XIIe colloque Faire affaires à l’étranger
Dynamiser l’entreprise par l’information concurrentielle

par Daniel Allard

L’information et le savoir sont de plus en plus la richesse des entreprises. On aime dire que la connaissance avec un grand C est le carburant de la nouvelle économie. Faisant un pas de plus, plusieurs experts considèrent maintenant la connaissance comme le seul véritable avantage compétitif qu’une organisation peut s’approprier face à ses concurrents.

Pourtant, à la lumière des études réalisées au CÉFRIO, un centre de recherche de Québec en informatisation des organisations, il n’est pas facile d’évaluer les impacts d’une approche de gestion des connaissances sur la compétitivité des organisations. L’effet se manifeste surtout dans les indicateurs intermédiaires, tels que le temps de réponse, la satisfaction du client, l’innovation. «Et comme nous en sommes à un stade d’émergence, cette problématique de mesure est encore au coeur des discussions», reconnaissait la PDG du CÉFRIO, Monique Charbonneau, lors de sa conférence devant les participants du colloque Dynamiser l’entreprise par l’information concurrentielle, tenu au Château Frontenac à Québec, le 14 mars dernier.

La saine gestion des connaissances au sein des entreprises a cependant déjà ses histoires de succès:

  • sur 5 ans, Ford estime que son système de transfert de savoir-faire interusines a permis des réductions de coûts d’environ 3 milliards $US;

  • la «communauté de pratique» de Chevron (100 personnes), qui réfléchit
    sur l’utilisation de l’énergie a généré des réductions de coût de 650 millions $US (selon O’Dell et Grayson, 1998);

  • le temps de développement d’une nouvelle innovation chez SKANDIA a été réduit à 7 mois comparativement à 7 ans pour l’industrie;

  • avec le recours aux «répertoires informatisés de pratiques et d’experts», chez IBM, le temps de rédaction des offres de services est passé en moyenne de 200 heures à environ une trentaine d’heures (selon McCune, 1999).

GÉRER, MAIS SURTOUT PROTÉGER

Élément vital de cette bonne gestion de l’information, la protection des renseignements stratégiques dans l’entreprise est sans doute la facette la plus risquée à maîtriser. Et un grand mythe veut que les PME n’intéressent personne et qu’elles sont à l’abri de l’espionnage concurrentiel. «C’est faux, 75% des cas visent les PME, car elles sont les incubateurs d’idées et d’innovations dans la plupart des marchés», prévient la juriste Nicole Lacasse, qui enseigne à l’Université Laval.

Le dirigeant de PME qui pense qu’il n’est pas une cible se trompe. La protection, c’est pour les grands et les petits! Si 65% des mandats de recherche d’information en Competitive Intelligence (CI) viennent de grandes entreprises, il importe surtout de retenir que les cibles sont des PME dans 75% des cas.

Mais une fois mieux averti, comment réagir? D’où vient la menace? Malheureusement, elle est très souvent non-matérielle! Les représentants commerciaux, les vôtres comme ceux de vos concurrents, arrivent largement en tête (selon 27% des gens) de la liste des meilleures sources d’informations disponibles; alors que se sont les «Publications et banques de données», au second rang, selon 16% des gens.

Quoi protéger? Quoi cacher? Banalement, c’est l’information concernant le prix, comme en témoignent les données du Tableau 1, qui intéresse le plus un concurrent. Bien avant les renseignements sur vos activités de R&D, vos nouveaux produits ou vos principaux marchés.

TABLEAU 1

QUOI CACHER? QUELLES SONT LES INFORMATIONS LES PLUS UTILES AUX CONCURRENTS

1-Prix 23%
2-Plan stratégique 19%
3-Données sur les ventes 13%
4-Nouveaux produits 11%
5-Activités de marketing 7%
6-Coûts 6%
7-Principaux clients/marchés 3%
8-R&D 2%
9-Styles de management 2%
10-Autres 4%

(Source: Selon une enquête du Conference Board du Canada auprès des entreprises manufacturières, 1988.)

