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Le meilleur concurrent du Bitcoin : un nouvel étalon-or ?

La première et toujours reine des cryptomonnaies est aussi impressionnante qu’elle fait peur pour d’autres. En à peine une décennie, elle est arrivée à véritablement concurrencer le système monétaire établi. Pour les plus optimistes, elle le menace même.

L’invention du Bitcoin est par ailleurs forte de l’usage de plusieurs concepts qui sont aussi propres à l’or. Ce n’est pas pour rien que la cryptomonnaie est aussi appelée « digital gold »… L’or n’avait pas que des défauts, même lorsqu’il fut sorti totalement du système monétaire par la décision du président Nixon, en 1971 : la fin du dollar gagé sur l’or permet, depuis, aux États d’utiliser la planche à billet sans limite. Oui, l’étalon-or limitait la capacité des gouvernements à jouer avec la masse monétaire.

La théorie économique vient effectivement aussi poser des arguments. En vérité, il y a plus d’or en circulation dans un système monétaire sans étalon-or que dans un système d’étalon-or; l’étalon sans or est plus coûteux en or que l’étalon-or. Car la bonne argumentation veut que c’est lorsque la monnaie n’est pas aussi bonne que l’or dans l’esprit de ceux qui la détiennent que l’or revient dans la circulation et qu’il est à propos d’exploiter les mines pour satisfaire aux besoins. Bref, une monnaie gagée sur l’or, aussi bonne que l’or, as good as gold, permet d’économiser de l’or en le faisant de manière commode disparaître de la circulation quotidienne.

L’essentiel du système étant l’obligation pour les banques d’émission de faire face à leur clause de convertibilité : ce qui aboutit à une autorégulation de la masse monétaire et, conséquemment, à une saine discipline du système bancaire et des finances publiques.

Alors, serait-il bon d’y revenir?

QUAND L’HISTOIRE TOURNE MAL

Après un bon siècle de bon service, le système de l’étalon-or a d’abord été mis sur la glace à cause du contexte particulier d’une Europe du va-t’en-guerre, en 1914, qui voulait justement recourir à la planche à billet pour financer son armement. Une opération qui devait être temporaire… Mais l’histoire fut autre! Et c’est finalement Washington, deux fois d’ailleurs, qui fera le coup de grâce de sa disqualification. Si le 31 janvier 1934 le fraîchement élu président Roosevelt décide de « sacrifier » la vénérable parité du dollar – établie depuis 1834 – en procédant à une massive dévaluation – de 20,67 dollars l’once à 35 dollars l’once d’or – ce fut ensuite son homologue Nixon, le 15 août 1971, qui mit fin au système et passa au change flottant. Car c’était ça ou pire… Le politicien a alors fait son choix… de politicien!

Mais cette déroute remontait à des décennies de méprise. Au fétichisme d’une parité datant d’avant-guerre et donc forcément dépassée.

Fétichisme d’orgueil nationale, prestige de leadership mondial, l’entêtement à la parité inchangée pendant trop de décennies coûtera une honteuse capitulation monétaire au vainqueur des vainqueurs et une fin de l’histoire pour un étalon-or pourtant valable comme système dans l’économie mondiale.

Avec 1944 et les décisions issues de Bretton Woods, les banques centrales purent émettre de la monnaie non plus seulement en fonction de leur stock d’or, mais aussi en fonction de leurs réserves en dollars US. Le Gold Exchange Standard fera force de loi universelle. Mais avec cette parité de 35$ l’once d’or que l’oncle Sam considérera malheureusement comme sacro-sainte.

Oui malheureusement…, car on fera là l’erreur – double même – de croire qu’il n’y a pas assez d’or pour gager le système monétaire mondial. Et le Gold Exchange Standard sera instauré sous prétexte d’économiser l’or. Mais ne fallait-il pas plutôt avouer que s’il y a alors pénurie apparente de métal jaune c’est simplement par le fait que son prix officiel reste toujours à 35 $, alors que tous les autres prix des marchés ont doublé, triplé, quadruplé, voire plus, depuis 1934 et le début de l’ère Roosevelt?

ET DE PIRE EN PIRE

Et que se passe-t-il depuis le fatal 15 août 1971? Dès qu’une monnaie n’est pas gagée sur l’or – ou tout autre étalon valable – chaque pays peut manipuler sa monnaie comme il l’entend.

