Opinion

Le Devoir-Vendredi 6 juillet 2001 page A6-Libre opinion

Le Québec au niveau international: l'exemple suisse

Par Réjean Pelletier
Professeur de science politique
Université Laval

Lors du Sommet des Amériques, en avril dernier à Québec, le
gouvernement du Québec a réclamé de participer aux négociations qui
avaient lieu dans sa propre capitale ou, du moins, de rencontrer un certain
nombre de chefs d'État et de gouvernement afin de leur exposer
directement, sans personne interposée, la position du Québec sur les
différents sujets discutés au cours de ce sommet. Ces deux réclamations
furent rejetées par le gouvernement Chrétien sous prétexte que seuls les
États constitués étaient représentés à ce sommet et non pas les entités
fédérées, comme les provinces canadiennes et les États américains.

La "doctrine Gérin-Lajoie"
Depuis maintenant 40 ans, à peu près tous les gouvernements qui se sont
succédé au Québec, qu'ils aient été d'allégeance unioniste, libérale ou
péquiste, ont tenté de mettre en oeuvre ce que l'on a appelé la "doctrine
Gérin-Lajoie", du nom de son auteur, en réclamant le prolongement externe
de leurs compétences internes. Si les provinces sont chargées de mettre en
oeuvre les traités ou les ententes conclus par le fédéral qui touchent aux
compétences provinciales, en vertu d'une décision rendue par le Comité
judiciaire du Conseil privé en 1937, il apparaît tout à fait logique que les
provinces, dans leurs champs de compétence, puissent soit conclure
directement ces ententes, soit participer pleinement aux négociations
entourant ces accords.

En vertu de la ligne dure qui prévaut actuellement à Ottawa, le
gouvernement Chrétien a refusé et refuse encore de satisfaire à ces
revendications sous prétexte de l'unité des relations extérieures, qui doivent être assurées, de ce fait, par le gouvernement central seul et non par les provinces. Et pourtant, le Québec, en compagnie d'autres provinces
canadiennes, avait participé aux négociations entourant l'Accord de
libre-échange avec les États-Unis sans mettre en péril ni l'unité canadienne
ni la capacité d'Ottawa de parler d'une seule voix sur le plan international. Il faut dire que c'était à une autre époque, sous le gouvernement Mulroney,
plus soucieux de la reconnaissance des provinces que d'agir comme si elles
n'existaient pas.

Une telle attitude de conciliation avec les provinces, et avec le Québec en
particulier, avait d'ailleurs valu aux dirigeants conservateurs, en d'autres
circonstances, le titre peu enviable de "pleutres" de la part d'un certain
premier ministre à la retraite, libéral, il va sans dire.

Et pourtant, la participation des entités fédérées aux négociations
conduisant à des ententes internationales ou même la conclusion d'accords
internationaux par ces entités ne sont pas aussi exceptionnelles qu'on
pourrait le penser dans des fédérations européennes comparables à la
nôtre.

Que l'on songe à la Belgique, où la Constitution fédérale reconnaît que "les
gouvernements des communautés et des régions, chacun pour ce qui le
concerne, concluent les traités portant sur les matières qui relèvent de la
compétence de leur conseil". Ce qui a conduit ces gouvernements à signer
des accords avec des entités qui ne sont pas des États souverains, comme
le Québec, mais aussi avec des États étrangers souverains, sans compter les nombreuses antennes établies en pays étrangers et les diverses formules de représentation de ces communautés et régions dans l'Union européenne.

Je doute fort que le gouvernement fédéral actuel ait la volonté et le courage
de suivre l'exemple belge en ce qui a trait aux relations internationales des
provinces. Peut-être pourrait-il s'inspirer, dans un premier temps, d'une
autre fédération, la Suisse, qui vient d'adopter une loi sur la participation
des cantons à la politique extérieure de la Confédération, loi entrée en
vigueur le 1er juillet 2000? Cette loi, simple et courte (elle ne fait que huit
articles), dégage quelques grands principes, fixe les principaux buts, établit
la nécessité de consulter les cantons "lors de la préparation de décisions de
politique extérieure qui affectent leurs compétences ou leurs intérêts
essentiels" et reconnaît la participation des cantons à la préparation des
mandats de négociation et aux négociations elles-mêmes lorsque les
compétences des cantons sont affectées, tout en garantissant la
confidentialité des renseignements.

Certes, telle qu'elle est formulée, cette loi ne pourrait satisfaire pleinement
les revendications du Québec. C'est une loi qui table avant tout sur la
consultation et la participation des cantons, alors que la position ultime du
Québec, dans la foulée de la doctrine Gérin-Lajoie, répond davantage au
principe d'autonomie selon lequel le Québec peut participer directement aux
négociations lorsque ses compétences sont affectées et conclure lui-même
des accords dans ses champs de compétence. Mais elle constituerait une
avancée par rapport à la situation actuelle, ce qui serait certainement un
atout pour le Québec.

La nouvelle Constitution suisse, adoptée par référendum populaire en avril
1999, va plus loin que la loi de juillet 2000. Elle prévoit, dans une section
traitant des relations avec l'étranger, la participation des cantons aux
décisions de politique extérieure (article 55) ainsi que la possibilité pour les
cantons, dans certaines limites, de conclure des traités avec l'étranger dans
les domaines relevant de leur compétence (article 56). La loi suisse
évoquée précédemment vise surtout à expliciter et à baliser l'article 55 de la Constitution.

Je sais fort bien qu'à Ottawa, à l'heure actuelle, la voie constitutionnelle est complètement bloquée. La politique officielle consiste en effet à ne pas
toucher à la Constitution canadienne à la fois parce qu'on craint un échec
qui pourrait aider la cause du Parti québécois et parce qu'on se satisfait
pleinement du statu quo constitutionnel actuel. En revanche, l'adoption d'une loi fédérale qui reprendrait les éléments essentiels de la loi et de la Constitution suisses est tout à fait concevable. Pour ce faire, il faut du courage et une volonté politique qui font encore défaut dans la capitale outaouaise.

Le blocage du fédéral
Je ne me fais donc pas d'illusions sur la possibilité d'une ouverture du
gouvernement fédéral quant à la participation des provinces à la politique
extérieure canadienne. On y préfère nettement le blocage à l'ouverture.

Le premier ministre Chrétien aime mieux jouer au préfet de discipline et
user de son arbitraire pour permettre ou, le plus souvent, interdire au
Québec d'assumer un rôle sur le plan international.

Habituellement, lorsque cette permission est accordée, ou bien elle est
soigneusement encadrée (par exemple, par un ambassadeur canadien), ou
bien elle est habilement noyée dans une représentation plus vaste (comme
au sein de la Francophonie). Surtout, une telle attitude permet au prince
d'utiliser son pouvoir arbitraire, comme chez les préfets de discipline
d'antan, pour récompenser les bons élèves et punir les méchants (de
surcroît, lorsqu'ils sont séparatistes!).

Depuis 1993, le gouvernement Chrétien ne veut pas bouger, aussi bien sur
le dossier de la réforme institutionnelle (le Sénat et le processus électoral en auraient bien besoin, sans oublier le fonctionnement de la Chambre des
communes) que sur celui de la réforme constitutionnelle. La nouvelle devise
à laquelle on s'accroche peut se résumer à la formule suivante: avancer dans le statu quo.