Paradis fiscaux : le Québec affine sa stratégie

La toute récente publication du rapport de la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale du Québec n’aura pas tardé à susciter des réactions. Le phénomène du recours aux paradis fiscaux à travers le monde continue de commander une stratégie de confinement et le Québec y va de 38 recommandations.

« La population est en droit de s’attendre à ce que des actions courageuses et décisives soient posées pour mettre fin aux stratagèmes d’évitement fiscal abusif ou d’évasion fiscale et au recours aux paradis fiscaux. Les diverses instances gouvernementales peuvent compter sur la collaboration de l’Ordre et de la profession comptable pour mettre en œuvre les recommandations de la Commission », déclare Geneviève Mottard, CPA, CA, et présidente et chef de la direction de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec, par communiqué.

Soulignant l’important travail de réflexion et d’analyse de la Commission, l’Ordre des CPA appuie l’ensemble des recommandations, notamment les trois qui interpellent directement la profession et qui visent la criminalisation de l’aide professionnelle à l’évasion ou à l’évitement fiscal abusif.

L’Ordre déplore cependant que la Commission des finances publiques passe sous silence « la nécessité d’assujettir les cabinets de professionnels au contrôle des ordres professionnels ». L’Ordre réclame même des pouvoirs supplémentaires pour responsabiliser la gouvernance de ces entités et de tout autre type de structure (OBNL, coopératives, etc.). On rappel que les cabinets comptables établis en Ontario sont déjà soumis à la surveillance de CPA Ontario.

« La concurrence fiscale que se livrent les États participe d’un engrenage propice aux abus. Tous sont à la fois instigateurs et victimes d’un système qui dépasse, et de loin, leur pouvoir d’intervention propre. Le Québec et le Canada ne font pas exception (…) Au-delà du remarquable travail accompli par la Commission, une réalité demeure: la lutte aux paradis fiscaux doit être le fruit des efforts concertés d’abord des provinces canadiennes et du gouvernement fédéral et ensuite, d’organisations internationales et d’un nombre significatif d’États. C’est ce défi qu’il faut maintenant relever », analyse aussi Geneviève Mottard.

L’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec regroupe 39 000 membres et 5 000 futurs CPA, ce qui en fait le troisième ordre professionnel en importance au Québec.

38 RECOMMANDATIONS

Le Rapport sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux, contenant 38 recommandations adoptées unanimement, conclu un mandat d’initiative entrepris le 25 février 2015 au cours duquel ont pu être examinés les stratégies et les mécanismes employés à des fins d’évasion et d’évitement fiscaux. Il fait état de 27 recommandations à mettre en œuvre par le gouvernement du Québec et touchant Revenu Québec, le ministère des Finances et la Caisse de dépôt et de placement du Québec, ainsi que 11 autres recommandations à discuter avec le gouvernement fédéral canadien pour une mise en œuvre éventuelle.

Liste des recommandations

 

Recommandations à mettre en œuvre par le gouvernement du Québec

La Google tax

Que le ministère des Finances du Québec

1.  Réalise une étude sur l’impact économique d’une taxe sur les profits détournés (Google tax) et la fasse parvenir à la Commission des finances publiques au plus tard en septembre 2017. Que le Ministère détermine, à cet effet, le ou les taux auxquels les profits détournés seront imposés.

 

Que l’Agence du revenu du Québec

2.  Estime, à partir des déclarations pays par pays des entreprises et en collaboration avec le ministère des Finances, les profits réalisés annuellement par ces dernières au Québec et détournés en vue de leur imposition.

 

Que le gouvernement du Québec

3.  Change le cadre législatif pour permettre l’imposition des transactions en ligne sur la base des cartes de crédit utilisées pour payer les achats.

 

Les fiducies non résidentes

Que le ministère des Finances du Québec

4.  Évalue le statut fiscal des fiducies non résidentes du Québec en vue, le cas échéant, d’une modification de la Loi sur les impôts afin que ces fiducies soient réputées résidentes.

