Opinion

La Société des Gens de Baignade
pour l'accès et l'usage public des plans d'eau

¨De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace¨ (G. Danton, Discours à la Convention de Paris, 1792)

À : Monsieur Lucien BOUCHARD Premier Ministre du Québec
   : Madame Agnès MALTAIS Députée de Taschereau et
     Ministre de la Culture
   : Monsieur Paul BÉGIN Député de Louis-Hébert et
     Ministre de l'Environnement
   : Madame Louise HAREL Députée de Hochelaga-Maisonneuve
     et Ministre des Affaires municipales
   : Monsieur Maxime ARSENEAU Député des Îles-de-la-Madeleine et
     Ministre du Tourisme
   : Monsieur Jacques BARIL Député d'Arthabaska
     et Ministre délégué aux Transports
   : Monsieur David COLLENETTE Ministre fédéral des Transports
   : Madame Christiane GAGNON Députée de Québec à Ottawa
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Il nous semble pour tout dire incroyable qu'en ce début du 21e siècle, une Ville - Capitale de surcroît - préconise la construction d'un édifice à bureaux et d'un hôtel sur le rivage même du plan d'eau urbain le plus accessible à sa population. Nous assumions - à tort - que c'en était terminé du bétonnage des rives urbaines au Québec. D'où la présente démarche auprès du Maire de Québec, pour laquelle nous sollicitons l'appui de tous. (Lettre jointe)

Québec ville balnéaire 1608 - 2008

Par ailleurs, les membres de la Société des Gens de Baignade vous sauront gré de bien vouloir prendre connaissance du dossier: "Québec ville balnéaire 1608 - 2008". Nous soumettons à la discussion publique un concept innovateur: la mise en place progressive d'une station aquatique quatre-saisons, publique et polyvalente, au cœur de la Capitale du Québec.

Nous sommes d'avis que les Québécois - auxquels on a interdit tout accès et usage des plans d'eau de la ville de Québec depuis près de deux siècles - ont maintenant assez attendu, qu'il est temps d'oser désormais vers plus de démocratie, plus de développement et plus de retombées touristiques. Une fois au courant du projet, la plupart trouvent qu'il serait normal que cette ressource aquatique serve à l'ensemble de la population.

Nous soumettons que la mise en valeur - dans une optique grand public - de l'actuel "bassin Louise intérieur" constitue un des grands projets à considérer à l'horizon de 2008, si l'on veut "Redonner le fleuve aux Québécois" quatre siècles après la fondation de la Ville par Samuel de Champlain.

Québec, le 6 janvier 2001.

Léonce NAUD, Président
C.C. M. Jacques AMYOT, Président d'Honneur
Société des Gens de Baignade, 872 avenue Turnbull, pièce 2, Québec G1R 2X3 - 640-0406

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Lettre au
Maire de Québec

Québec, le 4 janvier 2001.

Monsieur Jean-Paul L'ALLIER
Maire de Québec
La Mairie
Québec

OBJET : remise en question de l'option d'aménagement de la Ville de Québec en faveur de l'immobilier privé sur le rivage du bassin Louise.


Monsieur le Maire,

Dans un rapport récent, la Ville de Québec affirme: "Pour des raisons d'accessibilité publique, il est essentiel que la construction d'un hôtel soit privilégiée à la tête du bassin Louise, et non d'un édifice à bureaux comme l'envisage l'Administration du Port de Québec." [ ! ]

Cette affirmation nous paraît - à sa face même - invraisemblable. Elle figure pourtant dans un important rapport qui vient d'être soumis par votre Administration au gouvernement du Québec, dans le cadre d'audiences publiques tenues par la Commission de la Capitale nationale ayant pour thème: "Redonner le fleuve aux Québécois". Selon nous, la Ville de Québec défie le sens commun en prétendant que la construction d'un établissement hôtelier sur le rivage d'un plan d'eau urbain - occupant et privatisant un espace actuellement dégagé et public - favorisera de quelque façon que ce soit l'accès de la population au plan d'eau en question.

Bien au contraire, un tel bâtiment et une telle fonction hôtelière à la tête du bassin Louise nous semblent avoir comme motif réel de servir de "verrou immobilier" afin d'empêcher que quiconque - même des pouvoirs publics - ne forme un jour le projet de démocratiser l'accès à ce grand lac urbain, présentement interdit d'accès à la population.

