Faites un don à
Commerce Monde

CHRONIQUE AFFAIRES ET ÉTHIQUE

Exporter, c'est agir dans un environnement hostile : huit pièges à ne jamais négliger

par Gérard Verna,
professeur de management international à l'Université Laval

Le concept d'environnement hostile est né du constat des nombreuses difficultés rencontrées par les entreprises dans leurs actions à l'étranger, de leur surprise et de leur fréquente impuissance face à ce qu'elles ressentent comme des « pièges ». Il y a d'innombrables histoires d'entreprise s'étant un jour ou l'autre retrouvée dans des situations invraisemblables et, le plus souvent, fort incommodes. Depuis l'entreprise qui veut développer ses ventes dans un certain pays et s'aperçoit que d'autres y ont déjà déposé sa marque commerciale jusqu'à celle dont le matériel est bloqué sur le port sans espoir apparent d'en sortir rapidement, en passant par le container abandonné sans prévenir dans un port parce que le bateau était vide et ne voulait pas continuer sa route pour si peu ou l'équipe d'expatriés kidnappée pour laquelle on réclame une rançon, ce ne sont pas les mauvaises surprises qui manquent!

Mais si le pire est rarement probable, le « moins pire » lui est très fréquent. Pourquoi ? Parce que nous sommes en « environnement hostile » ! Est-ce que cela signifie que les gens d'ailleurs sont méchants et nous en veulent ? Pas du tout ! C'est juste qu'ailleurs, les choses sont différentes !

Un « environnement hostile »,
c'est un environnement ne pouvant pas fournir
à une entreprise ou une organisation
tout ce qu'elle a été habituée à recevoir
tout au long de son évolution initiale
dans son lieu d'origine.

À fortiori, un environnement sera particulièrement hostile s'il crée des contraintes nouvelles ou fait apparaître des risques nouveaux pour l'entreprise concernée. La sensation d'hostilité sera d'autant plus forte que seront grandes les différences de développement ou les différences culturelles entre les deux pays concernés.

Très vite, notre entreprise, ou notre organisation, perd ses repères. Les habitudes de travail, les processus savamment élaborés dans le passé ne lui sont plus d'une grande utilité. Comme aveuglée, l'entreprise ne sait plus comment fonctionner normalement.

HUIT RAISONS À NE JAMAIS NÉGLIGER

Les raisons de cette hostilité sont simples mais multiples. La première et la plus fréquente dans les pays du sud est la pauvreté : si le nouvel environnement dans lequel nous venons travailler ne nous offre plus le support (jusque-là évident à nos yeux et, donc, tellement accessible qu'il en paraît normal et que nous le sous-estimons souvent) d'infrastructures techniques modernes et efficaces, d'un environnement légal adéquat, de ressources humaines disponibles et bien formées, de sous-traitants potentiels compétents, de sources d'approvisionnement fiables en matières premières, d'un cadre de vie sécuritaire pour notre personnel, etc. À décrire ainsi notre province, qu'elle nous paraît donc belle et agréable, lorsqu'on l'a quittée et que tout s'agite autour de nous, dans un désordre incompréhensible. Peut-être alors comprenons-nous mieux à quoi servent ces lourdes taxes qui parfois nous écrasent mais qui nous permettent de bénéficier chez nous de tout ce que soudain nous venons de perdre chez d'autres.

Mais cette raison, évidente dans le sud, n'est pas la seule car « l'hostilité » - au sens où nous l'avons défini, bien sûr - est palpable partout dès que nous sortons de chez nous pour entreprendre quoi que ce soit. Et il faut bien comprendre aussi que notre pays semble hostile aux gens du sud venant y travailler.

Il s'agit donc bien d'un concept réversible,
n'incluant aucun jugement de valeur
et traitant, finalement,
de la gestion des différences.

Parmi les nombreuses autres raisons d'hostilité, il faut ensuite citer la culture du pays que nous allons considérer selon nos propres critères totalement subjectifs. Nous verrons tout ce qu'elle peut avoir de positif (manifestations artistiques originales, organisation sociale distincte, programmes d'enseignement orientés autrement, capital social géré différemment, etc.), mais aussi tout ce qu'elle peut avoir de négatif selon les cas (ségrégation sociale, conception différente de l'éthique, acceptation de la violence ou de la discrimination, etc.).

Le point suivant est la politique avec son corollaire, le risque politique qui correspond aux risques que peut faire courir à nos projets une décision politique totalement inattendue entraînant des discontinuités dans certains processus importants pour nous tels que les contrôles douaniers, les contrôles des changes, le régime des visas d'entrée ou de sortie, etc. Certes, nous savons tous que certains pays présentent plus de difficultés que d'autres du fait de l'instabilité de leurs régimes. Mais une trop grande stabilité - comme celle d'une dictature - présente aussi le risque d'une décision politique inattendue, mais extérieure au pays : embargo, intervention armée, suspension des aides économiques, rappel d'un ambassadeur. Dans tous les cas, nos opérations dans le pays concerné peuvent être partiellement ou totalement bloquées pour une période indéterminée. La politique, cela veut dire aussi les risques de conflits avec leur cortège de catastrophes humaines et physiques pour lesquelles l'entreprise va parfois s'apercevoir qu'elle n'est pas assurée.