Si depuis le tournant du millénaire l’inflation semble avoir quasiment universellement disparu au niveau des biens et des services, c’est pour reparaître ailleurs dans les actifs. Et cette inflation est bien plus dangereuse, car elle attise la spéculation sur les matières premières, l’immobilier, sur le numérique aussi, incluant le bitcoin et toutes autres cryptomonnaies… De fait, sur tout ce qui est susceptible de nourrir l’envie de la Bourse.

Et dans un monde qui voit dorénavant les banques centrales totalement libres et indépendantes face au pouvoir politique, à titre d’institution ayant pleinement obtenue son indépendance et la rendant juridiquement et politiquement totalement irresponsable, il y a risque de dérive pénible, et dérive pénible…

C’est à ce propos que Philippe Simonnot (Nouvelles leçons d’économie contemporaine, Ed. Gallimard, 2017) lâche un jugement impitoyable :

« Les autorités politiques n’ont certes pas eu tort de renoncer à leur pouvoir monétaire, tant il est vrai que l’histoire a montré à maints occasions le mauvais usage qu’elles font de cette prérogative de « battre monnaie ». Cependant, au lieu de le confier à des instances comme les banques centrales, totalement hors contrôle et régies par des conceptions inadaptées, ils auraient dû adopter le système de l’étalon-or, le seul à pouvoir réguler le système avec efficacité et stabilité. »

Conséquemment, il plaide ensuite pour une « monnaie libre » : « (…) c’est-à-dire non soumise aux intérêts politiques et non pas gérée par des institutions mais en référence à l’étalon-or. Dans ce cadre, aucun pays ne peut déployer son nationalisme monétaire puisque personne ne peut dévaluer l’or pour son propre bénéfice. »

Simonnot allant vite encore plus loin puisque, selon-lui, il y a « urgence à adopter l’étalon-or car la guerre monétaire ne peut que s’intensifier. Les grandes monnaies du monde étant aux mains des politiques ». Avec comme principal résultat que le protectionnisme monétaire prend la place du protectionnisme commercial.

« Nous sommes arrivés au stade ultime des contradictions du système », ajoute-t-il. La monnaie n’étant plus reliée à aucune réalité économique, « on fait n’importe quoi », tonne encore le professeur d’économie.

Qui plaide donc pour une monnaie-or, sans banque centrale, car une monnaie-or peut fonctionner – et a fonctionné – sans de telles institutions.

Encore de la théorie économique :

  • À un moment donné, pour une société donnée, on peut considérer que la masse d’or à la disposition de l’économie est fixe, ou du moins qu’elle ne dépend pas des décisions des partenaires à l’échange.
  • De plus, aucune autorité centrale n’est nécessaire pour assurer la régulation de la masse monétaire en fonction des besoins de l’économie d’une société. Ladite régulation se faisant « d’elle-même », parce que la monnaie en question est elle-même « ancrée dans la réalité la plus matérielle ». Effectivement, l’or reste toujours aussi un bien industriel dans une économie moderne.

Alors est-il crédible, en plus d’en parler, et de le proposer, de voir apparaître un étalon-or en 2019 ou bientôt, voire réapparaître un nouvel étalon-or?

OU EST L’OR DU MONDE EN 2018?

Et si la localisation des stocks d’or dans le monde nous indiquait une partie de la réponse? Ceux qui ont l’or en leur possession n’ont-ils pas intérêt en la matière?

1934, 1944, 1971… Or, c’est encore Washington qui pèse pesant, ici.

Si globalement l’Europe entière, avec environ 10 800 tonnes, était, selon les chiffres de 2016, plus riche en stock d’or que les États-Unis, ce pays, avec plus de 8 000 tonnes, est bien devant l’Allemagne (3 400), ou l’Italie (2 400) ou la France (2 400), voire encore la Chine (1 700) et la Russie (1 400), la première puissance mondiale de l’or actuellement.

L’OR OU LE BITCOIN?

Au fait, soyons modernes : pourquoi pas un étalon-bitcoin, plutôt que l’archaïque or?

« Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple? » Voila la réponse de Philippe Simonnot.

« La monnaie-or étant d’une facilité biblique, comparée à son mime cryptographique, beaucoup moins coûteuse à faire fonctionner, beaucoup plus écologique, pourquoi ne pas y revenir pour de bon? », conclu-t-il.

