Entrevue avec Ross Gaudreault, président-directeur général de la Société du port de Québec.
 

r02.gif (39027 bytes)L'industrie maritime et portuaire des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches a assisté, au cours des dernières années, à un remue-ménage que résume une voie obligée: le changement. L'opération INITIATIVE avec son large questionnement, la révision de la politique maritime canadienne avec l'important désengagement des organismes fédéraux, la récente et difficile grève des débardeurs au Port de Québec, n'ont pas manqué de conduire à certaines remises en question. Avant tout dédié au commerce international, le Port de Québec, avec ses infrastructures bien accolées à une ville patrimoniale reconnue par l'UNESCO, devra relever plusieurs défis dans les prochaines années.

Le 1er mai prochain, la plus ancienne institution portuaire au pays aura d'ailleurs officiellement un nouveau statut. La Société du port de Québec passera du statut de Société de la couronne à celui d'une agence fédérale à but non-lucratif appelée l'Administration portuaire de Québec (APQ). Les principaux changements apportés seront:

  • une plus grande autonomie;

  • obligation de tenir une assemblée annuelle publique;

  • un conseil d'administration de sept personnes avec représentation multiple (fédéral, provincial, municipal et quatre représentants des usagers);

  • obligation de verser des dividendes;

  • pas de garantie du gouvernement pour le financement de projets.

C'est dans ce contexte que le président-directeur général de la Société du port de Québec, Ross Gaudreault, a accordé, le 2 mars dernier, une entrevue à COMMERCE MONDE Québec Capitale.

Entrevue réalisée par Daniel Allard

(CMQC) Beaucoup de choses vont changer prochainement dans l'administration du port. Est-ce une bonne chose sur toute la ligne pour la région?

(Ross Gaudreault) "Oui, c'est excellent, parce que l'idée derrière cette nouvelle loi, c'est de donner plus outils au port pour que nous puissions prendre des décisions d'affaires plus rapidement, ici à Québec. Nous n'aurons plus besoin d'aller à Port Canada - qui n'existera plus - , ni au Trésor, ni aux Transports... Maintenant, si on a besoin de financer un projet, on a une marge de manoeuvre, établie avec Nesbitt Burns, que je ne peux pas dévoiler encore parce que ce n'est pas terminé, mais qui est largement suffisante pour nous permettre de bien fonctionner."

 

(CMQC) Qui composera le nouveau conseil d'administration?

(R. G.) "Pour les usagers, le ministre choisira quatre personnes sur une liste de huit proposée par les usagers. Pour les municipalités (Québec, Beauport et Sillery), c'est madame Christiane Germain. C'est le seul nom connu à date. Pour les six autres, il faut encore attendre, les nom seront connus vers la mi-mai."

 

(CMQC) "Avec votre nouveau statut d'APQ vous gagnez plusieurs choses, mais vous perdez toutefois la garantie du gouvernement pour le financement de projets. Comment voyez-vous l'avenir à ce propos?

(R. G.) "On a été le premier port au Canada à emprunter sur le marché privé. Aucun problème. On vient d'emprunter 23 M$ avec la Banque Royale pour la transaction avec Falconbridge sur les battures de Beauport. C'est un bon test... Les banques sont à genoux pour nous prêter et on a des bons taux. On est encore une société dont le propriétaire est le Gouvernement du Canada."

 

(CMQC) Vous dites que le port représente des échanges commerciaux avec plus de 50 pays. Est-ce que cela veut dire que des bateaux quittent le port pour des destinations dans autant de pays du monde?

(R. G.) "Oui, qui quittent ou arrivent, dans les deux sens!"

 

(CMQC) Avez-vous des alliances stratégiques avec d'autres ports?

(R. G.) "Il y a des jumelages qui se font. Nous on est jumelé avec les ports de la Basse-Seine (Honfleur, Rouen et Le Havre). Nous sommes aussi en train de signer une entente avec des ports en Argentine, Buenos Aires. Le ministre est venu ici, on regarde ça, on négocie... On est aussi jumelé avec un port de l'Ouest canadien, Fraser River, avec qui on fait des échanges d'étudiants. Chaque été, des étudiants de Fraser River viennent ici pour apprendre le français."

 

(CMQC) On parle d'une tendance au déplacement des marchés d'exportation qui inciterait les compagnies maritimes à ne favoriser qu'un seul port sur le St-Laurent, en diminuant le nombre d'escales, par l'utilisation de plus gros navires. Qu'en est-il?

(R. G.) "De plus en plus les bateaux essaient, effectivement, de limiter le nombre d'escales. Avant, c'était une tradition de faire cinq ports dans le St-Laurent. Maintenant, les bateaux grossissent et le coût par jour est plus élevé. Donc il faut qu'ils limitent le temps qu'ils passent à quai. Un bateau, c'est payant quand ça transporte des marchandises dans l'océan... alors ils vont viser à limiter le nombre d'escales dans le St-Laurent, une de préférence. Ca c'est une tendance. Éventuellement, on va devoir s'ajuster. On voit que ça commence à se produire plus qu'avant."

 

(CMQC) Lorsque Jean-Marie Vignola parle pour notre région d'une industrie maritime-portuaire qui mise sur le renouveau pour se repositionner, que comprenez-vous?

(R. G.) "On a de nouveaux projets, de nouvelles technologies. Si on signe nos nouveaux projets - et on va les signer - on va remplir les battures de Beauport."

 

(CMQC) Quels sont vos outils pour améliorer la compétitivité du port?

