Toujours unique régénérateur de gel de silice au monde
SiliCycle ajoute la production de gels de silice spécifiques

par Daniel Allard

DEC.gif (41498 bytes)À 2 000$ le kilo dans certains cas, les gels de silice spécifiques attirent facilement l'attention. C'est donc presqu'en riant que les fondateurs de l'originale entreprise de Québec racontent qu'il n'y a pas si longtemps encore, ils profitaient des week-ends pour visiter les fleuristes de la région, afin d'y vendre, à 15$/kilo, un gel de silice capable de fabriquer de magnifiques fleurs séchées! "Ca faisait au moins un petit revenu pour l'entreprise", précise Hugo Saint-Laurent.

Aujourd'hui, ses clients ont une autre allure et "jardinent" plutôt dans des laboratoires de renom: BioChem Pharma, M.I.T., Astre Research, Bristol Myers Squibb, Boehringer Ingelheim, Southern Research Institute, SmithKline Beecham... En tout, ils sont déjà une centaine, à travers le Canada, les États-Unis et en Jamaïque.

Avec de légitimes visées mondiales, SiliCycle s'intéresse et intéresse en fait tous les laboratoires du monde qui font de la chromatographie, parce qu'elle est la seule entreprise qui leur offre de les débarrasser du gel de silice souillé tout en le régénérant. La chromatographie est une méthode de séparation des constituants d'un mélange, fondée sur leur absorption sélective par des solides qui se réduisent en poudre, dits  pulvérulents. Semblable et aussi blanc que du sucre en poudre, le gel de silice, largement utilisé dans ce processus, en ressort généralement avec le titre de déchets dangereux, bon que pour les sites d'enfouissement appropriés. Le génie de Luc Fortier, l'autre co-fondateur de SiliCycle, c'est d'avoir trouvé une façon de recycler ce gel de silice. Une technique qu'il est encore le seul à maîtriser sur une base commerciale dans le monde et qu'il s'apprête à utiliser à l'échelle industrielle dès fin septembre 1999.

UNE HISTOIRE D'ÉTUDIANT OBSERVATEUR ET PERSÉVÉRANT RESPECTUEUX DE L'ENVIRONNEMENT

Alors étudiant en chimie à l'Université Laval, Luc Fortier n'apprécie pas constater que tout le gel de silice utilisé lors des travaux en laboratoire se retrouve automatiquement à la poubelle, après une seule utilisation. C'est là que naît l'idée: trouver une façon de recycler le gel de silice. Nous sommes en 1988, l'année de la graduation du jeune chimiste. Appuyé par le professeur Robert H. Burnell, qui trouve alors l'initiative excellente - et qui l'accompagne toujours d'ailleurs - le chercheur s'acharne, puis découvre et développe un procédé qui fait maintenant du gel de silice un produit réutilisable.

Mais la brillante invention avait encore du chemin à faire pour atteindre l'étape de la commercialisation. À la recherche d'un partenaire, c'est à travers les références de l'organisme Entrepreneuriat Laval que Luc Fortier rencontre Hugo Saint-Laurent, pour sa part tout nouveau gradué en génie chimique, une première fois, dans le sous-sol du Pavillon Vachon, en 1994. Ensemble, ils décident de monter un plan d'affaires, qu'ils proposent d'ailleurs à Entrepreneuriat Laval, dans le cadre du concours "De l'idée au projet".

Une très bonne idée! Ils en sortent doublement primés, en raflant pour 1994-95, le 1er prix Enviro-Défi, remis par Enviro-Accès pour l'avancement des technologies environnementales au Québec, et le 1er prix Défi Sol-Déchet, remis par la compagnie Groupe Serrener inc. pour la création d'une nouvelle technologie en gestion des déchets. Sur la même lancée, une aide de 44 000$ du plan Paillé, en 1995, permet aux deux fondateurs fraîchement incorporés de véritablement se lancer en affaires. La suite de leur histoire ne fait que démontrer qu'ils ont su utiliser à peu près tous les moyens pour réussir mis à la disposition de jeunes entrepreneurs dans la région de Québec: SAJE, CRÉDEQ, CQVB, DÉC, FPGST-E, FAE, CNRC, SPEQM, Accès Capital, MIC, INNOVATECH...

