoire de la Russie. Le dernier acte de l’épopée Poutine se jouera aux faveurs des 100 millions de russes appellés aux urnes ce week-end. Dimanche, le rideau rouge tombera sur la scène internationale, la lumière se rallumera dans la salle du peuple et chacun retrouvera son quotidien dont il ne sait pas vraiment ce que l’avenir lui réserve. La Sainte Russie, enchaînée depuis cinq siècles à sa «mégalomanie mélancolique et son autodénigrement complaisant» devient encore un peu plus ce qu’elle est, «le seul espace de la planète où s’affrontent avec autant de constance et autant de turbulence les résistances de la tradition et les agressions de la modernité.»
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Un Poutine pas si mystérieux  

par Olivier Joulie

La presse occidentale s’acharne sur le mystère de Poutine. Le Globe and Mail titrait la veille des éléctions, un texte consacré à la personnalité de Poutine «Le mystérieux Monsieur Poutine». Pourtant, si le prétendant au plus haut poste du Kremlin reste avar en déclarations sulfureuses de politique intérieure ou étrangère, ces actes, dans l’ombre, plaident les vraisemblables intentions du pouvoir russe. Entre ombre et lumière, nationalisme et ouverture, Poutine se fait maître du double jeu. 

Pas de programme électoral, pas de promesses d’action, pas de grands monologues de grands politiciens. Simplement des interventions floues et peu convaincantes pour des journalistes habitués au contraire. C’est vrai, le mystère règne dans le discours de Vladimir Poutine. Mystère confirmé dans une interview accordée à Kommersant, le 25 mars, la veille des élections. Dernière question du journaliste «Tout le monde pense qu’au lendemain des élections, si vous êtes élu, vous allez changer radicalement. Est-ce vrai ?» Réponse vertigineuse de Poutine: «Je ne vous le dirais pas!». Mystère des mots. Pas des actes. Que se soit pour l’éloquence de Tony Blair ou la rencontre rassurante de Poutine avec Bill Clinton, la presse internationale s’est faite l’écho enchanteur d’une personnalité que, eux même, les journalistes, disent ne pas comprendre. Doux paradoxe et inquiétante unanimité. Mais les américains, en campagne, sont séduits. L’intérimaire du Kremlin se voit donc aureolé du soutien quasi inconditionnel de l’Ouest. Les arguments sont trop classiques, frôlent souvent la caricature: c’est Poutine ou l’anarchie. Ou encore, l’occident préfère le sérieux d’un homme de dossiers à la fantaisie d’un alcoolique. On entend aussi soulignée ces qualités de réformateur.

Soutien occidental
Bill Clinton déclarait à CNN, le 14 février, «Il (Poutine) est manifestement très intelligent, il est très motivé, il a des vues très fortes». Tout comme les europpéens, semble-t-il, même s’ils murmurent à voix trop basse quelques condamnations fébriles de la guerre en Tchétchénie. Le journaliste André Fontaine, du MONDE, avançant «une très bonne source», révèle une discussion éloquente entre les présidents russes et américains lors du sommet d’Istanbul de novembre dernier. Poutine à Clinton: «Vous avez l’amérique du Nord, celle du Sud, vous avez l’Afrique et l’Asie. Vous pourriez au moins nous laisser l’Europe.» Sobriquet ou ambitions géostratégiques planétaires ?  

Deux choses l’une, soit les Etats-Unis ont peur de la Russie et ils s’astreigent à entretenir des relations courtoises voulant se faire pardonner leur indifférence à la Russie durant ces derniers mois - pendant les frappes de l’Irak en 1998 et les bombardements au Kosovo -, soit les projets de Poutine ne les inquiètent pas outre mesure et leur visites récentes à Moscou servaient justes à mettre les choses au clair avec le nouveau pouvoir en place. Mais alors porquoi les lèvres de Tony Blair tremblent quand ils évoquent la Tchétchénie?. Ceci dit, c’est un fait, les Russes s’assurent le soutien public de l’occident et, dans l’ombre, activent deux des piliers essentiels de la propagande de Poutine, la défense et les alliances stratégiques avec d’anciens et fidèles alliés, autrement dit, en terme plus idéologiques, la puissance d’une nouvelle russie et le sentiment national. Publiquement, il se contente d’afficher ses ambitions nationales, rassemblant un peuple immense derrière ses désirs de faire de la Russie une nouvelle puissance. Le peuple retrouvera sa fierté, son armée et son identité. «Ces trois derniers mois ont montré que malgré les difficultés liées aux évènemenst dans le Caucase du Nord, la société s’est unie devant la nouvelle menace. Nous sommes devenus plus fort (...) La Russie est l’un des plus grands Etat du monde et une grande puissance nucléaire.» Poutine restituera au pays son prestige et son rôle majeur dans le monde. Ça, c’est pour le discours public adressé aux 100 millions de citoyens russe. 

Défense et nationalisme
Dans l’ombre et en marge, donc, d’une efficace diplomatie à double tranchant tournée vers l’occident - la Russie ne peut soutenir son budget actuel sans de nouvelles sources de fonds - Poutine remet à l’odre du jour ses intérêts de défense nationale. Le deuxième décrêt signé depuis le début de son intérim concerne l’utilisation des armes nucléaires. La Russie abandonne son principe du «no-first-strike». Désormais elle s’octroit le droit de frapper la première à l’arme nuclaire de destruction massive et rompt avec sa doctrine en vigeur depuis 1997. Indice fort de nouvelles exigences du pouvoir, la défense resurgit en tête des préoccupations du Kremlin devant les impératifs de redressement économique du pays. La Russie reste actuellement la seule nation au monde capable de planifier une action nucléaire annihilante contre les Etats-Unis. Une étude de politique étrangère américaine, faite par des chercheur d’Harvard, met quelques chiffres et constats sur le danger du nucléaire Russe. 7,000 têtes nucléaires actives, armées et montées sur des missiles peuvent arriver, moins d’une heure après leur déclenchement, sur les Etas-Unis. Le fait est brut mais difficile à ignorer. Des 5, 000 missiles nucléaires, la plupart ne détiennent pas de système anti-vol ni de garantie éléctroniques qu’ils ne seront pas utilisés par des personne non-habilitées à cela. Le commentaire évoque les risques qu’ils se retrouvent tout simplement sur le marché mondial de l’armement nucléaire. Enfin, il faut ajouter plus de 12,000 missiles nucléaires entreposés dans différents espaces de stockage, démunis, eux aussi, de mécanismes de protection et gardés par des militaires payés au lance-pierre et dont les salaires se font parfois attendre de longs mois. La sécurité planêtaire est en jeu, selon les américains. 