(R. G.) "C'est d'être capable d'opérer le port au plus bas coût possible. Et on l'a fait, on a réduit nos dépenses - pour l'administration portuaire - de 50% depuis six ans. Pour les opérateurs, ils ont maintenant une nouvelle convention collective, avec les débardeurs, pour cinq ans, qui va permettre de récupérer en compétitivité. Tout cela est une chaîne, vous savez. Il faut savoir se mettre ensemble et on le fait. On a, par exemple, réussi de cette manière à aller chercher un nouveau client pour le minerai de fer arrivant du Brésil, qui avant transigeait par le port de la Nouvelle-Orléans... Cela fait cinq ans que l'on gèle nos tarifs. Mais nous, selon la marchandise, on représente entre 5 et 20% du coût de passage. Le gros des coûts, c'est l'arrimage, le pilotage, le déglaçage, etc... ce n'est pas nous. L'administration portuaire, on est une petite PME de 15 M$ de revenus, alors que l'industrie portuaire, c'est 630 M$ d'impact économique. Nous en gelant nos tarifs, on aide les autres à performer. Également en affichant un leadership en réalisant une gestion serrée, en affichant un leadership en mise en marché... et en investissant dans de nouveaux équipements."

 

(CMQC) À propos d'un retour possible des conteneurs à Québec, vous avez dit, lors de votre récent discours devant la Chambre de commerce de Québec: "On a fait notre job, les opérateurs disent qu'il est encore trop tôt." Dans la perspective de ce qui se dessine avec les projets de super-port, soit à Halifax, New York ou Baltimore, donnez-nous un horizon, on parle de 2, 5, 10, 20 ans?

(R. G.) "Personne vraiment le sait, mais certainement pas avant 5-10 ans. À moins d'une décision imprévue. Des fois, les choses bougent vite dans l'industrie. On a rencontré les gens de Maerks à Toronto en janvier, ils n'avaient pas de projet dans le St-Laurent et trois mois plus tard, ils annonçaient leur arrivée dans le port de Montréal... Mais on ne compte pas là-dessus pour rentabiliser le port."

 

(CMQC) Et à ce moment là, est-ce qu'un partenariat portuaire Montréal/Québec, qui permettrait à Québec de faire de l'allégement - du Top Off - pour Montréal, sera votre stratégie?

(R. G.) "Non, ce n'est pas réaliste, cette idée."

 

(CMQC) Parlons des croisières maintenant. Est-ce que l'avenir du port, c'est surtout les croisières?

(R. G.) "Non, pas du tout, on niveau des revenus, ce n'est pas nous autres qui faisons beaucoup d'argent avec ça. Mais au niveau de la ville, de la région, l'impact économique régional est très important. Pour le marketing du port, c'est excellent cependant... On est rendu à 70 bateaux de croisière... Maintenant, il faut passer à l'étape des ligues majeures et s'équiper d'un véritable terminal. On est rendu là."

 

(CMQC) Pour le terminal, êtes-vous en campagne de charme pour le financement ou c'est déjà attaché le 4 à 6M$?

(R. G.) "Non, ce n'est pas attaché. On veut en faire un projet régional. On a une étude de faisabilité qui est commencée. On devrait avoir les résultats d'ici fin avril. On veut vraiment en faire un projet régional."

 

(CMQC) Quels sont les choix qui s'offrent à vous comme sites possibles?

(R. G.) "On a déjà la bâtisse. Il n'y a pas à choisir. Elle est là, devant le quai 21. Il ne reste qu'à y faire des aménagements. On pense être prêts pour l'été 2000 et on va être prêts!"

 

(CMQC) Vous dites que le projet n'est pas lié d'une manière incontournable à celui de l'aéroport. Y-a-t-il d'autres cas, dans l'industrie, de ports d'embarquement qui voyagent les croisiéristes par autobus pour joindre un aéroport à 250km?

(R. G.) "Vancouver! Pour éviter les douanes, ils "bus" les gens de Seattle pendant 3h30. À Miami, c'est jusqu'à 6-7h00. Nous autres, c'est 2h30 pour Québec-Montréal. C'est évident que l'idéal serait d'avoir les lignes aériennes directement à Québec, mais cela viendra avec le temps. Il faut d'abord développer le marché."

 

(CMQC) Croyez-vous aux croisières nordiques, en hiver, à Québec?

(R. G.) "D'abord, les bateaux ne pourraient pas utiliser les quais tels quels, à cause de la glace. Ensuite, je ne pense pas que le volume est là. Dans mon esprit, on va s'occuper de remplir les mois de mai, juin, juillet, août, septembre, octobre avant!"

 

(CMQC) Depuis quelques années, de plus en plus de gens font pression pour promouvoir un meilleur accès public au Bassin Louise. Certains rêvent de baignade. Avez-vous un plan en ce sens?

(R. G.) "Oubliez ça. C'est non! Non! Une plage, d'abord, il y en a une à la baie de Beauport. Le Bassin Louise, c'est une marina. Il n'y aura pas de baignade dans le Bassin Louise, oubliez ça. Ce n'est pas une plage, c'est clair! C'est une marina. On y a investi beaucoup d'argent et il n'y aura jamais de place pour une plage au Bassin Louise."

 

(CMQC) Serait-il possible d'ouvrir un bateau-hôtel de classe internationale dans le port actuellement?

(R. G.) "Des gens ont tenté le coup en 1984 et ont perdu beaucoup d'argent. Oubliez ça. La réponse à votre question, c'est non!"

 

(CMQC) Quand on regarde la carte, ce sera quoi le port dans vingt ans?

(R. G.) "Avec nos projets en cours, l'agrandissement aux Battures de Beauport sera certainement réalisé. Il y aura trois quais de plus et, au bout, la plage aura été refaite, plus à l'est, avec une belle zone tampon..."

 

(CMQC) Merci!