Analyses de la semaine

En collaboration avec les étudiants du Programme de journalisme international de l'Université Laval.

 

Les étudiants du Programme de journalisme international de l'Université Laval publiront, pour les prochaines semaines, leurs meilleurs textes hebdomadaires. Le cyberjournal COMMERCE MONDE s'est engagé à publier pour cette période tous les textes qui seront jugés pertinents en rapport avec son mandat et sa mission dans cette nouvelle rubrique spéciale du journal: ANALYSES DE LA SEMAINE. Florian Sauvageau, le directeur de ce programme conjoint Laval-Lilles (en France) a accepté de se joindre à cette initiative du cyberjournal COMMERCE MONDE Québec Capitale voulant reconnaître la qualité du travail journalistique des étudiants de l'Université Laval et souhaitant faciliter le rayonnement de la présence à Québec du Programme de journalisme international de l'Université Laval. Cette initiative veut aussi reconnaître l'importance de favoriser le plus vite possible l'intégration des étudiants de l'Université Laval à la vie professionnelle.
Sommaire

Anciennes analyses

Crises pétrolière et israélo-palestinienne

Le poids des cailloux

Le prix du pétrole est élevé. Les tensions au Proche-Orient aussi. Simple équation? Pas du tout.  Entre le poids des cailloux et l'envolée du brut: le prétexte proche-oriental...

Hugo Lavoie

Charm el-Cheikh est mort-né. Durant les quelques jours qui ont suivi cette entente devant mener à l'arrêt des violences, une dizaine de Palestiniens et au moins un colon juif ont rencontré la Grande faucheuse. Charm el-Cheikh est déjà oublié. Le macabre bilan des dernières semaines d'affrontements s'élève maintenant à quelque 120 victimes, en grande majorité palestiniennes. La réconciliation a encore une fois passé son tour.

Haine, violence, mort. Ces conséquences directes de la crise proche-orientale a des effets secondaires. La fluctuation du court du pétrole serait du nombre. Bien sûr, la crise pétrolière est multidimentionnelle, mais "les pics constatés sur les prix sont liés à aux craintes [que suscite l'évolution de la crise palestinienne]"[1], croit Nick Bennebroek, analyste à la Deutsch Bank à Londres. Quel lien s'établit donc entre les cailloux et le brut?

Choix de réponses: a) Les spéculateurs appréhendent un embrasement régional qui rendrait physiquement difficile l'approvisionnement en matières premières. b) Ils craignent que les pays arabes (et/ou musulmans) exportateurs de pétrole diminuent leur production, en solidarité avec la cause palestinienne. Cette manœuvre servirait principalement à punir l'Occident – entendre l'Amérique – pour sa partialité dans le conflit. c) l'hypothèse du "prétexte proche-oriental"...

Un conflit régional est peu probable. Réunis au Caire, les membres de la Ligue Arabe haussent assurément le ton pour dénoncer les agissements de l'État hébreu. La colère qui gronde dans les rues de leurs capitales de leur laisse pas le choix. Mais de là à passer à l'action... Dans son discours d'ouverture, l'hôte de la réunion, le président égyptien Hosni Moubarak n'a pas laissé de doute: "nous sommes tous en colère, mais nous ne devons pas agir de manière impulsive".

Un extrait du texte final du sommet du Caire, obtenu par un journal israélien parle tout au plus de la création, dans le cadre de la Ligue arabe, d'un "fonds d'aide financière destiné à soutenir la résistance du peuple palestinien et à alléger le poids du blocus imposé aux territoires”"[2] Aucun pays n' a exprimé clairement sa volonté de participer directement à un guerre coûteuse et fort probablement perdue d'avance contre Tsahal, la puissante armée d'Israël.

