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SOMMAIRE

Enjeux géopolitiques de l’heure
Au-delà des élections états-uniennes
 
par Daniel Allard

À moins de 100 jours des élections qui diront si les États-Unis d’Amérique garderont à la présidence de leur pays l’homme qui a fait trembler les colonnes du temple du dictateur Saddam Hussein d’Irak et qui, depuis, fait trembler les colonnes de bien des certitudes en matière de politique internationale, les grands médias de la planète carburent au rythme du duel Georges W. Bush/John F. Kerry. Mais les enjeux géopolitiques qui devraient retenir l’attention sont bien plus larges que savoir qui deviendra le personnage le plus puissant de la planète pour les quatre prochaines années.

En ce sens, la dizaine de personnes ayant participé à un séminaire de trois jours portant comme titre : « Enjeux géopolitiques de l’heure », un programme de formation continue qui fut présenté par l’Institut québécois des hautes études internationales (IQHÉI), à Québec, à l’Université Laval, du 17 au 19 mai 2004, ont la chance de pouvoir mieux faire la lecture de ce qui se dessine à travers les actualités internationales du moment. Le pétrole à 45$... que va-t-il se passer ? Comment finira la guerre contre le terrorisme ? Quelles régions du monde se portent mieux que d’autres et offrent de plus belles perspectives d’avenir à leur population ?

Sans être exhaustif par rapport à l’ensemble des conférences qui ont été présentées durant ce séminaire, CommerceMonde.com présente une suite de notes et d’idées fortes ayant été captées au fil des présentations de ces experts dans leur domaine que l’IQHÉI nous a permis d’écouter.

MOINS DE GUERRES ET DE CONFLITS DANS LE MONDE
L’Irak et le terrorisme prennent actuellement beaucoup de place dans les médias, mais une référence utilisée par le professeur  Michel Fortmann était très encourageante en rapport avec l’évolution des conflits dans le monde : « la présence générale du phénomène guerre dans le monde a diminué de 50% depuis le milieu des années 1980, atteignant en 2001 son plus bas niveau depuis le début des années 1960 ». Mieux encore, la démocratie gagne du terrain ! Et statistiquement, les « vraies » démocraties sont les régimes qui présentent le moins de risque de guerre. De ce point de vue, il est rassurant de constater que, d’après la banque de donnée Polity IV, « le nombre de régimes authentiquement démocratiques a presque doublé depuis 1985, passant de 42 à 83, en 2003 ».

LE TERRORISME EST LÀ POUR RESTER
La présentation sur le terrorisme de l’experte du Collège militaire royal du Canada, Janine Krieber, n’avait, elle, rien pour rassurer : « On a pensé que la révolution technologique des années 70-80-90 allait mener à la paix perpétuelle. On a réagi en déconstruisant les équipes d’espions des États. Grave erreur ! »

En Irak, le président Bush provoque la « réponse théologique ». Grave erreur, encore une fois. Elle pense aussi que si la lutte au terrorisme avec une intervention rapide en Afghanistan était une bonne idée, ce n’était pas le cas en Irak : « Les sept piliers de la sagesse,  de Laurence D’Arabie, aurait du être lu par le président Bush avant qu’il décide d’aller se battre contre « ceux qui ne se battent pas comme nous !»

L’ASIE : LA MOITIÉ DU MONDE
« La mondialisation est quelque chose que les Asiatiques aiment beaucoup. » Peut-on régionaliser cette région du monde ? Le professeur Gérard Hervouet rappelle la première tentative des Japonais dans les années 30 et 40, mais on connaît la suite. « Les Asiatiques ont des États qui ne veulent pas lâcher de leur souveraineté, contrairement à l’Europe… On y a un rapport à l’histoire extrêmement long. Il est fondamentale de connaître la carte des rancunes historiques et c’est ce qui explique pourquoi les conflits durent en Asie.»

Pour lui, « c’est encore par l’agriculture qu’il faut regarder ce continent », même si 4 millions d’automobiles ont été construites en Chine en 2003 et 4,3 millions de kilomètres d’autoroutes.

