le mot de Routhier

La décentralisation demeure à l'état de concept, même après le Rendez-vous national des régions

par Benoît Routhier

Pour la nième fois le gouvernement vient de faire un spectacle à grand déploiement au sujet de l'avenir des régions. SON Rendez-vous national des régions a eu quelques bons résultats mais aussi de grands ratés.

LES BONS RÉSULTATS

Le plus beau succès de ce Rendez-vous c'est l'entrée en scène…régionale de la Société générale de financement (SGF), présidée par l'époux de la ministre Pauline Marois, M. Claude Blanchet. D'ici cinq ans, la SGF compte utiliser 600 millions $ avec l'objectif d'attirer dans les régions des investissements de près de sept milliards $. Ce n'est pas rien! La SGF était loin d'être absente des régions jusqu'ici. Au cours des cinq dernières années, les quelque 10 milliards $ d'investissements réalisés avec la SGS ont été dirigés dans une proportion de 56% en régions. Déjà sept régions sur 14 ont déjà décidé de se spécialiser en “ filières d'excellence ”, ce que demande la SGF pour les aider. Ainsi, la région du Bas Saint-Laurent veut se spécialiser dans la production de la tourbe, la Gaspésie désire mettre l'accent sur le récréotouristique, tandis que la Côte-Nord mise sur le secteur de l'ingénierie des procédés industriels et le Saguenay-Lac-Saint-Jean, sur l'aluminium, naturellement. Il faudra toutefois que la SGF fasse attention de ne pas vouloir imposer ses idées aux régions et que les décisions soient prises par le milieu.

Un autre bon résultat du Rendez-vous, c'est l'annonce que le Fonds jeunesse enverra 25 millions $ aux régions. Et les jeunes des régions pourront en disposer à leur façon à une seule condition : garder le cap sur les objectifs nationaux de création d'emplois et d'insertion des jeunes au monde du travail.

Par contre, la décision de déployer des “ agents de migration ” permanents dans les régions pour tenter de rapatrier les jeunes qui s'exilent vers les grands centres m'apparaît être du pur gaspillage. Dépenser deux ou trois millions $ annuellement pour que des gens tentent d'entrer en contact avec des jeunes qui ont décidé de rester dans les grands centres après y avoir fait leurs études c'est des efforts et de l'argent gaspillés. Qu'on ajoute plutôt ces deux ou trois millions $ dans la cagnotte destinée à promouvoir l'économie dans ces régions. Le jour où les 17 régions du Québec seront habitées et jouiront d'une réelle équité dans les services de santé, d'éducation et de la culture, parce que des industries et commerces créateurs d'emplois s'y seront implantés, le retour de ces jeunes se fera naturellement.

DES ERREURS

La première erreur commise fut celle de " paqueter " le Rendez-vous national des régions. Pourquoi avoir rempli le Centre de foires de Québec avec des alliés naturels du gouvernement péquiste? La très forte représentation des conseils régionaux de développement (CRD), des conseils régionaux de concertation et de développement (CRCD), des centres locaux de développement (CLD) et maints autres organismes du genre garantissait sur les lieux la présence de sympathisants du gouvernement péquiste qui partagent la même idée du développement des régions.

Mais, comme dans toute bonne famille, il faut bien qu'existent certains différents à l'occasion. On l'a vu, au début du Rendez-vous, avec les doléances de l'Association des régions du Québec dont les membres sont les CRD, qui veut que la décentralisation, si jamais elle venait à se produire, se fasse en faveur des CRD tandis que le gouvernement semble favoriser particulièrement les instances élues comme les municipalités régionales de comté (MRC).

LA PATATE CHAUDE DE LA DÉCENTRALISATION

C'est d'ailleurs là une patate chaude pour le gouvernement qui a mis au monde les CRD et leur a donné déjà passablement de pouvoirs. L'Association des régions est convaincue que les 17 CRD sont les organismes les mieux placés pour “ gérer ” la décentralisation, arguant que les CRD ont une meilleure représentation du milieu que les MRC. Ce n'est pas complètement faux car les CRD ont dans leurs rangs des élus provinciaux, des élus municipaux et des gens non-élus qui peuvent représenter divers organismes de la région. Les MRC, par contre, ont raison de vouloir être l'instance qui recevrait les pouvoirs qu'accorderait une décentralisation, car la décentralisation implique non seulement des responsabilités, des tâches à accomplir, mais aussi de l'argent en grande quantité, argent provenant des poches des contribuables. Normalement, en système démocratique, l'argent des contribuables doit être géré par des instances formées de personnes élues. Il faut bien constater aussi que les MRC sont les plus proches des gens. Elles sont 87 MRC qui ont comme membres les municipalités, toutes représentées par des gens élus. Force est de constater que les MRC, avec les municipalités, sont en effet très proches des gens, donc en mesure de mieux mesurer leurs besoins. Ce qui ne les empêche pas de consulter, et de tenir compte de leurs opinions, des représentants du milieu des affaires, du milieu culturel, etc. Ça se fait déjà d'ailleurs. Et il est plus facile pour le monde “ ordinaire ” de suivre les activités d'un conseil municipal que celles d'un CRD.

