« Industrie » de la mobilité étudiante
Une affaire de 40 milliards $
2005-12-02

Par Daniel Allard

Avec des chiffres pareils, on n’hésite pas à parler d’une véritable industrie : 1,6 million d’étudiants internationaux sont inscrits à travers le monde à des programmes d’enseignement supérieur dans des institutions hors de leur pays d’origine. « Ces exportations de services éducatifs ont un poids économique estimé à 40 milliards $ », estime la professeurs Nicole Lacasse, titulaire de la Chaire Stephen-Jarislowsky en gestion des affaires internationales de l’Université Laval, qui y est allée d’une présentation fort original le 1er décembre 2005, avec les résultats de deux études portant sur les stratégies d’internationalisation des universités dans le monde et l’attraction qu’elles exercent sur les étudiants étrangers.

La première étude, menée auprès de 5 universités du Québec et de 5 établissements universitaires d’Australie, vise à analyser les stratégies d’internationalisation et leur mise en application afin de dégager les meilleures pratiques de gestion universitaire. Les principales observations sont les suivantes :

  • Il existe un effort récent des universités pour définir une vision internationale; toutefois, cette vision n’est pas toujours appuyée par un plan et des moyens suffisants pour permettre sa mise en application;
  • La chercheure note une opposition entre les stratégies d’internationalisation basées sur la valeur éducative de l’ouverture culturelle et les stratégies axées sur la mobilisation de revenus;
  • Mme Lacasse note la difficulté pour les universités québécoises à passer d’un concept de mobilité des étudiants à celui de mobilité des programmes (diplôme conjoint, e-formation, etc.) ou des établissements (partenariat ou campus à l’étranger);
  • Elle observe également une croissance rapide de la population étudiante internationale au Québec (de 14 178 étudiants internationaux en 1999 à 19 211 en 2003) et le développement de pratiques sophistiquées de recrutement;
  • Il existe un déséquilibre croissant entre « l’importation » et « l’exportation » d’étudiants, les universités ayant de la difficulté à financer la mobilité de leurs étudiants;
  • L’auteure souligne le  rôle déterminant que peut jouer l’État par des politiques publiques et des actions nationales incitant à l’internationalisation des universités;
  • Elle observe enfin une professionnalisation des pratiques et des agents de l’action internationale dans les universités.

Le choix de l’Australie pour tirer des comparaisons avec la réalité québécoise s’appuyait sur l’impressionnante performance des institutions de ce pays en matière d’attraction des étudiants internationaux. En 2002, selon l’OCDE, si les États-Unis arrivaient bien en tête en accueillant 31% des étudiants internationaux en enseignement supérieur, devant la Grande-Bretagne et l’Allemagne à 12% chacun, c’est l’Australie qui arrivait quatrième avec 10%, ce devant la France avec 9% et le Japon à 4%.

Il y a certainement plus que le facteur de la langue qui explique que l’Australie dépasse ainsi la France en la matière. Avec 188 406 étudiants internationaux en 2004, l’Australie voit l’éducation se classer comme 4e secteur plus important d’exportation du pays. Ces frais de scolarité auront rapporté 756 millions $US en bénéfice direct pour les universités australiennes en 2003. Là-bas, on gère cela comme une véritable industrie! Après un séjour d’un mois en Australie, Nicole Lacasse décode ainsi le succès australien : « Il y a de véritables actions marketing avec l’aide de l’État; un organisme avec des bureaux dans 15 pays fait de la promotion. Ils ont des agents recruteurs par pays. On fait une campagne de promotion annuelle « Study in Australia », un peu comme pour le tourisme ici », résume-t-elle.

Grâce à la formation délocalisée, dite « offshore », déjà en 1998, autant que 34 des 38 universités australiennes ont fourni des cours à l’étranger à un total de 20 000 étudiants, dans 24 pays ! Parmi les meilleurs pratiques de marketing rencontré en Australie, elle cite : avoir des agents de recrutement locaux, impliquer d’anciens étudiants, faire des tournées de recrutement et rencontrer des familles d’étudiants. Alors que la participation à des salons et foires à l’étranger est considérée comme ayant une efficacité moyenne.


69% des étudiants internationaux
de l’Université Laval
sont intéressés à immigrer
au Canada

Si les Australiens permettent déjà depuis longtemps ce que le Canada s’apprête à accorder à partir de janvier 2006, soit la possibilité pour les étudiants internationaux de travailler 20 heures par semaine durant les semestres et à temps plein dans les autres moments, ils vont aussi plus loin en donnant également au conjoint étranger la possibilité de travailler plus de 20 heures/semaine tout au long de l’année.

