Retombées positives d’un sommet maudit

par Louis Balthazar

Le 3ièm Sommet des Amériques a finalement eu lieu. Enfin, la ville de Québec respire et entreprend allègrement sa saison touristique. Les participants officiels se félicitent de leur rencontre et font preuve d’optimisme quant à la réalisation du grand projet d’une zone de libre-échange étendue à tout l’hémisphère. Les manifestants sont heureux parce qu’ils se sont fait voir et entendre, parce qu’ils ont fait peur et parce que certains d’entre eux se sont trouvé des raisons de blâmer les forces de l’ordre.

Le Sommet dit des peuples a eu lieu et a fourni des occasions à toutes sortes de personnes, plusieurs d’entre elles venues de pays divers, d’exprimer leur solidarité et de faire valoir leurs revendications. Sans aucun doute, il existe un profond malaise à l’endroit d’un commerce international trop centré sur le profit immédiat, un commerce auquel s’ajoute une spéculation effrénée sur les titres boursiers le plus souvent sans rapport avec la production réelle et encore moins avec les êtres humains responsables de cette production. En d’autres termes, comme on l’a dit et répété à satiété et comme on le dira encore sûrement,  les intérêts commerciaux ont tendance à dominer toute autre considération humaine ou sociale. Au lieu de soumettre les échanges commerciaux à l’avantage des hommes et des femmes, ce sont les humains et les politiques susceptibles d’améliorer leur vie qui sont menacés par les irrépressibles lois du marché.

Que ce malaise se soit exprimé à l’occasion du Sommet des peuples qui a précédé les rencontres officielles, on ne peut que s’en réjouir. Il faut se réjouir aussi de ce que les représentants de tous les pays réunis aient été touchés par les revendications exprimées et aient senti le besoin de s’y adresser, ne fût-ce que timidement.

Mai comment ne pas déplorer l’attitude intransigeante de certains protestataires, leur refus de tout dialogue, leur condamnation tous azimuts du libre-échange sous toutes ses formes, en somme le caractère très abstrait de leurs revendications! On ne cesse de répéter que les multinationales mettent en danger nos programmes sociaux, nos lois environnementales, voire notre système d’éducation. Qu’est-ce qu’on avance pour prouver ces dires? Le seul véritable argument concret à l’appui de ces inquiétudes, c’est l’existence de clauses dans le traité de l’ALENA, susceptibles d’être reprises dans celui de la ZLÉA, autorisant des investisseurs étrangers à contester des lois qui leur sont préjudiciables dans le pays d’accueil, à moins qu’on puisse démontrer le bien-fondé de ces lois. On s’est bien gardé de mentionner cette dernière condition. Car, si des lois environnementales canadiennes ont été contestées avec un certain succès au Canada, c’est que le gouvernement n’a pu les appuyer sur une preuve scientifique. Admettons tout de même que ces lois demeurent bienfaisantes et que le gouvernement canadien se trouve vraiment lésé par ces contestations. Cela suffit-il pour démoniser l’ALENA et tout traité qui serait conclu dans sa foulée? Pourquoi pas tout simplement recommander une révision sérieuse du Chapitre 11 qui contient les clauses en question?

Il est bien vrai que les normes relatives à l’environnement et aux conditions de travail, insérées à la dernière minute dans le traité de l’ALENA, sont demeurées tout à fait insatisfaisantes jusqu’à maintenant.  Mais, encore une fois, cela condamne-t-il sans demeure le traité? Serait-il devenu tout à fait impossible et impensable de faire mieux avec la ZLÉA? Pourquoi ne pas l’espérer au lieu de fermer toutes les portes?

C’est là d’ailleurs ce qui agace le plus dans les manifestations et oppositions auxquelles nous avons été exposés. On ferme des portes, on n’en ouvre guère sauf pour de vagues et abstraites résolutions de solidarité et d’amitié. Rien de concret. Aucune solution de rechange.

"…ce qui agace le plus dans les manifestations…
on ferme des portes,
on n’en ouvre guère…"

C’est au nom de la «société civile» qu’on a déclaré sans vergogne et sans nuances le projet de libre-échange des Amériques, comme un projet «raciste», «sexiste» et tout ce que vous voudrez. La «société civile», c’est vous et moi, ce sont tous les sans voix de ce monde. Ah! Oui? Mais quel mandat avons-nous donné à tous ces leaders syndicaux et autres?  Comment se fait-il que les sondages révèlent qu’une bonne majorité de la population canadienne appuie le projet? Les Canadiens seraient-ils si nombreux à avoir été bernés?

Ne serait-ce pas tout simplement que nous nous rendons compte que, plus de douze ans après l’entrée en vigueur du traité de libre-échange canado-américain, après plus de sept ans d’ALENA, nos programmes sociaux sont toujours bien vivants, incluant les garderies à cinq dollars pour les Québécois et les taux de scolarité les plus bas de l’Amérique du Nord dans nos universités?

Une semaine après le Sommet tant controversé, le Canada signait tranquillement un traité de libre-échange avec le Costa-Rica. Voilà une mesure concrète. Où se trouvent les dénonciateurs de cette «exploitation des populations» tant en Amérique centrale qu’au Canada?

Assez ironiquement, il se peut bien que la ZLÉA ne se réalise pas. Non pas tellement en raison des protestations entendues à Québec. Mais bien plutôt parce que des intérêts particuliers et puissants ne l’auront pas voulu. Entendez la droite américaine sur ce sujet, voyez la résistance des États-Unis, surtout depuis que les Républicains sont au pouvoir, à céder quelque parcelle de souveraineté ou de contrôle, voyez aussi certains conglomérats sud-américains qui ruent dans le brancard.

C’est à suivre. En attendant, on voudrait bien examiner un commencement de preuve que le libre-échange a été créateur de pauvreté et d’inégalité sociale au Mexique, au Chili ou au Costa-Rica, sans parler du Canada.