Sur onze décrêts présidentiels signé par Poutine, six concernent l’armée. Parmi d’autres, on retrouve le rétablissement des périodes de rappel obligatoire pour les réservistes - mesure abandonnée après l’Afghanistan -, rétablissement de la formation militaire dans l’enseignement secondaire, rétablissement des peines pénales pour désertion et enfin, redressement considérable du budget militaire à hauteur de 50%. Macha Guessen, journaliste à l’hebdomadaire russe Itogui synthétise dans le New-York Times que cette remilitarisation de la Russie «annonce également un retour de la mentalité d’assiégé, ce sentiment d’être seul contre le reste du monde dont la Russie avait commencé à se débarasser.» Et puis il y a les alliances. Les trois dernières semaines de diplomatie russe se sont, loin des projecteurs, tournées essentiellement vers d’anciens alliés. Discussions bilatérales avec la Turquie pour une politique régionale commune dans le Caucase, promesse de partenariat stratégique avec la Chine et l’Inde, coopération et exercices militaires conjoints avec la Corée du Nord, la Russie raffermie ces alliances. L’intérimaire d’Eltsine place les pions de ses nouvelles velléités de puissance. 

Rien de mystérieux donc dans les actes de celui qui sera vraisemblablement demain le victorieux président de la première alternance démocratique russe. Selon les nombreux portraits que l’on pouvait lire dans la presse internationale la veille des éléctions, Poutine est hanté par le secret, la discrétion, le pragmatisme et son sens de l’action réfléchie et calculée. Ses actes plaident en la faveur d’un hommes ambitieux plus enclin aux faits qu’à la parole. Que se soit bien clair, il n’y a pas de mystère, seulement un personnage sur la scène internationale fermement décidé à agir pour le prestige de son pays. (retour au menu)


Oligarchie et cooptation ou la nécessité d’être entouré pour gagner une présidentielle.  

par Olivier Joulie

« En 2000, les candidats à la présidentielles seront cooptés par d’importants groupes financiers et industriels. Celui du Kremlin bénéficiera d’une campagne orchestrée par la quasi-totalité des médias russes. » En quelques mots, Virginie Coulondon, dans Politique Internationale, résume ce qu’est devenue la Russie à l’aube du 21ème siécle. Derrière une façade démocratique, la tradition oligarchique se perpétue et les tenors les plus puissants du pays se succèdent et se remplacent dans les couloirs du Kremlin au rythme ahurissant des remaniements politiques dont a été notamment friand, Boris Eltsine. 

Depuis la période pré-soviétique jusqu’à nos jours, élections et pouvoir sont intimement liés aux alliances politico-financières qu’ils suscitent. Dans les faits et dans les circonstances actuelles, il s’agit de penser qu’il ne peut exister de «présidentiable» viable sans l’appui d’une véritable puissance financière susceptible, à son tour, d’agir sur les opinions et plus encore sur le contexte économique. Vulgairement, on deale en Russie. Le soutien économique et surtout médiatique contre des situations de monopole et la priorité sur les gros marchés. 

A la veille de l’élection 2000, les alliances se font aux faveurs d’une économie nettement mise en péril par le crack de l’été 1998. La dévaluation du rouble a durement frappé les banques, les centrales d’achats et autres structures financières, pierres angulaires des empires financiers et donc du système oligarchique. Le prix du brut a sévèrement chuté pour retrouver des niveaux raisonnables quelques mois plus tard. Si la crise n’a épargné personne, la stabilisation a permis, elle, à certaines industries exportatrices de pétrôle et autres biens énergétiques de tirer immédiatement profit de la situation. Devenues les seules entreprises à disposer de liquidités en Russie, c’est sur elles que les nouvelles puissances financières en cours de restructuration vous naturellement s’adosser. «Les seuls qui détiennent à la fois les liquidités et le pouvoir au sein des médias russes sont les prétendus monopoles naturels», synthétise Virginie Coulondon. Parmi ces mastodontes, dinosaures du pouvoir et de la configuration médiatique, on retrouve des sociétés bien connues sous les noms de GAZPROM, ou EES, ou encore TRANSNEFT, LUKoil et d’autres. Base de l’empire qui conduira la Russie du nouveau président, elles sont, sinon monopolistiques, au moins largement en tête de leur secteur industriel et assurées de leurs opportunités. 

«Les soubresauts politiques de 1999, le limogeage de Sergueï Stépachine et la nomination de Poutine au poste de premier ministre, tous ces événements sont liés à la restructuration des anciennes alliances politico-financières» insiste Virginie Coulondon. Concrêtement, la récente campagne présidentielle a vu s’opposer, sous les feux des médias, deux principaux clans: celui du Kremlin, emmené par Boris Berkovski et celui de Moscou sous la responsablité de Youri Loujkov, maire de Moscou. A ces entreprises exportatrices de matières premières, se sont également attaché des formations politiques russes ayant l’avantage non-négligeable, pour un groupe, de posséder des ramifications stratégiques fondamentales dans les régions et touchant ainsi un électorat éloigné du centre mais vital pour les scrutins. C’est ainsi que le groupe du Kremlin et celui de Moscou se sont partagés les quelques formations politiques en action en Russie. Le groupe de Loujkov récupère les mouvements «Toute la Russie » et «La Patrie», par l’intermédiaire, respectivement, de Tatneft et de Gazprom. Le Kremlin se rapproche, lui, de la formation «Voix de la Russie» en partie financée par la Corporation Sibérienne d’Aluminium. Là encore, il y a deal. En échange de subsides accordés aux nouveaux blocs politiques pour les campagnes électorales, surtout les législatives, les industriels ne cachent pas qu’ils espèrent s’assurer de la loyauté des futurs parlementaires ou gouvernements. Une étude plus fine des deux groupes en présence permet de mieux comprendre la guerre médiatique que se mènent, l’un contre l’autre, Berezovski, propriétaire de nombreux médias et appartenant au clan Eltsine et Vladimir Goussinski, pdg d’un groupe de presse à la faveur du clan Loujkov. Les derniers jours de campagne ont largement fait croître ces hostilités. La guerre en Tchétchénie et la propagande russe entre Est et Ouest mais aussi entre médias russophones s’inscrivent dans cette logique d’opposition clanique très présente à la veille d’événements à gros enjeux.