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Lire notre autre article : POUR EN FINIR AVEC LA CRISE DE 2008

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Défi : survivre aux « quatre cavaliers de l’Infocalypse »

L’Empire de la surveillance. C’est le titre d’un essai d’Ignacio Ramonet de 2015 devenant doublement intéressant parce que contenant aussi une interview avec Julian Assange sur le même sujet. Les explications du fondateur de WikiLeaks sur sa rencontre de juin 2011 avec Eric Schmidt, alors président exécutif de Google et ensuite devenu patron d’Alphabet, sont révélatrices d’un malaise de société en pleine construction. Et les plus récentes années confirment effectivement que les liens entre le gouvernement des États-Unis, surtout la NSA (National Security Agency), et les dirigeants du GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone, Microsoft) sont bien réels, voire proche de la collusion. Bref de gros arguments pour les tenants de la mise en place d’une efficace, réelle et menaçante société sous totale surveillance. Sommes-nous vraiment sous l’emprise d’un empire de la surveillance? Nos libertés fondamentales sont elles menacées devant la quête de sécurité? Confrontés aux menaces du mal, nos États vont-ils trop loin? Assange affirme lui même que les démocraties sont confrontées à pas moins de « quatre cavaliers de l’Infocalypse » : le terrorisme, la pornographie enfantine, le blanchiment d’argent, ainsi que les guerres contre la drogue et le narcotrafic.

Selon le Larousse, surveiller, c’est « observer attentivement quelqu’un ou quelque chose pour le contrôler ».

Chacun des quatre fléaux « infocalyptiques » doivent évidemment être combattus. Mais pour Julian Assange, ils servent aussi de « prétexte » au renforcement permanent des systèmes de surveillance globale des populations. Ramonet résume bien la chose : « Le problème n’est pas la surveillance en général, c’est la surveillance de masse clandestine. »

« Il va de soi que, dans un État démocratique, les autorités ont toute légitimité, en s’appuyant sur la loi et avec l’autorisation préalable d’un juge, de placer sous surveillance toute personne qu’elles estiment suspecte. » Ignacio Ramonet

« (…) Le problème, c’est lorsqu’ils nous contrôlent tous, en masse, tout le temps, sans aucune justification précise pour nous intercepter, sans aucun indice juridique spécifique démontrant qu’il existe une raison plausible à cette violation de nos droits », dans « Entretien avec Edward Snowden », New York, The Nation, 28 oct. 2014.

Dans son livre le plus célèbre, De la démocratie en Amérique (1835), Alexis de Tocqueville, qui observait que les démocraties de masse produisent des citoyens privés dont une des préoccupations principales est la protection de leurs droits, n’avait rien pour voir venir le monde soudainement orwélien, à la 1984, que l’Internet pose dorénavant.

Depuis le 11 Septembre, la quête de sécurité absolue que vendent de plus en plus de politiciens populistes au nom d’un État protecteur face au terrorisme est une chimère. Outre les révélations de l’état de nos États en la matière portées à la connaissance du grand public par les lanceurs d’alerte, le citoyen des années 2010, et à venir, devrait aussi se souvenir de la lucide mise en garde qu’avait lancée Benjamin Franklin lui-même, cet auteur de la Constitution des États-Unis d’Amérique : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’un ni l’autre. Et finit par perdre les deux ».

Ramonet nous offre d’ailleurs une définition d’Internet qui donne bien le ton de l’enjeu : « Pour ces nouvelles générations, Internet représente ce qu’étaient pour leurs aînés, à la fois l’École et la Bibliothèque, l’Art et l’Encyclopédie, la Polis et le Temple, le Marché et la Coopérative, le Stade et la Scène, le Voyage et les Jeux, le Cirque et le Bordel »

LA BATAILLE POUR L’INTERNET DE L’AVENIR

Mondialement, l’Internet est encore un « jeune adulte » qui profite de ses 20 ans. Né libre, il veut conserver ce caractère face à l’État. Mais devant lui le contrôle des États est puissant et rusé. Et se dresse avec plus d’un demi siècle d’expérience. Car c’est dès septembre 1945 que le président Harry Truman accepte d’entamer des négociations secrètes afin de constituer une alliance qui fera naître dès mars de l’année suivante un SIGINT même en temps de paix au profit du « Five Eyes » : USAUKCanadaAustraliaNew-Zeland.

SIGINT comme : Signals Intelligence. C’est-à-dire le renseignement d’origine électromagnétique dont les sources sont des communications utilisant les ondes (radio, satellite), un radar ou des instruments de télémesure. Donc, outre les écoutes téléphoniques, un SIGINT comporte la surveillance des courriers électroniques et des réseaux sociaux de l’Internet d’aujourd’hui.

