Fourrures Jean-François Morissette design international
Après Québec et Montréal, il vise maintenant Toronto, New York, Boston et Chicago

par Denis St-Gelais

Calmement assis dans sa boutique-salon, le designer Jean-François Morissette n'a rien d'un jeune loup de la mode. Il a pourtant remporté le trophée "Collection de l'année" fourrure, au huitième gala de La Griffe d'or, en 1998.

Ce prix vient de couronner un peu plus d'une vingtaine d'années de travail acharné dans l'univers de la fourrure. Le moment est enfin venu pour lui de conquérir le marché et c'est bien ce qu'il entend faire avec l'aide et l'appui de ses deux associés, Christian Ruel et Marie-Josée Dussault.

Après avoir suivi une formation en coupe de fourrure et beaucoup appris de façon autodidacte, Jean-François Morissette s'est mis à recycler de vieux manteaux que les clientes lui apportaient. L'idée de redonner vie à un vêtement qu'on avait porté pendant parfois plus de vingt ans, représentait un défi auquel il ne pouvait pas résister. Associé, à cette époque, à l'entreprise Fourrure Roy, de Lévis, F.-J. Morissette a donc remis au monde une grande quantité de manteaux, tout en créant des pièces originales.

Il y a une dizaine d'années, à l'occasion d'un défilé, le désigner invite la journaliste Sylvie Corriveau, responsable à la section mode du journal Le Soleil de Québec, à venir y assister. Sans avoir jamais entendu parler de lui, celle-ci se rend à l'invitation. Depuis ce temps, le créateur affirme que c'est à elle qu'il doit le véritable lancement de sa carrière. Madame Corriveau, flattée par cet hommage, nuance quand même un peu ces propos: "Je ne savais pas à quoi m'attendre, mais je me suis rendue à l'invitation et ai découvert un jeune créateur de grand talent. Les pièces montrées lors de ce défilé, des manteaux recyclés, n'étaient pas que du simple remodelage, mais une transformation complète. C'était impossible de savoir que ceux-ci avaient de nombreuses années d'usure. J'ai simplement parlé de lui par la suite à cause de la qualité de son travail. Il est seul, responsable de son succès", affirme-t-elle.

  Le jour de l'ouverture, il mesure sa notoriété. Attendant environ 200 personnes,
il en est venu 500!
 

En janvier 1998, Jean-François Morissette met un terme à son association avec Fourrure Roy, fait le grand saut et ouvre sa propre boutique, à Québec, sur le boulevard René-Lévesque. C'est le jour de l'ouverture qu'il mesure sa notoriété. Attendant environ deux cent personnes ce jour-là, il en est venu cinq cent.

Ses rapports avec la clientèle sont basés sur le respect et la confiance. "Les gens viennent pour que je leur conçoive un manteau, pour le design, confie-t-il. J'adore le contact avec les gens et cela me donne un surplus d'énergie. Je prends le temps de les accueillir comme si elles venaient dans ma propre maison. Parfois, je me rends directement chez elles." En effet, le matin même du jour de la présentation du gala de la Griffe d'or, il était chez une de ses clientes, en train de parler confection.

Jean-François Morissette avoue avoir peu d'aptitudes pour la gestion et s'est entouré de collaborateurs qui partagent les mêmes ambitions et les mêmes buts que les siens. Christian Ruel, comptable agréé et fiscaliste, s'est tout récemment associé à lui pour participer à l'expansion de l'entreprise Fourrures Jean-François Morissette design international. C'est lui qui prendra en charge l'aspect commercial de l'entreprise, gérera la carrière du créateur. Jusqu'au moment de joindre l'entreprise de son ami de longue date, il était associé à la firme comptable Raymond Chabot Martin Paré. "Il a du potentiel et sa carrière est à un point où il doit commencer à s'implanter à l'étranger. Quelqu'un doit prendre en main les aspects matériels de l'entreprise, organiser la croissance. Nous devons prendre les bonnes décisions pour l'avenir", explique-t-il. Et l'avenir, selon lui se dessine bien. "Je m'occupais déjà des affaires de Jean-François à la firme comptable et n'aurais pas quitté un emploi comme celui que j'occupais si les perspectives n'étaient pas intéressantes", confie-t-il.

Le design de mode n'est pas une activité standard. Une simple étincelle peut provoquer beaucoup de sollicitation et les offres affluer de partout. Pour le gestionnaire, c'est à ce moment qu'il faut tout analyser avec soin afin de prendre les bonnes décisions. Le premier pas dans cette direction semble être l'ouverture de la boutique de Québec. Jean-François Morisette a choisi le boulevard René-Lévesque d'abord parce qu'il aime cette rue. "J'aimerais en faire une rue de la mode, comme le faubourg St-Honoré, à Paris, nous dit-il. Une rue où le design serait à l'honneur, que les touristes, les gens de l'extérieur de Québec et les habitants de la ville appelleraient la rue du design". Cela est en partie déjà concrétisé avec la présence voisine de créateurs comme Louise Falardo et Marie Dooley.

 

OUVRIR A MONTRÉAL...PUIS AILLEURS

La prochaine étape importante sera l'ouverture, en avril 1999, d'une boutique à Montréal. L'esprit de celle-ci sera le même que celui qu'on retrouve à Québec: atmosphère feutrée, chaleureuse, toute à l'image de Monsieur Morissette. Après, d'autres sont prévues dans quelques grandes villes nord-américaines, notamment à Toronto, New York, Boston et Chicago.

