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Offre chilienne pour relancer l'industrie des pêcheries
Finie la négo avec le Gouvernement du Québec; le projet se fera avec le secteur privé

par Daniel Allard

Il n'y a plus de poisson, mais des flottes de bateaux sont là, dans les ports de la Gaspésie, à ne rien faire. À l'autre extrémité des Amériques, la situation est totalement inversée - c'est le cas de le dire! - les Chiliens ayant bien mieux géré les stocks de poisson, la ressource y est abondante, mais plusieurs pêcheurs travaillent encore avec de petits bateaux à rame. Herman Miranda Luco, qui agit à la fois comme promoteur et représentant politique autorisé, veut déménager des bateaux inactifs du Québec pour multiplier les capacités des pêcheurs artisanaux chiliens et ensuite ramener les stocks pêchés dans les usines de transformation de la Gaspésie, elles aussi largement inactives, ce à des prix plus que concurrentiels.

« L'actuel gouvernement du Québec a promis de retourner au travail les 35 000 bénéficiaires de l'aide sociale. J'ai une partie de la solution ». Mais ces paroles d'il y a quelques semaines résonnent maintenant comme un rêve saboté. Arrivé au Québec en 1978 « (...)grâce à l'aide de René Lévesque », raconte-t-il fièrement (de citoyenneté canadienne depuis 1983), ce militant de la justice sociale, qui a connu les prisons de Pinochet et retrouvé une patrie grâce à l'accueil du Québec, se faisait un honneur de dire encore merci en offrant son opportunité d'affaires d'abord au gouvernement québécois. Mais la négociation est loin d'avoir tourné comme il l'espérait.

TEMPÊTE AU CABINET DE LA MINISTRE?

« Un fonctionnaire a voulu m'imposer de présenter mes échantillons à [une compagnie en particulier]. J'ai refusé, d'autant plus que je savais que celle-ci avait déjà eu l'occasion de recevoir de nos échantillons auparavant », explique-t-il d'abord. Et fin août, il apprenait par lettre qu'on remettait en question sa légitimité en tant que négociateur. Convaincu que ce n'est pas seulement un fonctionnaire qui bloque le dossier, que le cabinet de la ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) est dans le coup et que ce mystérieux désaveu sent le coup de couteau dans le dos pour des raisons qu'il se contentera d'ignorer, il change de cap.

Que demandait-il au Gouvernement du Québec? Le financement pour l'achat d'au moins 20 bateaux québécois usagés de 50 tonnes, pour les transférer aux pêcheurs artisanaux chiliens, plus 500 000$ d'investissement en capital pour créer des coopératives. Lui aussi s'engageait à mettre 500 000$ d'investissement en capital. « Je ne demande pas la charité! Je suis en mesure d'offrir un accès garanti à des stocks de poissons immenses. Je faisais une faveur au gouvernement », expose-t-il très déçu, avec le réflexe de venir en aide aux familles de chômeurs de la Gaspésie, qu'il sait en situation de plus en plus précaire ces années-ci. Des gens qui aimeraient, comme lui, que ce projet se concrétise rapidement.

Un plan qui parle de
milliers de tonnes de poissons
et de chiffres d'affaires
de plusieurs dizaines de millions $

De toute façon l'affaire est close, en ce début de septembre 2003, pour ce Chilien d'origine de noble famille. L'homme a décidé de montrer de quel bois il se chauffe... Fier de son titre de « président honoraire » (partie sociale) au sein du Partido Radical Socialdemocrata (un des quatre partis politiques formant l'actuelle coalition au pouvoir au Chili), au nom duquel il faisait ses représentations, il a fait une croix sur les négociations avec le Gouvernement du Québec et se tourne entièrement vers le secteur privé.

« Notre parti contrôle les pêcheurs artisanaux », explique ce joueur dans l'ombre de la politique chilienne, durant la longue entrevue de quatre heures accordée dans l'appartement où il vit, à Québec, avec la Québécoise qu'il a épousée et leur fille. « La zone côtière de cinq miles marins a été garantie par les autorités chiliennes aux pêcheurs artisanaux. Elle est donc exclue aux gros bateaux industriels. » Mais il faut savoir qu'il n'est pas pour autant interdit à ces mêmes pêcheurs artisanaux d'aller pêcher en haute mer... s'ils en ont les moyens! Et c'est à ça que pense Herman Miranda Luco. Avec un plan qui parle de milliers de tonnes de poissons (40 000 tonnes/mois) et de chiffres d'affaires de plusieurs dizaines de millions $.

Et les derniers développements sont qu'il y aura « formation d'une Chambre de commerce Canada-Chili (plutôt que Québec-Chili), par laquelle les relations commerciales se structureront. Une entente est aussi conclue avec un investisseur d'origine chinoise, actif dans le milieu bancaire à Montréal, un partenaire financier québécois et les pêcheurs artisanaux du Chili que je représente pour démarrer les affaires », confirmait-il le 12 septembre 2003.

