SOMMAIRE

Le programme e-Mexico veut faire du Mexique une « économie digitale » d'ici 2025

par Daniel Allard

Comment faire pour réussir en affaires au Mexique? La réponse de celui qui occupe le poste de directeur du Service économique à la Délégation générale du Québec à Mexico depuis deux ans et demi a son lot de surprises! « D'abord, il y a 30 millions de consommateurs ici. Pas 100 millions (le total de la population mexicaine); c'est en gros l'équivalent du Canada pour le pouvoir d'achat », démystifie Guy Lassonde.

« Ensuite, il faut le dire: il ne faut jamais analyser les résultats de la performance de nos PME québécoises sur la base des statistiques officielles! Les résultats des PME n'influencent pas ces chiffres; les statistiques officielles ne sont que l'affaire des grosses entreprises... qui demeurent, au surplus, des chiffres très volatiles: Bombardier vend un seul avion de 75 M$ et le chiffre gonfle soudainement! », avertit-il encore.

Cela dit, le Mexique « c'est de loin le pays le plus intéressant d'Amérique latine, d'abord en raison de l'ALÉNA, et aussi en raison de la stabilité économique et politique du pays », déclare sans aucune hésitation Guy Lassonde. « Quatre des cinq plus grandes banques mexicaines sont maintenant sous contrôle étranger [la canadienne Scotiabank contrôle par exemple Inverlat]. La presse est dynamique et indépendante; c'est maintenant très fiable de lire les journaux, même pour l'économique », précise-t-il.

Indice significatif de la nouvelle solidité du Mexique: c'est la première fois qu'un président change et qu'il n'y a pas de crise financière dans le pays! Autre signe positif: Transcontinental, Bombardier, Quebecor, Canam Manac, Génétiporc sont autant de gros noms d'entreprises québécoises qui sont maintenant bien installées au Mexique.

Mais la direction économique de la Délégation générale du Québec se concentre évidemment davantage sur les besoins des PME. Avec l'appui de ses deux attachés commerciaux - Enrique Patino et Victor Davila - Guy Lassonde explique que son service répond chaque année à une centaine de PME qui lui demandent s'il y a un marché pour ceci ou pour cela au Mexique. « On leur propose généralement les études de marché que réalise l'Ambassade du Canada, ou celles de la France et des États-Unis, avec qui nous avons des ententes en ce sens. Pourquoi? Parce que nous n'avons pas les ressources pour faire ici de telles études de marché. Mais à chaque demande nous procédons à la réalisation d'un rapport formel. Et une autre centaine de représentants de PME du Québec viennent ici, à Mexico, chaque année, pour lesquels nous organisons un programme propre individualisé. En plus, il y a nos services aux grandes entreprises qui font appel à nous, ainsi que les institutions », résume-t-il. Un travail continu, sur le terrain (la délégation existe à Mexico depuis 21 ans maintenant), qui explique en partie les succès du Québec en terre mexicaine.

Le total des exportations du Québec vers le Mexique est actuellement de l'ordre de 300 millions $ annuellement, en croissance depuis dix ans, bien qu'il n'égal même pas 1% de toutes les exportations du Québec.

Parmi les irritants qui nuisent au développement du commerce avec le Mexique, on entend encore souvent parler du fouillis interminable à la frontière pour y faire passer sa marchandise. Qu'en pense-t-on à la délégation générale du Québec? « Les procédures se sont beaucoup améliorées », témoigne l'attaché commercial Enrique Patino. Il ne faut donc pas désespérer!

Y-a-t-il des entreprises québécoises qui réussissent au Mexique? Certainement et Guy Lassonde cite facilement les cas récents de Lise Watier et Biscuits Leclerc: « Lise Watier vient de faire un tabac avec son parfum Neige à Mexico. La femme d'affaires montréalaise, qui parle espagnol d'ailleurs - tient à faire remarquer Guy Lassonde - aura à juste titre fait association avec les services de Guy Thérien, qui a engagé au Mexique pas moins de 72 personnes pour faire la campagne de commercialisation du célèbre parfum ». Effectivement, le journaliste de COMMERCE MONDE a croisé deux des charmantes représentantes en question dans un magasin Sears de Mexico, à la mi-décembre!

Parlant toujours d'exemples à suivre, Guy Lassonde mentionne aussi Mega Bloks : « Une compagnie de Ville Saint-Laurent présente au Mexique depuis 25 ans et qui est ici numéro un, devant LEGO. Eux savent c'est quoi la commercialisation au Mexique. »

LE PROGRAMME « e-Mexico »

Et que pense-t-il du programme e-Mexico? « C'est un programme fédéral lancé il y a un an pour améliorer le gouvernement dans tous les niveaux, avec quatre grands chapitres: e-éducation, e-santé, e-gouvernement, e-économie », explique Guy Lassonde. Exemple: il y a 3-4 mois, le gouvernement a implanté le paiement des impôts par Internet.

