DOSSIER
Les Amériques en “concile”
Les Sommets de Québec en quête de dialogue

par Daniel Allard

Une des grandes fiertés du gouvernement du Canada dans sa préparation au Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro, en 1992, fut d’avoir gagné une place de choix pour les représentants des ONG lors du grand événement. Il faut entendre un des ambassadeurs-sherpas du Canada raconter le déroulement de cette fameuse réunion, en Afrique du Sud, où le Canada a forcé toutes les autres délégations à rester sur place tant que la place, justement, des ONG à Rio ne serait pas arrêtée, alors que les avions attendaient sur le tarmac de l’aéroport. D’ailleurs, plusieurs leaders d’ONG canadiennes faisaient officiellement partie de la délégation du Canada à Rio.

Dans un contexte très différent, hôte de l’événement, c’est maintenant le gouvernement du Canada qui se fait reprocher de ne laisser aucune place aux membres de la société civile dans le processus de préparation du 3e Sommet des Amériques. Même les parlementaires se sentent exclus de la machine. Le gouvernement du Canada a de plus très tardivement contribué, pour 300 000$ finalement, à l’organisation du sommet parallèle.

Un Sommet des jeunes des Amériques, qui vient de se terminer à Québec, début mars, permettra à un représentant de cet événement de venir remettre le document synthèse aux 34 chefs d’État et de gouvernement lors du grand sommet d’avril. C’est le seul exemple connu du genre à ce jour. Comment expliquer ce réflexe du secret et de la négociation à la porte close?

De coutume, quelques jours avant la rencontre au Sommet du G7 (maintenant G8) les leaders syndicaux à l'échelle mondiale rencontrent formellement le leader politique hôte du sommet. Une initiative qui n’aura pas son pareil, à l’occasion du Sommet de Québec. Le 2e Sommet des peuples des Amériques, le sommet populaire, se donne pourtant le temps de discuter et de réfléchir très sérieusement. Ses organisateurs n’ont aucune gêne et parlent carrément d’un “sommet studieux”. Il se déroulera d’ailleurs sur pas moins de six jours, du 17 au 21 avril. C’est pour le dernier de ces six jours, le samedi, que se tiendra, entièrement dans la Basse-Ville de Québec, la grande marche de solidarité. Environ 1 500 représentants d’organisations sociales, communautaires, syndicales et environnementales devraient participer aux débats et travaux du Sommet des peuples, principalement sous un grand chapiteau installé pour l’occasion. Mais leurs recherches de “solutions de rechange” au projet de la ZLEA, discuté juste après, au chaud, dans le Centre des congrès juste un peu plus haut, n’y aura pas d’écho dans la forme.

Cette problématique du “déficit démocratique” est importante. Chaque groupe, dans son camp retranché, donne l’impression à l’autre de vivre sur une autre planète. On parle pourtant pour la cause des mêmes citoyens à la base d’une seule et même société. Pour comprendre, il est bien de regarder par-dessus l’épaule des négociateurs canadiens en matière de commerce international. On y découvre des enjeux et des intérêts qui donnent une bonne partie de la réponse.

L’ALTERNATIVE DES ENTENTES BILATÉRALES

Le rêve de la ZLÉA fait appel à un processus multilatéral de négociation. Il oblige tout le monde à aller à la même vitesse. Ce qui ne fait pas l’affaire de tous, et particulièrement du Canada. Avec une économie extrêmement ouverte vers le commerce extérieur, le Canada est beaucoup plus demandeur que la moyenne et il ne se prive d’ailleurs pas de prendre d’autres moyens pour aider sa cause. Le Canada n’a pas attendu les États-Unis pour aller signer un accord bilatéral avec le Chili.

Autre exemple en la matière, les rumeurs concernant les volontés d’adhésion du Canada au Mercosur. Le 16 juin 1998, les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) avaient signé un accord-cadre avec le Canada, portant sur une coopération intensifiée en matière de commerce et d’investissement. Comportant un Plan d’action, il ne préconisait aucune fixation de préférences commerciales, incluant simplement des perspectives “...de libéralisation du commerce entre les parties… [et] …une croissante participation du secteur privé”.

À peine six mois plus tôt, en pleine visite d’Équipe Canada dans son pays, le président argentin Carlos Menem avait surpris le premier ministre Jean Chrétien en évoquant la possibilité que le Canada puisse adhérer plus tôt que prévu au Mercosur. L’objectif que visait alors monsieur Menen, alors aussi à la présidence tournante du Mercosur, était la fin de ce dernier mandat, soit six mois!

Les progrès de la mise en place de l’ALCA (accord de libre commerce des Amériques), devenu maintenant la ZLÉA, ont éclipsé le vœu du président Menem, mais il reste vrai que le Canada n’hésite pas à utiliser la voix des ententes bilatérales dans sa stratégie commerciale internationale. De telles ententes existent déjà avec Israël et le Chili depuis 1997, et des négociations officielles sont toujours en cours avec le Costa Rica, avec les quatre pays européens (Norvège, Suisse, Islande et Liechtenstein) toujours membres de l’Association européenne de libre échange (AELE) et Singapour en Asie, afin “d’installer des têtes de pont dans toutes les parties du monde”, comme l’explique le ministre canadien du Commerce international, Pierre Pettigrew.