Ramonet qualifie l’accord de 1945 d’ « ancêtre » de la NSA; elle, officiellement créée en 1952 en unifiant les différentes agences de renseignement militaires des États-Unis. Elle, aujourd’hui installée à Fort Meade, et qui utiliserait maintenant jusqu’à des insectes volants robotisés pour espionner partout dans le monde (le Courrier international en parlait dans son édition du 1er avril 2010).

Pour souligner les risques d’installation d’une « société de contrôle » l’essai d’Ignacio Ramonet rappelle aussi les mots du philosophe Michel Foucault, qui dans son livre Surveiller et punir expliquait comment un « panopticon » crée un « sentiment d’omniscience invisible ». Imaginé bien avant lui, en 1791, par le philosophe utilitariste, celui-ci anglais, Jeremy Bentham, ledit dispositif architectural permet aux gardiens, dans l’enceinte d’une prison, de voir sans être vus. Exposés en permanence au regard dissimulé des gardiens, les prisonniers vivent alors dans la crainte permanente d’être pris en faute. Ce qui les conduit à s’autodiscipliner…

Est-ce le genre de société que l’avenir nous réserve…, une surveillance constante par « contention numérique ». Effectivement : « La bataille pour les nouveaux droits civiques de l’ère numérique ne fait que commencer ».

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L’appel à projets du Fonds franco-québécois pour la coopération décentralisée est ouvert

Les municipalités, organismes de développement économique et organisations à but non lucratif du Québec et de la France ont l’opportunité de pouvoir recevoir un appui financier significatif afin de développer des projets de coopération en sollicitant le Fonds franco-québécois pour la coopération décentralisée (FFQCD). Le gestionnaire du fonds procède présentement à un « appel à projet » ouvert jusqu’au 15 octobre 2018.

Dans la perspective québécoise, ce programme s’adresse aux organismes des régions du Québec (municipalités, organismes socio-économiques) qui coopèrent avec une collectivité locale en France (municipalité, département, région).

Le FFQCD permet notamment, de financer une partie des frais de déplacement et de séjour. Il est soutenu par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française.

Pour plus d’information : www.mrif.gouv.qc.ca/FFQCD

Sommet Trump-Poutine : les non-dits d’Helsinki

La poussière est encore à retomber suite à l’historique premier sommet politique entre les présidents des États-Unis et de la Russie, Donald Trump et Vladimir Poutine. Toute la journée de ce Sommet Trump-Poutine, tenu à Helsinki le 16 juillet 2018, l’expectative des résultats alimentait les discussions. Mais dans ce genre de rendez-vous, c’est beaucoup dans les non-dits qu’il faut aussi rechercher les meilleures analyses et les legs possibles. Ce cas-ci ne fait pas exception.

Réglons immédiatement ce qui malheureusement monopolise la majorité des médias : l’accusation d’ingérence russe dans la dernière campagne électorale présidentielle des USA. En réalité, les services de renseignement étatsuniens faisaient un beau cadeau à leur président en dévoilant quelques jours avant son rendez-vous les fruits de leur enquête sur la question. Ils lui donnaient une carte à jouer face à son adversaire. Et le timing excluait toute occultation du sujet; on se devait de confronter la question.

Le président Trump a décidé d’en faire un cadeau à son vis-à-vis. Il lui a fait savoir que sa décision était de vouloir le croire alors qu’il dit et redit « qu’il n’y a pas eu d’ingérence russe ». Message envoyé: fin de l’histoire, passons à autre chose.

Ce que le président Trump a fait, ou tenté de faire, c’est de passer l’éponge. Il a décidé de ne pas crisper la Russie avec cette bien triste affaire. Une polémique qui traîne depuis presque deux ans maintenant. Et c’était diplomatiquement parlant la meilleure décision à prendre. Toutes les autres options contribuaient à empoisonner l’avenir de la relation WashingtonMoscou. Or les deux hommes se rencontraient justement pour tenter de l’assainir.

Et connaissant le personnage, c’est un beau cadeau que M. Trump a fait à M. Poutine. Son style laissait plutôt supposer qu’il s’amuserait à encore instrumentaliser la polémique et à jouer de boutades pour la faire rebondir et perdurer dans le flou. Trump a plutôt tenté de mettre tout son poids pour libérer Poutine d’une grave hypothèque d’image. Il espère maintenant en retirer un retour. Ce n’est certes pas ce qu’il a dit. C’est pourtant ce qu’il faut entendre… et attendre. Même 24 heures plus tard!

