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SOMMAIRE

Guerre du coton
Toujours confiant de faire bouger l’OMC, le Burkina Faso prépare sa carte du Sommet de la Francophonie

par Daniel Allard

« Non, je n’avais jamais envisagé une telle option. Et je prend bonne note de votre suggestion ». L’option, c’est celle d’un appel au boycotte du coton américain et européen, tous deux abusivement subventionnés, allant presque à l’encontre des principes fondateurs de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et qui exerce actuellement une telle pression à la baisse sur les cours mondiaux du coton que le mode de vie de millions de personnes en Afrique est carrément menacé de disparaître. Celle qui répondait à la question, c’est l’Ambassadeur burkinabé au Canada, madame Juliette Bonkoungou Yameogo.

Devant une trentaine de membres du Cercle québécois des affaires internationales venus échanger avec elle, à Québec, le 16 juin 2004, elle venait de visionner le film-choc « Un homme intègre devant l’OMC » racontant comment François Traoré, le président de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso, a joué la carte de l’OMC, lors de la dernière conférence générale de cette dernière, à Cancun, en août 2003.

« L’OMC est le salut des pays en voie de développement », dit dans ce film Nicolas Imboden, un vieux routier des négociations commerciales internationales qui aide les Africains à ce débattre dans les méandres du grand jeu qu’est devenue cette organisation internationale ; jeu dans lequel les états-uniens ont généralement la position du plus fort.

NOUVELLE ÉTAPE DANS LA GUERRE DES SUBVENTIONS AGRICOLES
Mais dans le cas présent de cette guerre du coton, l’Union européenne, qui ne représente pourtant que 2% de la production mondiale (Grèce et Espagne), avait déclenché les hostilités, en élevant en premier le niveau de subventions à ses producteurs (700 M$US en 2002). Les États-Unis suivirent, évidemment, pour ne pas être en reste (3,7 milliards $US en 2002). Et depuis, les Africains doivent vendre en bas de leur prix coûtant et risquent de ne même plus être en mesure de semer, d’un année à l’autre, faute de bénéfice.

Cette guerre du coton n’est pas encore terminée, même si les Africains sont repartis de Cancun déçus. Car les joueurs du duo UE-USA sont restés sur leur position. Aux dires de madame Bonkoungou Yameogo, ils gardent l’espoir que les mécanismes de l’OMC permettront de rendre justice et de réparer les dégâts. Mais le temps joue irrémédiablement contre eux. Et pendant que diplomates et négociateurs calculent avec le calendrier des grands rendez-vous décisionnels de l’OMC (la conférence ministérielle est tenue seulement chaque deux ans), bien des petits agriculteurs d’Afrique de l’Ouest se demandent comment envisager survivre d’un mois à l’autre. Changer de culture, comme leur suggère cavalièrement les « riches » agriculteurs mécanisés du Nord ? Changer de mode de vie ? Envisager l’immigration, voire l’immigration clandestine jusqu’au Nord ? C’est ici le dilemme de l’énorme déséquilibre du partage des richesses à l’échelle de l’économie mondiale qui devient à propos. Et particulièrement au Burkina Faso, où le coton représente 60% du total des exportations agricoles du pays et le tiers de son PIB.

L’Ambassadeur de ce pays était donc était fière de venir à Québec tenter de réduire le « déficit d’information » des gens du Nord envers les gens des pays du Sud. « C’est 25 000 producteurs américains contre 15 millions d’africains », plaide madame Bonkoungou Yameogo.

Les pays africains au front dans cette guerre du coton à l’OMC sont le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad. Un quatuor qui, après la production des États-Unis d’Amérique (au 1er rang avec 25% de la production mondiale), arrive au deuxième rang mondial sur le marché de l’exportation.

UNE VICTOIRE TOUT DE MÊME
Victoire il y a eu tout de même à Cancun. Car pour la première fois un groupe de pays africains faisait front commun pour demander à l’OMC de bien appliquer les règles. « Nous mettons l’OMC à l’épreuve. Est-elle faite pour véritablement aider tous les pays à améliorer le sort de leur population ? », lance encore François Traoré à travers les 50 minutes que dure ce film percutant. Les tenants de la théorie économique de libre-échange sont ici directement interpellés.

« La victoire de Cancun, c’est que les négociations bilatérales UE-USA c’est terminé. Le Sud a gagné sa voie au chapitre », y exprime un autre intervenant qui était présent à Cancun 

La Francophonie
peut-elle faire quelque chose
 ?

La Francophonie peut-elle faire quelque chose ? La réponse de l’Ambassadeur burkinabé à ce fonctionnaire du gouvernement du Québec fut surprenante : « Si nous pouvions financer une version anglophone de ce film pour en élargir la diffusion particulièrement aux USA…»

L'État burkinabé accueillera le Sommet des chefs d'État et de gouvernement membres de la Francophonie, du 24 au 26 novembre 2004. À quoi faut-il s’attendre ? « Le thème même du Sommet ne devrait pas occulter le sujet du dossier du coton, mais les chefs d’État ont le plein contrôle de l’agenda. Le mieux serait qu’un autre pays que le pays hôte fasse une proposition », a suggéré l’Ambassadeur, en rappelant qu’il lui semblerait dans les convenances que son pays n’utilise pas son rôle de pays hôte pour imposer des sujets à l’agenda des chefs d’État.

Un message qui n’est certes pas passé inaperçu aux oreilles des quelques hauts fonctionnaires du Ministère des Relations internationales du Québec (MRI) qui étaient présents dans la salle ce 16 juin au midi.

Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que la cause du coton africain était portée aux oreilles du Québec. Le 22 avril 2004, au Club St-Denis de Montréal, dans le cadre de sa série « Le monde qui change le monde », le Forum francophone des affaires, avec le soutien de Développement économique Canada, du ministère des Relations internationales du Québec et de l'Ambassade du Burkina Faso au Canada accueillait, en prélude au prochain Sommet de la Francophonie, Mahamoudou Ouedraogo, le ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme du Burkina Faso. Auteur de deux ouvrages : « Culture et développement en Afrique » ainsi que : « L'Internet au Burkina Faso : réalités et utopies », le ministre fut introduit par Jean-Louis Roy, ex-secrétaire général de l'Agence de la Francophonie et président de l'organisme Droits et démocratie.

René Leduc, un habitué de la Francophonie intergouvernementale et toujours haut-fonctionnaire au MRI à titre de directeur général aux affaires régionales, était également sur place. Prenant la parole après l’Ambassadeur burkinabé au Canada, Juliette Bonkoungou Yameogo, qui en plus d’aborder la préparation du prochain Sommet et d’exposer le programme des « Journées économiques du Burkina Faso au Canada » qui se tiennent les 21 et 22 juin prochain, n’avait pas manqué de clairement exposer à l’auditoire de gens d’affaires l’état du dossier de cette guerre du coton, le représentant du gouvernement du Québec lui a répondu que: « le Québec accompagnera également le Burkina Faso dans son combat pour le coton ».

Fait à Québec le 17 juin 2004.