Une volonté apparente de verrouiller pour des générations à venir l'utilisation privative actuelle du plan d'eau, en disposant pour cela de lourds bâtiments sur ses berges immédiates, nous semble également constituer le motif sous-jacent du zonage qui affecte un second espace riverain encore libre. Celui-là est situé lui aussi sur le rivage même du bassin, entre le Centre d'interprétation de Parcs-Canada et les condominiums "Les Quartiers de l'Académie". En effet, la Ville souhaite voir s'implanter à cet endroit…un édifice à bureaux !

La Ville planifie ainsi des édifices massifs sur le littoral, lesquels empêcheront la population d'utiliser le bassin, car on aura rendu impossible l'usage de ses rives. Malgré les millions investis, la population héritera du seul droit de déambuler sur un trottoir, la surface liquide lui demeurant à tout jamais inaccessible. Rappelons ici que ce grand lac urbain - quoique propriété publique - reste formellement interdit à l'immense majorité de la population, notamment celle de revenus modestes des quartiers centraux de la ville. Un club privé - exactement comme les anciens clubs privés de chasse et pêche - occupe ce domaine public exceptionnel. La jouissance paisible de l'élément liquide par une minorité est assurée par une force policière vigilante: on donne la chasse à quiconque ose toucher à l'eau, même aux jeunes pêcheurs à la ligne…

Explications demandées

1) En premier lieu, nous demandons à savoir en quoi exactement la construction d'un hôtel sur le rivage présentement dégagé à la tête du bassin Louise améliorera l'accès public au plan d'eau.

[Parenthèse. Nous n'ignorons pas que pour certains fonctionnaires de la Ville de Québec, des établissements hôteliers privés tels le Hilton, le Concorde ou encore le Château Frontenac équivalent à des espaces publics tels des parcs, vu qu'ils sont accessibles à toute la population. Il est en effet exact que n'importe qui peut aller se baigner dans la piscine en plein air de l'hôtel Hilton, même en février.

Nous suggérons cependant que la Ville approfondisse ce concept en l'appliquant non plus seulement à la tête du bassin Louise, mais également à la plage de l'actuelle Base de plein air de Sainte-Foy, bientôt Base de plein air de Québec. En effet, si le concept d'hôtel-équipement-public convient au rivage du bassin Louise, mutatis mutandis, il devrait convenir tout aussi bien à l'espace gazonné ou ensablé qui jouxte le plan d'eau de l'actuelle Base de plein air de Sainte-Foy. Il sera toutefois prudent de solliciter l'avis des usagers de la Base quant à la présence éventuelle d'un hôtel sur le rivage de ce plan d'eau. Fin de la parenthèse. ]

2) En second lieu, nous demandons que la Ville explique pourquoi, dans les plans joints au Rapport présenté au Gouvernement du Québec, elle indique que l'espace à la tête du bassin Louise ne fait pas partie des "Parcs ou espaces publics existants". Cela est faux. Contrairement à ce que montrent les plans, cette partie du rivage du plan d'eau est publique et appartient à tous les Canadiens et à tous les Québécois. Elle sert de stationnement, usage réversible s'il en est un.


Engagements antérieurs des autorités

Rappelons ici que le gouvernement fédéral - formé alors par le parti Libéral du Canada - a déjà promis de garder libre, pour l'usage de la population en général, l'espace situé à la tête du bassin Louise ainsi que le tiers du bassin Louise intérieur (23 mars 1981).

Quant à la Ville de Québec, son propre Comité exécutif - sous votre Présidence - a confirmé sans équivoque la vocation "d'espace vert" de la tête du bassin Louise, ceci dans un Communiqué en date du 25 mai 1992:

Ville de Québec - Bureau du Comité exécutif
Le 25 mai 1992

La Ville de Québec propose trois principes directeurs
pour l'aménagement de la zone portuaire

Un espace vert à la tête du Bassin Louise

"Concrètement, ces trois principes directeurs amènent la Ville à confirmer les usages récréatifs actuels sur les abords nord-ouest du Bassin Louise. En raison du point de vue exceptionnel qu'elle offre sur la marina et sur la falaise, la tête du bassin Louise est quant à elle réservée, conformément au zonage actuel, à la fonction d'espace vert. Toutefois, la Ville y accepterait, pour une période temporaire, l'aménagement d'espaces de stationnement… - Quant à la possibilité d'y construire un ou des édifices à vocation institutionnelle, évoquée dans la proposition soumise à la consultation en décembre 1990 dans le cadre du plan d'action sur le quartier Saint-Roch, elle n'apparaît pas opportune pour la Ville." (p. 2) Source: Richard Lacasse