Des mesures de rétorsion pétrolière ne sont pas non plus à l'ordre du jour au Caire. Le document final ne ferait que suggérer "à ceux des pays qui, à ce jour, n'ont pas signé la paix avec l'État hébreu – c'est-à-dire tous, à l'exception non-négligeable de l'Égypte et de la Jordanie –, de geler les liens qu'ils ont établi avec lui."[3]

Les pays arabes ou musulmans membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, ne se montrent pas davantage menaçants à cet égard. Certes le ministre iranien de la défense, Ali Chamkhani, a déclaré que "l'utilisation de la production et la vente de pétrole ainsi que la prise en compte du soutien que les différents pays apportent ou non au peuple palestinien dans les relations politiques et commerciales pourraient avoir des résultats concrets". Mais le représentant iranien à l'OPEP, Kazempour Ardebili a précisé qu'aucune mesure n'a été prise pour "punir les Occidentaux pour leur soutien au régime qui occupe Jérusalem."[4]

Avec ses 3,84 millions de barils produits chaque jour, et les profits faramineux qu'ils assurent à l'État chiite, il n'est pas surprenant qu'on s'en tienne à la rhétorique. Les prix élevés du pétrole brut ne peuvent qu'inciter à la modération...

La même chose du côté du plus grand pays musulman du monde, l'Indonésie. De 0,3% au lendemain de la crise asiatique, la croissance indonésienne devrait atteindre les 4% cette année. Selon les analystes, ce bond serait largement dû au prix élevé du pétrole[5].

L'Algérie qui tire 95% de ses revenus d'exportation des ventes d'hydrocarbure a vu ses recettes budgétaires augmenter de 65% par rapport à l'année précédente[6]. Ce pays causerait toute une surprise en annonçant une diminution de sa production pour faire pression sur ses clients.

Conflit palestinien ou pas, tous ces États producteurs n'ont donc aucun intérêt à utiliser "l'arme pétrolière" qui les priverait de la manne actuelle. Dans ce cas, la question demeure: pourquoi un lien s'établit-il donc entre les cailloux et le brut?

Il ne reste que des hypothèses. D'abord, peut-être les analystes et spéculateurs entretiennent-ils des craintes sincères, bien que peu crédibles, sur l'approvisionnement en pétrole proche-oriental. Ou alors... L'envolée des prix du baril profite à beaucoup de gens. Les pays arabes ou musulmans producteurs sont loin d'être les seuls. En Alberta, par exemple, les recettes budgétaires croissent de 150 millions$ chaque fois que le cours du baril augmente de 1$US[7]. Le Texas, le Royaume-Uni, font aussi des profits mirobolants. Il ne faut pas non-plus oublier les compagnies de distribution et les raffineries. Dans un entretien au journal Le Monde, le patron des raffineries Shell, tout en restant vague, soulignait que: "cette année, notre activité a été très profitable"[8].

Tout ce beau monde retire peut-être un certain avantage de ce que la faute du prix élevé du pétrole revienne à la dégradation d'un conflit incontrôlable. L'attention se détourne de leur propre responsabilité. La grogne populaire qui a frappé plusieurs pays occidentaux ne peut que s'incliner devant un malheur plus grand que le sien. L'hypothèse du "prétexte proche-oriental" est confortée par le fait que les prix de l'or noir n'étaient pas inférieurs avant le début de la présente escalade de la violence en Palestine. Le 18 septembre, le prix du baril a par exemple atteint les 36 $ US[9]. On imputait alors cette envolée du cours du pétrole au "regain de tension entre l'Irak et le Koweït"[10]...

Québec, le 21 octobre 2000


[1] Le Devoir, 18 oct. 2000

[2] "Sommet du Caire: soutien sans faille aux Palestiniens", cite internet du journal Le Monde, 22 octobre 2000

[3] Idem.

[4] Le Devoir, loc, cit.

[5] Le Monde du 30 sept. 2000

[6] Idid., 19 sept. 2000

[7] Le Devoir, 7 sept. 2000

[8] Le Monde, 19 sept. 2000

[9] Idem.

[10] Idem.