Le groupe du Kremlin
Virginie Coulondon attribue à la période du printemps 1998, le choix du prochain «coopté» pour l’élection présidentielle de 2000, par le Kremlin et sous l’impulsion de Berezovski. Evgueni Primakov, Iouri Loujkov ou le libéral Grigori Iavlinski ont été jugé trop indépendants, les objectifs sous-jacents du groupe de la famille d’Eltsine étant clairement affichés par une certaine presse, à savoir, obtenir des garanties sur son immunité lorsque la page Eltsine sera tournée et maintenir un contrôle sur les richesses du pays. Poutine, donc, fut choisi, pour des raisons longuement développées précédemment et bénéficiera d’une campagne orchestrée par la quasi-totalité des médias russe. Et pour mettre toutes les chances de son côté, sous couvert de «défendre les intérêts de l’Etat», comme ironise Couloudon, un ministère de la Presse, de la Télévision et de la radio a été crée. Une de ses premières initiatives a été de retirer sa licence d’exploitation à une chaîne de télévision pétersbourgeoise politiquement opposée à l’équipe Eltsinienne. Pour ce qui est du groupe dans son ensemble, il convient de noter une sorte de sous-division du clan en deux sous-ensembles: le premier est mené par Berezovski, on l’a vu, et le deuxième par Anatoli Tchoubaïs dont l’un des plus fidéle protégé ne fut autre que Vladimir Poutine (autre facteur du choix de Poutine ?). Si l’on ajoute aux possessions du clan Berezovski, celles de Tchoubais et de ses alliés, le candidat choisi par le Kremlin sera effectivement propulsé par une machine médiatique et financière unique en Russie. Cette sous-division tient son revers. Il peut être source de tension et cause d’instabilité.

Le groupe de Moscou
Plus solide à bien des égards, il est extrèmement hiérarchisé et structuré autour de la charismatique personnalité de Loujkov. Ce groupe doit sa puissance financière au fait que la ville draine la grande majorité des capitaux de la fédération. Les soupçons règnent sur les financements occultes du clan et il semble admis que le programme de privatisation de Moscou, entre 1993 et 1996, a constitué la principale source de revenus de la capitale. L’alliance avec Gazprom, fin 1998, est le fruit de la montée en puissance du lobby financier du Kremlin mais aussi de la crise financière. Cette alliance a été l’objet d’une autre guerre ouverte entre le Kremlin et Gazprom, propriétaire à 49% du groupe de presse de Goussinski. Guerre, donc, inévitablement poursuivie, au niveau médiatique par les combats récurrents entre Berezovski et Goussinski. Toujours le deal: soutien politique contre soutien médiatique. L’avantage principal dont dispose ce clan, contre le Kremlin, se situe dans sa représentation politique dans les régions à travers les formations précédemment évoquées. 

Deux groupes se sont donc construits en cours des deux dernières années. Mais il semble que le retrait de la candidature de Primakov, quelques semaines avant l’élection, ait été le symbole soit d’une nouvelle alliance soit d’une résignation du clan Loujkov devant la déférlante opération du Kremlin. L’avenir nous apprendra peut-être le fin mot d’une histoire qui se répète depuis le 15ème siècle. L’oligarchie règne en maître sur le territoire de la Russie. L’avenir dira aussi si le nouveau chef du Kremlin mettra certaines réformes en route comme les plus avides d’Espérance aimaient à l’imaginer pendant la campagne. Réformes de la société, lutte contre la corruption. Vladimir Poutine a promis de s’y intéresser comme il a promis de se soustraire à la lourde tâche de moderniser le système économique, le social et le politique. Mais gare à toi, maître des lieux, les forces de résistance, les forces de la tradition font la loi dans cette grande Russie. (retour au menu)


Élections présidentielles en Russie
Poutine, le nouveau Prince des Russes

 
Par Astrid Ribardière 

La Russie vient de placer son sort entre les mains de Vladimir Poutine, le champion de la renaissance de la puissance russe, de la restauration d'une armée forte, du retour à l'ordre et de la "dictature de la loi". Guennadi Ziouganov, le candidat communiste, avait dénoncé des fraudes avant même la tenue des élections. Qu'elles se soient déroulées de façon régulière ou non, les présidentielles ont constitué de facto un affront aux principes démocratiques. Onze candidats en lice, affiches placardées dans le métro de Moscou, spots publicitaires à la télévision: la campagne pour les présidentielles en Russie avait tout d'une opération des plus démocratiques. Une façade, cependant, en raison de la poursuite de l'offensive militaire en Tchétchénie.

L'Organisation pour la sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), qui compte 55 membres dont les États-Unis et le Canada, n'a pas manqué de le souligner dans un communiqué publié à Moscou quelques jours avant le dimanche des élections. La guerre en Tchétchénie aura servi à propulser un obscur inconnu qui, au lendemain de la démission de l'ancien président Boris Eltsine, récoltera 60% des intentions de vote parmi une population nostalgique de la grandeur de l'Empire russe ou de l'Union soviétique, selon les allégeances politiques.

Quelques jours avant sa victoire aux présidentielles, M. Poutine a cependant connu une certaine érosion de sa popularité si l'on constate qu'il a été élu avec 52,52% des voix. Celui-ci s'était déclaré en faveur du dialogue avec les autorités tchétchènes dans le but de s'approprier une partie de l'électorat du centre droit qui est contre la guerre mais néanmoins patriotique. Cette position de dernière minute lui aura coûté une partie de l'électorat et aura fait craindre la perspective d'un second tour aux élections.

Il ne fait nul doute, malgré tout, que Vladimir Poutine est le nouveau Prince de la Russie. Il est considéré par une majorité de ses compatriotes comme un homme pragmatique et rassurant, capable d'éliminer le "terrorisme tchétchène", la corruption et la mafia qui minent le prestige du pays. Nul doute aussi que le nouvel homme fort de la Russie est un véritable "PoutinOCHET" en puissance. Ce slogan, brandi en février par des manifestants assimilant Vladimir Poutine à l'ancien dictateur chilien, Augusto Pinochet, traduit parfaitement les dérives dictatoriales qui sont à craindre de la part du personnage. 

Les dérives dictatoriales, M. Poutine en a déjà quelques unes à son actif. Tout d'abord, depuis la démission de Boris Eltsine le 31 décembre dernier, il cumulait les fonctions de président par intérim et de Premier ministre. Sous son règne, ensuite, un journaliste de Radio Svoboda était arrêté et interné pendant 40 jours au "camp de filtration" de Tchernokozovo pour avoir couvert le conflit en Tchétchénie du côté du front tchétchène. Et que penser de la déclaration de M. Poutine en faveur du dialogue avec les "terroristes tchétchènes", six jours avant les présidentielles, qui était suivie de l'avertissement que seraient "étranglés" sur place ceux qui refuseraient un tel dialogue? Que penser, enfin, des menaces de représailles de l'armée russe contre les villages tchétchènes où le score de Vladimir Poutine aux élections présidentielles ne serait pas suffisamment élevé? Quel regard, tout simplement, jeter sur la guerre en Tchétchénie où 15 000 soldats et forces de l'ordre russes ont été dépêchés pour "encadrer" le "bon" déroulement des élections?