En mars 1996, un premier employé, Simon Bernier, un autre gradué en génie chimique de 1994, se joint au duo. Un mois plus tôt, l'incubateur du Centre de création et d'expansion d'entreprises de Québec (CRÉDEQ) avait répondu favorablement à leur demande d'adhésion. C'est là qu'ils passeront les 25 prochain mois. Toujours à la recherche de la mise au point d'un premier procédé artisanal de production, la petite équipe se lance aussi à la recherche de ses premiers clients. Ce qui est fait dès juin 1996: "Si ma mémoire est bonne, Biogénie a été notre premier client. Une commande de l'ordre de 6 000$. Mais parfois, c'est à coup de 100$ que nous acceptions des contrats", explique Hugo Saint-Laurent, aujourd'hui directeur général de SiliCycle.

Au printemps 1997, l'arrivée d'André Couture, fraîchement gradué en génie industriel de l'Université du Québec à Trois-Rivières, donne une nouvelle impulsion à SiliCycle, les deux fondateurs l'accueillant comme partenaire-actionnaire. La recherche d'un véritable premier financement les amène même à devoir conclure qu'ils doivent voir plus grand! Résultat: c'est à la hauteur de 850 000$ que se conclut cette première phase de négociation.

En fait, l'année 97-98 fut particulièrement mouvementée: fin de la période d'incubation au CRÉDEQ et déménagement, finalisation d'un financement de 850 000$ (150 000$ du CQVB, 100 000$ d'Accès Capital, un prêt petite entreprise, PPE, de 250 000$ de la Banque Royale, 78 000$ du MIC, 84 000$ du FPGST-Environnement, 65 000$ du FAE, 35 000$ du CNRC et 90 000$ de DÉC). En février 1998, en la personne de Serge Olivier au c.a., Accès Capital (une filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec) devient le quatrième actionnaire de SiliCycle. 

UNE CAPACITÉ DE PRODUCTION MULTIPLIÉE PAR 20 AVANT L'AN 2000

Depuis avril 98, SiliCycle a quitté l'incubateur du CRÉDEQ, faute d'espace disponible. "Ce fut tordu de trouver un local approprié", confie après coup le directeur général, maintenant bien content des 5 500 pieds carrés qu'il occupe, toujours à Québec, sur la rue Saint-Jean-Bapthiste, tout juste à l'ouest du Parc technologique du Québec métropolitain, dans un immense bâtiment qui permettra facilement d'agrandir, le moment venu.

La priorité du moment va cependant aux derniers ajustements qui permettront le passage à la phase de production industrielle. "On se considère en fin de phase de démarrage. Il aura fallu 2-3 ans pour la mise à l'échelle de notre procédé. Depuis la fin de 1996, nous avons pu compter à plusieurs reprises sur l'aide du CNRC (Conseil national de recherche du Canada) pour améliorer notre procédé. Maintenant, la production industrielle automatisée, c'est pour la fin du mois de septembre qui arrive", ajoute-t-il fébrilement.

Septembre 1999 est donc le mois cible au cours duquel l'entreprise, grâce à l'installation de ses nouveaux équipements, multipliera par un facteur de 20 sa capacité de production. Et cette nouvelle étape n'est d'ailleurs pas la seule bonne nouvelle. "Il nous faut répondre à la demande, et comme des clients nous en demandent, nous allons devoir aussi produire du gel de silice neuf", poursuit Hugo Saint-Laurent.

Cette décision d'ajouter un volet fabrication à celui de la récupération - aujourd'hui, il préfère parler de régénération plutôt que de recyclage - touche en fait le coeur du potentiel de développement de l'entreprise au-delà du court terme. L'aspect le plus excitant de cette décision est d'ailleurs le fait qu'avec certains équipements nouveaux, l'option de fabrication de gel de silice spécial, dit "fonctionnalisé", ouvre aussi la porte d'un marché extrêmement lucratif: "On parle alors d'un produit qui se vend jusqu'à 2 000$ le kilo. Et ce n'est qu'un début, car il y aura des applications nouvelles", précise l'homme d'affaires, qui vise ainsi de nouveaux marchés, tel celui de la pétrochimie, entre autres.

Septembre 1999
est le mois cible où SiliCycle
multipliera par un facteur de 20
sa capacité de production.

Autre élément positif, d'ici quelques mois, le processus de brevet pour le procédé de régénération sera également complété, ce qui permettra d'envisager des transferts de technologies ou des implantations d'usines à l'étranger. Cette dernière option risque même de s'imposer, du simple fait que les réglementations environnementales, particulièrement en Europe, peuvent rendre difficile l'exportation de la silice souillée et qu'il vaudra mieux la traiter sans sortir d'un pays.

Enfin, lors du dernier Gala des Fidéides, de la Chambre de commerce régionale de Sainte-Foy, SiliCycle a finalement été nommée Jeune entreprise innovante de la région de Québec en 1999.