 

Cuba-USA: Le silence d'une poignée de main

par René Saint-Louis

Le Sommet du millénaire de l'Organisation des Nations-Unies s'est achevé, à New-York, sans grande surprise. De belles paroles, de beaux discours et beaucoup de promesses pour sortir l'ONU d'un certain bogue de l'an 2000. Le moment fort de l'événement? Une poignée de main entre Bill Clinton et Fidel Castro. Un moment fort accidentel, dit-on, et loin des regards indiscrets des journalistes.

L'affaire a d'abord été niée par le secrétaire de presse de la Maison blanche, Joe Lockhart, qui s'était contenté de dire que Fidel Castro s'était arrangé (managed) pour échanger quelques paroles avec Bill Clinton. Vu la présence de nombreux témoins, les autorités américaines ont admis le lendemain qu'il y avait eu échange de poignée de main, la première en 40 ans d'histoire. Devrait-on voir dans cet événement sans précédent le signe d'une normalisation pas si lointaine?

Les conclusions de la saga du petit Elian Gonzalez peuvent aider à répondre à cette question. D'abord cette saga a rendu obligatoire le dialogue entre La Havane et Washington pour gérer le sort du garçonnet. Pour la première fois en 40 ans, les deux capitales s'entendaient. Le petit garçon devait rentrer chez lui avec son père. Il faut souvent une tragédie pour rapprocher les gens. Deuxièmement, l'histoire consacre le naufrage des radicaux de l'establishment anticastriste. Dans leur opposition à la Maison blanche, les Cubains de Floride, qui ont transformé, pour des raisons politiques, la tragédie vécue par un petit garçon perdu en mer en psychodrame national, se sont discrédités aux yeux du monde entier, y compris des Américains.

Tout au long de cette saga, les médias ont relevé quantité de détails qui démontrent que le combat des Cubains de Floride est celui d'une arrière-garde. "Miami est la seule villes des États-Unis qui refuse d'accueillir Nelson Mandela, parce qu'il a déjà été vu aux côtés de Castro. Des manifestants anticastristes ont déjà lancé des pierres à des athlètes cubains qui participaient aux Jeux Olympiques pour handicapés", souligne, à titre d'exemple, David Abraham, professeur de droit à l'Université de Miami. Les sondages démontrent cependant un changement de mentalité au sein de la communauté cubaine. Une étude réalisée par l'Université internationale de Floride montre que, si 62% de ceux qui sont partis dans les années 60 s'opposent encore à tout dialogue avec Fidel Castro, 74% de ceux qui ont émigré dans les années 90 ne s'y opposent pas.

Buena Vista Social Club

Telle une poignée de main symbolique...la Cour suprême des États-Unis a laissé le petit Elian rentrer avec son père le jour où la Chambre des représentants approuvait un allégement de l'embargo pour permettre la vente de produits alimentaires et de médicaments américains à Cuba. Il faut dire que de grandes institutions américaines -la Chambre de commerce des États-Unis, l'American Farm Bureau- font pression pour que l'embargo soit levé. Le lobby anti-embargo dépense désormais plus d'argent que le lobby cubano-américain qui s'oppose à tout rapprochement avec l'île de Castro. De grands noms comme ceux de David Rockefeller, les tracteurs Carterpillar et Ingersoll-Rang, General Electric, Citibank, Boeing, les hôtels Radisson, et les cultivateurs de céréales du Mid-Ouest réclament à voix haute l'accès à Cuba, un marché de 11 millions de consommateurs. Au-delà du lobbyisme, comment peut-on justifier que les États-Unis accordent à la Chine, un pays communiste, la notion de nation la plus favorisée, tout en maintenant sur Cuba un embargo économique?

Au courant de l'été, certains analystes ont laissé entendre que l'administration Clinton cherchaient depuis des années une façon de se rapprocher de Castro, âgé de 74 ans, pour éventuellement se rapprocher des Cubains. Car nul doute que malgré ses attributs de grand dictateur, Fidel Castro, à sa mort, sera pleuré par son peuple. Il est au pouvoir depuis 41 ans et son règne ne contient pas que des ratés. L'accès universel à l'éducation ainsi que le système de santé sont des exemples de réussite du régime cubain. Le fameux indice de développement humain des Nations-Unis, où le Canada se classe bon premier année après année, place Cuba devant la majorité des pays d'Amérique centrale et des Caraïbes malgré 38 ans d'embargo.

