UN NOUVEAU PRÉSIDENT AUX ÉTATS-UNIS EN 2001

par Louis Balthazar


(Photo: Renée Méthot)

  

Les Américains vont élire un nouveau président le 7 novembre prochain. S’ils devaient s’en tenir aux questions fondamentales, ils devraient élire à coup sûr le candidat démocrate Al Gore. Quand on leur demande, en effet, quel parti est le plus en mesure de redistribuer la richesse, d’améliorer la sécurité sociale, d’introduire de nouveaux programmes sociaux, de renforcer l’éducation, de protéger l’environnement, ils désignent invariablement le parti démocrate. Par contre, ils favorisent le parti républicain pour la gestion de l’économie, pour la défense nationale et pour le maintien des valeurs familiales.

La conjoncture actuelle offre de bons arguments au vice-président Al Gore pour démontrer qu’il peut faire aussi bien que son adversaire en matière d’économie. Après huit années d’administration démocrate sous l’égide du tandem Clinton-Gore, les Américains sont plus riches que jamais, le taux de chômage est à son niveau le plus bas et il est bien difficile de souhaiter un changement. Des promesses de réduction des impôts sont toujours bienvenues aux États-Unis. Mais cette fois-ci, le bon peuple se porte tellement bien que la perspective de coupures massives évoquée par George W. Bush ne semble pas créer beaucoup d’enthousiasme. Tout se passe comme si les Américains, se sentant comblés, étaient prêts à faire preuve de «compassion », selon l’expression consacrée. C’est là un trait du patriotisme américain, d’un certain sentiment de solidarité nationale.

Pour ce qui est de la sécurité nationale, elle n’a jamais aussi peu préoccupé la population américaine depuis les années trente. La guerre froide est terminée et les nouvelles menaces brandies par certaines élites, en ce qui a trait aux soi-disant États parias (Irak, Iran, Corée du Nord, Libye) ne touchent pas beaucoup les gens. On peut bien applaudir aux interventions musclées de l’aviation américaine à condition que cela n’occasionne pas de pertes de vies humaines. Les promesses de George Bush, en ce qui a trait au projet de défense spatiale contre des missiles ennemis, n’ont pas obtenu l’impact souhaité. Al Gore, de son côté, s’engage à mieux traiter les militaires et à maintenir les programmes en place. Cela paraît bien suffisant.

S’ils devaient s’en tenir aux questions fondamentales,
les Américains devraient élire
à coup sûr
le candidat démocrate

Reste le maintien des valeurs morales. Voilà le hic! Voilà qui rallie toute la droite américaine et aussi le centre-droit de la nation, pourvu que les pontifes fondamentalistes demeurent silencieux; et c’est bien là la grande réussite de George Bush. Rappelons-nous le terrible épisode des procédures de destitution de Bill Clinton. La population américaine a eu honte de son président, mais elle lui a pardonné en quelque sorte parce que les Républicains du Congrès, drapés dans leurs tuniques de grand-prêtres offensés, sont apparus plus détestables que le président délinquant. Bush et ses conseillers ont compris la leçon. Toute la convention républicaine s’est déroulée comme si les défenseurs de l’orthodoxie et protagonistes de l’impeachment n’existaient plus. On n’en exploite pas moins le malaise laissé par un président aux mœurs légères et enclin au mensonge. Sans trop critiquer directement Bill Clinton, ce qui apparaîtrait trop mesquin, on met en évidence la solide intégrité du gouverneur du Texas, son inflexibilité, son bon jugement, son aptitude à diriger les pays. Pour le moment, cela fonctionne assez bien. Cela a permis à George Bush de prendre une longueur d’avance, au cours de l’été, face à un Al Gore dont le nom rime avec bore, c’est-à-dire ennuyeux, prétentieux et solidaire d’une administration sans fibre morale.

Al Gore a bien réagi. Il a fait appel à un colistier aux valeurs morales éprouvées. Joe Lieberman, le sénateur du Connecticut, qui fut le premier démocrate à blâmer ouvertement Bill Clinton et qui peut donc se permettre de faire campagne sur les mérites certains et évidents de l’administration démocrate. De plus, le vice-président a voulu se dissocier de son ancien chef et se présenter avec son propre programme, comme un nouvel homme. Cela lui permet, au moment fatidique de la fête du travail, au début de la véritable campagne des deux derniers mois, de devancer légèrement son adversaire républicain.