Quand on voit la Ville affirmer aujourd'hui "qu'il est essentiel que la construction d'un hôtel soit privilégiée à la tête du bassin Louise", on se demande ce que vaut - auprès de vos fonctionnaires -, une prise de position pourtant claire et officielle du Comité exécutif … -

3) En troisième lieu, nous voulons être fixés sur le statut actuel des trois "Principes directeurs" énoncés par le Comité exécutif de la Ville le 25 mai 1992. La population a droit à des explications claires et précises, à savoir : de quelle façon la construction d'un hôtel sur le bord de l'actuel bassin Louise ainsi que l'occupation d'une autre partie du rivage de ce bassin par un édifice à bureaux vont-ils contribuer à redonner le fleuve aux Québécois, notamment aux résidants d'aujourd'hui et de demain des quartiers centraux de la Capitale.

À ce propos, on aura intérêt à relire l'éditorial de M. Gilbert Lavoie dans le journal LE SOLEIL du 20 juillet 1995: rien n'a changé depuis sa publication.

En répondant à nos questions, la Ville gardera à l'esprit que dans l'avenir, il pourra s'avérer nécessaire d'accroître la superficie actuelle de ce lac urbain, compte tenu des usages que les Québécois voudront faire d'une telle ressource aquatique disponible au cœur même de leur Capitale. Son réaménagement dans une perspective d'intérêt public national entraînera en effet des usages populaires largement localisés sur ses rives, cela par plusieurs milliers de personnes à la fois, surtout en période estivale.

"Redonner le fleuve aux Québécois" (Ministre Paul Bégin)

Dans le cas du bassin Louise, il est peu probable que ce domaine public liquide, situé au cœur de la Capitale, reste indéfiniment interdit à la population ainsi qu'aux millions de touristes qui visitent Québec. Rappelons que le système de clubs privés de chasse et pêche installés sur des terres publiques a été aboli depuis plus de deux décennies par le gouvernement du Québec, et cela même en région. Alors, bétonner les privilèges d'un club privé nautique qui monopolise un lac public au centre-ville…

Qui plus est, il faut désormais tenir compte d'une volonté gouvernementale québécoise de "Redonner le fleuve aux Québécois" (ministre Paul Bégin). Dans ce cadre, le bassin Louise - idéalement situé - revêt désormais un intérêt national et non plus seulement local, à l'instar des rives du fleuve Saint-Laurent où intervient déjà la Commission de la Capitale nationale. L'interdire au public signifie en exclure sept millions de Québécois, 23 millions de Canadiens, sans parler de millions de touristes: pas très indiqué pour le développement social et touristique de la Capitale… -

C'est pourquoi nous acheminons aussi le présent courrier à M. Lucien Bouchard, Premier ministre, à Mme Agnès Maltais, députée de Taschereau, à M. Paul Bégin, ministre responsable de la Capitale, à Madame Louise Harel, ministre des Affaires municipales, à M. Maxime Arseneau, ministre du Tourisme et à Madame Christiane Gagnon, députée de Québec à Ottawa.

Nous ajoutons à cette liste les ministres des Transports du Québec et du Canada, compte tenu que le bassin Louise intérieur appartient à la Couronne fédérale à titre d'équipement portuaire - aujourd'hui obsolète quant au chargement ou déchargement de marchandises ou de passagers. Il n'est plus utilisé que de façon tout à fait résiduelle pour des fonctions portuaires qui - elles - sont effectivement d'intérêt public.

Dans l'attente d'une réponse à chaque point abordé dans le présent courrier, nous demeurons, M. le Maire, vos tout dévoués quant à l'accès populaire, public et gratuit aux rivages et plans d'eau de la Capitale du Québec.