UN MARCHÉ MONDIAL COMPTANT MOINS DE DIX JOUEURS  

Actuellement, seulement sept-huit fabriquants se disputeraient le marché mondial du gel de silice. Tenant visiblement à demeurer peu loquace à ce propos, Hugo Saint-Laurent explique tout de même que le plus important producteur est une société en Allemagne, E-Merk, qui détient environ 60% du marché. Nos recherches ont par ailleurs identifié la compagnie Pharmacia, à Uppsala, en Suède, ainsi que Grace Davison, aux USA. Une société au Japon et quelques autres en Europe seraient aussi du nombre, mais aucune entreprise du Canada.

Aujourd'hui, SiliCycle vend et récupère du gel de silice essentiellement à travers le Canada et les États-Unis. Son client Biochem Pharma lui a aussi fait réaliser des ventes en Jamaïque. Ses produits restent destinés aux chercheurs employés dans les compagnies pharmaceutiques et biotechnologiques, dans les centres de recherche universitaires et dans les laboratoires hospitaliers. Jusqu'à maintenant, la force de vente de la compagnie n'a toujours compté que sur la vente directe par ses propres dirigeants, auprès des opérateurs de site de chromatographie en laboratoire.

Avec une moyenne d'âge autour de 25 ans, l'équipe d'une quinzaine d'employés de SiliCycle sait également qu'elle doit relever le défi de la maturité, surtout aux yeux des investisseurs-partenaires qui se font de plus en plus nombreux, si elle veut prendre une place significative sur le marché mondial. Avec la création d'une SPEQ (Société de placements dans l'entreprise québécoise), l'entreprise a par ailleurs offert un programme d'accès à l'actionnariat à ses employés. La direction de SiliCycle reste aussi très fortement constituée de jeunes ingénieurs. Remarque à laquelle Hugo Saint-Laurent se presse de répondre: "Nous recherchons activement des vendeurs avec profil scientifique depuis deux mois. Et surtout, un senior en vente pharmaceutique, pour les ventes à l'exportation."

LA RÉGION DE QUÉBEC COMPTE UNE IMPORTANTE MINE DE SILICE

Bien qu'il ne s'agisse que d'un hasard, c'est à quelques dizaines de kilomètres seulement d'une importante mine de silice que les fondateurs de SiliCycle ont créé leur entreprise! Saint-Urbain, dans la région de Charlevoix, juste au nord-est de Québec, compte effectivement un site qu'exploite la compagnie Baskatong Quartz. Il s'agit d'une mine de SiO2 de très bonne qualité, mais qui a le défaut d'être loin des marchés, sur la route 381, dans le Parc des Grands-Jardins! Une douzaine d'employés y extraient la fameuse pierre de silice blanche. C'est dans la région de Montréal que la compagnie Unimine exploite, à Saint-Canut et à Saint-Donat, la plus grosse mine de silice au Québec. Le SiO2 sert surtout dans la production industrielle du verre, du carbure de silicium et du silicium-métal. Une très faible part devient du gel de silice!

Pourquoi sont-ils toujours seuls au monde à faire de la régénération de gel de SiO2? "C'est parce que c'est super compliqué. Luc Fortier y a consacré onze années de sa vie", explique son partenaire, qui ne voit toujours pas de concurrence à l'horizon. "Le plus beau de l'affaire, c'est que notre recette chimique permet maintenant d'offrir le produit le plus pur sur le marché, du gel de silice plus pur que du neuf", continue-t-il. Et à 40$/kilo, ce gel régénéré est vendu encore 20% moins cher que le gel neuf, actuellement à 50$/kilo sur le marché, en plus d'éviter de lourds coûts d'évacuation de déchets dangereux pour ses clients.

Combien en vendent-ils? Sans aller dans le détail, Hugo Saint-Laurent accepte de dire que son chiffre d'affaires annuel est encore sous le million $, mais assure qu'il va bientôt le dépasser! Une prédiction tout à fait crédible, compte tenu des investissements en cours, qui permettront à SiliCycle de passer maintenant à un niveau de production industriel, à partir d'un procédé entièrement automatisé. Une prédiction qu'il n'est manifestement pas seul à partager, puisque la Société INNOVATECH Québec et Chaudière-Appalaches vient de s'ajouter aux autres investisseurs fidèles à SiliCycle, avec une participation de 300 000$ annoncée début septembre! Un investissement qui s'inscrit dans une ronde de financement de 400 000$, puisque Accès Capital investit pour sa part 100 000 $.