Pas étonnant qu'il y ait eu quatre sommets d'affaire Cuba-USA depuis le début de l'année. Les entreprises américaines ont aussi organisé, en février dernier, une foire-exposition à La Havane, la première du genre en 40 ans. Des musiciens de l'île effectuent régulièrement des tournées aux États-Unis. Une équipe de baseball, les Orioles de Baltimore, est même allée jouer contre l'équipe nationale à Cuba.

Du côté militaire, tous -Conseil national de sécurité, Pentagone, CIA- s'accordent pour dire que Cuba ne représente plus une menace pour la sécurité des États-Unis. Une étude récente du Ministère de la Défense concluait que Cuba constituait "une menace négligeable pour la sécurité nationale des États-Unis".

Il y a de cela quelques années, l'image est gravée dans nos mémoires, Bill Clinton, en bon père de famille, avait présidé la poignée de main historique entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin devant les caméras du monde entier. Mais voilà, cette fois-ci, qui aurait été au-dessus de Clinton et Castro pour superviser une telle réconciliation? L'ONU? Il n'est pas bon aux États-Unis de donner trop de crédibilité à ce qu'on décrit comme une simple machine à papier. Il s'agit tout de même d'un bel exemple de ce à quoi peuvent servir les coulisses de l'ONU, et ce seul fait divers, car c'est ainsi qu'il a été présenté par les médias, devrait réjouir ceux qui croient encore en l'utilité de la seule organisation qui regroupe l'ensemble des pays de notre planète. À moins que le grand responsable de tout cela ne soit un garçonnet de 7 ans.

La Tchétchénie, un an après

par Isabelle BACHY

Un an. Une bougie pâlotte et sans éclat scintille en Russie. À l’heure où les Allemands commémorent dix années de réunification, la Russie observe aujourd’hui le premier anniversaire d’une guerre de sécession qui n’en finit plus.

Le 1er octobre 1999, les chars russes envahissaient la Tchétchénie. Un an après, rien n’a changé, ou presque. Le " nettoyage " continue, mais les " bandits " tchétchènes sont toujours là et continuent à se battre, alors que l’armée russe envoie de nouveaux contingents dans la petite république. M. Poutine avait pourtant prévenu qu'il irait pourchasser les "terroristes" tchétchènes jusque dans les "chiottes". Il semble tenir ses promesses.

Et pourtant, Moscou n’a de cesse de répéter que la guerre est terminée, et ce depuis le mois de mai. Alors, comment nommer le racket auquel la population civile est soumise en Tchétchénie? Pourquoi interdire l'accès de la république autonome aux ONG? Au nom de quoi cette “ guerre ”, qui ne dit pas son nom, fait-elle encore une cinquantaine de victimes par semaine parmi les soldats russes? Si ce n’est pas une guerre, c’est peut-être “ une vraie sale guerre ”, pour reprendre les termes employés pas Aslan Maskhadov, le président tchétchène interviewé par Libération le 2 octobre 2000.

En dépit de l’aveuglement dont Moscou fait preuve outrageusement, la vie quotidienne des Tchétchènes ressemble, d’après les observateurs étrangers et les journalistes sur place, à celle d’un peuple assiégé. Viols et tortures de Tchétchènes permettent aux soldats russes d’obtenir des rançons de leurs familles, qui sont elles-mêmes rackettées, 18 000 personnes sont encore portées disparues selon le Conseil de l’Europe, il ne se passe pas un jour sans que des enfants sautent sur des mines et viennent enfler le nombre d'amputés à Grozny, la capitale est depuis février privée d’eau et d’électricité, on ne trouve plus un seul médicament dans les hôpitaux de la même ville, etc… le tableau est assez noir et la population tchétchène vit toujours dans la terreur.