Et en très bon politique qu’il est, c’est sans doute ce que Vladimir Poutine attendait, lui. Message reçu! Il en doit une à Trump… ainsi va la diplomatie internationale.

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On l’a vu, ce ne sont pas les sujets internationaux lourds qui manquent pour alimenter la négociation entre les deux hommes d’États. Le contenu de leur rencontre d’Helsinki témoigne à lui seul de l’évidence que ce n’est pas qu’avec le bilan immédiat de cette journée de rencontres qu’il faut savoir juger de l’utilité de l’événement. Ce n’est que la pointe de l’iceberg d’un complexe et long processus.

Et c’est ici que le jeu de lire les non-dits s’impose particulièrement devant le devoir d’analyse.

Enjeux nucléaires civil et militaire en Iran, état de guerre en Syrie, lutte globale au terrorisme, Ukraine incluant la Crimée, IsraëlPalestine… sont tous des sujets dits.

DEUX NON-DITS

Donald Trump fut un homme d’affaires avant de passer à la politique. Et il a toujours le réflexe de vouloir brasser des affaires. Avec la Russie, il savait qu’il avait devant lui un joueur majeur en matière énergétique.

Le premier non-dit de substance de ce sommet concerne ce sujet. Non pas dans son aspect européen de la chose – l’Allemagne fut bien sermonnée à Bruxelles quelques jours avant – mais dans la perspective de Tokyo.

Avec les riches gisements de gaz et de pétrole de Kovytka, au nord-ouest du lac Baïkal en Sibérie, et leur sortie par la baie de Kozmino, sur la côte russe de la mer du Japon (ville de Nakhodka, à l’est de Vladivostok), grâce à la construction de l’oléoduc Sibérie-Pacifique*, Moscou a tenté sans succès de régler son différend frontalier avec le Japon concernant les îles Kouriles. Il ne faut jamais oublier qu’aucun traité de paix n’a encore été conclu entre le Japon et l’URSS – la Russie – suite au conflit mondial de 1939-45. Intraitable, Tokyo demande le retour complet des quatre îles de son extrême nord (c’est par le Traité de Shinoda de 1855 que la frontière passe au-dessus de Eterofu (ou Iturup), Kurashiri, Skikotan et du petit archipel des îlots Habomaïs) occupées opportunément parce que Staline ordonna à l’Armée Rouge, après la capitulation du Japon, de s’y rendre.

Dès la planification du projet de l’oléoduc Sibérie-Pacifique, devant la situation demanderesse du Japon en matière énergétique, Moscou tenta en même temps d’amadouer Tokyo, mais sans succès. Si le Japon a fait exception à sa position globale de négociation, parce qu’il a finalement accepté de participer au financement de l’oléoduc pour pouvoir s’alimenter en énergie**, il refusa autant tout compromis sur la question d’un éventuel traité de paix et demeure tiède à Moscou pour le reste de ses relations.

Tokyo refuse de mêler les deux sujets.

Mais si Moscou n’arrive pas à faire fléchir Tokyo, Washington le peut davantage.

Or, Donald Trump vient de tenter un grand coup avec la carte de la paix en Asie via la Corée du Nord. Il pourrait très bien rêver de jouer le doublé : en plus du souhaité et de plus en plus probable traité de paix Corée du Sud Corée du Nord, encourager le depuis longtemps aussi souhaité traité de paix JaponRussie. Et ainsi dégager complètement l’Asie de l’Est des stigmates de la seconde GGM en matière de frontières internationales.

La Corée du Nord est d’ailleurs le second non-dit de substance que nous souhaitons ici relever.

Dans sa quête de redonner à son pays le lustre de puissance que son passé impérial permettait, le président Poutine regarde stratégiquement vers l’Asie depuis certainement 2004. Et une partie de la politique coréenne de Vladimir Poutine apporte une pièce surprenante à l’équation. Parce que pendant plusieurs années il s’est obstiné à porter un projet (pourtant jugé « désespéré ») parce qu’il donnait un contenu à la prétention russe de jouer le rôle de pont entre Europe et Asie.