La première ronde de négociations avec le Costa Rica n’a débuté qu’en janvier 2000 et ce n’est que depuis juin que le Canada fait de même avec Singapour. Avec l’AELE, les choses sont beaucoup plus avancées et les négociations achopperaient toujours sur le domaine de la construction navale. Le désir du Canada d’engager des négociations similaires avec l’Union européenne et le Japon sont aussi du domaine public, mais ceux-ci ont tous les deux repoussé, jusqu’ici, les avances canadiennes.

Enjeu des enjeux
Quoi faire de la souveraineté?

Un bel exemple de ce que la libéralisation du commerce peut entraîner en matière de souveraineté des États se joue depuis fin février à Vancouver, dans une cause devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le Canada y intervient au nom du Mexique dans l’examen d’une décision d’un tribunal de l’ALÉNA, qui a vue accorder 16,7 M$US en dommages à la firme américaine Metalclad Corp. Cette multinationale n’a pu obtenir l’autorisation finale de construire et d’exploiter un site d’enfouissement de déchets toxiques dans une municipalité du Mexique, après que la population locale ait protesté contre les effets possibles sur la collectivité. Le tribunal a estimé que le Mexique n’avait pas traité l’entreprise en vertu des dispositions de l’ALÉNA. Outre l’objectif de faire valoir que ce premier jugement comporte des erreurs susceptibles de provoquer de l’incertitude quant à l’application et la portée des obligations prévues par l’ALÉNA, le Canada compte également soumettre comme argument que toute interprétation de l’ALÉNA doit promouvoir la capacité d’un gouvernement à protéger ses intérêts publics. On y est! Un accord de commerce qui limite concrètement la souveraineté d’un État participant tout – ou trop? - près de la limite à ne pas dépasser.

Qu’il soit à des tables multilatérales ou bilatérales de négociations, le Canada joue très gros. Une place à des groupes de militants, d’ONG connues ou moins connues, en de tels lieux stratégiques est évidemment plus difficile à accorder par le gouvernement du Canada, que lorsqu’il fallait vertueusement parler d’environnement et de développement avec toutes les grandes puissances du monde lors du Sommet de la Terre. Ce changement d’attitude du Canada n’est donc pas surprenant.

Et ce ne sont pas les 33 autres gouvernements en cause qui vont encourager la transparence à ce stade-ci des pourparlers. Ils ont tous d’aussi bonnes raisons d’agir avec la même stratégie. Les échéances leur donnent d’ailleurs un bon argument pour continuer d’agir ainsi. Le grand mariage que constituerait la création d’une ZLÉA n’est-il pas annoncé que pour 2005?

Les papiers, textes et projets de documents, si bien cachés aujourd’hui, ont encore bien le temps de se retrouver sur la place publique. Et de toute façon, ils s’y retrouveront immanquablement, d’autant plus que la “clause démocratique” semble devenir de  plus en plus populaire même dans la bouche des sherpas des gouvernements, parce que les pays en cause sont des régimes en démocratie, réalité qui conduira à passer le test des Parlements et des long processus de ratification dans chacun des États signataires.

LES PREMIERES NATIONS TIENDRONT AUSSI LEUR “SOMMET DES AMÉRIQUES”, À OTTAWA, FIN MARS...

Trois semaines avant le Sommet des chefs d’État et de gouvernement, entre 150 et 200 représentants des Premières Nations provenant d’une trentaine de pays se rencontreront à Ottawa, les 29 et 30 mars, afin d’établir une stratégie commune à adopter face au projet de libre-échange qui sera discuté à Québec en avril. Ce Sommet des leaders autochtones des Amériques comptera entre autres sur la présence de Ghislain Picard, le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL). Il y sera évidemment question de l’occupation et de l’exploitation des territoires ainsi que des droits ancestraux des Premières Nations des Amériques. Face à ces nouvelles perspectives économiques, on veut également discuter de la place qui devrait ou pourrait leur revenir.

...COMME LES MAIRES EN AVRIL À QUÉBEC

Une trentaine de maires sont aussi attendus à Québec, dans les jours de haute tourmente, pour la Rencontre des maires des villes du patrimoine mondial et des villes historiques des Amériques, un important rendez-vous que le maire de Québec, Jean-Paul L’Allier, a pris l’initiative d’organiser dans sa ville du 17 au 20 avril, soit juste à temps pour passer des messages au Sommet des Amériques, qui débutera tout juste.

Si les Sommets de Québec semblent dramatiquement en quête de dialogue, il ne faut pas sonner encore l’alarme de la “dictature des puissants sur les faibles”. De Miami à Santiago, en passant par celui de Québec, la machine des États suit son cours et c’est plutôt lors du 4e sommet de ce processus de gouvernements, possiblement en Argentine puisque ce pays vient de proposer sa candidature, qu’il importera que les ponts soient plus carrossables entre la mécanique du Sommet des Amériques et les autres forums de débats de la société civile.

