CHRONIQUE DE L'ALTERMONDIALISME

La pratique de l'engagement altermondialiste

par Renaud Blais, militant altermondialiste

Après une première chronique autour de considérations générales, voici de façon beaucoup plus concrète une deuxième chronique altermondialiste. Pour exposer la réalité altermondialiste, je crois que le quotidien d'un activiste et/ou militant vous permettra de facilement vous représenter la réalité militante de celles et ceux qui croient fermement non pas seulement qu'Un autre monde est possible, mais qu'il est urgent de le réaliser parce que nécessaire.

Je me servirai d'exemples d'implication et d'actions locales. Comme membre de La Courtepointe qui œuvre dans les quartiers de l'ouest de la nouvelle Capitale.

AGIR DANS SA COMMUNAUTÉ

La Courtepointe est un organisme communautaire qui existe depuis un peu plus de cinq ans. Un certain nombre d'assemblées publiques DÉCISIONNELLES (qui font appel à l'idée de démocratie participative) ont eu comme résultat de déterminer la nature et la mission du groupe. « La Courtepointe est un réseau d'entraide et de solidarité pour des personnes vivant une situation de pauvreté. Chaque personne est unique et différente. Dans notre groupe à l'image d'une courtepointe humaine, chaque personne représente un morceau qui a sa couleur particulière, c'est-à-dire ses forces, ses limites, ses motivations et ses propres ressources. C'est en rassemblant tous ces morceaux que se constitue La Courtepointe. »

La mission est définie comme suit:

  1. Promouvoir la solidarité et la dignité.
  2. Favoriser l'implication.
  3. Vivre une alternative individuelle et sociale au quotidien.
  4. S'engager dans l'action collective.

Aujourd'hui, les membres de La Courtepointe ont mis sur pied un Groupe d'achats, un Club de troc et sont à l'origine de cinq cuisines collectives. De plus, un Comité d'action collective permet l'engagement vers l'organisation d'activités mettant en valeur les intérêts collectifs des citoyennes. Dans le cadre de cette chronique, c'est de ce dernier aspect surtout dont il sera question.

Vous comprendrez facilement que les gens qui se retrouvent à La Courtepointe sont avant tout des personnes généralement exclues de la société de consommation, où les gens sont « bien pressés de mourir » et « seulement orientés vers l'accumulation de richesses où jamais on parle de la partager » et « où le citoyen est considéré en fonction de sa capacité de dépenser, mais jamais par sa qualité d'être et encore moins comme citoyen décideur de ses propres choix de vie ». Les différentes activités de l'organisme sont donc vraiment orientées dans l'optique de permettre aux citoyennes de retrouver leur dignité et surtout chacune doit y retrouver SA place. De là l'idée des cuisines collectives (entre autres) où chacune peut faire profiter le groupe de ses petits trucs culinaires. Aussi, le Club de troc où chacun peut échanger ses savoir-faire contre d'autres savoir-faire des autres membres en toute équité, soit une heure de service en échange d'une heure de service. Finalement, le groupe d'achats où des capacités financières même limitées peuvent, une fois mises en commun, permettre à chacune de mieux s'alimenter.

UN MÉMOIRE EN COMMISSION PARLEMENTAIRE

Récemment à La Courtepointe nous avons choisi de déposer un mémoire à la commission parlementaire qui étudiait le projet de loi 112, sur l'élimination de la pauvreté et l'exclusion sociale. La préparation et l'élaboration du contenu de ce mémoire furent l'idée d'une personne, retenue comme intéressante dans le cadre d'une assemblée publique. D'autres rencontres ont alors été organisées pour réunir toutes les intéressées à l'élaboration de ce mémoire. Une fois les idées bien claires, quelques personnes à l'aise avec la rédaction ont complété la version écrite. Ensuite, nous avons reçu l'invitation de la commission parlementaire à venir présenter et le soutenir devant elles/eux. Nous avons organisé une autre assemblée publique des intéressées pour préparer la présentation orale. Finalement nous étions fébriles, mais prêtes. Notre point de vue met en évidence une autre façon de voir le TRAVAIL. Dès le début de la présentation, un peu théâtralisée, la présentatrice a dit : « Je vous présente ma gang de BS ». Devant la surprise générale, elle a précisé aussitôt qu'il s'agissait de Bénévoles Sociaux. Voyez l'expression accrocheuse, mais très éloquente de vérité. Ceci, pour faire ressortir l'importance de la reconnaissance de l'implication sociale d'individus qui ne sont pas productifs au sens « économico restreint » du terme, mais que ces Bénévoles Sociaux n'en sont pas moins utiles, voire nécessaires et même essentiels, au bon fonctionnement de la société.