Formation d'une
Chambre de commerce
Canada-Chili

Et son intention d'acquérir des bateaux gaspésiens inactifs est maintenue: « Nous le ferons avec caution d'une banque chilienne. Il nous faut 24 bateaux à palangre, des 50-70 tonnes, ainsi que tous les petits bateaux disponibles de plus de dix tonnes, pour aller hors de la zone des 200 miles et pêcher, par exemple, l'espadon et le thon. (...)La saison de pêche est débutée depuis le 15 août au Chili. Il ne faut plus attendre. (...)Je dépense personnellement 8 à 10 000 $US par mois depuis six mois dans ce projet. Je veux que ça avance », dénote monsieur Miranda Luco, en se désolant de constater que les industriels du domaine des pêcheries au Québec s'attendent toujours à recevoir des subventions, sans quoi ils ne bougent pas!

C'est quand même avec l'une d'entre elles, la compagnie Cusimer, de Mont-Louis, en Gaspésie, qu'il risque le plus d'amorcer le développement de ce lien économique Québec-Chili au potentiel immense : « J'ai une entente verbale avec eux. Ils doivent maintenant me faire une offre formelle », disait-il le 8 septembre. Une information qu'a validée une porte-parole de Cusimer, se disant à l'étude du dossier, entre autres avec les autorités gouvernementales du MAPAC.

Cusimer est
impliquée dans le développement
des biotechnologies marines

En 11 juin 2002, une aide financière de 134 500 $ aux entreprises Les Biotechnologies Atrium inc. de Québec et à Cusimer (1991) inc. de Mont-Louis en Gaspésie, pour la réalisation d'un projet expérimental de valorisation du concombre de mer pour le marché des nutraceutiques, avait été accordée par le gouvernement du Québec. Les deux entreprises souhaitaient évaluer le potentiel biologique d'extraits de concombre de mer tout en vérifiant la faisabilité technique et financière d'une telle production. Les étapes du projet consistaient à sélectionner les espèces de concombres de mer les plus appropriées parmi la dizaine présente dans le fleuve Saint-Laurent et à en identifier les parties utilisables. Par la suite, les promoteurs élaboreront les procédés adéquats de transformation. Sur la base des résultats de la phase précédente, les entreprises détermineront la valeur commerciale du produit et la rentabilité d'une éventuelle exploitation commerciale. Les employés de Cusimer effectueront la première transformation du produit à partir de la matière première apportée par les pêcheurs qui approvisionnent déjà l'usine. Atrium réalisera les opérations d'extractions et de caractérisation des extraits de concombre de mer dans le but de vérifier l'intérêt commercial du produit.

Il souhaite aussi que les représentations faites auprès de la Chambre de commerce de Québec permettent d'impliquer d'autres partenaires privés québécois (parce qu'il demeure à la recherche d'autres partenaires financiers). « En faisant affaires avec nous, on s'assure de se protéger de la mafia de la pêche chilienne », qui n'osera pas s'en prendre aux intérêts de son groupe politique. « Des bateaux réfrigérés qui se brisent mystérieusement en route, ça arrive vous savez », explicite-t-il sans nuance!

« Je fais de la politique depuis l'âge de 13 ans (...)Mon rêve a toujours été de renverser Pinochet », raconte l'économiste et politologue de formation âgé aujourd'hui de 52 ans. Ses connaissances des rudiments du commerce international dans l'agroalimentaire remontent d'ailleurs jusqu'à cette époque où il raconte qu'il vendait de la viande à l'URSS pour financer son parti. Une fois au Québec, il a roulé sa bosse dans le secteur de la bijouterie. Maintenant il fait plus dans le conseil en développement industriel. Toujours très branché sur l'Amérique du Sud, il a même été plusieurs années conseiller personnel du président Menem d'Argentine, un ami.

PAS DE CHANCE NON PLUS POUR HYDRO-QUÉBEC!

Véritable « ombre du pouvoir » et ambassadeur du Parti radical en matière de pêche, d'agriculture et de mine, il soutient que c'est peine perdue pour la société d'État Hydro-Québec, qui souhaite le changement d'une loi chilienne en rapport à ses investissements dans ce pays. « Tant que notre parti politique sera au pouvoir ce changement est impossible. S'ils ont des espoirs, c'est qu'ils connaissent mal comment fonctionne le système politique au Chili, qui est un système républicain », affirme-t-il avec assurance.

L'homme raconte aussi une autre fascinante affaire, du temps de la dictature celle-là: « Le gouvernement de Pinochet avait conclu des ententes monopolistiques avec les autorités des ports de Boston et de Philadelphie. Tous nos fruits et produits horticoles passaient obligatoirement par le Port de Philadelphie et tous les produits de la mer par le Port de Boston », dévoile-t-il. Des années d'un tel régime ont incrusté une tradition de liens commerciaux qui - malheureusement dans une perspective canadienne - perdurent encore aujourd'hui, même si le commerce est redevenu officiellement libre. Ce qu'il veut faire comprendre, c'est que ce « passage aux USA » augmente de beaucoup le prix des marchandises qui sont destinées au marché canadien. Et comme l'Accord de libre-échange Canada-Chili demeure encore très méconnu au Chili, les habitudes de commerce ne changent pas vite. Il invite évidemment les importateurs du Québec à y voir!


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Commerce Monde #37