L'INO a 10 ans
Où en est la photonique dans la région de Québec?

par Daniel Allard

Appelé maintenant photonique - pour éviter la confusion avec les vendeurs de lunettes! - le domaine de l'optique-laser possède à Québec une réputation enviée, dans la capitale québécoise comme ailleurs au Canada. Forte d'un cheminement de plus de trois décennies, appuyée par des noms comme Albéric Boivin - père de l'optique à l'Université Laval dans les années 60 - ou Jacques Beaulieu du Centre de recherche de Valcartier, la région de Québec a su se faire une réputation qui tire très bien son épingle du jeu sur la scène mondiale.

La photonique
est le terme qui décrit l'utilisation
de la lumière - les photons- pour
transporter de l'information.

 

L'arrivée de l'Institut National d'Optique (INO) en 1988, grâce en particulier à la volonté acharnée d'un autre leader, Jean-Guy Paquet, alors recteur à l'Université Laval, confirmait la reconnaissance par Ottawa de l'expertise de la région et permettait de lancer sérieusement la construction du Parc technologique du Québec métropolitain (PTQM). C'était il y a dix ans et les subventions permettaient de doter l'INO de budgets annuels adéquats.

Aujourd'hui, malgré la rareté des argents publics, l'INO - qui est le seul institut national d'optique au Canada et qui est d'ailleurs très fière de son caractère mixte - a bâti des assises et est devenu mature. Outre ses deux membres d'office, le Gouvernement du Canada et le Gouvernement du Québec, il compte une quarantaine de membres associés et/ou affiliés des secteur privé, public, de l'enseignement et de la recherche.

Il est aussi le fer de lance d'une industrie locale en forte émergence, qui est cependant plus que jamais en concurrence directe avec les Japonais. Ces derniers sont les leaders mondiaux, ayant été les premiers à investir, dès 1977, dans le développement d'une industrie de la photonique. Les Américains, les Allemands, les Britanniques, les Suédois et les Finlandais sont depuis dans la course.

  Le Japon détient 60-65% du marché, les USA 20-25%, l'Europe 10-15% et le Canada 1,7%. Ce qui est à la fois faible et énorme: ce 1,7% - qui a représenté une production canadienne de 1,2 milliard $ en 1992 - correspond en fait au poids de l'économie du Canada dans le PIB mondial, qui lui est d'environ 2%. Il confirme au Canada une place dans la courte liste des joueurs majeurs mondiaux en photonique.  

 

Tableau 1

A l'échelle mondiale, l'industrie de la photonique croît à un rythme de 20% par année. Pour maintenir la part relative du Canada dans ce marché spécifique, il importe que sa propre industrie croîsse elle aussi de façon significative. "Comme principal centre de service à l'industrie, l'INO a besoin d'être confirmé dans sa mission et de recevoir, à cet égard, un appui et une contribution tangibles" insistait Jean-Guy Paquet, devant les médias, en novembre dernier.

 

Investir pour maintenir la croissance à 20%

Après dix ans d'activités, l'INO a-t-il permis à la région de Québec de devancer davantage ses concurrents ou de simplement conserver les acquis? Si on compare la région de Québec avec les autres régions leaders du monde dans ce domaine, la photonique est-elle encore le "fleuron" d'antant? Faut-il investir davantage dans l'INO?

Jean-Guy Paquet, aujourd'hui PDG de l'INO et qui a accepté d'accorder une entrevue à COMMERCE MONDE pour faire ce bilan, n'a pas de difficulté à parler de ce sujet. Pour lui, la région de Québec est toujours parmi les leaders du domaine; elle a même acquis une notoriété qui la distance de ses rivales dans certaines technologies de la photonique.

 

On estime qu'au cours des prochaines années, la
photonique occupera autant de place
que l'électronique.

 

Pour que la part du Canada dans l'industrie mondiale de la photonique soit maintenue à 1,7% le taux de croissance impose une augmentation annuelle moyenne de 20% dans l'ensemble des secteurs en photonique. Qui dit croissance de cette ordre, dit également investissement! Ce qui représente actuellement un problème pour plusieurs bailleurs de fonds publics au Canada.

NORTEL -membre affilié de l'INO depuis 1990 - est au Canada le principal acteur en matière de dépenses en R&D, tous secteurs confondus. Plus de 50% des dépenses en R&D au Canada sont effectuées par ce géant des télécoms.

"Si je voulais privatiser l'INO pour ainsi attirer des M$ de fonds du privé pour financer la recherche appliquée faite ici, je trouverais preneur demain matin. Mais le défi est justement de garder la formule mixte qui fait de l'INO une institution ouverte et au service de tous, pas seulement d'une ou de quelques grosses entreprises privées. Je ne veux pas la privatisation", expose J.-G. Paquet.

"Ici, il y a 150 employés, dont 125 effectuent de la recherche appliquée. L'INO est le seule centre de recherche au monde à embrasser autant de champs différents dans la photonique, soit 14 technologies différentes". L'INO ne fait aucune recherche fondamentale, seulement de la recherche appliquée qui vise rapidement la commercialisation, le transfert technologique et l'essaimage d'entreprises. Pas moins de 84 Ph. D y travaillent en petites équipes distinctes de 4-5 chercheurs, sur 14 technologies différentes, avec 145 objectifs. (Lors de la création de l'INO, 35 technologies prometteuses avaient été triées parmi la centaine de connues dans le monde et les 14 plus intéressantes avaient été finalement choisit pour constituer les domaines de recherches de l'INO.) "Ici, tous les chercheus travaillent avec des objectifs très précis, et ça fonctionne très bien puisqu'on obtient un taux d'atteinte de 67%", explique fièrement celui qui détient lui-même un Ph. D en physique.