Ledit projet ? C’était de relier les deux grands réseaux ferroviaires transsibérien et transcoréen, en passant non pas par la Chine, mais par l’Extrême-Orient russe pour aboutir au port de Pusan, tout au sud de la péninsule coréenne. Tout un programme !

Or, il lui fallait, pour espérer réussir ce grand coup, en plus de la collaboration directe des deux Corée, l’apport financier du Japon (soient les deux facteurs qui consacrèrent alors le jugement « désespéré » de ce projet… et pour cause!)

Mais cette lecture juste du projet, le condamnant à une utopie, jusqu’à tout récemment, d’un appelons-le train TransEuroAsie de la Paix, l’est-elle encore tout autant en juillet 2018 ?

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« (…) le business de la Russie, c’est le business! En contraste radical avec le passé soviétique, la Russie post-impériale figure parmi les pays les moins idéologiques du monde », analysait déjà en 2007 Dimitri Trenin, un des meilleurs connaisseurs occidentaux de la Russie contemporaine aux yeux d’Hélène Carrère d’Encausse.

Dès sa première arrivée au pouvoir – initialement à titre de premier ministre choisi par Boris Eltsine fin 1999 et comme président avec l’élection de mars 2000 – Vladimir Poutine exposa clairement ce que devait être son pays : puissant, parce que respecté et tenu pour un égal par les autres grands États et participant à toutes les décisions internationales; indépendant, parce que libre de ses décisions fondées sur sa tradition et ses valeurs propres.

Littéralement en faillite en 1992-93 puis à genoux devant le FMI, le chemin de la Russie vers la prospérité fut long. Eh que oui, elle dit merci à ses salvatrices richesses en gaz et pétrole. Long chemin donc, tout comme sa reconquête de puissance.

La Russie, humiliée à bout dans l’affaire de la reconnaissance du Kosovo, ira même jusqu’à instrumentaliser une courte guerre avec la minuscule Georgie, du 7 au 12 août 2008, pour se faire comprendre et respecter, particulièrement par l’OTAN. Président tournant de l’Union Européenne, ce fut alors le français Nicolas Sarkozy qui dut s’activer pour négocier le cessez-le-feu et écouter Medvedev lui expliquer le fond des choses, vue de Moscou.

Avant que l’OTAN ne revienne encore la hanter, cette fois via l’Ukraine, ce pays-frère par ailleurs pour lequel Poutine a très mal jouer ses cartes contrairement à la Georgie, la Russie cependant n’a pas attendu les extrêmes (rappelons ici que le contrat de location de 20 ans de sa stratégique base navale de Sevastopol y tombait à échéance avec 2017) et a « récupéré » en 2014 la Crimée. Ce cadeau de Khrouchtchev fait en son contexte en 1954 qui était devenu intolérable avec les années 2010… Occupation, référendum, annexion et même connexion terrestre, car le président Poutine y a fait travailler des milliers d’ouvriers, sans aucune interruption, pendant plus de 800 jours, pour construire un double pont (route-chemin de fer) de presque vingt kilomètres pour mieux relier la Crimée avec toute la Russie. Il l’a inauguré le 15 mai 2018 et c’est devenu le plus long pont en Europe.

Certes, il est très mal vu en société de reprendre un cadeau donné, mais la Russie se sent maintenant puissante et indépendante. Puis on n’efface pas quelque cinq siècles de réflexe impérial comme ça! Parce que toute l’histoire de la grande Russie c’est bien plus que les sept décennies de l’Union soviétique (1917-1991).

La Russie de Poutine assume incidemment des sanctions de l’Occident depuis son coup en Crimée. Les sommets du G8 repassèrent à G7 l’année même; une année 2014 lors de laquelle la Russie devait même être l’hôtesse du sommet (qui se tint finalement à Bruxelles au beau profit de l’UE).

M. Poutine peut maintenant dire merci à Donald Trump juste pour l’avoir mis ainsi au sommet à Helsinki le 16 juillet 2018. Par ailleurs, le geste témoigne pareillement du non-dit que la vision de Trump de la gouvernance mondiale n’est pas unipolaire, ce qui est une bonne nouvelle pour l’humanité.

Un témoignage aussi que si l’actuel président des États-Unis d’Amérique dit haut et fort America first!, il ne dit pas America alone… Et ça, bien qu’il veuille rebrasser les cartes partout sur son parcours depuis son élection.

Finalement, c’est seulement le temps qui dira sur tous les non-dits d’Helsinki.

