Le rêve du pays Québec est terminé
Audrey Best et ses enfants retrouvent un grand homme, faut-il dire merci à Yves Michaud et cie?

par Benoit Routhier

La démission de Lucien Bouchard de ses postes de président du Parti québécois et de premier ministre du Québec démontre un profond malaise au sein du parti qu'il dirigeait jusqu'au 11 janvier, mais elle indique surtout que le rêve de voir la province se transformer en pays s'est évanoui, parce que la population ne veut pas franchir une telle étape.

Le malaise à l'intérieur du Parti québécois est dû à la présence d'éléments disparates qui se chicanent à qui mieux mieux chaque fois que l'on réalise que l'idée de la souveraineté stagne ou connaît un fléchissement dans la population. On voit alors s'agiter “les purs et durs” qui se lancent alors dans la dénonciation de la mollesse de leur chef premier ministre. Ils laissent entendre qu'il n'est pas un vrai souverainiste, qu'il a peur de foncer vers le destin québécois. C'est ainsi qu'ils ont eu la tête du premier ministre le plus charismatique et le plus aimé de tous les Québécois: René Lévesque. Un mouvement similaire de ces “purs et durs” a conduit Pierre-Marc Johnson à l'échec. Cette fois ils viennent d'avoir la tête de Lucien Bouchard. Lui à qui, pourtant, ils doivent d'avoir conduit le Québec au seuil de la souveraineté. Sans lui, le résultat du référendum de 1995 aurait probablement sonné le glas du rêve indépendantiste.

Depuis un bon moment ces gens accusaient M. Bouchard de ne pas parler de souveraineté. Ce sont ces mêmes gens qui ont de la difficulté à accepter et à comprendre que le vote des immigrants n'aille pas du côté du Parti québécois et de la souveraineté. D'aucuns ont l'anathème facile envers ces immigrants.

Et pourtant. Après plus de 20 ans d'expérience, ces mêmes gens auraient dû comprendre qu'un gouvernement péquiste se doit de gouverner pour TOUTE la population. Or, la population ne cesse de dire à chaque fois qu'on lui demande de se prononcer qu'elle ne veut pas du projet de souveraineté. Rappelons-nous que M. Lévesque s'est fait refuser le simple droit de négocier avec le gouvernement fédéral une certaine forme de souveraineté!

M. Bouchard a compris, suite au résultat des dernières élections fédérales, que les Québécois ne sont pas prêts du tout à vivre la souveraineté. Lui qui vient de consacrer une dizaine d'années de sa vie à ce projet, ne voit plus comment il peut encore rester coincé entre une population qui ne veut pas de la souveraineté et un parti qui ne cesse de le jeter dans les câbles parce qu'il ne parle pas assez de ce projet.

M. Bouchard démissionne du poste de président du PQ parce qu'il ne voit pas le jour où les querelles internes cesseront et il ne voit pas non plus le jour où les Québécois seront prêts à vivre la souveraineté, même s'ils désirent le plus de pouvoirs possibles au niveau provincial. Autrement dit, être à la fois souverainiste, chef d'un parti voué à l'indépendance  et premier ministre d'un peuple qui ne veut pas de la souveraineté est une situation intenable. M. Bouchard l'a compris. Et le PQ devra en tenir compte, car autrement le malaise persistera.

UN QUÉBEC PLUS MODERNE
Mais il aura laissé un grand héritage aux Québécois en réalisant une partie de son projet de société. Il voulait moderniser le Québec, il l'a fait avec courage. Il en fallait une bonne dose pour s'attaquer à l'élimination de l'énorme déficit du Québec. Une telle opération ne peut se faire sans mal, sans casser des œufs. Son action lui a valu bien des récriminations du monde syndical, un monde pourtant proche du PQ. Il a foncé.

Comme il a décidé de foncer et de passer par-dessus les forces d'inertie des élus de municipalités des banlieues de Montréal, Québec et Hull pour réaliser des fusions que tous les gouvernements jugent essentielles depuis des décennies. On peut critiquer la manière dont il s'est pris pour concrétiser son projet, mais tout le monde sait que la carte municipale ne risquait pas de changer beaucoup sans coercition. Je crois encore et toujours qu'il aurait mieux valu commencer par fusionner les trop nombreux organismes qui sont censés s'occuper de développement économique dans la région de Québec mais qui, dans les faits, consacrent une majeure partie de leurs budgets à l'administration. Je crois encore et toujours que, tant qu'à forcer des fusions à grande échelle dans la région il aurait mieux valu ne faire qu'une seule ville de la Rive-Nord et de la Rive-Sud. Les économies auraient été beaucoup plus importantes. Mais la détermination du premier ministre et de sa collègue Louise Harel aura doté ces trois régions d'un palier municipal aux teintes plus modernes.

Le Québec perd un grand homme d'action et les “purs et durs” du PQ viennent de faire perdre à ce parti la personne qui aurait pu le mieux faire du Québec un pays. Je suis heureux pour Audrey Best et les deux enfants de Lucien Bouchard. Faudrait-il remercier Yves Michaud?

LA VILLE UNIQUE
Maintenant que les dés sont jetés, que les 13 municipalités du territoire de la Communauté urbaine de Québec (CUQ) seront fondues en une seule, il y a des questions auxquelles la population devrait obtenir des réponses le plus tôt possible.

Les municipalités de banlieue, devenues des arrondissements, disposeront-elles d'un budget qui leur permettront d'assurer à leurs citoyens les mêmes services dont ils bénéficient présentement? Par exemple, les Charlesbourgeois peuvent-ils avoir l'assurance que les représentants de leur arrondissement auront l'argent nécessaire pour conserver le niveau de qualité du déneigement dont ils profitent aujourd'hui?

Comment se poursuivra le développement de ces mêmes municipalités de banlieue? Le risque n'existe-t-il pas que le comité exécutif de la Ville de Québec soit trop absorbé par les problèmes du centre-ville et laisse la banlieue se détériorer?

Vu qu'il est entendu qu'aucun employé des 13 municipalités actuelles ne perdra son emploi, comment s'assurer que les très nombreux rachats d'emplois à prévoir n'annuleront pas les économies escomptées?

Le gouvernement a-t-il analysé les conséquences d'une grève des fonctionnaires d'une si grande ville? On a connu les désagréments qu'a causé la grève des cols bleus de Sainte-Foy avant les Fêtes. Qu'arrivera-t-il quand tous les cols bleus de la nouvelle ville feront grève? Quel sera le pouvoir de négociation des administrateurs face à des syndicats devenus des géants?

Le comité de transition, qui sera présidé par l'ancien président de la Commission municipale du Québec, l'ex-juge Richard Beaulieu, devra répondre franchement aux nombreuses questions qui jusqu'ici n'ont jamais eu de réponse.