 

Tableau 2-3

"Vingt personnes ont été engagées depuis le 1er mai dernier. Nous avons un taux de financement de 65% actuellement; il était de 38% à mon arrivée. Pas moins de dix "spin-offs" originent d'ici. L'INO est un des secrets les mieux gardés de la région de Québec", convainc-t-il. L'INO a effectivement plusieurs histoires de succès :

  • Aérex avionique
  • I/FO technologie
  • Lentilles Doric
  • Optel technologies
  • P&P Optica
  • FISO technologie
  • Instruments Régent
  • Nortech Fibronique
  • Optiwave Corp.
  • Pierre Langlois Consultant;
 
Le cégep de La Pocatière offrira d'ailleurs l'an prochain une formation spécialisée en photonique. Il sera la seule institution collégiale canadienne à offrir une telle formation, au sein de son programme de technologie physique dans le cas présent.

Contrairement à l'idée populaire, à l'INO, on ne fabrique pas que de la fibre-optique de grande qualité (que l'Institut vend par ailleurs de plus en plus: le jour de l'entrevue, son pdg confirmait encore une vente de 8M$, la plus grosse de l'histoire de l'INO - à des Américains - qui permettra, affirme-t-il, de construire une troisième installation de production). On teste également la performance d'une hélice de brise-glace. On trie des déchets-plastiques. On identifie le trafic automobile sur les routes avec des caméras-ordinateurs. On fait de l'imagerie sculptée dans le quartz. On fait du monitoring environnemental de polluants dans des usines, etc.

 

Le marché mondial de la photonique,
estimé à 78MM$ en 1993
par l'Opto-electronics Industry Decvelopment Association,
atteindrait 134MM$ en l'an 2000
et 232MM$ en 2003.
L'OIDA estime un marché de 450MM$ en l'an 2013.

 

Autant d'innovations, dans les domaines des procédés industriels, du transport, de la foresterie, de l'environnement, des télécommunications, de l'aérospacial, de la sécurité et du biomédical. La photonique est désormais présente presque partout. Elle joue même dans les plattes-bandes de la biogénétique!

 

Atteindre une masse critique

L'INO est cependant à la croisée des chemins. Si il trouve les ressources pour continuer normalement sa croissance, il pourrait atteindre la masse critique de 250 employés d'ici cinq ans et tripler ses revenus externes.

L'institut aimerait aussi agrandir de 5 000 mètres carrés la surface de 8 000 m3 qu'il occupe actuellement pour, entre autres, être en mesure de loger plus de "spin-offs" (l'INO, pour s'agrandir, est capable de mettre 2,5M$. Il demande 2,5M$ au Gouvernement du Québec et 2,5M$ au fédéral). L'INO représente aussi un actif stratégique pour le développement des PME: 30% de son budget va en R&D et 70% en ressources aux PME.

D'autres chiffres, qui servent présentement à l'équipe que monsieur Paquet dirige et qui rédige un projet de Stratégie régionale de développement technologique de la grande région de Québec révèlent qu'au total, 22 entreprises oeuvrent directement dans le secteur de la photonique à Québec. On cite notamment les EXFO, Technologie Lyre, Gentec, Infra Vision LSI, Bomem, Laser InSpek, des entreprises qui au total génèrent un chiffre d'affaires de 100M$ et emploient quelque 800 personnes.

 

L'INO représente aussi un actif stratégique
pour le développement des PME: 30%
de son budget va en R&D et 70%
en ressources aux PME.

 

 
Tableau 3
Objectif: devenir un centre d'expertise mondialement reconnu dans un domaine prometteur. "Au moment où je vous parle, dans la salle à côté, des gens de la Californie négocient. Ils viennent de décider de ne pas confier leur contrat à une autre entreprise américaine et acceptent d'en payer le prix pour faire affaire avec nous", confiait encore fièrement J.-G Paquet. "Ils cherchaient partout dans le monde le meilleur fabriquant pour leurs fibres. Lorsqu'ils ont découvert l'INO (NOI en anglais), ils pensaient que c'était aux États-Unis. Ils ont donc du coup découvert le Québec et le Canada, en même temps, ironise-t-il, à propos de cette autre victoire pour la notoriété de l'INO.

Une récente étude de retombées économiques réalisée par Price Waterhouse pour le compte de l'INO démontre que 64% des revenus commerciaux de l'Institut proviennent de clients situés hors Québec, soit 36% du reste du Canada et 28 % de l'étranger.

L'INO EN CHIFFRE

  • Annonce de l'INO à Québec: mai 1984
  • Création de la corporation: décembre 1985
  • Début des opérations: 1986
  • Première réunion sur le site: 13 décembre 1987
  • Inauguration officielle de l'édifice dans le PTQM: 16 juin 1988
  • 10è anniversaire de l'INO: juin 1998
  • Revenus: 52% commerciaux et 42% de contributions des deux gouvernements
  • Contrats: de 31 à 140 entre 1990 et 1997 dans le secteur privé
  • Valeur des contrats et des ventes de prototypes: plus de 16 M$ sur trois ans
  • Rentrées fiscales: 4M$/an
  • L'INO demande une aide financière gouvernementale annuelle de 8M$, partagée entre les deux paliers de gouvernement.
  • Outre les quelque 65 clients canadiens de l'INO, la liste de ses principales entreprises clientes en R&D compte une vingtaine de noms de l'étranger, provenant autant des États-Unis, que de l'Europe (Allemagne, Belgique, France, Suisse) et du Japon.

 

Pour en savoir plus sur une autre facette de la photonique à Québec, lisez dans notre rubrique Profils d'entreprises, l'article sur Neogenix Technologie.