Prendre la décision d'ouvrir ces boutiques a placé l'entreprise devant un choix important: contrôler elle-même toutes les étapes de la mise en marché, de la création à la production, ou fonctionner en partenariat et partager les tâches avec une autre entreprise. Cette dernière solution s'est avérée la meilleure.

Associés depuis quelques temps à la compagnie Fourrures Micheline de Montréal, c'est elle qui fait la production des collections du designer et qui en effectue la diffusion grâce à son réseau de distribution. De cette façon, les créations JFM sont donc disponibles dans six points de vente différents, au Québec. Pour Christian Ruel, le choix s'est vite imposé. "Le manufacturier a son propre réseau de distribution et toute la machinerie de pointe pour la production des pièces. L'infrastructure de notre entreprise est conservée à son niveau minimal et le coût des manteaux est moins élevé de cette façon, explique-t-il. Nous ouvrirons des boutiques dans les villes centrales et laisseront le reste du marché au distributeur". Dans les villes où Jean-François Morissette aura pignon sur rue, personne d'autre ne pourra vendre ses produits qui pourront cependant être distribués ailleurs.

L'intérêt d'un tel fonctionnement est de limiter le nombre d'intervenants dans l'entreprise. Par exemple, chacune des boutiques sera gérée par une personne de confiance, choisie avec soin et partageant les visions de l'équipe. Elle représentera Jean-François Morissette qui ne pourra être présent partout à la fois. En vue de créer un sentiment d'appartenance en plus d'un intérêt accru pour celle-ci, on l'invitera graduellement à devenir actionnaire de la compagnie. C'est présentement le cas de l'associée Marie-Josée Dussault qui est la conceptrice des patrons de Monsieur Morissette et s'occupe à plein temps de la boutique de Québec. Ce que les associés proposeront à leurs futurs collaborateurs est en quelque sorte, une "job à vie".

La santé financière de l'entreprise, aux dires de Christian Ruel, se porte bien. Le système de répartition entre, d'un côté, la création et le marketing, et de l'autre, la production et la distribution semble répondre aux attentes. "C'est une entreprise qui n'a pas besoin d'un chiffre d'affaire de deux millions pour faire de bons bénéfices. Les principales dépenses, le loyer, le marketing et les salaires sont limitées, ce qui permet une bonne marge de manoeuvre. La prévision du chiffre d'affaire de chaque boutique est évalué à environ 750 000$, alors que le point mort est situé à 350 000$. Comme le prix d'un manteau neuf se détaille à environ 7 000$, ce n'est pas nécessaire d'en vendre deux mille dans chaque boutique pour fonctionner", explique-t-il.

 

L'IMPORTANCE D'UN PRIX

Mais quelle est l'importance d'un prix comme celui de la Griffe d'or pour un créateur québécois? Qu'est-ce que cela peut représenter au niveau international? La journaliste Sylvie Corriveau répond: "Cette distinction, dans le cas de Jean-François, est tout à fait méritée. Mais je ne crois pas que cela peut avoir un impact réel au niveau international. Cependant, pour le marché local, c'est un avantage certain. En ce qui concerne l'étranger, il est nécessaire d'être associé à un manufacturier qui participe à des salons de fourrures locaux et internationaux. C'est là que les designers peuvent montrer ce dont ils sont capables. En 1999 on devrait pouvoir y admirer les créations de Jean-François".

Sylvie Corriveau espère également que le créateur pourra participer à un stage chez Saga, une entreprise danoise de haut niveau spécialisée dans la production de peaux et qui donne la chance à neuf étudiants venant de partout dans le monde d'effectuer un séjour chez eux. Cela lui permettrait, d'après elle, d'acquérir des techniques très novatrices. "On peut maintenant tricoter, tisser ou intégrer les peaux à d'autres matériaux. J'ai hâte de voir ça dans les magasins. Les détaillants devront se brancher et réagir aux nouvelles tendances parce que, s'ils ne réagissent pas, ce secteur est menacé de disparition", affirme-t-elle.

Travailleur infatigable, Jean-François Morissette ne prend presque jamais de vacances. Et l'avenir ne lui en laissera peut-être pas non plus la possibilité. Jamais il n'a été aussi sollicité pour des entrevues et des séances de photos que depuis le gala de la Griffe d'or. Il confie s'ennuyer lorsqu'il ne travaille pas et son travail lui est une expression artistique nécessaire. Rempli de projets, il compte bien continuer à mener de front la création de collections et le recyclage de vieilles fourrures. "Une fois les collections dessinées et acceptées, je peux continuer mon activité porte-bonheur des débuts. Je reste ainsi en contact avec les clients. Je ne toucherai jamais au prêt-à-porter. Ma passion est la fourrure et son recyclage le plus gros défi", nous dit-il.

Si on en croît Sylvie Corriveau, Jean-François Morissette est un des porteurs du flambeau dans la création de la fourrure: "C'est difficile de le comparer à d'autres. Si j'avais à le qualifier? Un architecte de la fourrure et un maestro du trompe-l'oeil!"