« Les grands enjeux politiques de l’Asie sont de trouver des formes de gouvernements, des systèmes, qui composent avec la tentation autoritaire qui fait contrepoids aux vertus démocratiques. » À ce titre, l’Indonésie est dans la liste des pays fragiles, avec ses 17 000 îles, « elle est la cour arrière asiatique d’Al Qaida. Il faut se rappeler que jamais les USA n’ont réussi à s’implanter dans ce pays de 225 millions d’habitants. »

Pékin propose à Taïwan un « Hong Kong + » : vous gardez votre armée, mais vous acceptez notre drapeau ! « C’est un conflit dangereux car il est émotif », analyse-t-il. Ce qui n’empêche pas de brasser des affaires : « Taïwan a 100 milliards $US d’investissements en Chine continentale, bien davantage que les Japonais (40 milliards $US) et la Corée du Sud (17 milliards $US). »

MOYEN-ORIENT
Avec, en toile de fonds, trois régimes politiques en danger de révolution :

·      Égypte ;

·      Arabie Saoudite (avec une « très faible possibilités d’évolution pacifique et un risque élevé de changement politique violent, qui déboucherait sur un régime politique entièrement imprévisible »);

·      Iran (« pays du Moyen-Orient avec la modernisation la plus rapide, avec un risque sérieux que l’évolution soit catastrophique, mais il y a une chance importante que soit inventé en Iran un compromis original entre islamisme et pluralisme politique ») ;

c’est encore « l’évolution des deux crises, irakienne et israélo-palestinienne, qui influencera profondément dans les années qui viennent les chances de progrès ou les risques de catastrophes dans toute la région. Tout progrès de la situation israélo-palestinienne sera impossible avant l’élection américaine, et même probablement avant l’élection israélienne qui aura lieu normalement en 2007 », analyse le professeur Jean-Pierre Derriennic.

UNE AMÉRIQUE LATINE DÉCEVANTE
L’Amérique latine dans son ensemble n’a pas beaucoup la cote aux yeux du professeur Gordon Mace : « Quinze ans après la volonté des élites du continent de changer les choses pour améliorer le bien être de tous, le constat est : il y a davantage de pauvreté! Ajoutons à cela le peu de progrès sur le plan politique (l’existence de démocraties de façade). Il y a très peu d’appui aux institutions en général. Il reste environ 30% de taux de confiance envers les institutions. On observe une réapparition des troubles sociaux depuis l’an 2000 (Bolivie, Pérou, République dominicaine, Venezuela)… une espèce de gangrène intérieure s’installe… plus un climat de criminalité. Les années 80 furent celles des grandes promesses ; les années 2000 celles de la désillusion… 80% de la population rurale d’Amérique latine vit sous le seuil de la pauvreté. Les gouvernements sont incapables de transformer les potentiels en succès. Les espoirs sont difficiles à percevoir dans cette région du monde. Preuve ultime : il y a de plus en plus d’émigration », résume-t-il.

La grande question de ce coin de la planète : comment le Brésil va pouvoir être la locomotive du continent ? Ce qui permet ici au professeur Mace de redire qu’il ne comprend toujours pas pourquoi le gouvernement du Québec « oublie » le Brésil et n’y a jamais ouvert de représentation officielle, contrairement à l’Argentine, la Colombie, le Chili et le Venezuela.

Le 16 mai 2004 a débuté des négociations entre les USA et la Colombie, le Pérou, l’Équateur et peut-être la Bolivie pour un projet d’accord de libre –échange. « Une tentative évidente d’isoler le Brésil et le Mercosur », pense-t-il.

La signature d’un autre accord de libre-échange (USA-CAFTA) avec Washington, incluant cinq pays d’Amérique centrale plus la République dominicaine, le 28 mai 2004, vient encore montrer que si le projet de la ZLÉA n’avance pas, il y a des alternatives. Malheureusement, « pour le Canada, c’est le pire des scénarios qui est en train de se réaliser. La ZLÉA était un impératif économique et politique pour lui permettre de ne pas être trop isolé face à Washington. La ZLÉA aurait pu aider à circonscrire le géant. Mais il n’y aura pas de ZLÉA », analyse-t-il.

L’ENJEU DU PÉTROLE
George W. Bush est-il allé en Irak pour le pétrole ? Les explications du professeur Antoine Ayoub invitent à beaucoup relativiser en la matière : « L’Arabie Saoudite est et restera incontournable pour les approvisionnements. L’Irak pourrait monter au 2/3 de ce que représente la production de l’Arabie Saoudite, mais il faut sept ans pour développer des gisements et 50 milliards $ d’investissements pour monter à 5 ou 6 millions/barils/jour, alors que les Saoudiens font actuellement 10,5 ».

Pour savoir quand l’IQHEI offrira à nouveau ce séminaire de formation, on peut consulter le site :

www.ulaval.ca/iqhei

ou contacter :
annie.laliberte@hei.ulaval.ca

Fait à Québec le 15 août 2004.