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Le cas chocolat : « erreur de mondialisation » ?
L'exemple d'Euro-Excellence incite à répondre oui

Par Daniel Allard
 

« Tous les grands noms du chocolat ont été repris par des multinationales et de nombreuses spécialités sont mal représentées sur le marché suite à la rationalisation », s'exclame André Clémence. Le président d'Euro-Excellence, importateur de confiserie fine, sait de quoi il parle. Sa bataille juridique au Canada avec la multinationale Kraft concernant les droits sur la commercialisation du célèbre chocolat belge Côte d'Or ressemble de plus en plus à une version moderne du combat de David et Goliath. L'homme d'affaires n'hésite plus à parler « d'erreur de mondialisation » lorsqu'il est question du monde du chocolat. Pourquoi ? « On n'achète pas du chocolat comme on achèterait une pinte de lait », résume celui qui a mis plusieurs années à faire découvrir le bon goût du chocolat noir aux Québécois.

Poulain, Carambar, Cachou Lajaunie appartiennent maintenant à Cadbury. Kraft, en plus de Côte d'Or, a acquis Suchard et Toblerone. Nestlé joue évidemment aussi ses cartes. Ferrero, avec ses Rochers, fait partie du même groupe que Nutella. « Les gros achètent seulement des parts de marché, tandis que les petits fabricants, les intermédiaires et les commerces de proximité sont évincés après avoir développé les produits et la confiance du consommateurs… L'erreur de ces multinationales, c'est d'acheter la marque et de penser qu'elle va se vendre toute seule », explique-t-il avec passion et un brin de déception devant des décisions qui sont souvent financières, théoriques et impliquant que le produit avec le service à la clientèle adapté devient trop cher et secondaire.

On est bien loin de l'époque où Catherine de Médicis a fait naître le bon goût en la matière en offrant des chocolats chauds à la cour! Si c'est la qualité du lait qui a fait la bonne réputation du chocolat pour les Suisses et celle des crèmes fraîches pour les chocolats de la Belgique, la rationalisation de la production, l'autorisation des graisses végétales et la politique des bas prix ne semblent pas assurer le renom, le goût et la diversité des grands chocolats fins du monde.

« Moi, j'ai 60 spécialités Côte d'Or. Eux (Kraft) en ont gardé que 9 et ils ont augmenté les prix au départ, pour ensuite déclarer une guerre de prix », argue André Clémence qui en a beaucoup à dire sur l'impact négatif de l'appropriation des grands noms du chocolat par les multinationales.

 « Il aurait été plus judicieux d'établir une collaboration constructive », soupire-t-il. Malheureusement, la négociation est vite passée au stade d'une lutte à finir. Le 28 octobre 2002 est une date inscrite à jamais dans sa mémoire. C'est le jour où Kraft a déposé l'éléphant comme œuvre d'art, l'image symbolique de Côte d'Or. Lui, le 3 novembre, recevait un document légal qui l'empêchait de vendre tous les produits Côte d'Or. Une longue bataille judiciaire s'engagea. Pleine de rebondissements, elle en est d'ailleurs à l'étape où Euro-Excellence est en appel d'une décision rendue en mai 2004 lui interdisant l'usage de l'éléphant.

Origine de la marque Côte d'Or

La Belgique industrielle est à son apogée. L'époque est à l'euphorie commerciale et, comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, le 24 avril 1883, Charles Neuhaus, un artisan chocolatier qui avait ouvert une chocolaterie-confiserie en 1870, créa et déposa la marque Côte d'Or, par référence à la Côte de l'Or, le Ghana de l'époque, où il sélectionnait une partie de ses fèves de cacao. En 1898, l'usine est cédée à M. et Mme Léopold Bieswal. En 1906 fût constituée la S.A. Alimenta, qui deviendra la S.A. Côte d'Or qu'en 1964.

« C'est l'éléphant du drapeau du Ghana qui a été repris, rien à voir avec une oeuvre d'art » argumente-t-il. Qu'importent les prétentions de l'autre partie, l'homme n'allait pas se laisser abattre comme ça. Il a mis 20 ans à bâtir sa clientèle à travers tout le Canada et n'a aucunement l'intention de l'abandonner. Si Kraft, légitimement propriétaire de la marque, ne veut plus qu'il vende de chocolat Côte d'Or, la multinationale ne peut pas l'interdire de vendre. Ce qu'André Clémence arrive à faire facilement, en utilisant ses réseaux de connaissances et son capital de sympathie. « L'injonction m'a stoppé pendant trois mois. Donc, je me suis retrouvé avec 100% de perte. » Mais suffisamment de marchands furent sympathiques à sa cause et progressivement il récupérera des parts de marché lui faisant dire, en décembre 2004, lorsque nous l'avons rencontré, qu'il n'en était plus qu'à 35% de perte.

L'éléphant est une œuvre d'art ! Pas de problème ! Il s'est équipé de machines pour corriger l'emballage de chaque produit de manière à cacher l'éléphant litigieux. Guerre de tous les instants, il ne cache pas aussi subir actuellement une guerre de prix. Des batailles qu'assume indirectement son équipe d'une quarantaine d'employés, dont 18 représentants sur les routes, et davantage sa conjointe, une chimiste qui met elle aussi son savoir au service d'Euro-Excellence pour répondre aux exigences réglementaires.

C'est aussi en diversifiant ses produits qu'il réussira à traverser la crise : Poulain, Swiss Délice, Cémoi... L'importateur, qui écoule annuellement plusieurs centaines de tonnes de chocolats et autres confiseries fines à travers tout le Canada, a dans les yeux cette lueur qui dit que personne n'empêchera ce passionné du chocolat de poursuivre son rêve.

Pâtissier en France, son pays d'origine, André Clémence est venu au Canada en 1985 et a eu l'idée d'importer des chocolats et des bonbons européens. Vingt ans plus tard, il est le plus important importateur de chocolat de qualité au Canada. Euro-Excellence a réalisé un chiffre d'affaires de 6 millions $ en 2003-04. Avec un inventaire qui frise le million $, l'homme d'affaires ne cache pas qu'il importe 700 tonnes de produits par an, dont 400 tonnes de chocolat. Mais bien que tout cela représente quelque 2 000 produits différents provenant d'une cinquantaine de fournisseurs, dans son réseau de 2 200 points de vente au Canada, c'est à M. Chocolats fins que l'on pense lorsque la chaleureuse voix d'André Clémence se fait entendre.

L'homme n'a d'ailleurs pas que sa bataille contre Kraft à mener. André Clémence ne cache pas qu'il est préoccupé par une nouvelle réglementation fédérale canadienne qui doit s'appliquer à partir du 1er décembre 2005 et qui obligera l'inscription complète des valeurs nutritives sur les étiquettes. « Ces règles compliqueront énormément la vie des importateurs », dit-il.