Accès Washington-Québec-Toronto et avenir de VIA-Rail
L'enjeu train en jeu: THV, ICE ou TGV?

par Daniel Allard

Dans la tête du maire de Québec, Jean-Paul L'Allier, l'avion ne permettra jamais de corriger la situation géographique quelque peu ex-centrée de la région économique de Québec par rapport au reste de l'Amérique du Nord. Mais le train, oui! Et avec la privatisation - même partielle - de Via Rail dans l'air, un nouveau scénario devient possible.

Lorsqu'on réalise que le corridor Washington-New York-Boston sera bientôt desservi par un train à haute vitesse (THV) - le consortium Bombardier-Alstom commencera à livrer à Amtrak les rames et les locomotives dans quelques mois - on se prendrait même à rêver. La ville de Québec aurait-elle comme destin de devenir le point central du croissant ferroviaire rapide Washington-Québec-Toronto?

Québec aurait-elle comme destin
de devenir le point central du croissant ferroviaire rapide
Washington-Québec-Toronto?

La technologie retenue par Amtrak pour moderniser son service n'est pas celle du TGV, très répandue en Europe. Il s'agit plutôt d'un train à haute vitesse (THV) sensiblement moins dispendieux. L'Acela Express, c'est son nom, s'adapte facilement et peut être exploité sur n'importe quel système ferroviaire au monde et peut atteindre la vitesse de 240 km/h. Ce nouveau service, qui débutera quelque part en l'an 2000, est au centre de la nouvelle stratégie de la compagnie américaine, qui veut rentabiliser ses opérations pour se libérer des subventions publiques.     

Tableau 1

TROIS OPTIONS POSSIBLES POUR AMÉLIORER LE CORRIDOR DE VIA RAIL ENTRE QUÉBEC ET TORONTO 

THV* ICE** TGV***
Vitesse: 240km/h 330km/h  450km/h
 
Durée du voyage****:
(Québec-Montréal)  1h45 1h25   1h11
*         Correspond au train à haute vitesse Acela Express, commandé par Amtrak, qui reliera Washington et Boston l'an prochain.
**       Correspond au train ICE-3 de Bombardier   
***     Équivalent de la technologie du TGV en France
****  Selon les calculs de Commerce Monde
(Sources: Bombardier Transport, Saint-Bruno, Canada, 1999)

Tableau 2

DONNÉES TECHNIQUES DU ACELA EXPRESS WASHINGTON-BOSTON D'AMTRAK

Vitesse: 240km/h
Durée du voyage:
(Washington-New York) 3h00
(Boston-New York) 2h45
Nombre de passagers:

Voiture-coach  

65

Première-classe 

44

Voiture-queue

65

 Total par train

304
Valeur du contrat pour Bombardier:  $ 972 millions CAN
Corridor actuel:  oui
Entrée en service:  2000
Notes: Chaque train compte 2 voitures-moteurs et 6 voitures-passagers (3 coach, 1 première classe, 1 voiture-bistro et 1 voiture de queue). AMTRAK achète 20 trains et 15 locomotives électriques.  

           

(Sources: Bombardier Transport, Saint-Bruno, Canada, 1999)

 

À l'heure où les compagnies aériennes des États-Unis rusent maintenant ouvertement pour mettre la main sur le contrôle des lignes aériennes du Canada, il est facile de prévoir que le même processus pourrait s'opérer à moyen terme pour le marché ferroviaire en Amérique du Nord. Via Rail n'est pas tout à fait à vendre. Mais de récentes interventions publiques du ministre fédéral responsable des transports et de Via Rail ouvrent certainement la porte à une prise de contrôle du genre.

LE MINISTRE COLLENETTE MET LA TABLE

Les dernières annonces du ministre des Transports du Canada, David Collenette, n'entrent aucunement en contradiction avec un tel scénario. Début juin, il expliquait son intention de revitaliser Via Rail en confirmant qu'il s'engageait à maintenir la subvention fédéral de 170 millions $ par année. En affirmant que tout investissement dans l'expansion du rail passager au Canada devra venir du secteur privé, il a invité les entreprises à lui envoyer leurs proposition pendant l'été. Il a surtout annoncé qu'il prévoyait rendre public un énoncé de principe à l'automne de 1999. Les événements des prochains mois risquent donc d'élargir le débat et d'être riches en rebondissement!

Après la privatisation du CN, de l'administration de la Voie maritime, des aéroports et des ports du pays, plusieurs analystes pensent que la table est mise pour la cession en concession de Via Rail à un gestionnaire privé. Le ministre a déjà écarté toute privatisation totale de cette société de la Couronne. "Le train-voyageur doit être assisté par le gouvernement", croit-il. Mais il est raisonnable de penser qu'au moins quelques unes des 40 entreprises mondiales déjà consultées par Transport Canada ont déjà mis le ministre en confiance et qu'elles ne tarderont pas à faire connaître leur intentions. L'heure des grands choix sonnerait-elle bientôt pour l'avenir de l'industrie du train de passager au Canada?

Toronto - la troisième plus grosse "province" du Canada - est encore à au moins une bonne dizaines d'heures de train de Québec et à près de trois heures d'avion, en comptant les temps de transports aéroports/centre-ville. Le projet TGV du consortium Linx impliquant Bombardier avance depuis plusieurs années qu'il relierait Québec-Toronto d'un centre-ville à l'autre en un peu plus de trois heures. Pour le trajet Québec-Montréal, on parle de seulement 1 heure 11 minutes! De quoi chambouller largement l'industrie des autobus interurbains et des compagnies aériennes. Mais le dossier est très complexe, particulièrement du côté de ses aspects financiers.

LE DÉFI DU FINANCEMENT

Qui doit financer? Au siècle dernier, au Canada, on a presque fait un pays avec la construction du chemin de fer d'un océan à l'autre. Les gouvernements ont alors été très largement mis à contribution. Mais les temps ont changés. Aujourd'hui, il existe des multinationales qui ont les reins drôlement plus solides qu'à cette époque du charbon et du train à vapeur. Un seul exemple: Bombardier Transport annonçait récemment qu'elle est prête à financer, avec trois autres compagnies, un projet de plusieurs milliards $, pour rénover deux lignes du métro de Londres, en échange d'une concession d'exploitation de 25 à 30 ans!  

Un train rapide Washington-Québec-Toronto serait-il la solution?

Les considérations environnementales étant ce qu'elles sont maintemnant, il n'est par ailleurs pas impensable d'imaginer que la participation publique, dans un montage financier mixte, se finance à partir d'une taxe spéciale sur l'essence, par exemple. L'évolution actuelle de la situation générale du bilan de santé de l'environnement mondiale fait même automatiquement pencher la balance un peu plus dans le sens de choix collectifs du genre, année après année.

Taxer l'essence
pour rentabiliser
le train rapide?

Finalement, le financement d'un train rapide Québec-Toronto prend une toute autre signification, dès lors qu'il est partie prenante d'une entreprise, opérant tout le croissant ferroviaire reliant l'ensemble des villes importantes ceinturant le nord-est du continent américain, de Washington à Toronto. Avec 100 millions de clients potentiels, on fait des choses qu'on n'imagine même pas avec 10 millions de clients potentiels!