Le 25 septembre, un bus bondé de Tchernorétchié, à Grozny, était la cible des militaires russes, faisant trois victimes dont une femme avec son nourrisson dans les bras. À Argoun, à une dizaine de kilomètres de la capitale, les hélicoptères ont tiré pendant des heures, dans la nuit du 22 au 23 septembre, sur des immeubles hébergeants des réfugiés de la première guerre.

L’armée russe s’enlise en Tchétchénie, qui s’est vidée de la moitié de sa population en un an de bombardements et d’exils. Et la population, qu’elle soit russe ou tchétchène, est lasse. Les Tchétchènes ne supportent plus la présence des 100 000 militaires russes, qui, loin d'être rassurante, ne fait que miner un peu plus le moral de la population. Les Russes, quant à eux, selon un sondage VTsIOM, accepteraient à 48% contre 27% l'idée d'une indépendance tchétchène, pour peu qu'elle les débarassent d'un problème qui dure depuis trop longtemps.

Après la défaite cuisante des Russes lors de la première guerre de 1994-1996, Moscou avait promis de ne pas envoyer ses enfants au casse-pipe. Mais les chiffres, qui varient évidemment selon les sources, font état de pertes déjà supérieures à celles de la première guerre. Entre 2 500 et 17 000 soldats russes auraient trouvé la mort en Tchétchénie depuis un an. À côté des combattants tchétchènes, qui auraient perdu plus de 10 000 hommes, la population civile a énormément souffert: Maskhadov a avancé le chiffre de 45 000 victimes des bombardements et "nettoyages" russes. Quant à la capitale, Grozny, à moitié détruite, elle n'offre plus à la vue qu'un paysage lunaire et désolé selon des témoins sur place.

Pourquoi un tel acharnement de la part des Russes? L'objectif premier, à savoir l'élection de Vladimir Poutine à la présidence russe, a été atteint. À ce propos, Aslan Maskhadov confiait à Libération : "Cette guerre était planifiée par la Russie depuis longtemps, une telle évolution de la situation devait se produire six mois avant la présidentielle russe. C'est Poutine qui a ordonné ces explosions, c'est à Moscou qu'il faut chercher le terroriste en chef et non ici!"

Si s'enliser dans cette guerre permet à Poutine de nier le but électoral du conflit, il est difficile pour lui aujourd'hui de revenir en arrière. Sa tournée des "chiottes" à travers la Tchétchénie n'étant pas terminée, puisque Maskhadov estime qu'il peut encore compter sur 33 000 personnes en sus des chefs de guerre tchétchènes, quelle parade va-t-il trouver pour changer de discours? Sans compter l'aspect financier du conflit qui explique en partie pourquoi, selon Le Monde (2 octobre 2000), le conflit ne s'est pas achevé au printemps.

Car "guerroyer en Russie est l'unique moyen de gagner de l'argent" pour certains militaires russes, aussi les généraux en place ont tout intérêt à ce que la guerre continue. Racketer la population est autrement plus rentable que toucher la solde militaire. Or, ce sont ces mêmes généraux qui ont porté Poutine au pouvoir!

Cette guerre semble donc "servir de tremplin à une série d'ambitieux généraux" (Libération daté du 30 septembre). Fidèle représentant de ce système nourri par la guerre, Vladimir Chamanov, commandant de la 58ème Armée, dont les troupes sont accusées des pires débordements, se porte candidat au poste de gouverneur dans la Volga, en décembre.

Quels moyens Vladimir Poutine peut-il déployer pour sortir de cette impasse et en finir avec cette guerre coûteuse qui s'auto-finance? Et surtout, comment parviendra-t-il à conserver une certaine crédibilité et sa cote de popularité, déjà bien entachée par les différents drames du mois d'août, s'il prend la sage décision de négocier? Maskhadov lui conseille de négocier avec lui tant qu'il est vivant, "sinon ce sera pire" : l'écoutera -t-il? Le cas échéant, Maskhadov mettra probablement un point d'honneur à ce que l'accord résultant des négociations comporte une garantie internationale... pour éviter que cette région ne s'embrase une troisième fois.