Cette illustration nous a permis de faire valoir notre point de vue sur une nécessaire réévaluation de la conception générale et très étroite du travail. Nous sommes absolument convaincues que notre façon occidentale (à toutes) de ne considérer comme valable que le travail directement rémunéré doit être révisée, pour un élargissement de la conception générale de ce qu'est un véritable travail. Cette logique nous conduira, à terme, à l'établissement d'un revenu de citoyenneté, qui permettrait alors à celles et ceux qui croient réellement que l'implication sociale est un travail des plus utiles et des plus valorisants ainsi que vraiment essentiel à l'avancement d'une société, d'en vivre décemment avec toute la reconnaissance de l'importance de leur apport à la société. Aussi, croyons-nous, ceci permettra un véritable partage de la richesse. Ceci donnerait son véritable sens à l'expression de la mère d'un participant: « Je ne travaille pas, j'ai trop d'ouvrage. », lorsque celle-ci devait s'occuper de l'organisation de sa maison avec onze jeunes enfants. Elle faisait alors référence à sa famille dont elle devait prendre soin à temps plein. Ce qui ne lui donnait pas la possibilité de même penser à « travailler à l'extérieur » (11 enfants à la maison, l'aîné de 15 ans devait nécessairement contribuer à l'éducation et à l'encadrement de ses frères et sœurs dont la plus jeune avait 1 an). Oui, la redéfinition de ce qu'est le travail demande une mise à jour du dictionnaire pour suivre l'usage...

AGIR EN CAMPAGNE ÉLECTORALE

Comme autre exemple des activités organisées par La Courtepointe, en collaboration avec la Table de concertation contre la pauvreté de l'ouest de la nouvelle Capitale il y a eu une assemblée politique non partisane durant la campagne électorale québécoise. À l'image de ce que nous avions fait lors de la campagne électorale municipale, nous avons convié tous les partis politiques à désigner une candidate pour venir nous dire ce qu'ils pensent de certains sujets qui nous préoccupent comme groupe. Cette année, les sujets retenus étaient : la lutte à la pauvreté, le logement social, la reconnaissance et le financement des organismes communautaires. Près d'une centaine de personnes sont venues entendre deux candidats, un de l'Union des forces progressistes et un autre du Parti québécois tandis que le Parti libéral et l'Action démocratique nous avaient délégué des représentants de l'organisation, parce qu'aucune candidate n'était alors disponible... Le clou de la soirée fut le moment où nous avons exposé le budget réel d'une membre de la Courtepointe. Les personnes des quatre partis en présence ont fait l'unanimité pour affirmer que cette situation est inacceptable. Par ailleurs, il nous a été impossible de savoir ce qu'ils feraient précisément pour changer cette situation inacceptable... Au moment d'écrire ces lignes, l'évaluation collective de la soirée reste à faire, mais quelques personnes rencontrées lors de la remise en place de la salle se sont montrées très satisfaites. L'une d'entre elles a même affirmé : «Ce sera plus facile d'aller voter».

Dans le cadre des activités régulières à venir du Comité d'action collective, à La Courtepointe, toujours en collaboration avec la Table de concertation contre la pauvreté de l'ouest de la nouvelle Capitale, nous organisons un Forum local sur la pauvreté, le 30 mai prochain. Lors de cette activité publique où tout le monde est bienvenu, nous souhaitons faire progresser la réflexion générale et surtout chez nos élues à tous les niveaux pour que les préoccupations relatives à la pauvreté ne se limitent pas à leur offrir de la nourriture. Nous souhaitons donc que la réflexion ait lieu sur les réelles causes de la pauvreté, ainsi seulement croyons-nous, nous pourrons espérer amorcer le cheminement vers l'élimination de la pauvreté.

Les activités des ALTERMONDIALISTES ne sont pas toujours aussi flamboyantes que les grandes manifestations, mais elles n'en sont pas moins utiles, nécessaires, voire essentielles au bon fonctionnement de notre société.

À l'usage, je crois que j'alternerai entre une présentation d'actions concrètes d'engagements à la construction de l'Autre monde possible, et une présentation documentée de quelques hauts faits de la construction de cet Autre monde possible à l'échelle de la planète.


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Commerce Monde #35