Tel qu'annoncé dans le numéro précédent de COMMERCE MONDE, nous poursuivons une série d'articles sur la Chine, qui s'inspire des débats du XIe colloque annuel Faire affaires à l'étranger, conçu et réalisé par Nicole Lacasse, professeure, et la Faculté des sciences de l'administration (FSA) de l'Université Laval. Ayant pour but de mieux comprendre les enjeux de ce pays-continent, ce colloque international s'est tenu au Château Frontenac, toute la journée du 4 mars dernier.

Le contenu du présent article résume la conférence ainsi que l'entrevue que nous a accordée Fred Bild, ambassadeur canadien en résidence et qui était encore dernièrement en poste à Pékin. Il fut l'un des conférenciers vedettes du colloque Au-delà du Guanxi. Ambassadeur en Chine, où il organisa la Mission "Team Canada" de Jean Chrétien en novembre 1994, il est actuellement associé principal d'Agora International, une société de consultants en affaires étrangères et commerce international.


XIe colloque Faire affaires à l'étranger

Au-delà du Guanxi
Stratégies et pratiques des affaires en Chine (2)

par Daniel Allard

Monsieur Bild souligne que le moment était bien choisi pour organiser le colloque. Après le boom de la mission du premier ministre Chrétien, les Canadiens vivent présentement le découragement, pensant que la Chine va faire comme les autres pays d'Asie, s'effondrer. Pensant qu'il faut quitter!

"Non", affirme l'expert. "Ce qui protège la Chine de la crise actuelle, c'est son sous-développement. Son manque de modernisation et d'intégration à l'économie mondiale la protège."

"Même les Japonais s'apperçoivent qu'ils doivent changer. Pour les Chinois, le moment est donc propice. Oui, la Chine sera une troisième voie, entre le capitalisme et le communisme."

Par ailleurs, il ne pense pas que le Japon va s'effondrer.

 

La Chine deviendra-t-elle membre de l'OMC?

"Elle en a fait un objectif depuis 1995. Oui, je crois que la Chine accèdera à l'OMC d'ici 5 ans. Taïwan va aussi en devenir membre, mais au même titre que Hong Kong est un territoire douanier. Avant la crise asiatique, les portes de l'OMC étaient toutes proches, mais depuis, les vieux conservateurs du régime appliquent les freins. La prudence est de mise."

"La situation est très, très difficile actuellement. Mais il n'y aura pas de dévaluation:

  • ce n'est pas un besoin côté main d'oeuvre;
  • ce serait politiquement mauvais pour la stabilité de la région et, face à Hong Kong, il faut prouver que le concept d'une nation et de deux systèmes fonctionne;
  • les parts de marchés, commercialement, ont déjà été négociées, tels les contingents de 56% en textile."

 

De plus, la main d'oeuvre chinoise reste encore moins coûteuse que celle de tous les autres pays d'Asie. Sa monnaie n'est que partiellement convertible. Les spéculateurs ne disposent donc pas d'une grande marge de manoeuvre.

"La Chine vit présentement une décentralisation sans précédent dans son histoire. Elle est sous-gouvernée. Des régions sont larguées, sans ressources pour financer la modernisation."

"A quelle vitesse pouvons-nous nous moderniser, sans prendre le risque de ne plus pouvoir appliquer les freins (au besoin), voilà une question qui fait l'objet d'un grand débat en Chine."

"Il est toujours impossible d'acheter le sol. On peut seulement le louer. Les lots agricoles sont loués même pour le peuple."

 

Les chiffres sont-ils valables?

"Quand on sait que 70% des grues de construction du monde se trouvent actuellement en Chine, on ne se pose plus trop de questions..."

"Si on accepte les estimations à l'effet que 80% des foyers sont urbains pourvus d'un poste de télévision couleur, de machines à laver et encore plus de réfrigérateurs, on commence à comprendre que le marché intérieur se développe à un rythme qui dépasse ce que laisseraient entrevoir les moyennes calculées sur la consommation des ménages."