Québec, le 5 octobre 2000

La crise colombienne et le ''Plan Colombia''
Noire colombe
Chaos, violence et misère. La Colombie est usée par 40 ans de guerre. La paix négociée entre le gouvernement, les guérilleros et les paramilitaires n'est plus à l'ordre du jour. Avec le soutien américain, le président colombien a choisi une autre voie: le "Plan Colombia"...

par Hugo Lavoie

La Croix Rouge suspend ses activités en Colombie. Cette décision du Comité international de la Croix Rouge a été prise ce mercredi 4 octobre, à la suite d’un attentat contre une ambulance. Des membres des forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) ont pris d'assaut le véhicule rouge et blanc pour y achever à bout portant, l’ennemi blessé qu’on évacuait. Dix jours auparavant, leurs adversaires paramilitaires d’extrême-droite avaient ouvert ce macabre bal.

Le départ de l’aide humanitaire de première nécessité illustre bien la dégradation dramatique de la situation en Colombie. Après quarante ans de guerre, le pays est toujours à feu et à sang, sans espoir tangible de guérison. Pourtant, il faut agir. La réponse du président Andres Pastrana — inspirée et financée par Washington — au chaos de son pays porte un nom: le “Plan Colombia”. Cependant, voyant se préciser les contours de cette réponse, plusieurs ont maintenant l’impression qu’il a mal compris la question.

Le “Plan Colombia” est essentiellement répressif. Sa cible: la narco-industrie, de laquelle les FARC tirent une bonne part de leur revenu. De la contribution américaine s'élevant à 1,6 milliards de billets verts, 80% est consacré à l’achat d’hélicoptères militaires Huey II. Ces engins serviront à surveiller les activités illicites et à déplacer les bataillons colombiens de lutte anti-drogue, dont la formation est assurée par des militaires américains. L’éradication des plants de coca par épandage de produits chimiques fait aussi partie du programme. Les efforts du gouvernement seront concentrés dans la région de Putamayo, fief de la guérilla, et principale zone de culture du coca.

Or, le plan est loin de faire l'unanimité. L'organisation américaine Human Rights Watch soulignait d'abord que l'aide financière américaine sera fournie à l'armée colombienne sans assurance de respect des droits humains([1]). À ce chapitre, le comportement des militaires a souvent été condamné. En août dernier notamment, six enfants sont tombés sous les balles des soldats, dans des circonstances qui restent nébuleuses.

Bon nombre d’habitants de Putamayo appréhendent également les conséquences du "Plan Colombia". Manuel Alzate Restrepo, maire d’une des plus grandes villes de cette région, ne voit dans ce qu’il appelle le "Plan contre la Colombie", que plus de guerre et de souffrance([2]).

Généralement, les paysans qui plantent le coca, le font parallèlement à d'autres cultures légales. En attaquant les champs, la source alimentaire d’une partie de la population est, du même coup, soit détruite, soit contaminée. Plusieurs cas d’empoisonnement auraient déjà été signalés dans le Putamayo([3]). Complètement démunis et affamés, les jeunes paysans n’ont souvent d’autres alternatives que de grossir les rangs des FARC. D’autant plus que l’implication américaine dans la destruction des cultures conforte les guérillas communistes dans leur argumentaire anti-impérialiste. Le remplacement des plantations sera alors facilité par les nouveaux adhérants qui connaissent déjà bien la culture du coca.

Une victoire militaire sur les guérilleros dans le Putamayo sera, par ailleurs, difficile. La jungle touffue et les montagnes offrent aux combattants une base arrière quasi-imprenable. Au "mieux", les groupes armés révolutionnaires devront reculer. C’est d’ailleurs exactement ce qu’appréhendent les pays voisins. Les frontières étant impossibles à contrôler entièrement, le Brésil, le Pérou et le Vénézuela, pourraient se retrouver avec la guérilla ou des réfugiés colombiens sur les bras.

