Institutions financières internationales
L’option de carrément abolir la Banque mondiale et le FMI fait du chemin

par Daniel Allard

 

Dans un contexte international particulièrement bouleversé depuis le 11 septembre 2001, le débat concernant l’avenir de l’architecture actuelle du système financier gagne rapidement en pertinence. Il y a aussi ce prix Nobel 2001 de sciences économiques qui a été décerné, début octobre, à l’ex-économiste en chef de la Banque mondiale, Joseph Stiglitz. Ancien conseiller à la Maison–Blanche sous l’administration Clinton, il a quitté son influant poste à la BM en novembre 1999 pour se consacrer depuis à l’enseignement. Le vécu de cet homme que le Washington Post qualifiait d’“éléphant dans un magasin de porcelaine”, dû aux critiques sévères sur la BM et le FMI qu’il ne se privait pas d’exprimer même en poste - ce qui expliquerait vraisemblablement son départ avec un but louable de trouver une plus grande liberté de parole – permet encore d’alimenter ce débat hautement complexe. Aux critiques de Joseph Stiglitz sur l’importance d’un plus grand accès des pays les plus pauvres aux marchés des pays les plus riches, on peut aussi ajouter d’autres idées soutenues par des analystes mondialement crédibles, telles celles de créer:

  • une agence mondiale d’assurance pour les dettes, George Soros;

  • une banque centrale mondiale, Jeffrey Sachs;

  • un super-régulateur mondial, Henry Kaufmann;

  • une monnaie unique mondiale, Richard Coopers;

  • un impôt minimum sur les taux de change, James Tobin (cette dernière idée ayant déjà été défendue par un ministre des Finances des États-Unis, Lawrence Summers).

Malheureusement, depuis les années 50, personne n’a encore proposé une architecture exceptionnelle comparable à celle de John Meynard Keynes, père du cadre théorique des Accords de Bretton Woods, qui étaient à cette époque-là, cohérents!

En début d’année, une centaine de personnes avait eu l’occasion d’approfondir ce débat en compagnie de Christopher Malone, lors de sa conférence prononcée le 8 mars, devant les membres de Québec de l'Association des économistes du Québec (ASDEQ), au Château Frontenac. Avec les événements du 11 septembre, COMMERCE MONDE a recontacté monsieur Malone pour mettre à jour les idées qu’il avait alors soutenues.

 

Christopher Malone, un des piliers du secteur de la finance internationale au sein du ministère des Relations internationales du Québec depuis des années, ira à la prochaine conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où quelle soit – vraisemblablement à Doha, du 9 au 13 novembre 2001 – avec un sentiment de malaise. L’économie mondiale après le 11 septembre 2001 se gère beaucoup plus difficilement; or la situation était déjà fondamentalement problématique avant ce déclenchement de la guerre aux terroristes.

“Tout projet de réforme est au frigo compte tenu des événements, mais la situation est extrêmement préoccupante, car le FMI ne peut pas jouer au pompier éternellement”, avertissait-il, en entrevue téléphonique, le 17 octobre 2001.

“la situation est extrêmement préoccupante,
car le FMI ne peut pas
jouer au pompier
éternellement”

En mars 2001, une commission mandatée par le Congrès américain réclamait des “réformes en profondeur” des deux institutions multilatérales - Banque mondiale (BM) et Fond monétaire international (FMI) - en les qualifiant de “coûteuses” et d'“inefficaces”. Le président de cette commission étant Allan Metzer, c’est du “Rapport Metzer” que l’on parle, lorsqu’on fait référence à la volonté américaine la plus crédible en matière de réforme des Institutions financières internationales (IFI).

Mais cette façon de parler des IFI en ne mentionnant que le duo BM-FMI a quelque chose de malsain. La réalité est beaucoup plus complexe et bien trop peu de gens connaissent les rouages détaillés du fonctionnement des finances publiques internationales.

“Qui connaît le Forum de la stabilité financière? C'est pourtant là que se concoctent véritablement les affaires, n'en déplaise à Paul Martin et les autres ministres des Finances des pays du G20”, lançait le conférencier Malone devant son auditoire de mars dernier.

Le Forum de la stabilité financière ci-haut mentionné est un organisme créé par la BM, le FMI et la BRI. La BRI, c’est la Banque des règlements internationaux. Également une institution plutôt méconnue, la BRI est pourtant au centre des activités financières internationales. Capable de mobiliser rapidement 60 à 100 milliards $US, elle est en fait la banque centrale des banques centrales! Elle fut d’ailleurs créée lorsque l'Allemagne n'a pas pu payer ses dettes de guerre - des dédommagements à la France et à la Belgique - ce qui a impliqué un prêt par les États-Unis pour continuer de payer la France et la Belgique. “La BRI compte même des investisseurs privés. Bien contents d’être de la partie d’ailleurs, car les 100$ investis en 1935 valent aujourd’hui autour de 6 000$! En fait, ce 6 000$ correspond au montant qui est proposé par les gouvernements qui, depuis le 1er janvier 2001, souhaitent officiellement racheter les parts privées, allant jusqu’à en forcer la vente”, explique Christopher Malone.

Il y a donc, au sein du petit monde de la finance internationale, une belle partie de bras de fer qui se joue actuellement autour de cette tentative d’expropriation du secteur privé pour totalement étatiser la BRI.