Les débats télévisés devraient avoir beaucoup d’importance, comme c’est souvent le cas. En 1960 et en 1980, alors que les deux candidats demeuraient nez à nez dans les sondages, les débats ont tranché et favorisé l’élection de celui qui a le mieux performé. C’était Kennedy en 1960 qui a réussi à battre Nixon par une faible marge. C’était Reagan en 1980 qui finit par écraser le président sortant, Jimmy Carter. Carter, comme Gore, possédait sans conteste le meilleur dossier, apparaissait comme plus compétent que son adversaire. Mais Reagan avait des allures de sauveur et son assurance simplificatrice lui a permis de séduire ses compatriotes.

Les débats télévisés
devraient  avoir beaucoup d’importance

  Qu’en sera-t-il en 2000? Au début de septembre, c’est Al Gore qui se présente comme celui qui devrait être favorisé par les débats. George Bush et les siens demeurent retranchés sur la défensive et proposent des formules de débats moins médiatisés. Al Gore, incontestablement, possède mieux ses dossiers, jouit d’une plus grande expérience et offre un programme beaucoup plus étoffé que celui de son adversaire. Bush réussira-t-il, comme Reagan en 1980, à l’emporter par sa seule carrure de leader, par ses aptitudes à simplifier les choses, à tout ramener à quelques formules traditionnelles et rassurantes? Peut-être. Mais la conjoncture est bien différente de celle de 1980, alors que les États-Unis subissaient une forte récession économique et une menace soviétique sans doute surfaite mais bien présente dans les esprits.  

QU’EST-CE QUE TOUT CELA AUGURE POUR NOUS, QUÉBÉCOIS ET CANADIENS?

Disons d’abord que cette élection nous concerne à plus d’un titre. Au premier chef, sur le plan économique. Rien n’est indifférent pour nous en ce pays où nous exportons 85% de notre production et une proportion plus considérable encore des secteurs les plus dynamiques de notre économie. En ce qui regarde les échanges commerciaux avec le Canada, il existe assez peu de différence entre les deux candidats. Tous les deux sont voués au maintien des accords de libre-échange et à leur extension éventuelle à l’ensemble des Amériques. En cette matière, c’est le Congrès qui importe: certains Républicains sont préoccupés par l’étanchéité des frontières, ce qui n’est pas bon pour nos relations commerciales. Certains Démocrates, en revanche, soutenus par les grandes organisations syndicales, sont plutôt hostiles au libre-échange et parfois enclins à jouer dur avec les exportateurs canadiens. Notons que le candidat Al Gore a quelques comptes à rendre aux grands syndicats qui l’appuient. Cela ne devrait pas l’entraîner cependant, pas plus que Bill Clinton, à entraver la libéralisation des échanges.

L’enjeu fondamental de cette élection est ailleurs. Il porte essentiellement sur le rôle du gouvernement. Les deux candidats demeurent fidèles à une tradition américaine bien libérale en cette matière. L’un d’eux cependant, dans la foulée des Jefferson, Jackson, Roosevelt, Truman, Kennedy, Johnson, Carter et, dans une plus faible mesure, Clinton, favorise une intervention gouvernementale significative en matière de santé, d’éducation, de discrimination positive, d’environnement. L’autre, selon la tradition inaugurée par Hamilton et poursuivie par les Républicains, place un accent prononcé sur le dynamisme des initiatives individuelles et sur la réduction du rôle du gouvernement. «Le gouvernement ne doit pas devenir votre pharmacien», clamait récemment un ténor républicain pour dénoncer les programmes démocrates d’assurance-médicaments.

Dans la mesure où nous entendons conserver certains éléments d’un modèle québécois issu de la révolution tranquille, selon lequel le gouvernement doit intervenir, au moins discrètement, dans l’économie et dans notre vie culturelle et sociale, la contagion américaine (toujours bien réelle et agissante) sera sans doute moins nocive avec un président démocrate au pouvoir, d’autant plus que le candidat Al Gore se présente avec un programme qui entend renouer avec la grande tradition interventionniste de son parti. Qui dira que nous n’avons pas été touchés par l’atmosphère qui prévalait à Washington du temps de John F. Kennedy? Et que dire de l’influence du reaganisme dans les années quatre-vingt?  Quel sera l’esprit des années 2000?