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* Le premier tronçon de l’oléoduc Sibérie-Pacifique, long de 2 694 km et inauguré en décembre 2009 (relié opérationnellement début 2011 par un branchement de 930 kilomètres aux raffineries de la ville de Daqing, dans le nord-est de la Chine) compte maintenant un second tronçon de plus de 2 000 km entre Skovorodino et la baie de Kozmino sur la côte russe de la mer du Japon, en service depuis fin 2012. En anglais : ESPO pour Eastern Siberia – Pacific Ocean pipeline system.

** Les exportations russes (crude oil) du terminal Kozmino pour 2016 furent de 31,8 millions de tonnes, en hausse de 4.6%. Pour 2016 toujours, ce pétrole fut exporté ainsi : Chine (69.8%), Japon (12.3%), Corée du Sud (7.5%), Malaysia (5%), Singapore (1.9%), Thailand (1.3%), USA (1%), Philippines et Nouvelle Zélande (0.6%).

Lire notre autre article sur le possible, voire probable G8 de 2020.

Lire aussi :

www.bepax.org/files/files/2011-analyse-dernier-heritage-de-la-guerre-froide-le-conflit-irredentiste-sur-l-archipel-des-iles-kouriles.pdf

http://geopolis.francetvinfo.fr/conflit-des-iles-kouriles-la-russie-et-le-japon-trouvent-une-issue-economique

www.lejournalinternational.fr/Iles-Kouriles-a-l-est-aussi-la-Russie-montre-les-crocs

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Un G7 plutôt moyen

C’est finalement le meilleur adjectif pour qualifier le bilan du G7 à présidence canadienne de 2018 : moyen-moyenne.

Moyenne, tout d’abord comme classe moyenne : parce qu’il faut retenir que c’est un des messages de base du premier ministre Justin Trudeau, président du G7 de 2018, soit celui de viser à rehausser la classe moyenne dans l’ensemble des pays du G7.

« (…) Nous devons veiller à ce que la croissance profite au plus grand nombre, de manière à ce que chacun puisse tirer profit du travail accomplit et bénéficier d’une meilleure qualité de vie. Au Canada, nous réalisons des progrès constants vers l’atteinte de cet objectif grâce à des mesures visant à renforcer et faire croître la classe moyenne, ainsi qu’à aider concrètement les gens qui travaillent fort pour en faire partie.
Dans le cadre de notre présidence du G7 en 2018, le Canada propose, au centre du programme de cette année, le défi de réaliser une croissance qui profite à tous », signait Justin Trudeau dans l’introduction d’un document de 23 pages titrant RÉALISER UNE CROISSANCE QUI PROFITE À TOUT LE MONDE.

Le Canada avait donc préparé ce rapport d’une vingtaine de pages, avec nombre de graphiques, pour mettre en évidence ce défi commun, avec des propositions de moyens pour collaborer et pour le relever. « La réussite des principales économies du monde au cours des cinquante dernières années est en grande partie attribuable aux efforts d’une classe moyenne vaste et en plein essor (…) », analyse ensuite le corps du document, qui vise le double défi de l’inégalité et de la croissance.

Or, le tableau des trois dernières décennies à cet égard est celui d’un décrochage, suivi d’un changement de donne… avec une véritable mise au plancher de la classe moyenne.

TABLEAU 1
Élargissement des écarts de revenu des ménages des pays du G7 globalement sur trois décennies (1985-2014)

Comme l’image bien le Tableau 1, si entre 1985 et 1990 l’élargissement des écarts de revenu est presque nul et sans signification, la tendance à l’élargissement devient évidente entre 1990 et 1995, pour passer pendant la décennie 1995-2005 en mode constant. En fait, il faudra la crise financière mondiale de 2007-08 pour stopper le processus de cet élargissement continuel des écarts de revenu au sein de l’ensemble des pays du G7.

La bonne nouvelle, c’est que depuis 2008, donc pour la période 2008-2014, la tendance des écarts entre les ménages à faible revenu, à revenu moyen et à revenu élevé est restée stable.

Au cours des 30 dernières années, il faut tout de même globalement retenir pour l’ensemble des pays du G7, qu’alors que les 10% des gens touchant les salaires les plus élevés ont vu leurs revenus augmenter de 40% en moyenne, les revenus des 40% des gens touchant les salaires les plus bas ont augmenté de moins de la moitié de ce taux : un retard, d’ailleurs, tout à fait dans la même tendance que pour l’ensemble de la classe moyenne, les 40 à 90% des gens touchant un revenu moyen.