Interviewé le 20 janvier par le journal français Libération, Viktor Chenderovitc, créateur de l'émission satirique "Koukli" sur la plus grande chaîne de télévision commerciale russe NTV, accusait déjà le gouvernement de Vladimir Poutine d'être à l'origine de la vague d'attentats terroristes à Moscou qui avait justifié l'intervention militaire russe en Tchétchénie: "En Tchétchénie, le pouvoir ne lutte pas contre le terrorisme, au contraire, il l'aide et, en cela, notre pouvoir est lui-même terroriste. Cette guerre est menée contre le peuple. Le peuple tchétchène et le peuple russe. Je parle de la guerre réelle, pas celle dont on nous parle. Il est probable que des gens au pouvoir en Russie entretiennent des contacts avec des personnes recherchées par Interpol. Cette guerre leur est profitable. Et leurs motivations sont d'abord politiques: par le sang et le pillage, on essaie de préparer et de former un nouveau Président", avait-il affirmé. L'enquête diffusée le 24 mars par NTV lève aussi une partie du voile sur les supposés attentats tchétchènes à Moscou qui, au bout du compte, ont contribué à justifier les dérives dictatoriales de M. Poutine. Cette chaîne a révélé que le FSB (ex-KGB), anciennement dirigé par le nouveau président russe, avait lui-même placé le 22 septembre, en pleine vague d'attentats, une bombe dans un immeuble de Riazan (au sud-est de Moscou). (retour au menu)


TOUT PETIT DÉJÀ, JE VOULAIS ÊTRE UN ESPION 

par Patricia Loison-Jamet 

Vladimir Vladimirovitch Poutine a décroché ses galons de président officiel dimanche dernier. Il peut ranger son uniforme d’intérimaire. Les Russes l’ont élu dès le premier tour. Des Russes souffrant de l’affaissement de leur pays sur la scène internationale et qui voit dans ce nouveau président celui qui va leur faire redresser la tête. Un homme fort. Le passé du nouveau chef d’état de la Fédération de Russie plaide en tous cas pour cette image. Vladimir Poutine est l’ancien directeur du FSB – le successeur du KGB-. C’est un homme des services et il ne s’en cache pas. Il appelle même ses anciens collègues au Kremlin. Cette fois-ci, les services secrets russes ont pris le pouvoir, démocratiquement. Pendant l’époque soviétique, le KGB œuvrait dans l’ombre. C’est devenu, au fil de l’affaiblissement de l’empire, un secret de polichinelle. Mais les apparences étaient préservées. Devant, face au public, le parti. Derrière, les services secrets. Aujourd’hui, celui qui dirigeait les services en 1999 dirige aujourd’hui la Russie. Et ça l’a rendu plutôt populaire. Personne n’est venu agiter sous le nez du candidat Poutine les fantômes du président Andropov, cet autre président membre du KGB, féru des envois en hôpital psychiatrique pour les récalcitrants… 

Les Russes croient apparemment aux vertus de l’homme fort. Et des années de service au FSB –ancien KGB- font un CV convainquant quand justement on postule à ce titre «d’homme fort» de la Russie. Car le premier ministre, le candidat, puis maintenant le président Poutine, entend faire régner la dictature de la loi. Par des juristes ? Par des politiciens intègres ? Par une Douma enfin respectée ? Non. Avec des espions. Avec des «agents d’influence». Avec des policiers. Des directeurs de forces spéciales. Les hommes du président sortent tout droit du FSB pour entrer au Kremlin. Un clan en chasse un autre. L’objectif avoué est d’écarter la «Famille» Eltsine.

Il ne faut pas que l’Occident, ni les Russes d’ailleurs, fantasment sur l’armée de l’ombre de Vladimir Poutine ni sur le passé d’agent du contre-espionnage du nouveau président, affirme le journal Novoïe Vremia cette semaine. Poutine ne serait qu’un agent falot aux courtes idées. Il répond tout juste, mais sans plus, au profil du bon espion : sociable, assez intelligent, bonne capacité de travail, nerfs d’acier, ambitieux, passe-partout.…Au point de n’avoir laissé aucun souvenir marquant à la direction du KGB de Leningrad. Anodin, l’agent Poutine ? 

Adolescent, il se présente spontanément au siège du KGB pour proposer ses services. On lui répond qu’il est trop jeune…et on reviendra le chercher plus tard. Quand il étudiera à la faculté de droit de Leningrad. Il y a quelques jours, dans une interview au journal Kommersant, celui qui n’était encore qu’un premier ministre-candidat levait un coin du voile sur le Poutine-espion, à mots codés, par bribes. Dans ces colonnes, il reconnaît s’être « occupé » des étrangers. Affirme qu’il ne supportait pas les persécutions du KGB contre les artistes «underground». En seize ans de carrière, Vladimir Poutine s’est tranquillement glissé tout en haut de l’organigramme du KGB. Aujourd’hui, il revendique cette carrière.  

À ceux qui accusent les services secrets d’avoir fomenté la campagne d’attentats de l’été et l’automne 1999, il répond : «Les service secrets russes n’ont pas d’hommes capables d’un tel crime contre leur peuple.» En revanche, ils ne rechignent pas, à l’instar de Viktor Tcherkessov -directeur du FSB de St Pétersbourg et anciennement responsable de la chasse aux dissidents- à s’acharner sur cet officier russe qui s’est vu accusé d’espionnage pour avoir dénoncé les risques de pollution nucléaire que fait courir la Flotte Russe. Monsieur Poutine a fait de cet homme son premier adjoint en février dernier. «Oui, j’ai amené au Kremlin d’anciens du KGB» explique le nouveau président à la presse, «je les connais depuis de nombreuses années et j’ai confiance en eux. Mais cela n’a rien à voir avec l’idéologie. Ce qui est important, ce sont les qualités professionnelles et nos relations personnelles.» Une bande d’amis quoi. Pas de quoi s’inquiéter. Des amis fidèles qui s’épaulent depuis quelque mois et le résultat est là. Comme au bon vieux temps d’avant la perestroïka : reprise en main de la presse, contrôle de l’information, enlèvement de journalistes, et tout aussi inquiétant, une remilitarisation de la société russe, éclipsée par la guerre en Tchétchénie. 
 