 

Les conventions fiscales canadiennes

Que le gouvernement du Québec

5.  Impose les dividendes reçus au Québec et qui ont fait l’objet de déductions à l’étranger.

6.  Accorde un crédit d’impôt équivalent à l’impôt payé sur un revenu à l’étranger plutôt que de permettre le rapatriement de ce revenu au Québec en franchise d’impôt.

 

Que le ministère des Finances du Québec

7.  Obtienne un avis juridique sur le règlement 5907 de l’impôt sur le revenu et fasse parvenir l’avis à la Commission des finances publiques au plus tard en septembre 2017.

8.  Fasse une étude sur la possibilité pour le Québec de se soustraire à certaines conventions fiscales canadiennes, sur l’impact économique de cette soustraction et les modalités pour ce faire, le cas échéant. Que le Ministère fasse parvenir les résultats de l’étude à la Commission des finances publiques au plus tard en septembre 2017.

 

Le registre central des entreprises

Que le Registraire des entreprises du Québec

9.  Entreprenne, le plus rapidement possible, en collaboration avec les ministères et organismes appropriés, les travaux nécessaires à la mise en place d’un registre central public des entreprises du Québec qui permettra de remonter aux ultimes bénéficiaires physiques des entreprises. Que ce registre permette, entre autres, d’identifier en entrant le nom d’un contribuable, toutes les entreprises dans lesquelles celui-ci a des intérêts.

 

Que le gouvernement du Québec

10.  Évalue et octroie les ressources humaines, financières et matérielles nécessaires au Registraire des entreprises pour la mise en place du registre central public des entreprises au Québec.

11.  Modifie les lois sur les sociétés de personnes et les sociétés par actions et éventuellement le Code civil (pour les entreprises individuelles) afin d’interdire l’enregistrement au Québec d’entreprises dont le ou les propriétaires physiques ultimes ne sont pas clairement identifiés avec tous les renseignements pertinents pour les retracer.

 

Les déclarations pays par pays et les décisions fiscales

Que l’Agence du revenu du Québec

12.  S’assure d’obtenir de l’Agence du revenu du Canada les déclarations pays par pays des multinationales ayant des activités au Québec et de les analyser.

13.  Collabore avec l’Agence du revenu du Canada pour obtenir les renseignements fiscaux et les décisions fiscales touchant le Québec que l’agence fédérale échangera ou recevra des pays partenaires du Canada.

Que le gouvernement du Québec

14.  Évalue et octroie les ressources humaines, financières et matérielles additionnelles nécessaires à l’Agence du revenu du Québec pour renforcer les vérifications et analyser les informations qu’elle obtiendra dans le cadre des nouvelles mesures du gouvernement fédéral en matière de fiscalité internationale dans son budget 2016-2017.

 

Les opérations à déclaration obligatoire et la divulgation volontaire

Que l’Agence du revenu du Québec

15.  Renforce la vérification du respect de la disposition québécoise concernant les opérations à déclaration obligatoire.

 

Que le gouvernement du Québec

16.  Augmente les ressources allouées à la vérification du respect de la disposition concernant les opérations à déclaration obligatoire et l’évitement fiscal abusif.

17.  Abolisse la divulgation volontaire sauf quand elle se rapporte à des activités faites de bonne foi et impliquant de faibles valeurs.

 

Les crédits d’impôt pour la recherche et le développement

Que le gouvernement du Québec

18.  Conditionne l’octroi de crédits pour la recherche et le développement au non-transfert de la propriété intellectuelle découlant de la recherche et du développement dans un paradis fiscal ou dans un territoire à faible fiscalité.

 

Des relations d’affaires différentes

Que le gouvernement du Québec

19.  Demande à la Caisse de dépôt et placement du Québec de réduire progressivement ses investissements dans les entreprises qui font de l’évitement fiscale abusif ou de l’évasion fiscale. Que la Caisse de dépôt et placement du Québec fasse état de cette opération dans son rapport annuel.

20.  Demande à la Caisse de dépôt et placement du Québec d’exiger des entreprises dans lesquelles ses placements sont significatifs et lui permettent en conséquence d’influer sur leur gouvernance de cesser d’avoir recours aux paradis fiscaux.

21.  Élimine de ses fournisseurs ceux qui ont été reconnus coupables de faire de l’évitement fiscal abusif ou de l’évasion fiscale ou d’avoir eu recours aux paradis fiscaux.