"Bien sûr, on est loin du rêve du milliard de consommateurs, mais les 70 millions de Chinois présentement en mesure de se payer des quantités appréciables de produits d'importation - ceux qui constituent le débuts d'une classe moyenne - connaissent une croissance qui pourrait gonfler leur nombre à 200 millions d'ici 2005. C'est leur comportement bien plus que les chiffres macro-économique, qui devrait faire l'objet d'études approfondies de la part de nos industriels et exportateurs."

"Ce sont également les orientations, les habitudes en pleine transformation et la relation que cette nouvelle couche sociale établit avec ses dirigeants qui devraient étayer l'ensemble de nos études économique sur le Chine continentale. Pour l'instant, la haute direction du pays affiche une stratégie qui se limite à l'importation de méthodes, moyens financiers, savoir faire et technologie... et qui exclut une occidentalisation plus complète."

 

Que doit-on penser du Parti communiste chinois?

"Le PCC comptait 52 millions de membres, il y a quelques années; il en compte maintenant 58M. Cependant 90% des membres n'y croient plus. Ils participent par carriérisme. De son côté, la population tolère, car on ne vit pas le chaos."

 

L'avenir de la Banque centrale?

"La Chine vit simultanément un processus de décentralisation générale et une centralisation de son système bancaire. La Chine veut faire de la Banque centrale du peuple une véritable banque centrale. Parce que l'État a actuellement de la difficulté à récupérer 30% du revenu fiscal, alors qu'il vise 60%, il faut donc centraliser."

"Ce qui en sortira sera encore assez loin d'une banque centrale du premier monde. Le cheminement de réforme prévu devrait toutefois lui donner plus de moyens d'intervention dans les marchés monétaires et sur le fonctionnement de la planche à billet."

"Lors d'une conférence nationale sur les finances, en novembre dernier, il fut décidé:

 

  • que la banque centrale sera remodelée selon les lignes de la Federal Reserve des États-Unis;
  • d'établir une réserve de 12MM$US, pour passer aux pertes les entreprises d'État déficitaires;
  • de créer des banques sectorielles (policy banks) pour dégager les grandes banques commerciales d'État de leurs mauvais emprunts"

 

"Outre le facteur d'incertitude lié à cette réforme du système bancaire pour les investisseurs étrangers, il faut tout aussi considérer celui de la transparence des règlements et des lois, tout ce qui a trait à l'état de droit. Les lacunes dans la législation d'affaires et les imprévisibilités du recours juridique en cas de rupture de contrat n'en sont que quelques aspects."

"Les Chinois ont fait beaucoup de bêtises. Ils ont mal évalué le déclin de la demande intérieure qui décline depuis 1996 pour réduire les taux d'intérêts. En conséquence, l'investissement plafonne. Les crédits pour redémarrer une relance n'ont pas libérés à temps. On croyait que tout reviendrait à la normale sans intervention. Enfin, les Chinois ont raté plusieurs occasions de s'attaquer au problème des entreprises d'État, qui représente encore 35% du PIB."

Conclusion: gardez l'oeil ouvert, si vous faites des affaires en Chine! Le pragmatisme y teinte tous les aspect de la gestion économique. Dès le départ, le mot d'ordre a été "adaptons à nos besoins tout ce qui marche et méfions-nous des modèles; testons chaque mécanisme avant de l'installer; reléguons le discours idéologique aux occasions cérémoniales et concentrons-nous sur ce qui donne des résultats probants; ne démantelons rien tant que ça puisse servir, mais ne craignons pas les changements structurels."

"Ceux qui ont plusieurs années d'expérience en Chine sont unanimes à ne jamais prendre une situation pour acquise tant qu'on ne l'a pas mise à l'épreuve. En d'autres termes, pour l'étranger en Chine, tout est essentiellement politique.