INTERNATIONALISATION CROISSANTE DANS LES UNIVERSITÉS DU QUÉBEC, MAIS LAVAL FAIT DU SUR PLACE
Au cours des dernières années, le nombre d’étudiants internationaux dans les universités québécoises s’est accru à un taux annuel moyen de près 10%. Selon les étudiants interrogés, la réputation du Canada ainsi que la qualité des établissements et de l’enseignement sont les facteurs qui les influencent le plus à venir étudier au Québec.

Nombre d’étudiants internationaux par université au Québec
(2000 à 2003)

UNIVERSITÉ

en 2000

en 2003

Laval

1 900

1 951

Concordia

1 653

3 076

de Montréal

3 589

4 642

du Québec

2 777

3 238

McGill

4 503

5 401

TOTAL du Québec

15 306

19 211

(Source: Étude de Nicole Lacasse, Université Laval, 2006)

Si l’Université Concordia se fait la championne au Québec avec une croissance de 111% entre 1999 et 2003, et que l’Université de Montréal y va d’un gros 44% de croissance pour la même période, contre +24% à l’UQ et +15% à Sherbrooke, l’Université Laval affiche un score de sur place avec seulement 2,79% de croissance (1951 comparativement à 1898 cinq ans plus tôt).

L’Université Laval a connu
au cours des 5 dernières années
une diminution de sa part de marché
de l’ordre de 3,23%

Mais contrairement à l’exemple de l’Australie, le Canada dénote un retard significatif, dont une absence de stratégie nationale et un manque de coopération entre établissements. « En faisant une recherche sur www.studyCanada.ca, je n’ai même pas trouvé l’Université Laval », raconte médusée la chercheure.

La seconde étude, menée auprès de 273 étudiants étrangers inscrits à l’Université Laval, soit un excellent taux de réponse de 17%, cherche à préciser pourquoi et comment ces derniers ont choisi une université québécoise, quelle est leur appréciation de leur séjour d’études et dans quelle mesure ils sont intéressés à s’installer définitivement au Québec :

  • Plus de 80% des étudiants internationaux à l’Université Laval proviennent de l’Europe et de l’Afrique. Moins de 8% viennent de l’Asie, du Moyen-Orient ou de l’Océanie;
  • Alors qu’au Québec, les deux tiers des étudiants internationaux sont inscrits au premier cycle, à l’Université Laval plus de la moitié de ceux-ci sont aux deuxième et troisième cycles;
  • 22% des étudiants internationaux à l’Université Laval étudient en sciences et génie et 15% en sciences de l’administration;
  • L’Internet et les communications personnelles sont les principales sources d’information que les étudiants internationaux utilisent pour choisir une université;
  • 92% des étudiants internationaux se disent « satisfaits » de leur séjour à Laval;
  • Seulement 37% des étudiants internationaux de l’Université Laval bénéficient d’un revenu d’emploi;
  • Moins de 37% des étudiants interrogés participent à des activités associatives ou interculturelles;
  • Près de 30% des étudiants ont souligné leur difficulté à créer des liens avec les étudiants québécois;
  • 69% des étudiants internationaux de l’Université Laval sont intéressés à immigrer au Canada.
  • Mme Lacasse note enfin que l’Université Laval a connu au cours des cinq dernières années une diminution sa part de marché de l’éducation internationale de l’ordre de 3,23 %.

L’étude démontre également qu’il semble inutile d’investir dans des participations à des « Journées carrières ». Seulement 1,82% des répondants ont affirmé que les journées carrières avaient contribué à leur décision de venir étudier à Laval !

« Donnez-moi le budget pour trois recruteurs, un en France, un au Maroc et un en Tunisie, je saurai quoi leur faire faire. Fixez l’objectif et je ne serais pas en peine pour l’atteindre », lance une Nicole Lacasse très sûre d’elle, sachant déjà que respectivement 40, 8 et 7% des étudiants internationaux des universités francophones au Québec proviennent de ces pays. La professeure Lacasse conclut aussi : « Mon premier conseil serait de viser la France avant tout. »

Précisons enfin que la démarche de la réalisation de ces études était une initiative entièrement financée et gérée par la Chaire Stephen-Jarislowsky en gestion des affaires internationales.

Sur la Chaire Stephen-Jarislowsky: www.fsa.ulaval.ca/chaire_gi

Fait à Québec le 2 décembre 2005.


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