Il y a évidemment différents régimes de protection juridique des informations selon les pays. À cet égard, une différence importante avantage les États-Unis, au détriment du droit canadien. En droit criminel, au Canada, depuis la cause R. v. Stewart (1988) 50 DLR 4th 1 de la Cour Suprême, l’information confidentielle n’est pas un bien sujet à un droit de propriété pour infractions de vol et fraude, car la victime n’est pas privée du «bien» volé, ont tranché les juges canadiens.

Deuxième chose très pertinente à savoir en matière juridique: d’une manière générale, ceux qui pensent protéger leurs renseignements stratégiques en imposant aux employés des clauses de non-concurrence doivent faire très attention. Des limites raisonnables de durée, de territoire et d’activités visées sont nécessaires pour que la clause soit légale. Une clause de non-concurrence sur 10 ans, c’est carrément illégal! Et ce seul élément annule la validité du document.

Évitez l’«infobésité»!

  • 500 milliards de pages Web actuellement disponibles par l’Internet;

  • 10 milliards de courriels par jours;

  •  7 millions de nouvelles pages Web qui s’ajoutent par jour.

Ceux qui ne prêtent pas attention à la bonne gestion de l’information concurrentielle pour leur entreprise risquent fortement de se faire rattraper, indirectement, par le vilain nouveau malaise de l’«infobésité».

Le conférencier de clôture du colloque avait tout pour garder les gens dans la salle. L’Européen Christian Harbulot, directeur de l’École de guerre économique, de Paris, venait développer le thème «Intelligence économique et stratégies des entreprises». Le texte de sa communication présente effectivement une perspective originale pour le monde des affaires.

Prendre conscience du fait que dans la logique du monde post-guerre-froide d’aujourd’hui, comparativement à la période de la Guerre froide, la course aux NTIC remplace la course aux armements, la maîtrise mondiale de l’information remplace l’importance de la propagande contre le Bloc de l’Est, l’influence géo-économique l’emporte sur les alliances géo-politiques, oblige à ajuster son langage, au minimum.

Mais contexte de guerre froide, économique, réelle ou virtuelle, qu’importe son appellation, lorsqu’on vous raconte qu’il existe maintenant aux États-Unis des cabinets de consultants qui se sont spécialisés dans la création de sites Internet entièrement dédiés à la déstabilisation d’une entreprise (sites offensifs, rumeurs entretenues sur des forums de discussions, analyse d’experts boursiers, commentaires de la presse spécialisée, élargissement de la résonance dans la presse quotidienne...). Pire, lorsqu’on ajoute un exemple - en 1998, l’entreprise française Belvédère a été victime d’une telle attaque lancée par le cabinet Edelman -, on réalise que de nouvelles règles du jeu se dessinent véritablement.

Et il y a tout un nouveau langage qui vient avec les nouvelles menaces attachées aux enjeux de l’économie d’aujourd’hui:

  • Les «manoeuvres d’encerclement de marché à partir d’un usage agressif du droit», ça vous rappelle la petite école?

  • Et que dire de «la manipulation de la connaissance sur la moralisation des affaires»;

  • La «désinformation sur les produits à risques»;

  • les «stratégie d’influence de certaines puissances»;

  • les «campagnes médiatiques orchestrées indirectement par des concurrents prédateurs»;

  • le «détournement de certains thèmes protestataires de la société civile»!

La gestion, pour le moins complexe de ces phénomènes, pour la plupart assez nouveaux, oblige les entreprises à professionnaliser le suivi informationnel d’un projet d’affaires, pour «...éviter de se faire attaquer par surprise», comme l’explique le texte de Christian Harbulot. Fondée en octobre 1997, l’École de Guerre Économique qu’il dirige se présente d’ailleurs comme une première tentative de réponse au besoin urgent de professionnaliser de nouvelles générations d’étudiants et de cadres à l’usage de l’intelligence économique dans la gestion des rapports de force concurrentiels.

La Chaire Stephen-Jarislowsky en gestion des affaires internationales de l'Université Laval, en collaboration avec la section québécoise de la Society of Competitive Intelligence Professionals (SCIP) et l'École de guerre économique de Paris, organisaient conjointement se XIIe colloque annuel de la prestigieuse série Faire affaires à l’étranger institué par la professeure Nicole Lacasse.