Il y a ensuite à prendre en compte les conditions naturelles : géographie, météorologie, risque de contagion, animaux sauvages. Tous ceux qui sont allés travailler à la baie de James savent bien qu'il n'est pas nécessaire de passer une frontière pour découvrir l'hostilité. Ainsi, au Vietnam, par exemple, le sublime décor de la baie d'Along du film Indochine ne doit pas nous faire oublier les risques de paludisme et de diarrhées infectieuses, de dengue, d'amibiase, de typhoïde et paratyphoïde A & B, de tétanos, de choléra et de méningite...sans oublier le SIDA... Ni les serpents ! Qu'on le veuille ou non, on n'y travaille pas aussi bien que lorsque le seul risque est celui des maringouins.

La conception des lois et l'environnement juridique qui en découle peut réserver lui aussi de nombreuses surprises dont nous parlerons dans notre prochaine chronique.

La concurrence locale peut également réserver quelques fâcheuses surprises, car s'il est normal qu'un concurrent ne nous accueille pas à bras ouverts, il l'est moins qu'il utilise parfois des procédures et des moyens auxquels nous n'aurions jamais pensé, ni même osé penser. La transparence que la loi impose chez nous dans ce domaine n'est déjà pas parfaite, mais que dire de certains pays où la collusion est systématique entre les entrepreneurs et les responsables politiques, quand ce qui est chez nous une entente illégale devient une règle.

Les infrastructures sont également souvent défaillantes, tant du point de vue physique que financier ou humain. Ceci introduit un élément important de distorsion dans la marche des affaires car une entreprise - et c'est souvent aussi le cas des nôtres - est habituée à une forte automatisation de ses tâches, elle peut avoir du mal à remplacer des machines par des hommes pour lesquels elle n'a ni l'encadrement humain ni le savoir-faire nécessaires.

Et enfin, on ne peut oublier de citer, même rapidement, l'action du crime organisé qui, d'un pays à l'autre, peut avoir des effets variables selon sa nature, ses moyens et méthodes et, réciproquement, ceux de la police locale.

POUR ÉVITER L'INCOMPÉTENCE

Nous voyons donc facilement que les causes d'hostilité sont multiples qui, chacune à sa manière, vont empêcher notre entreprise de fonctionner comme elle a appris à le faire et vont ainsi, d'une certaine façon, nous mettre en situation d'incompétence. Cela va se manifester de bien des façons. Essentiellement, il y a deux aspects ressentis par tous ceux qui, nombreux, ont déjà tenté l'expérience : l'acceptation par le nouvel environnement et la capacité à y travailler efficacement. Les deux sont évidemment liés, car plus l'acceptation de notre entreprise sera grande et plus nos interlocuteurs locaux chercheront à nous faciliter la tâche, et réciproquement.

L'acceptation, ou le refus, peuvent être ressentis au niveau de l'entreprise, de son projet ou de ses membres. Une entreprise, selon sa nationalité ou son activité, peut être plus ou moins bien perçue par la population locale. Ainsi, les entreprises canadiennes sont mieux perçues que celles des États-Unis en Amérique latine, mais les entreprises minières le sont moins bien que celles qui viennent construire des infrastructures (car dans la conscience populaire, l'une vient prendre et l'autre vient construire). Il en va de même pour les projets dont certains sont très impopulaires (parfois pour leur objet et parfois simplement parce qu'ils seront réalisés par une entreprise elle-même impopulaire) et d'autres attendus avec impatience. (Nous aborderons de nouveau cet aspect à propos de la corruption). Quant à nos expatriés, leur vie peut être compliquée par leur simple appartenance à une « mauvaise » entreprise ou un « mauvais » projet, mais ils peuvent aussi être la propre source de leurs problèmes quotidiens du fait de petites erreurs involontaires dues à leur méconnaissance de la culture et des conditions de vie locale.

Quant à notre efficacité, elle va souffrir elle aussi tant au niveau de l'organisation qu'à celui de nos expatriés. Une entreprise est rarement capable, du jour au lendemain, de passer, par exemple, d'un fonctionnement fortement mécanisé à un fonctionnement à forte consommation de main d'œuvre (et réciproquement pour les entreprises du sud qui viennent travailler chez nous). Sa conception du déroulement du projet devra probablement être revue et ses moyens adaptés au nouveau contexte. Quant à nos expatriés, ils auront souvent du mal à travailler dans de nouvelles conditions et, en particulier, sans avoir à disposition absolument tout l'outillage souhaitable, ou les bonnes fournitures ou la possibilité de consulter facilement un expert en cas de besoin. Notons toutefois que le développement des nouvelles technologies permet de plus en plus de maintenir les communications et de diminuer cette impression d'isolement, mais que ceci a un coût.

Voilà un bref - très bref - aperçu des difficultés qui attendent les entreprises à l'étranger. On pourrait résumer tout cela par une mise en garde qui semble évidente mais que l'on ne rappellera jamais assez : Plus l'environnement dans lequel nous intervenons est différent (donc hostile) plus nos prix de revient et nos délais d'exécution augmentent.

Qui veut voyager loin,
ménage sa monture.

L'action à l'international est exaltante et je souhaite à chacun de s'y engager... mais en se souvenant du proverbe suivant : « Qui veut voyager loin, ménage sa monture ». L'environnement des autres pays n'est vraiment hostile que pour ceux et celles qui ne sont pas suffisamment préparés.


Retour à la Une

Imprimer cet article

Commerce Monde #39