Le Sommet du Québec et de la jeunesse
Une parodie de consultation qui a fait mal paraître le gouvernement

par Benoît Routhier

Les faits ont finalement donné raison aux jeunes et aux autres qui ne croyaient pas beaucoup aux vertus du Sommet du Québec et de la jeunesse: on peut dire que ça n'a pas donné grand chose et que ce qui s'est décidé là aurait pu exister sans cette manifestation quand même coûteuse!

Les médias ont déjà longuement parlé des conclusions de cette grand messe. Mais il y a encore des choses à dire là-dessus. Par exemple, était-il vraiment nécessaire de mobiliser tant de monde pour annoncer que le gouvernement allait injecter un milliard de dollars dans l'éducation? D'autant plus que la décision avait déjà été prise de remettre des montants d'argent dans ce secteur.

L'exercice a quand même donné quelque chose. À savoir qu'il a permis de faire certaines constatations sur notre société à l'aube de l'an 2000.

UN GOUVERNEMENT CONTRÔLANT
Il a permis de constater la manie du gouvernement et de ses fonctionnaires de tenter de décider du déroulement de réunions qu'il tient avec les organismes socio-économiques, les syndicats et même les organismes représentant le patronat et l'industrie. On reprochait à l'ancien premier ministre Robert Bourassa de passer ses messages au moyen de cassettes avec lesquelles il est impossible de discuter. Ce gouvernement-ci n'envoie pas de cassettes aux journalistes, mais il invite les divers groupes de la société à des réunions qu'il a pris bien soin de pouvoir contrôler au moyen, entre autres, d'un agenda serré.

Mais mal lui en prit cette fois. Il a bien failli se faire servir une râclée par les jeunes qui participaient au Sommet. Dès la deuxième journée, les organisateurs se sont fait chambouler leur ordre du jour par des participants qui avaient hâte d'en arriver aux discussions et n'avaient pas envie d'entendre les longs résumés de constats déjà connus sur la situation des jeunes. Il a fallu l'habileté du premier ministre Lucien Bouchard, grand négociateur et conciliateur, pour garder le cap.

DES JEUNES DÉMOBILISÉS
Ce que le Sommet a aussi permis d'apprendre, et c'est triste, c'est la grande démobilisation des jeunes. Au Sommet alternatif qui se déroulait au sous-sol d'une église de la Basse-Ville de Québec, nous avons vu des jeunes qui discutaient de choses et d'autres, mais dans un désordre tel qu'on se serait cru, parfois, dans une espèce de happening où tous ceux qui en avaient le goût allaient crier au micro leur dégoût pour la société et les gouvernements qui la dirige. Une chance que Michel Chartrand, le syndicaliste de 83 ans, devenu légende de son vivant, est allé leur faire la conversation durant quelques heures. Il a semé quelques jalons qui ont guidé ces jeunes dans leurs discussions.

Un moment, je me suis demandé pourquoi ces jeunes avaient-ils attendu la tenue d'un Sommet du Québec et de la jeunesse pour manifester leur mécontentement? Et je me suis surpris à penser que c'était presque triste de réaliser qu'il fallait que le gouvernement les provoque (au moyen du Sommet) pour leur faire penser qu'ils sont à l'âge de la contestation…

Je tiens par ailleurs à consacrer un paragraphe à celui qui, avec les Pierre Elliott Trudeau, Jean Marchand, Gérard Pelletier, Gérard Picard, le Père Georges-Henri Lévesque ont fait avancer le Québec au temps des noires années duplessistes. Michel Chartrand, octogénaire, a autant de verdeur et de conviction que lorsqu'il avait 40 ans. Il dénonce à gros traits les manipulations des grandes entreprises dans leurs relations avec les gouvernements: elles savent s'exempter des impôts et elles savent aller chercher des millions de dollars en subventions, supposément pour créer des emplois en se restructurant. Mais cette restructuration se termine trop souvent par le licenciement de centaines d'employés… Il pourfend encore les entreprises qui pratiquent, autant qu'avant, le capitalisme sauvage. Il est le seul à encore parler du danger réel de la concentration des entreprises de presse.

Évidemment, il a beaucoup insisté sur sa proposition d'un revenu de citoyenneté en lieu et place de l'assistance sociale. Tandis que le B.S. incite à ne pas travailler, dit-il, le revenu de citoyenneté permettra de se défendre contre les exploiteurs capitalistes qui ne tiennent pas compte de l'humain. Un débat à faire.

Au Sommet alternatif, il a donné un cours accéléré de sociologie aux jeunes qui boudaient le vrai Sommet du Centre des congrès. Ils ont bu ses paroles, même s'il était évident que quelques-uns ne connaissaient pas le personnage. C'était parfois beau de voir ces jeunes avec une bonne envie de contester, même s'ils exprimaient mal l'objet de leur envie.

On ne peut passer sous silence le peu de place que l'ouverture du Québec et ses jeunes sur le monde a tenu au Sommet. Il y a bien eu un atelier sur le sujet, mais rien de concret n'a été décidé pour la suite des choses. Désolant!

ET LA PAUVRETÉ?
Une dernière constatation relative à ce Sommet. Les représentants du gouvernement, malgré leurs beaux discours, n'ont pas montré un grand souci pour les Québécois qui pataugent dans la misère. Les exclus, les pauvres, n'ont pas tenu beaucoup de place. Au point que le Fond de lutte à la pauvreté a failli couler à pic, sacrifié contre le milliard de dollars consenti aux jeunes pour l'éducation. On laissait entendre que ce nouveau milliard était injecté au prix d'énormes contorsions financières. Il a fallu l'insistance de gens comme l'ex-président de la CSN, Gérald Larose, pour éviter le naufrage.

Cet incident dévoile un autre visage pas très sympathique du gouvernement actuel. En effet, lors de la présentation du budget, le ministre des Finances Bernard Landry parlait du Fonds de lutte à la pauvreté comme étant une nécessité qu'on ne pouvait oublier. Pourquoi, même pas un mois avant, était-il prêt à l'abolir? Et quelle triste ironie de voir ce même ministre se péter les bretelles face aux énormes surplus qu'il a accumulés, alors qu'au Sommet on se disait d'une extrême générosité en allongeant un milliard de dollars aux étudiants…