« Les entreprises du Québec devraient être intéressées. Ce pays va faire un saut technologique très important... mais selon ses moyens », prévient-il en même temps, rappelant que seulement 13% du PIB provient des impôts au Mexique, comparativement à 50% au Québec ou 33% aux États-Unis. Comprendre: le gouvernement mexicain est pauvre!

LE PROGRAMME « e-MEXICO »
EN QUELQUES MOTS

  • Le programme e-Mexico est une initiative du gouvernement fédéral du Mexique, coordonnée par le Secretaria de Comunicaciones y Transportes (SCT). Les 3 axes principaux sont connectivité, contenus et systèmes;

  • La phase 1 vise l'interconnection, à travers Internet, de 2 443 municipalités dans le pays;

  • La phase 2 consiste à installer 10 000 Centre communautaire digital (CCD) offrant un accès Internet à la population;

  • La phase 3 vise à augmenter le e-learning, la télémédecine et d'autres applications avec impacts directs sur la population et les municipalités rurales du Mexique;

  • En 2002, le budget du programme était de 663 millions de pesos (environ 110 millions $ canadiens)

  • La firme de consultants Yankee Group estime que la valeur des investissements en software, hardware et en intégration de systèmes durant les phases 1 et 2 sera de 6 milliards $US entre 2002 et 2007, alors que la phase 3 représentera encore une meilleure opportunité lorsqu'elle débutera en 2006.

  • Fin 2002, le Mexique comptait 4,9 millions d'usagers d'Internet; le coût de 20 heures d'accès à Internet par mois est d'environ 24 $US.

Logiquement, la stratégie ne doit donc pas être d'essayer de vendre directement au gouvernement mexicain: « Il faut plutôt tenter de s'associer avec une entreprise mexicaine et ensuite conjointement répondre à un appel d'offre. Les documents d'appel d'offre montrent d'ailleurs que c'est la façon de faire », explique Victor Davila.

L'équipe de la Délégation générale du Québec à Mexico travaille d'ailleurs sur la base de quatre secteurs prioritaires, dont celui des TI, en plus des secteurs forestier, financier et des infrastructures touristiques.

Pour la Délégation générale du Québec à Mexico, il y a quatre secteurs prioritaires: TI, forêt, finance et infrastructures touristiques

« Les PME du Québec trouveront cependant des entreprises mexicaines en TI qui n'ont pas d'argent et pas de capital de risque pour les supporter », prend soin de préciser Guy Lassonde. Par ailleurs, étrangement, les gros noms de l'informatique du Québec comme CGI et DMR ne sont pas visibles au Mexique. « Non, nous ne les voyons pas ici. Ils jugent que ce n'est pas bon et se concentrent plutôt sur les États-Unis. Mais ce serait sage qu'ils viennent voir, qu'ils s'accrochent... c'est une grosse affaire [e-Mexico]... on aimerait les voir ici », ajoute-t-il.

Le fonctionnaire expérimenté a aussi un gros reproche à faire aux PME du Québec: « Ils viennent au Mexique une première fois, s'excitent, puis rentrent au Québec et là... le mur se lève et ils ne donnent pas de suivi. » Une histoire mille fois observée, qui est évidemment très frustrante pour ceux qui se démènent à les appuyer et qui fait finalement perdre du temps précieux à tous! Car un des secrets du succès, c'est le suivi, et particulièrement avec les Mexicains!

« Il ne faut jamais oublier que le Mexique demeure aussi un pays trompeur. Le premier rendez-vous est toujours super. L'optimisme mexicain crée alors une fausse joie de la part de l'homme d'affaires étranger qui n'est pas habitué », pense sur le même sujet Mathieu Dechelette, un consultant français d'origine qui vit à Mexico depuis onze ans et qui a aussi sa propre opinion sur comment réussir en affaires au Mexique.

« Il y a beaucoup de « MALINCHISMO » (légende de la Malinche, du temps de Cortez et des Aztèques) dans la culture d'affaires mexicaine, une attitude qui veut que le bon vienne de l'étranger!(...) C'est une alliance qu'il faut faire ici(...) Avant, on disait: on va faire un gros coup au Mexique! Ce n'est plus une terre d'opportunités comme avant. Il y a eu une véritable « révolution » au cours des quinze dernières années. Une ouverture complète de l'économie mexicaine. En 2001, le Mexique fut même le premier pays d'Amérique latine en matière d'accueil d'investissements étrangers, devant le Brésil! Il faut maintenant y avoir une vision stratégique et un plan à moyen terme (cinq ans).

(...)Encore plus important, il faut aussi une présence permanente au Mexique pour y faire des affaires. Mais y détacher un expatrié coûte très cher ».

Face aux deux schémas possibles qui restent, Mathieu Dechelette sait maintenant d'expérience de quel côté pencher: « On peut évidemment se trouver un partenaire local ou s'engager un représentant au Mexique. Mais attendez-vous à une absence totale de « reporting »... il vous faudra le suivre continuellement... et, en plus, il aura toujours ses intérêts à lui, qui diffèreront des vôtres. La meilleure approche, c'est le « out sourcing de country manager », soit d'avoir son propre délégué sur place. Évidemment, ce schéma n'exclut pas de se trouver un partenaire local pour autant, mais vous aurez aussi votre propre représentant sur place pour travailler avec lui. C'est la présence locale qui compte », conseille-t-il avant tout.