La répression est une mise à hauts risques. Les négociations de paix entamées en 1998 entre le gouvernement Pastrana et les FARC n'ayant jamais abouties, c'est le retour à la politique de la matraque. En quarante ans de guerre, cette avenue non plus n'a jamais porté fruits.

La narco-industrie est certes centrale au problème colombien. Mais elle n'est pas seul, et ne saurait être traitée comme telle. En 1998, le taux d'inflation frôlait les 19%, alors que la croissance économique ne dépassait pas les 0,2%([4]). L'avenir est sombre pour la jeunesse. Le pays est complètement désorganisé et la crise, multidimensionnelle. La solution devra l'être aussi.

Pour l'instant, Washington souhaitent des résultats rapides dans sa lutte à finir contre le narco-traffic. Troisième plus important récipiendaire de l'aide étrangère des États-Unis, la Colombie est même un priorité de la politique extérieure américaine. Malheureusement, l'intensité des combats actuels laisse entrevoir le pire. Les effets éclairs d'une politique à courte vue, risquent de se faire attendre...

Québec, le 5 octobre 2000


[1] Lister, Richard, "Human rights groups have condemned the US aid", site internet de la BBC, 31 août 2000
[2]McDermott, Jeremy, “ US-supplied Blackhawk helicopter about to pick up Colombian troops ”, site internet de la BBC, 23 août 2000
[3] McDermott, "Anti-drugs plan threatens Colombian peasants", Idem.
[4] Statistiques, L'État du monde 2000, les Éditions du Boréale, 1999, p.428

La Tchétchénie, un an après

par Isabelle BACHY

Un an. Une bougie pâlotte et sans éclat scintille en Russie. À l’heure où les Allemands commémorent dix années de réunification, la Russie observe aujourd’hui le premier anniversaire d’une guerre de sécession qui n’en finit plus.

Le 1er octobre 1999, les chars russes envahissaient la Tchétchénie. Un an après, rien n’a changé, ou presque. Le “ nettoyage ” continue, mais les “ bandits ” tchétchènes sont toujours là et continuent à se battre, alors que l’armée russe envoie de nouveaux contingents dans la petite république. M. Poutine avait pourtant prévenu qu'il irait pourchasser les "terroristes" tchétchènes jusque dans les "chiottes". Il semble tenir ses promesses.

Et pourtant, Moscou n’a de cesse de répéter que la guerre est terminée, et ce depuis le mois de mai. Alors, comment nommer le racket auquel la population civile est soumise en Tchétchénie? Pourquoi interdire l'accès de la république autonome aux ONG? Au nom de quoi cette “ guerre ”, qui ne dit pas son nom, fait-elle encore une cinquantaine de victimes par semaine parmi les soldats russes? Si ce n’est pas une guerre, c’est peut-être “ une vraie sale guerre ”, pour reprendre les termes employés pas Aslan Maskhadov, le président tchétchène interviewé par Libération le 2 octobre 2000.

En dépit de l’aveuglement dont Moscou fait preuve outrageusement, la vie quotidienne des Tchétchènes ressemble, d’après les observateurs étrangers et les journalistes sur place, à celle d’un peuple assiégé. Viols et tortures de Tchétchènes permettent aux soldats russes d’obtenir des rançons de leurs familles, qui sont elles-mêmes rackettées, 18 000 personnes sont encore portées disparues selon le Conseil de l’Europe, il ne se passe pas un jour sans que des enfants sautent sur des mines et viennent enfler le nombre d'amputés à Grozny, la capitale est depuis février privée d’eau et d’électricité, on ne trouve plus un seul médicament dans les hôpitaux de la même ville, etc… le tableau est assez noir et la population tchétchène vit toujours dans la terreur.