À la dernière journée du Rendez-vous, le gouvernement a coupé la poire en deux. Dans le dossier de la décentralisation, il agira “ à la carte ”. C'est-à-dire que parfois le décentralisation pourra se faire au profit des CRD, d'autres fois elle sera dirigée vers les MRC. Ce n'est peut-être pas si bête. Mais il faudra bien un jour se demander si les CRD ne sont pas de trop… Il y a beaucoup trop d'organismes qui se partager l'argent des contribuables pour, supposément, s'occuper de développement régional. Quand on constate que plus de la moitié de leur budget va à l'administration, on souhaite ardemment la disparition de plusieurs d'entre eux.

Mais depuis le temps que le gouvernement parle de régionalisation et de décentralisation sans vraiment agir, CRD et MRC n'ont pas à se chicaner pour des riens… Malgré les belles promesses et les accords survenus en toute dernière journée du Rendez-vous, rien n'assure les régions que la décentralisation se réalisera demain et de la manière qu'elles le veulent. On a déjà vu neiger!

D'ailleurs, il faut faire attention au langage des fonctionnaires provinciaux. Souvent, quand on lit entre les lignes, quand on réussit à décortiquer leur langage de bois, on constate vite que pour eux, décentralisation ou régionalisation ça ne veut dire qu'un déplacement de la gestion gouvernementale vers d'autres fonctionnaires provinciaux oeuvrant en région. Ce n'est pas ce que réclame la Fédération québécoise des municipalités ni l'Association des régions du Québec… Le gouvernement péquiste s'est engagé sur la voie de la décentralisation lors du Rendez-vous. Surveillez les reculs au cours des prochaines années s'il est réélu. Et si le passé est garant de l'avenir, un gouvernement libéral ne fera pas mieux… L'Action démocratique du Québec (ADQ)? Son chef vient d'une région rurale, mais saura-t-il résister aux pressions des fonctionnaires jaloux de leurs pouvoirs? Lui-même verra peut-être bien des vertus à l'État centralisateur. Il répétera une erreur qui a la vie dure…

UNE AUTRE ERREUR

Une autre erreur, celle-là attribuable aux régions, a été déplorée par la ministre des Affaires culturelles, Diane Lemieux. Elle s'est dite estomaquée de voir si peu de propositions à caractère culturel. Pourtant si on veut retenir ou attirer des jeunes médecins, des enseignants, des ingénieurs en régions il faut qu'ils y trouvent une vie culturelle intéressante! La ministre est ouverte à “ décentrer ” (?) les programmes culturels pour investir dans les plans régionaux.

Ici, j'appuie entièrement M. Bernard Vachon, professeur associé au département de géographie de l'UQAM et spécialisé en développement local et régional, qui déplore qu'on néglige, en régions, tout le travail qu'il faut faire parallèlement à celui visant directement le développement économique. Ce travail négligé d'animation, de mobilisation et de formation constitue une des forces du développement du territoire. Il y a un travail important à ne pas oublier, c'est-à-dire “ intégrer des préoccupations d'ordre social, culturel et environnemental au cœur des rationalités purement économiques. ” C'est la condition sine qua non pour avoir un territoire habité où règne l'équité. Utopie? Non, tout est question de confiance en soi. Si les Beaucerons ont su le faire, les gens de la Côte-Nord, de la Gaspésie, de l'Abitibi et d'ailleurs peuvent le faire. Le gouvernement doit les aider, mais les régions doivent aussi faire preuve d'imagination et de débrouillardise. Au travail et cessons de ne compter que un État cassé!

Le Rendez-vous des régions a permis à des représentants des régions de se sentir rassurés dans leur survie, le gouvernement s'étant engagé à “ investir ” davantage dans les régions. Mais la décentralisation n'est encore qu'un beau concept qui donnera l'occasion de tenir bien des ateliers et autres réunions de bla, bla, bla!