QUELQUES ÉLÉMENTS IMPORTANTS DE LA SITUATION ACTUELLE

Ce qui résume le mieux l’état de la situation, en 2001, tient en cinq petits mots, dans l’analyse de Christopher Malone: le triomphe de la BRI!

Les arguments qu’il avance sont solides:

  • Le rôle de la BM et du FMI sont de plus en plus remis en cause. (Il a cité l’exemple du FMI qui a perdu la trace de 5,5 MM$US prêtés aux Russes et  détournés pour des oligarchies aux Bahamas.)
  • Le déséquilibre entre les pays occidentaux persistent. Le Japon demeure en “coma profond”, l’Europe sans décollage et les États-Unis avec une dette énorme et une absence d'épargne.
  • L’Afrique est dans un contexte de plus en plus désespérant (20% de la population y a le SIDA).
  • L’Amérique latine reste en crise appréhendée.

“Même si la BM a appris à ne pas étouffer le système d'éducation des PVD avant de les obliger à rembourser les dettes, l'expérience manque encore à savoir comment planifier tout le développement d'un pays au sein de cette institution”, analyse encore monsieur Malone.

Et si l’attention est souvent portée vers le FMI, c’est que le rôle de gendarme du système monétaire international vis-à-vis les pays en développement est actuellement joué par cette autre institution née des Accords de Bretton Woods de 1944, comme elle le faisait pour les autres pays avant. Depuis les années 80, les tristement célèbres Plans d'ajustement structurel sont ainsi le résultat le plus apparent du FMI.

Et c’est sans parler de la règle du veto à 17,5%! Selon cette règle des IFI, les États-Unis contrôlent en pratique l’institution puisqu’ils ont a eux seuls 18% des votes au conseil d’administration de l’institution. Et ils sont le seul pays à avoir ainsi unilatéralement la capacité d’imposer leur veto. Une règle qui fait que Cuba, pourtant membre fondateur du système des IFI dans les années 40, n'a toujours pas accès à aucun prêt du système, à cause du veto systématique des États-Unis.

QUE FAIRE?

Alors que faire? Il faut de tout cela tirer une leçon qui semble très claire aux yeux de Christopher Malone: mettre d'abord de l'ordre dans le système bancaire privé. Et pour être très concret, il donne l'exemple de la Turquie qui vient de vivre une crise classique à cet égard.

Le Rapport Meltzer a inspiré une série de projets de loi actuellement devant le Congrès américain. On y suggère, par exemple, de faire disparaître la Banque mondiale et de transférer sa tâche aux banques régionales. (À ce dernier titre, il est ici intéressant de souligner que selon monsieur Malone, la Banque asiatique de développement est la plus dynamique des "petites IFI".) Le FMI, de son côté, deviendrait un "gendarme brutal" avec une politique d'intervention ayant un maximum de durée dans un pays qui s’établirait à un an.

Il y a aussi le projet de taxation des transactions financières internationales, la taxe Tobin, qui fait de plus en plus sa place. La raison: même si les États-Unis ne veulent absolument rien savoir, du côté européen, certains pays disent maintenant oui à cette initiative. Ce qui fait que le débat est ouvert et les espoirs de réforme bien présents.

La création du G20 est une réponse à tout cela. Mais les résultats de ce groupe de ministres des Finances du G7 élargie à 20 pour regrouper un plus large éventail de l’économie mondiale restent, à date, décevants selon lui. “Le Canada a de bonnes idées. Personnes ne va critiquer les propositions de Paul Martin de renforcer le système de la BM et du FMI, plutôt que de les démolir. Mais son poids est si petit... (et) ...l'essentiel des projets de réformes des IFI se fait à la BRI”, précise Christopher Malone.

GÉRER L’APRES 11 SEPTEMBRE AVANT QUE LE TOUT N’EMPIRE TROP

“Actuellement, les banques centrales réinjectent des sommes colossales dans des économies en grandes difficultés, comme l’Argentine et la Turquie, littéralement au bord du gouffre, qui ne vivent que par l’aide du FMI”, dénonce-t-il, alors que tous les projets de réforme sont au frigo, compte tenu des événements du 11 septembre. Et la Banque mondiale, dans la situation actuelle, que fait-elle? “La Banque mondiale, a pris la banquette arrière”, image-t-il crûment.

Comme si les mauvaises nouvelles n’étaient pas suffisantes, Christopher Malone tient aussi à mettre en lumière un autre élément qu’il juge préoccupant et cette fois ayant trait aux règles de Bâle. La BRI est responsable de ce qu’on appelle “les règles de Bâle” qui imposent aux banques privées dans le monde des contraintes dans leur gestion telle que l’obligation de toujours garder au moins 8% de leur capital en réserve. “Cette règle est en train de devenir plus restrictive, car on va réduire ces modalités d’application, en devenant plus sévère dans la façon de la respecter. Et cela va désavantager particulièrement les pays les moins développés”, s’inquiète-t-il. Bref, le système est déjà fragile et une mesure comme celle-là va contribuer à affaiblir davantage ses maillons les plus faibles!

Les réunions du G20, à Ottawa, et de l’OMC, à Doha, toutes deux en novembre 2001, devraient contribuer à éclairer l’actuel mystère qui entoure l’avenir du système actuel des IFI.