22.  Disqualifie les entreprises candidates aux subventions gouvernementales qui ont été reconnues coupables d’évitement fiscal abusif.

23.  Prive des contrats gouvernementaux les cabinets professionnels qui ont été reconnus coupables d’avoir aidé à l’évasion fiscale ou à l’évitement fiscal abusif.

24.  Reconnaisse dans les lois pertinentes que l’aide professionnelle à l’évasion fiscale ou à l’évitement fiscal abusif est une activité criminelle.

 

Autres recommandations

Que le gouvernement du Québec

25.  Modifie la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé pour obliger un contribuable soupçonné d’avoir des relations avec une institution financière située dans un paradis fiscal à relever ladite institution de toute obligation de confidentialité sur ses comptes bancaires, selon le mécanisme approprié.

26.  Adopte une loi visant à protéger et éventuellement récompenser les lanceurs d’alerte qui permettront de déceler l’évasion fiscale ou l’évitement fiscal abusif d’un montant égal ou supérieur à un seuil à déterminer.

27.  Établisse un centre du savoir-faire sur la lutte contre l’évasion fiscale, l’évitement fiscal et les planifications fiscales abusives à l’échelle internationale.

 

Recommandations à discuter avec le gouvernement fédéral

Que le gouvernement du Québec discute avec le gouvernement fédéral de la possibilité de

28.  Légiférer sur les crédits d’impôt pour la recherche et le développement des entreprises à charte fédérale afin de conditionner l’octroi des crédits d’impôt pour la recherche et le développement au non-transfert de la propriété intellectuelle découlant de cette activité dans un paradis fiscal ou dans un territoire à faible fiscalité.

29.  Faire estimer par l’Agence du revenu du Canada les profits réalisés annuellement par les multinationales dans l’ensemble du pays et rapatriés vers les paradis fiscaux afin de les imposer à un taux à déterminer (Google tax). Que l’Agence du revenu transfère l’information qui concerne le Québec à l’Agence du revenu du Québec.

30.  Modifier la ou les lois pertinentes afin d’exiger de tout contribuable canadien soupçonné d’avoir entretenu des relations avec une institution financière située dans un paradis fiscal, qu’il relève cette dernière de toute obligation de confidentialité sur ses comptes bancaires, selon le mécanisme approprié.

31.  Modifier la Loi de l’impôt sur le revenu et les règlements associés, notamment le paragraphe 95(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et le règlement 5907 de l’impôt sur le revenu, afin d’imposer les revenus ou la fortune des contribuables provenant des paradis fiscaux avec lesquels le Canada a des conventions fiscales, à un taux à établir.

32.  Créer un registre central public des bénéficiaires ultimes des entreprises à charte fédérale.

33.  Prévoir au Code criminel les fausses déclarations ou omissions dans les registres centraux existant au Canada.

34.  Prévoir au Code criminel l’activité des cabinets d’avocats, de comptables et de fiscalistes et des banques et d’autres promoteurs consistant à faciliter l’évitement fiscal abusif.

35.  Reconnaître dans les lois pertinentes que l’aide professionnelle à l’évasion fiscale ou à l’évitement fiscal abusif est une activité criminelle.

36.  Diminuer le seuil de 750 millions d’euros (plus de 1,1 milliard de dollars canadiens) de chiffre d’affaires des entreprises canadiennes à assujettir à la déclaration pays par pays.

37.  De rendre publiques les déclarations pays par pays des entreprises, à l’instar de l’Union européenne qui en a décidé ainsi en avril 2016.

38.  De se donner comme priorité dans sa politique étrangère de soutenir fermement la lutte contre les paradis fiscaux.

assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cfp/mandats/Mandat-29369/index.html

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Daniel Allard
Depuis 1997, Daniel Allard a co-fondé et dirige le cyberjournal CommerceMonde.com. En 2013, il fit de même avec l'Association des sociétés québécoises cotées en Bourse, organisant notamment le Gala annuel des sociétés en Bourse (2008 à 2015). Le développement de l'équipe de LiNNOVarium.com est son actuelle priorité.