Depuis son accession à la présidence par intérim le 31 décembre dernier, sur les 11 décrets qu’a passés Vladimir Poutine, 6 concernent l’armée. L’un autorise Moscou à montrer les dents de son nucléaire en cas d’agression, un autre rétablit les périodes de rappel obligatoire pour les réservistes. Pour le New-York Times, ce retour en force de l’armée, éclipsée par les années Eltsine, annonce un repli vers une mentalité d’assiégé, vers ce sentiment d’être seul contre le reste du monde et dont la Russie avait commencé à se débarrasser. Un sentiment dangereux. Dans le dossier que le KGB avait constitué sur le nouveau président, on peut lire «sous-estime le danger».
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Contagieuse Tchétchénie
par Olivier Joulie  

Si la prise de Grozny par l'armée russe a marqué un tournant de la guerre en  Tchétchénie, elle ne signifie pas pour autant la fin des hostilités entre  fédéraux et indépendantistes. Bien loin d'assurer une certaine stabilité à la région, elle pourrait, au contraire, ranimer le brasier d'un conflit très mal éteint en Géorgie. Celui qui opposait en 1992, la Géorgie aux indépendantistes abhkazes soutenus par la Russie. Certaines analyses démontrent très clairement le rôle que pourrait jouer la Tchétchénie dans une stratégie plus globale de déstabilisation de la région.

Dans son entreprise de déstabilisation du sud-Caucase, la Russie s'attaquerait à la fois aux intérêts économiques liés au hydrocarbures de la Caspienne, à la montée de l'intégrisme islamiste dans la région et surtout aux ferveurs sécessionnistes de ces anciennes républiques. Tout d'abord, le récent accord entériné par la Géorgie, la Turquie, l'Azerbaïdjan et les États-Unis sur le tracé de l'oléoduc sud a marqué un isolement brutal des intérêts du Kremlin au sud-Caucase. La formation de cet axe Bakou-Ceylan pourrait être le premier prétexte de la Russie pour menacer de troubles la Géorgie et récupérer ces intérêts pétroliers.

Comment? Tout simplement en soutenant les indépendantistes abhkazes contre  le pouvoir à Tbilissi, la capitale géorgienne. Car à cette donnée géostratégique des matières premières dans la région, il faut ajouter la menace de la présence militaire russe en Géorgie. «Si le danger est plus grand en Géorgie qu'en Azerbaïdjan, explique Thorniké Gordadzé dans "Politique Internationale" (hiver 1999-2000), c'est que la Russie conserve quatre bases militaires sur le sol géorgien, et qu'elle dispose, à travers le soutien qu'elle accorde aux sécessionnistes abhkazes, de moyens de pression plus directs sur ce pays.»

Justin Vaïsse, dans le même numéro de "Politique Internationale" confirme ces suppositions: «La Russie, qui voit  d'un mauvais oeil cet accord (sur le tracé de l'oléoduc), ne va-t-elle pas  être tentée de déstabiliser les États du Caucase, à commencer par la  Géorgie».  Elle a d'ailleurs indirectement menacé de le faire si la Géorgie ne soutenait pas l'offensive russe en Tchétchénie. Le 9 septembre 1999, après avoir bombardé les villages de Chatili et Omalo, en Géorgie, Eltsine décidait d'alléger son dispositif de blocus vis-à-vis de la province abhkaze. Malgré cette menace à peine voilée contre Tbilissi, son président n'autorisera pas les troupes russes a attaqué la Tchétchénie par le Sud, pas plus qu'il n'acceptera de voir l'armada fédérale faire le guet le long de sa frontière. Car la Géorgie est accusée depuis de longs mois par la presse du Kremlin de faciliter le trafic d'arme vers la Tchétchénie et donc de soutenir la cause islamiste tchétchène. Vu de Moscou, cette simple accusation pourrait devenir un second prétexte d'invasion armée en Géorgie.

Enfin, le problème des réfugiés vient s'ajouter à une situation déjà complexe. Selon le spécialiste géorgien du Caucase Ghia Nodia, repris par "Courrier International" (numéro 481) «les pressions de Moscou cherchent à pousser les réfugiés tchétchènes vers la Géorgie, espérant ainsi créer une situation d'instabilité en Géorgie». Il faut comprendre, en effet, que malgré les sympathies de l'opinion publique géorgienne envers les tchétchènes, la Géorgie redoute réellement une contagion islamiste dans la région. Et si Chevardnadzé se montre si précautionneux dans son approche du conflit tchétchène, c'est sans doute qu'il se souvient de s'être trompé en 1994. «À l'époque, rappelle Thorniké Gordadzé, misant sur une conclusion rapide du conflit, il avait accordé son soutien à Boris Eltsine...» (retour au menu)


Tchétchénie: un air de déjà vu
par Olivier Joulie

L’offensive russe sur la Tchétchénie avait été planifiée pour durer 15 jours. 4 mois plus tard, les troupes fédérales se heurtent toujours inlassablement à la résistance tchétchène. Les pertes s’accumulent, laissant apparaître, aux yeux de l’opinion internationale, le spectres des défaites de l’armée russe, en Tchétchénie, en 1996 et en Afghanistan, quelques années plus tôt.

Prendra, prendra pas? Grozny est devenu, depuis quelques jours, le théâtre d’un acharnement digne des plus terribles offensives militaires staliniennes et le symbole de la détermination russe. Les témoignages de réfugiés, aux frontières limitrophes de la Tchétchénie, affluent dans la presse du monde entier. L’horreur est sans nom. Mais le clan Eltsine l’a promis; les russes prendront la Tchétchénie, par tous les moyens. Seulement voilà, les russes ont-ils vraiment les moyens de s’emparer de la Tchétchénie? Les récentes pertes dans les rangs de l’armée, reconnues par certains généraux russes eux-mêmes, laissent planer un doute sévère sur la capacité de ce vieux corps défensif à remplir sa mission. Car l’armée russe, nous rappelle le "Boston Globe", n’est plus qu’une armée de circonscription de temps de paix, inadaptée à la prise de contrôle de la Tchétchénie et à la guérilla tchétchène. A cela, il faut ajouter la situation financière dramatique de l’institution militaire, les crédits en baisse depuis 10 ans, les soldats capitulaires qui vendent leur armes aux combattants tchétchènes et depuis quelques jours, les échos, dans la presse, des chiffres des pertes militaires fédérales.

Face à cette baisse générale de moral, le nouveau président par intérim Vladimir Poutine décide de prendre les choses en main. De «terroristes qu’il faut buter jusque dans les chiottes», les tchétchènes sont devenus «des citoyens de la fédération de Russie». Alors que la communauté internationale toute entière attend des signes publics de détente, voire des indices d’un éventuel début de solution politique, l’homme politique avise adroitement, organise son passage sur la chaîne de télévision publique russe, détenue par le Kremlin, met ses beaux habits et s’adresse à ces concitoyens. Il se veut confiant, rassurant : «les opérations prendront un peu plus de temps que prévu mais tout ce passera bien. Nous ne toucherons plus aux civils.» Poutine nous avait habitué à plus d’arrogance.