Bref, sur 30 ans, les plus riches ont décroché seuls vers le haut, alors que la classe moyenne a eu, elle, tendance à toujours s’éloigner davantage du partage de cette création de richesse. Le G7 a donc vu sa classe moyenne se tasser vers l’appauvrissement relatif.

Mais le constat est aussi que les pays du G7 ne maîtrisent pas collectivement la solution à ce défi : lorsque l’on tient compte de paramètres autres que le revenu, les pays du G7 « peinent » carrément à faire en sorte que la prospérité soit largement partagée.

« Dans l’édition 2018 de l’indice du développement inclusif du Forum économique mondial, qui est une évaluation annuelle du rendement de 103 pays relativement à onze dimensions du progrès économique en plus du PIB, aucune économie du G7 ne figure dans les 10 premiers rangs, malgré notre relative vigueur économique », relève le rapport (p. 8).

Les pays du G7 ne sont donc pas les leaders qui montrent la meilleure direction.

C’est peut être pour cette raison que leur président pour 2018 a osé! Justin Trudeau n’a pas eu peur, dans ledit rapport, d’y inclure cette statistique « renversante » sur les inégalités dans l’ensemble du monde :

« En 2017, 42 personnes possédaient une richesse égale à celle des 3,7 milliards de personnes formant la moitié la plus pauvre de la population mondiale. » (p. 8)

Moyens que propose le rapport canadien :

  • Voir à aider les travailleurs à s’adapter au monde du travail.
  • Réaliser une croissance solide en investissant d’abord dans les gens.
  • Veiller à ce que chacun paie sa juste part en luttant contre les évitements et évasions fiscaux partout.
  • Mieux mesurer la croissance profitable pour tous.

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Moyen, ensuite, pour l’ampleur et le nombre des décisions prises à ce G7 de 2018.

Les journalistes avaient plutôt tendance à trouver le temps plus long que la moyenne au Centre des médias de ce G7, car les points de presse ne s’y bousculaient pas.

Un point de presse pour l’annonce de l’engagement – clairement ici sous le leadership actif de l’institution états-unienne en la matière – d’un groupe d’IFI à viser la constitution d’ici deux ans d’un fonds de 3 G$ dédié à l’entreprenariat féminin dans le monde.

Un point de presse pour l’annonce des 3,8 milliards $ qui seront consacrés à l’éducation des femmes et des jeunes filles dans les situations les plus pénibles à travers le monde.

Et ce n’est ensuite que la conférence de presse de clôture du premier ministre Trudeau qui a confirmé l’adoption d’une position sur les océans (Plan d’action de Charlevoix pour la santé des océans et des mers et des communautés côtières résilientes) avec notamment, en annexe, sa Charte sur les plastiques dans les océans, à portée finalement moyenne, car n’engageant que les dirigeantes et dirigeants du Canada, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, du Royaume-Uni et de l’Union européenne… Les États-Unis et le Japon se sont ici abstenus. M. Trudeau confirmant alors « fièrement » une « Déclaration commune du G7 » alors « avec l’assentiment de tous ».

Mais on sait maintenant que la moyenne au bâton en cette matière fut ensuite « twitement » recalée par le reniement de signature du président Trump, se détachant de ladite « Déclaration commune du G7 de 2018 », dans un fracassant Tweet surprise, envoyé de son avion en plein vol vers Singapour, juste après avoir quitté Charlevoix.

Donald Trump n’a pas aimé la moyenne des mots de Justin Trudeau à son égard pendant la conférence de presse de clôture de ce Sommet du G7. Il en a donc reviré son chapeau de bord.

Bien drôle de moyen, qui n’est certes pas dans la moyenne des G7 en matière de collaboration et de diplomatie entre pays alliés.

Mais l’affaire n’a pas encore fait perdre ses moyens à son hôte et Justin Trudeau a gardé depuis son calme. Il reste satisfait de son sommet. Déjà assuré d’avoir clairement bien défendu et espérant encore pouvoir « (…) renforcer la classe moyenne et favoriser une croissance généralisée (…) », comme il insistait encore dans la conclusion de son document de travail, déjà cité ci-haut !

Au final, un G7 moins que moyen ? Plus que moyen ? Jouons pour plutôt moyen. Ce que le temps, voire l’histoire, confirmera, ou pas !

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