S’il se déroule honorablement, ce qui ne sera, disons-le, que le deuxième Sommet des peuples des Amériques gagnera en reconnaissance et en crédibilité, et il se positionnera alors très avantageusement pour pouvoir obtenir plus de transparence lors du 4e Sommet des Amériques, en 2004 ou 2005. C’est de toutes façons le véritable enjeu. Le rendez-vous de Québec ne servira qu’à bien mettre la table entre convives habitués et négociateurs formels du processus.

Le chemin est encore long, très long, avant un aboutissement officiel et avec l’ampleur que prennent les manifestations publiques de toutes sortes entourant maintenant les grandes rencontres de négociations commerciales internationales, il serait surprenant que l’on parle de “déficit démocratique” de la même façon qu’aujourd’hui, d’ici deux ou trois ans. Qui n’a pas entendu parler de mondialisation, depuis SalAmi à Montréal, les heures sombres de l’OMC à Seattle et les opérations médiatiques de José Bové et autres militants de la cause? La mondialisation est désormais au niveau de la rue. Elle est maintenant sortie plus loin que les salons des quartiers riches et la planète entière en parle partout.

Si à Québec en avril les brasseurs de cocktails molotovs l’emportent en popularité médiatique sur les brasseurs d’idées alternatives constructives, la dynamique d’installation des ponts entre le Sommet des Amériques et les autres sommets de la société civile sera en mauvaise posture. On saura à qui la faute. Et les médias auront ici une lourde responsabilité à porter s’ils sombrent facilement dans le sensationnalisme des casseurs de vitres à la marge.

Les leaders crédibles des groupes critiques au processus des gouvernements n’ont pas appelé à la révolution et les débordements possibles de quelques casseurs, aux travers de la foule à Québec, ne seront pas un signal que la révolution est commencée. Si révolte, ou révolution, dans le sens le plus noble du terme, il doit y avoir, elle se mettra peut-être lentement en branle en tant que processus de société à Québec, mais ce n’est certainement pas à Québec qu’elle pourrait aspirer à “changer le monde”.

Rien d’ailleurs n’aura fondamentalement changé au lendemain du 22 avril, lorsque les 34 chefs d’État et de gouvernement auront repris le chemin de leur chaumière. Si ce n’est que ceux-ci auront bâti une plus grande solidarité à l’échelle des Amériques, débuté un certain partage de la richesse en structurant les mécanismes de la “coopération préférentielle”, et que de cela personne ne peut être contre. C’est principalement pourquoi il n’y a pas péril en la demeure et que rien n’urge pour les opposants avec un minimum de sérieux. La quête du dialogue entre toutes les parties est simplement en pleine phase de positionnement.

QUAND LA MONDIALISATION RESPECTE LA CULTURE LOCALE: LE MAHARAJA Mac

Le Maharaja Mac, vous connaissez? Pour attirer et fidéliser une clientèle dont les traditions religieuses ou culturelles lui interdisent de consommer du boeuf, l’empire des restaurants McDonald’s vient d’introduire en Indes un Maharaja Mac à la base de viande de mouton. On ne retrouvera donc pas le même Big Mac traditionnel à New Delhi qu’à Montréal, Londres ou Paris. De plus, la préparation des mets se fait dans le respect des règles de la cuisine végétarienne, avec la séparation des aires. Celles réservées aux mets végétariens sont séparées de celles des mets à base de produits animaux. Preuve que lorsqu’on veut s’implanter ailleurs, on doit s’adapter aux moeurs locales, même pour une multinationale comme McDonald’s.

L’HISPANISATION

DE LA POPULATION DES ÉTATS-UNIS S’ACCÉLÈRE

Un bouleversement démographique plus rapide que prévu et assurément lourd de conséquences sur le plan politique, fait que la population d’origine hispanique aux États-Unis a désormais rattrapé, voire déjà dépassé en importance celle de la minorité noire. Le nombre de citoyens des États-Unis se décrivant comme étant d’origine hispanique, lors du dernier recensement décennal réalisé en l’an 2000, s’est élevé à 35,3 millions de personnes, soit 12,5% de la population totale du pays. Il s’agissait d’une augmentation de 60% par rapport au recensement de 1990, alors que la population noire serait passée, elle de 30 à 34,7 millions. Le rattrapage de l’une sur l’autre n’était prévue par les démographes qu’entre 2003 et 2006.

Le président du Mexique Vincente Fox participera,
le 20 avril, avant de se diriger vers Québec,
à la 7e Conférence de Montréal,
qui du 17 au 20 avril développe le thème de
la libéralisation des échanges à l’échelle du continent

Cette information prend par ailleurs un autre sens lorsqu’on la considère parallèlement à ce que le président mexicain Vincente Fox n’a pas caché, lors de la première rencontre Bush-Fox en février dernier, à savoir qu’à long terme, il souhaite aussi la libre circulation des personnes au sein de l’ALÉNA. Une idée qu’écarte évidemment le président Bush, tout comme celle d’amnistier les quelque 2,4 millions de clandestins mexicains qui seraient actuellement installés aux États-Unis. Mais un jour, la réalité s’imposera de toutes façons!