Mais, aujourd’hui, il doit composer. Composer avec les pressions américaines qui souhaitent le voir plus discret sans doute pour ne pas avoir à intervenir. Composer avec son peuple dont il dépend entièrement, du moins jusqu’au mois de mars, date des élections présidentielles anticipées dont il est le seul mais grand favori. Et enfin, composer avec des autorités militaires de plus en plus divisées sur la question tchétchène.

Qu’en adviendra-t-il de ce conflit? Tentons une petite comparaison. Mi-décembre 94, Tchétchènie. Les russes frappent depuis quatre mois et décident une dernière offensive massive sur la capitale. Le 6 février, après presque deux mois de lutte acharnée et la fameuse bataille de Grozny, le Kremlin déclare la Tchéthénie sous contrôle. Une courte trève et les combats reprennent jusqu’en août 96. Les pertes militaires russes sont énormes, les rebelles ont repris Argun et Goumerdès, deux villes importantes de la république sud-Caucasienne, Eltsine décide d’envoyer le général Lebed pour negocier, les tchétchènes ont vaincu.

Tout reste donc possible en Tchétchénie et même si les russes déclarent dans quelques jours avoir pris Grozny, ils sont encore très loin de s’imposer en Tchétchénie. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement. (retour au menu)


Le rachat de Times Mirror par le Tribune CO
par Olivier Joulie

Le 14 mars 2000, après un an de tractations secrètes, le groupe Tribune Co., éditeur de l’influent Chicago Tribune, absorbe le groupe Times Mirror, auquel appartient le prestigieux Los Angeles Times. Le nouveau groupe forme d’ores et déjà, le 3ème consortium multimédia aux États-Unis, derrière Gannet Co. Inc., éditeur de USA Today, et Knight Ridder Inc., propriétaire, entre autres, du Miami Herald. Il y a 2 mois, jour pour jour, AOL rachetait le géant américain Time Warner et provoquait la plus grosse capitalisation boursière jamais observée dans le secteur du multimédia. La presse internationale s’emparait à pleins neurones du dossier. Commentaires, suggestions, craintes, admirations et doutes ont submergé presque toutes les rédactions occidentales. L’enjeu, pour les entreprises médiatiques concernées, cette fois-ci et encore, est de taille. Il ne se mesure certes pas en capital - la valeur de la transaction ne s’élève pas au-dessus de 8 milliards de dollars - mais bien en supports à proprement parler. 

Onze quotidiens, 24 chaîne de télévision, trois stations de radios, sans oublier les 55 millions de dollars de chiffres d’affaire prévu cette année dans les activités liées à l’Internet. Avec une diffusion de 3,6 millions d’exemplaires quotidiens, le groupe se situera au troisième rang aux États-Unis, rappelle Olivier Costemalle, journaliste à Libération. «The idea is to create a network of regional media hubs where advertisers are matched with audiences through newspapers, television broadcasts and Internet sites», explique Felicity Barringer du New-York Times.

La cause est désormais acquise. Le multimédia prometteur de l’avenir rejoint les rêves de science fiction les plus fous d’hier. Mais le moteur de ces récentes transactions tentaculaires nous écarte bien consciencieusement de nos idéaux rêveurs d’antan. Alors que nous fantasmions sur les espoirs d’une communication mondiale à échelle humaine, clairvoyante et quasi sentimentale, voilà que la publicité et son miroir de milliards de dollars déferlent sur notre intime désir de fonder un monde meilleur. Pessimistes, nous pouvons l’être. Les questions d’indépendances des journalistes, des suppressions d’emplois et de monopole de l’information sous-tendront probablement les analyses des prochains jours. Optimistes, nous devons l’être. N’est-ce pas après tout, un rêve d’enfant qui se réalise? Une synergie presque totale entre papier, radio, télé et Internet. Et même si tout ce contenu sert, en réalité, à être valorisé et à séduire le carnet de chèque des annonceurs, cela n’enlève rien à la prouesse du multimédia.

Le défilé des fusions-acquisitions continue à un rythme effréné. Paradoxalement, la survie de l’information en dépend peut-être. Jamais cette information n’a été autant associée au pouvoir économique de quelques entrepreneurs audacieux. A mesure qu’elle pénètre dans la sphère incontournable de l’économie et a fortiori de la nouvelle économie, elle s’écarte des girons des pouvoirs politiques et juridiques. Les médias, quatrième pouvoir, s’immiscent toujours un peu plus, au coeur d’une problématique fondamentale pour la démocratie, celle du partage et de la séparation des pouvoirs. (retour au menu)


La fragile démocratie chilienne de Ricardo Lagos

Par Astrid Ribardière

La prise de pouvoir effective du président Lagos le 11 mars a coïncidé, à quelques jours près, au retour du général Pinochet "sur les lieux de ses crimes", comme le titrait le journal français Libération à sa Une du 3 mars. Affirmant qu'il serait "le président de tous, civils et militaires", Ricardo Lagos tente de redonner au Chili un équilibre démocratique. Les militaires semblent ne pas l'entendre de cette oreille et le nouveau président se trouve obligé de jouer au funambule.

Le retour du général Pinochet au Chili est une victoire pour l'armée. "Je voudrais exprimer la grande satisfaction que ressent l'institution, toute entière, pour le retour au pays du général Augusto Pinochet, après avoir souffert d'une détention injuste et prolongée à l'étranger, et également réitérer, une fois de plus, notre disposition à lui apporter tout le soutien possible", a ainsi déclaré le général Izurieta, commandant en chef de l'armée de terre.

"La vieille lanterne s'allume toujours devant la caserne lorsque finit le jour. Mais tout me paraît étranger. Aurais-je donc beaucoup changé? Dis-moi, Lily Marlène." C'est sur cette chanson allemande de 1938 composée par Norbert Schultze qu'Augusto Pinochet a été accueilli triomphalement par l'armée de terre chilienne à l'aéroport de Santiago.

La "vieille lanterne" s'est alors avancée vers le général Izurieta pour l'embrasser dans un geste fraternel et avec une énergie qui a surpris le monde entier. En 503 jours (le temps qu'il a passé en Grande-Bretagne sous le coup d'une requête en extradition de l'Espagne pour des crimes attribués à la dictature), le général Pinochet n'a donc pas "beaucoup changé". En revanche, c'est sur un sol "étranger" qu'il a atterri: une terre socialiste, civile et démocratique. Vieil adversaire d'Augusto Pinochet, Ricardo Lagos a remporté, le 16 janvier, les élections présidentielles contre Joaquin Lavin, le candidat de la droite et ex-conseiller de l'ancien dictateur.