Une approche que Mathieu Dechelette privilégie au point d'en faire l'objet de son entreprise de conseil et de créations d'affaires, AXAM. « Avec ce modèle d'affaire, nous avons actuellement deux clients canadiens, dont un à Montréal, et nous sommes en négociation avec deux autres », précisait-il lors d'une entrevue à sa résidence de Mexico, le 7 janvier 2003.

Son intérêt pour le Québec est devenu plus concret depuis sa participation à une mission commerciale au Québec en juin 2002. Il a alors rencontré plusieurs gens d'affaires et souhaite maintenant que certains se décident à faire appel à son expertise. Mais il avoue sentir que les entreprises du Québec manquent de déclic pour prendre la décision stratégique!

Lui-même spécialiste de mesure d'audience dans Internet au Mexique, il sait que les choses ne sont pas faciles dans ce pays. Il vient d'ailleurs de fermer la filiale de Netvalue qu'il dirigeait.

Quel est, selon-lui, l'état du marché des technologies de l'information au Mexique? « La très grande entreprise est équipée. Ensuite, il n'y a pas beaucoup de moyenne entreprise, on passe à la « grosse » petite entreprise, soit au moins 10 000 entreprises qui doivent s'informatiser à partir de zéro. » Selon-lui, il y aurait beaucoup à faire dans le domaine des cartes téléphoniques internationales. Il avait d'ailleurs un projet en ce sens, qu'il a bien présenté à Bell Canada en juin dernier, mais ces derniers n'ont pas donné suite depuis!

« Au Mexique, il y a environ 50 opérateurs dans le secteur des télécommunications, mais seulement TELMEX est solide ». Il prévoit donc une concentration du secteur.

Mathias Dechelette, co-fondateur de AXAM Development Strategy, est d'ailleurs arrivé au Mexique il y a onze ans en faisant de la représentation de matériel informatique auprès de TELMEX. II a ensuite participé à la création de plusieurs sociétés. En 1990-91, il agissait comme directeur Amérique latine d'une multinationale française du secteur de la construction. Sa femme, qui est avocate, a aussi un lien avec le Québec puisque son cabinet est affilié avec un cabinet de Montréal.

Pour lui, faire des affaires au Mexique, c'est à Mexico, la capitale, que les choses se passent. « Mexico, c'est 35% du PIB du pays. Exception de certains secteurs particuliers, c'est ici qu'il faut être. » De Mexico, il travaille donc sur un projet d'entreprises québécoises d'ouvrir un « Bureau commun », histoire de justement assurer une présence permanente au Mexique. Une vitrine québécoise qu'il aimerait bien mettre en place à titre de sous-contractant avec l'implication du programme de la Décennie des Amériques du gouvernement québécois. « Trois entreprises du Québec ont à ce jour répondu positivement. J'attend la suite », explique-t-il.

Comment compose-t-on justement avec le programme de la Décennie québécoise des Amériques, du côté de la Délégation générale? « Ce sont eux qui ont l'argent », résume Guy Lassonde. « Il faut, nous aussi, faire de la promotion », suggère-t-il, en citant l'exemple du gouvernement de la France qui fait de la publicité pour faire connaître les implantations françaises au Mexique, comme Renault, qui est revenue s'y installer il y a un an et demi. Autre intéressant anecdote concernant la France: « Il y a deux ans, les Français disaient que le marché des hôtels ne les intéressait pas, que c'était les narcotrafiquants qui étaient-là. Mais maintenant, ils sont là, exemple le groupe Concorde », raconte-t-il.

Ce projet de « Bureau commun » pour les TI du Québec à Mexico est donc un dossier à suivre! Mais en attendant, sur le même thème, que pense Mathieu Dechelette du programme « e-Mexico », qui veut faire du Mexique une « économie digitale » d'ici 2025?

« Traditionnellement, ce genre de programme c'est beaucoup de fumée mais pas beaucoup de feu! C'est encore plein de mystères. Je ne suis pas très optimiste. Je ne suis pas capable de dire la réalité de ce projet actuellement. Sur papier, c'est pourtant un bon projet. Mais vous êtes dans un pays où TELMEX charge encore 80$ pour une ligne téléphonique. Un prix honteux! », lance-t-il, manifestement sceptique. Un regard critique qui va dans le même sens que la déclaration du directeur général de Gartner Inc. Mexico, Maghandi Suarez, qui soulignait le manque de leadership à passer de la planification à l'action, dans un article du 6 janvier du quotidien mexicain Reforma concernant « e-Mexico ».

***

À surveiller: le numéro de mars 2003 de COMMERCE MONDE présentera, à sa rubrique du Mot du délégué général du Québec, un texte en provenance de Mexico.

www.axam.com.mx


Retour à la Une

Imprimer cet article

Commerce Monde #33