Le 25 septembre, un bus bondé de Tchernorétchié, à Grozny, était la cible des militaires russes, faisant trois victimes dont une femme avec son nourrisson dans les bras. À Argoun, à une dizaine de kilomètres de la capitale, les hélicoptères ont tiré pendant des heures, dans la nuit du 22 au 23 septembre, sur des immeubles hébergeants des réfugiés de la première guerre.

L’armée russe s’enlise en Tchétchénie, qui s’est vidée de la moitié de sa population en un an de bombardements et d’exils. Et la population, qu’elle soit russe ou tchétchène, est lasse. Les Tchétchènes ne supportent plus la présence des 100 000 militaires russes, qui, loin d'être rassurante, ne fait que miner un peu plus le moral de la population. Les Russes, quant à eux, selon un sondage VTsIOM, accepteraient à 48% contre 27% l'idée d'une indépendance tchétchène, pour peu qu'elle les débarassent d'un problème qui dure depuis trop longtemps.

Après la défaite cuisante des Russes lors de la première guerre de 1994-1996, Moscou avait promis de ne pas envoyer ses enfants au casse-pipe. Mais les chiffres, qui varient évidemment selon les sources, font état de pertes déjà supérieures à celles de la première guerre. Entre 2 500 et 17 000 soldats russes auraient trouvé la mort en Tchétchénie depuis un an. À côté des combattants tchétchènes, qui auraient perdu plus de 10 000 hommes, la population civile a énormément souffert: Maskhadov a avancé le chiffre de 45 000 victimes des bombardements et "nettoyages" russes. Quant à la capitale, Grozny, à moitié détruite, elle n'offre plus à la vue qu'un paysage lunaire et désolé selon des témoins sur place.

Pourquoi un tel acharnement de la part des Russes? L'objectif premier, à savoir l'élection de Vladimir Poutine à la présidence russe, a été atteint. À ce propos, Aslan Maskhadov confiait à Libération : "Cette guerre était planifiée par la Russie depuis longtemps, une telle évolution de la situation devait se produire six mois avant la présidentielle russe. C'est Poutine qui a ordonné ces explosions, c'est à Moscou qu'il faut chercher le terroriste en chef et non ici!"

Si s'enliser dans cette guerre permet à Poutine de nier le but électoral du conflit, il est difficile pour lui aujourd'hui de revenir en arrière. Sa tournée des "chiottes" à travers la Tchétchénie n'étant pas terminée, puisque Maskhadov estime qu'il peut encore compter sur 33 000 personnes en sus des chefs de guerre tchétchènes, quelle parade va-t-il trouver pour changer de discours? Sans compter l'aspect financier du conflit qui explique en partie pourquoi, selon Le Monde (2 octobre 2000), le conflit ne s'est pas achevé au printemps.

Car "guerroyer en Russie est l'unique moyen de gagner de l'argent" pour certains militaires russes, aussi les généraux en place ont tout intérêt à ce que la guerre continue. Racketer la population est autrement plus rentable que toucher la solde militaire. Or, ce sont ces mêmes généraux qui ont porté Poutine au pouvoir!

Cette guerre semble donc "servir de tremplin à une série d'ambitieux généraux" (Libération daté du 30 septembre). Fidèle représentant de ce système nourri par la guerre, Vladimir Chamanov, commandant de la 58ème Armée, dont les troupes sont accusées des pires débordements, se porte candidat au poste de gouverneur dans la Volga, en décembre.

Quels moyens Vladimir Poutine peut-il déployer pour sortir de cette impasse et en finir avec cette guerre coûteuse qui s'auto-finance? Et surtout, comment parviendra-t-il à conserver une certaine crédibilité et sa cote de popularité, déjà bien entachée par les différents drames du mois d'août, s'il prend la sage décision de négocier? Maskhadov lui conseille de négocier avec lui tant qu'il est vivant, "sinon ce sera pire" : l'écoutera -t-il? Le cas échéant, Maskhadov mettra probablement un point d'honneur à ce que l'accord résultant des négociations comporte une garantie internationale... pour éviter que cette région ne s'embrase une troisième fois.

Québec, le 5 octobre 2000