Deux jours après être entré dans ses fonctions, M. Lagos a annoncé une réforme de la constitution, promulguée sous la dictature, afin d'en éliminer les "enclaves autoritaires". Au centre des transformations prévues, le nouveau président souhaite abolir la clause faisant des forces armées les "garantes de la loi fondamentale". Le commandement de l'armée sera alors obligé constitutionnellement de se soumettre à l'autorité civile élue. 

Dans la foulée, Ricardo Lagos a symboliquement autorisé de nouveau au public l'accès aux patios et couloirs intérieurs du Palais présidentiel à Santiago, interdit depuis la dictature du général Pinochet. Bombardé et gravement endommagé lors du coup d'État du général contre le président Salvador Allende le 11 septembre 1973, La Moneda était redevenue le siège de la présidence en 1981, après d'importants travaux de réparation.

Parallèlement, cependant, le président Lagos tente de ménager l'armée. Bien qu'il ait affirmé vouloir "garantir l'absolue indépendance des tribunaux", il a soigneusement évité de se prononcer sur le sort à réserver au général Pinochet ou de critiquer celui qu'il a pourtant combattu pendant 27 ans. Ricardo Lagos a néanmoins associé l'État à la requête du juge chilien Juan Guzman Tapia visant à lever l'immunité parlementaire de Pinochet, devenu sénateur à vie en 1998.

Le "président de tous, civils et militaires" a été élu avec seulement 2,62 points d'avance sur son adversaire. Sa légitimité ne repose donc que sur un peu plus de la moitié des Chiliens ainsi que sur sa capacité à ménager l'autre moitié et les militaires. (retour au menu)


Guerre civile à la sauce red neck

par Sébastien Rodrigue

Talisman Energy, la plus grosse compagnie pétrolière du Canada, saura bientôt si son investissement au Soudan deviendra une source de revenus ou de cauchemars. Après un automne difficile, le gouvernement canadien établira si Talisman a enfreint les droits de l'homme au Soudan. Le ministre des Affaires étrangères Lloyd Axworthy doit rendre sa décision cette semaine.

En août 1998, Talisman expédie du Soudan son premier cargo rempli de pétrole. La compagnie de Calgary exploite 25 % du Greater Nile Project, un champ pétrolifère de 12 millions d'acres à 720 km au sud-ouest de Kharthoum, la capitale soudanaise. Aussi partenaire dans un pipeline de 1100 km jusqu'à Port Soudan, la compagnie a investi près de 800 millions $. Sur papier, il s'agit d'un beau projet. Sauf que le gouvernement soudanais dirigé par Omar Al-Bechir a évacué de force des milliers d'habitants de cette zone pour des raisons de " sécurité ". 

En novembre dernier, les militaires soudanais ont utilisé les pistes d'atterrissage de la compagnie pour des avions Antonov utilisées comme bombardiers au Soudan. Plusieurs ONG soupçonnent le Soudan d'utiliser ces installations dans la guerre civile contre les rebelles du sud. Le gouvernement soudanais déclare ne pas avoir besoin de ces pistes tandis que le PDG de Talisman, James Buckee, soutient qu'il s'agit d'une coopération " pour la défense de ses installations ".  

Plusieurs observateurs de l'ONU croient que l'intensification des combats dans cette région n'est pas étrangère aux royalties, près d'un million $ par jour, données au gouvernement du Soudan par les compagnies pétrolières. Tous ces faits ont agacé le ministre des Affaires Étrangères du Canada, Lloyd Axworthy. En octobre 1999, il a d'ailleurs menacé la compagnie de sanctions et dépêché John Harker pour enquêter en sol soudanais afin d'évaluer la situation humanitaire et l'implication de la compagnie albertaine. La semaine prochaine, le ministre Axworthy réagira au rapport de Harker déposé le 26 janvier. 

À ce moment, le Canada établira en quelque sorte si les compagnies canadiennes à l'étranger doivent respecter les droits de l'homme. Un enjeu de taille si l'on considère les échanges croissants entre les compagnies canadiennes et la Chine, loin d'être une championne des droits de la personne.

Aux États-Unis, les implications de Talisman dans la guerre civile au Soudan a engendré un mouvement de " désinvestissement ". Déjà deux fonds de pension, le California Public Employee's Retirement System et le TIAA-CREF du New-Jersey ont vendu 300 000 actions de Talisman. Ces ventes n'ont pas aidé la valeur des actions qui ont chuté de 29 % depuis septembre pour se fixer à environ 34,40 $ cette semaine. La situation préoccupe vraisemblablement la compagnie pétrolière qui a mis le paquet en engageant l'entreprise de relations publiques Hill and Knowlton, qui a déjà eu des clients comme la Croatie et le Koweït.  

Pour réparer les pots cassés, Talisman a adopté un code d'éthique international pour les entreprises. La compagnie tente de sauver sa réputation, mais une fois impliqué dans la spirale guerrière soudanaise, comment la compagnie s'en sortira-t-elle? 

La décision du gouvernement canadien créera un impact considérable pour la compagnie de Calgary et toutes les multinationales canadiennes. Pour l'éditorialiste Ezra Levant du National Post, " sanctionner Talisman nuira à la réputation du Canada comme lieu stable pour les entreprises ". Toutefois, si Axworthy passe l'éponge, les ONG ne sont pas prêtes a lâché prise et Talisman risque de voir ses problèmes se poursuivre. Le conflit au Soudan perdure depuis 17 ans et les chances de paix sont minces. Le gouvernement soudanais aura besoin pour encore longtemps des revenus du pétrole. (retour au menu)


Axworthy et Talisman: un terrain miné

Par Sébastien Rodrigue

Le ministre des Affaires étrangères du Canada, Lloyd Axworthy, martèle souvent sa politique étrangère humanitaire. Il souhaite promouvoir cette approche lors de la présidence du Canada au Conseil de sécurité de l'ONU en avril. Ce discours n'a toutefois pas empêché le ministre de blanchir la compagnie pétrolière Talisman Energy, malgré les preuves accablantes de violations des droits de la personne et ses promesses de sanctions en octobre.

Le rapport de John Harker, envoyé spécial du Canada au Soudan, est pourtant accablant. Il confirme l'utilisation des pistes d'atterrissage de Talisman Energy pour des bombardements et le déplacement de populations près de ses installations par le gouvernement soudanais. Il ajoute aussi qu'il est évident que les royalties données au régime de Khartoum ont contribué à la relance de la guerre civile.