Original signé par:
Léonce NAUD, Président
C.C. M. Jacques AMYOT, Maître-nageur, Président d'Honneur de la Société

LE SOLEIL Le 20 juillet 1995

ÉDITORIAL

Nos berges cadenassées

par Gilbert Lavoie


Le géographe Léonce Naud avait peut-être l'air excentrique, lundi, en plongeant dans les eaux du bassin Louise sous les yeux de quelques badauds et journalistes. Mais son geste devrait nous réveiller à une réalité qu'on oublie souvent à Québec: le public n'a pas accès aux plans d'eau de la région. C'est une véritable honte qui ne peut s'expliquer que par l'insouciance et l'ignorance des gouvernements et de nos administrations municipales des années passées.

Le fait que Léonce Naud s'intéresse à cette question depuis longtemps n'est pas étranger au fait qu'il ait vécu à Ottawa pendant quelques années. Il a pu y constater à quel point les planificateurs de la capitale nationale ont préservé des espaces pour le monde ordinaire autour de leurs points d'eau. Même Toronto pourrait nous faire la morale: grâce aux pressions de la population et de quelques élus, on a sauvegardé les berges des îles de la ville-reine pour le grand public. L'accès est gratuit.

On ne peut en dire autant de Québec. À l'exception de la plage Jacques-Cartier et des battures de Beauport, toutes nos rives ont été sacrifiées au développement immobilier, aux routes et aux marinas privées. Nos gouvernements n'ont même pas eu la sagesse de préserver certaines portions des rives de nos lacs pour utilisation publique. Les lacs Beauport, Saint-Joseph, Sergent et Sept-Îles sont ceinturés de propriétés privées. Il y a une plage municipale au lac Saint-Joseph, mais la municipalité exige $ 7 dollars par jour pour la baignade et $ 22 dollars pour la mise à l'eau d'une embarcation. C'est un coût exorbitant.

Sainte-Foy a fait des efforts louables en aménageant sa base de plein-air. C'est modeste comme opération, mais c'est tout de même une petite oasis dans une région où l'on a privilégié le béton et les autoroutes. On peut s'y baigner pour $ 3 dollars par jour, y faire du camping sauvage, louer des embarcations et même y taquiner la truite pour un prix fort abordable. Mais le tarif double si vous n'êtes pas un résident de la municipalité.

Les lacunes de la région ne se limitent pas aux plages publiques. Les propriétaires de petites embarcations n'ont pas plus d'accès aux plans d'eau que les baigneurs. Sillery est la seule ville où l'on peut encore utiliser gratuitement une rampe publique pour la mise à l'eau des petites embarcations, mais l'administration municipale planifie actuellement la mise en place d'une grille tarifaire.

Cap-Rouge exige $ 10 dollars de ses contribuables pour l'utilisation de sa rampe et $ 15 dollars des résidants des villes voisines. A Saint-Romuald, la marina privée exige $ 13 dollars pour l'utilisation de sa rampe qui n'est même pas pavée.

Bref, Québec est peut-être la plus belle ville au Canada, mais elle accuse un retard incroyable dans l'aménagement de ses rives et de son port. On constate incidemment le même retard dans la mise
en place d'un réseau complet de pistes cyclables. Chaque municipalité a son bout de piste, mais il n'y a pas de véritable réseau régional.

Si la nouvelle Commission de la Capitale nationale, que le gouvernement Parizeau s'apprête à mettre sur pied, veut véritablement se mettre au service du monde ordinaire, elle devrait peut-être consacrer moins de temps à l'architecture et nous redonner un peu de nos espaces verts et de nos plans d'eau.

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Société des Gens de Baignade
Groupement d'intérêt public sous la Présidence d'Honneur de
Jacques AMYOT, maître nageur

Équipe : Stéphane BOUCHARD, Gérald BOUCHER, Louis-H. CAMPAGNA, Marlyne CASEY, Léonce NAUD (Président), Richard TURCOTTE.
Contacts internationaux : Joan ALEMANY (Barcelone), Thierry BAUDOUIN (Paris), Éric JEAN-BAPTISTE (Paris), Jean-Claude LASSERRE (Lyon), Aude MATHÉ (Paris), Marta Moretti (Venise), Claude PRELORENZO (Paris), Karen RESHKIN (Chicago), Laurene VON KLAN (Chicago).
872, avenue Turnbull, suite 2, Québec (Québec) Canada G1R 2X3.
Téléphone/ télécopieur: 1. 418. 640. 0406. Courriel: baignade@iquebec.com