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Pourquoi le Competitive Intelligence est une discipline invisible ?

Frédéric Turcotte
Directeur, Intelligence d’affaires
KPMG
fturcotte@kpmg.ca

 

La Conférence de SCIP (Society of Competitive Intelligence Professionals) s’est terminée, à Montréal, début mai, et il s’agit d’une bonne occasion pour poser quelques éléments de réflexion sur la discipline et la place qu’elle occupe au sein de la communauté des affaires.

La couverture de presse québécoise concernant cet événement ne présente rien d’original. La Presse titre: Veilleur stratégique, un nouveau cyber-détective. Les Affaires: Devenez un espion corporatif pour le compte de votre firme. Hour: Spies Like Us. Même le respectable Téléjournal de Radio-Canada présentait l’événement comme une conférence d’espions! Peut-on s’éloigner de cette image qui semble indélébile? Ou plutôt, comment faire pour améliorer la reconnaissance de cette profession, qui en est à sa première décennie sous une forme organisée, à peu de choses prêts?

UNE DISCIPLINE VISIBLE OU NON?

Nous avons déjà discuté, dans cette chronique, du taux de pénétration de l’intelligence d’affaires (BI) au sein des entreprises. Il est encore minime, certes, mais en très forte progression. Pour en faire une discipline visible et reconnue, il faudrait deux choses: une reconnaissance comme discipline au sein de la communauté universitaire et des exemples concrets publics et diffusés à l’ensemble du milieu des affaires (des exemples de réussites). Le problème est là! Trop peu d’universités offrent des cours au sein de programmes d’administration des affaires, MBA ou autres. Les seuls cours qui sont offerts se limitent trop souvent à l’aspect recherche d’information, mais dans un cadre de  discipline comme la bibliothéconomie. Il ne s’agit pas ici de décrier cette formation, mais l’angle qui est donné, ne correspond pas à celui du décideur en entreprise. Il est encore trop difficile de voir comment un centre de documentation peut aider la prise de décision dans les opérations quotidiennes d’une entreprise. Comment se fait l’interface entre des besoins précis, une recherche sérieuse et une analyse, pour ensuite poser le bon geste d’affaires.

Il est grand temps de mettre à l’agenda des universités des cours et une formation qui donnera plus de crédibilité à l’intelligence d’affaires. De cette façon, on formera une nouvelle génération d’étudiants qui seront à tout le moins plus ouverts à cette nouvelle réalité des affaires et qui feront une différence lors de leur entrée sur le marché du travail.  Heureusement, il y a des programmes en développement et d’autres qui existent déjà. L’Université Monticello, aux États-Unis, va offrir un MBA et les Français ont déjà mis en place des formations en ¨guerre économique¨ et en intelligence économique. Le réveil se fait, tranquillement.

Le deuxième aspect du problème est encore plus sérieux. Il touche le coeur même de notre discipline. Vous connaissez le célèbre “Business is War“? Si c’est la guerre en affaires, pourquoi les ¨généraux¨ (les dirigeants de sociétés) ne sont pas plus disposés à parler des succès que l’intelligence d’affaires leur apporte? Plus simple encore, pourquoi l’intelligence d’affaires ne semble pas essentielle au succès des affaires? La réponse réside à la fois dans le secret corporatif, ou plutôt le silence des sociétés qui utilisent le BI, et la nature de l’intelligence d’affaires. Très peu d’exemples concrets illustrent la discipline. Il y a bien le fameux “50 millions d’économies de NutraSweet”, mais c’est pratiquement tout. Lorsqu’une compagnie réussi un bon coup grâce au BI, elle n’est pas portée à en faire état pour des raisons évidentes de stratégie. Nous revoilà dans le mystère et la fascination des espions corporatifs.

Finalement,  si le BI n’était pas uniquement associé à la théorie de la guerre ? C’était le point de vue du conférencier principal de la SCIP lors de la Conférence de Montréal, Barry Nalebuff, un professeur de competitive strategy de l’Université Yale, aux États-Unis. Le BI, selon-lui, devrait davantage servir à identifier les partenaires stratégiques, à rechercher la coopération, le monde des affaires n’étant pas uniquement un terrain de guerre sans merci. Il proposait de modifier - un peu à la blague, quand même - le nom de SCIP pour y rajouter un “C” pour ¨cooperative¨. Je fais le pari que les journalistes feraient probablement moins de copies avec une association de membres qui s’appellerait ¨SCCIP¨.