Ce rapport fait suite aux plaintes de groupes religieux chrétiens canadiens actifs au Soudan. Dépêché sur place par Axworthy l'automne dernier, John Harker a déposé son rapport et conclu que la compagnie albertaine a contribué à la guerre civile, mais que le gouvernement canadien ne doit pas pénaliser Talisman. Lundi, l'action boursière de Talisman a bondi de 3,90$ pour se clore à 39,25$.

Lloyd Axworthy a préféré impliquer son gouvernement au Soudan plutôt que de nuire à la plus grosse compagnie pétrolière au pays. L'enjeu principal se situait à ce niveau: si le Canada sanctionne Talisman, le fera-t-il pour les autres compagnies au Soudan ou encore contre les diamantaires au Sierra Leone? Jamais les droits de la personne au Soudan n'ont dirigé le débat de fond. Axworthy devait choisir entre la création d'un précédent envers des industries ou la sauvegarde d'une population assiégée par 17 ans de guerre civile. Le ministre des Affaires étrangères a choisi un compromis qui entachera sa feuille de route positive.

Quand c'est Coke, c'est OK
James Rubin, le porte-parole d'État américain, a dénoncé lundi le comportement d'Ottawa. Madelaine Albright, le secrétaire d'État américain, avait déjà envoyé un message clair à Axworthy sur le commerce avec le Soudan. Les Américains souhaite que le Canada durcisse le ton avec ses compagnies. Toutefois, les États-Unis n'appliquent pas toujours leurs recommandations. Récemment, Madelaine Albright a permis l'exportation de gomme arabique du Soudan aux États-Unis parce qu'elle est essentielle à la fabrication des boissons gazeuses et des bonbons.

Le problème vient peut-être d'une lacune de la législation canadienne sur les activités à l'étranger. Aux États-Unis, la loi est aménagée de façon à pouvoir interdire le commerce dans un pays. Les cas de compagnies canadiennes condamnées dans des cas semblables l'ont été par les justices des pays où ils exploitent des richesses naturelles. C'est le cas de Cambior en Guyane, condamnée pour un déversement de mercure.

Axworthy a préféré la voie des liens commerciaux à celui des pressions économiques. Un bureau ouvrira à Khartoum, de l'argent servira à prévenir les enlèvements et il soutiendra l'envoi d'un émissaire de l'ONU. L'intervention la plus musclée viendra lors de la présidence du Canada au Conseil de sécurité de l'ONU. Axworthy compte mettre la situation humanitaire au Soudan au programme. Mais comme le confirme le rapport Harker "tant que l'exploitation pétrolière se poursuivra, la guerre continuera". (retour au menu)


Talisman fait des petits

par Sébastien Rodrigue

Les investissements de Talisman au Soudan engendrent d'autres projets controversés. La deuxième pétrolière canadienne en importance, Fosters inc., lancera à son tour un projet au Soudan cette année. Une autre compagnie pourrait à nouveau mettre le Canada dans l'embarras, devant la passivité du ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy.

Fosters lancera, après la saison des pluies, un vaste projet d'exploration, d'extraction et de pipeline. Lloyd Axworthy s'est dit surpris par cette nouvelle. Il a ajouté " que son ministère n'en a pas été informé ". " Fosters risque l'argent de ses investisseurs et même la vie de ses employés s'il s'installe au Soudan ", a déclaré John Harker au Globe and Mail.

Harker a écrit un rapport démontrant l'implication de Talisman dans la guerre civile au Soudan. Malgré les preuves accablantes, le gouvernement canadien a choisi de ne pas pénaliser la compagnie. Un élément encourageant pour les autres entreprises intéressées par l'énorme potentiel pétrolier soudanais. Talisman a investi près de 800 millions $ au Soudan et détient 25 % des parts dans le Greater Nile Project.

Comment expliquer cet attrait pour le Soudan, maintenant reconnu pour utiliser l'argent des compagnies étrangères dans la poursuite de la guerre civile? L'absence des Américains est un élément de réponse, mais les compagnies se servent de ce genre de projet pour maintenir leur croissance.

Talisman Energy mise sur une croissance rapide et profite des champs de pétrole laissés libres par les grosses compagnies dans des pays instables. Talisman fait déjà des affaires en Indonésie et en Algérie. La compagnie de Calgary envisage même d'investir en Irak si les sanctions américaines et onusiennes sont levées. Ces déclarations et ces projets embarrasseront inévitablement le Canada. Le comportement des compagnies dans des zones de conflit vont à contre-courant de la " politique humanitaire " du ministre Axworthy.

Or, le projet de Fosters ressemble drôlement au Greater Nile Project de Talisman. La zone d'exploration de 70 000 km2, le double de la superficie du projet de Talisman, se situe à 260 km au sud de Khartoum. Les risques d'expropriations massives des habitants pointent donc à l'horizon. Le projet implique plusieurs compagnies, dont Sudapet, la compagnie d'État soudanaise aussi partenaire dans le Greater Nile Project.

De plus, Fosters a embauché John Mcleod, le même négociateur que Talisman pour son Greater Nile Project. Toutefois, Fosters mène le projet par l'entremise de la compagnie Melut Petroleum qu'elle détient à 83 %. Situé aux Barbades, le siège social de Melut Petroleum est bien loin du champ d'action du Canada.

Le président de Fosters, Randy Pawlin, ne s'inquiète pas de son investissement au Soudan. " J'ai rencontré des ministres (nda: au Soudan) et selon moi, ils veulent vraiment la paix. Et je crois que notre présence rapportera davantage au pays que de ne pas y être. ", explique-t-il. Au cours des deux premières semaines de mars, le gouvernement soudanais a poursuivi ses bombardements sur des cibles civiles. La crise s'est également envenimée entre les rebelles du SPLA et les groupes humanitaires ce qui met en danger la survie de milliers de personnes.

D'un côté comme de l'autre, les progrès sont minces dans cette guerre civile. La paix n'approche pas et l'exploitation du pétrole donnera plus de munitions pour mener la guerre. Malgré les efforts diplomatiques canadiens, les investissements de compagnies canadiennes financeront les dépenses militaires du régime de Khartoum.

Si Fosters s'installe pour de bon au Soudan, la pression sur le gouvernement canadien débouchera peut-être sur une législation pour limiter cette problématique. La prochaine étape viendra en mai prochain lors d'une rencontre avec l'Association canadienne des pétrolières où le ministre Axworthy lancera sûrement des avertissements. Aussi, il sera intéressant de surveiller le Canada lors de sa présidence au Conseil de sécurité de l'ONU à compter d'avril où il mettra le cas du Soudan au programme. Mais en réalité, est-ce que monsieur le ministre fait encore peur aux pétrolières?
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