Chronique " TI "
Le dur, dur apprentissage de la maturité
2005-04-30


Par Jacques Pigeon
Chroniqueur
jpigeon@elara.ca

Selon le Réseau Inter LogiQ on recensait au Québec, en l’an 2000, 1200 entreprises de logiciel. Quatre ans plus tard, on en comptait 900. Pas une semaine ne passe sans l’annonce d’une vente ou d’une fusion. Le phénomène de consolidation conserve toute sa vigueur. C’est une tendance lourde liée étroitement à ce que l’on peut appeler le premier pallier de maturité des TIC.

Cette première maturité est observable partout. Le fureteur que vous utilisez pour lire cette chronique, même si c’est Firefox , n’a pas beaucoup évolué depuis le début de la décennie. Idem pour le système d’exploitation : toujours aussi lent à démarrer si c’est Windows. C’est peut être parce qu’il contient pas moins de 50 millions de lignes de code! Les grands progiciels de gestion qui ont souvent coûté des fortunes à installer, les SAP , Oracle et Siebel de ce monde, sont dans un cycle d’évolution lente. Leur vie utile se compte en décennies.

Est-ce la fin des bouleversements technologiques? Non, surtout pas. Mais la dynamique de l’industrie a complètement changé. Il y a vingt ans, un entrepreneur développait un logiciel de traitement de texte dans son garage. Aujourd’hui, la plus modeste mise à jour de Word coûte plus de 100 millions $. Ce qui a d’abord changé, c’est que cet univers s’est complexifié et que les barrières à l’entrée ont été considérablement élevées pour les entreprises. La convergence de trois grands vecteurs est à l’origine de ce grand changement : 1) la numérisation de tout ce qui bouge, 2) l’avènement de la bande passante large (haute vitesse) et 3) la puissance de l’ordinateur. C’est ainsi, qu’aujourd’hui, les opportunités se trouvent plus souvent qu’autrement dans l’utilisation et la simplification des outils informatiques.

LA FUREUR TECHNOLOGIQUE DE 2005

Regardez la fureur techno d’aujourd’hui! Quel est le grand succès de Apple? Eh, oui : le iPod . Pas de grande innovation technologique dans ce produit, si ce n’est la miniaturisation du disque dur, mais un design exceptionnel et une facilité d’utilisation remarquable. Autre grand succès de marché : les services bancaires en ligne, utilisés par plus de 40% des Québécois. La clé du succès : une bonne ergonomie et une confiance acquise par l’utilisation d’outils de sécurité crédibles par les usagers de ces services.

Bref, la révolution est dans l’utilisation, dans les applications!

J’ai lu récemment une analyse du succès du libraire en ligne Amazon qui illustre bien la nature des bouleversements qu’entraîne l’utilisation de ces technologies. Une règle d’affaires connue sous le nom de la Loi de Pareto veut qu’une entreprise tire 80% de ses revenus de 20% de ses produits ou de ses clients. C’est connu, c’est accepté depuis longtemps et la règle se vérifie la plupart du temps, y compris dans le cas de librairies. Aux USA, la librairie type tient en stock environ 130 000 titres. Or, Amazon, qui ne connaît évidement pas les contraintes d’espaces d’étagère, tire moins de 50% de ses revenus des 130 000 premiers titres de son inventaire. Cela veut dire, contrairement à la sagesse populaire, qu’il y a autant d’argent à faire avec les courts tirages qu’avec les longs. Tout un changement.

L’autre grande transformation est dans les modèles d’affaires. Le modèle traditionnel ou chaque entreprise met en place sa propre structure de mise en marché n’est plus abordable. À moins d’offrir une technologie ou une solution qui bouscule complètement l’ordre établi – et Dieu sait combien elles sont rares – l’entreprise doit trouver une façon inédite de commercialiser son produit, le plus souvent en se greffant à une structure déjà établie. En effet, force est de constater que les clients sont de plus en plus suspicieux, surtout à l’égard des PME émergentes, et que les cycles de vente se sont, en conséquence, considérablement allongés.

Les implications de ces changements sont lourdes pour l’industrie des TIC.

LE CHEMIN DE DAMAS DU CAPITAL DE RISQUE QUÉBÉCOIS

Examinons ces changements un instant à travers le prisme du capital de risque. Même si elle est de petite taille, cette industrie qui est née aux USA il y a environ 60 ans constitue un des principaux moteurs de notre économie. Ce sont les bonnes idées bien financées qui créent la richesse. On estime qu’aux États-unis, le capital de risque est responsable de la création du tiers de la richesse dans ce pays. Au milieu des années 90, il s’y investissait environ 10 milliards $ par an. En 2000, les investissements ont été multipliés par 10 pour atteindre les 100 milliards $. Aujourd’hui, on parle de montants de 15 à 20 milliards $. Et pas de grande croissance en vue. Si cette industrie est en difficulté, pardon, en restructuration, ce n’est pas que l’argent fait défaut, mais qu’il y a pénurie de bonnes idées, d’innovations, de bons projets. Seuls quelques géants de l’industrie comme VantagePoint , à qui notre Caisse de dépôt a confié d’importantes sommes à investir, se portent bien. C’est ainsi que la Caisse investit maintenant dans des fonds plutôt que de le faire directement dans les entreprises. Sans aller aussi loin, le Fonds de la FTQ a tout de même choisi d’investir dans un autre fonds américain : ProQuest Investments spécialisé dans les sciences de la santé pour améliorer le rendement de son portefeuille. VantagePoint a déjà pignon sur rue à Montréal (elle a fait un investissement de près de 30 millions US$ l’an dernier dans OZ Communications de Montréal) et nul doute que l’arrivée de ces experts en capital de risque, qui ont les moyens financiers pour rendre à terme leurs investissements, va contribuer au renforcement de notre propre industrie du capital de risque.

C’est ainsi que la situation est encore plus difficile au Québec. Les sociétés à capital de risque qui publient leurs résultats comme Desjardins , la BDC , la FTQ, ont toutes perdu beaucoup d’argent. Tout comme aux USA, elles éprouvent les plus grandes difficultés à atteindre leurs objectifs d’investissement. D’un coté, des groupes d’entrepreneurs crient famine et réclament à grands cris de nouveaux investissements dans leur secteur. De l’autre, il y a plein d’investisseurs, les poches pleines, qui se plaignent de ne pas trouver des projets de qualité dans lesquels ils pourraient s’investir. Triste, mais la maturité, c’est çà. Le phénomène est encore plus difficile à vivre au Québec où le capital de risque est une industrie toute jeune (20 ans?) souvent bureaucratisée, où les directeurs d’investissement ont plus souvent qu’autrement un profil jeune banquier plutôt qu’un profil d’opérateur comme on le voit aux USA, «Been there, done that».

LE FUTUR INCERTAIN DU PRODUCTEUR IMPÉNITENT

Mais que nous réserve donc le futur? Une seule certitude : ce ne sera pas comme avant. Si vous êtes une entreprise, surtout un éditeur de logiciel, la question est la suivante : êtes vous un consolidateur ou serez vous consolidé? Il y a cependant encore des secteurs où la concurrence est émergente. Un exemple : la gestion des enregistrements numériques de la voix. Le ministère de la Justice du Québec vient de déployer dans ses salles d’audience (plus de 400) la solution de NOVO Technologies* qui lui permet d’enregistrer et d’archiver centralement, à toutes les cinq minutes, les délibérations dans tous les Palais de Justice du Québec. Fini les cassettes égarées, fini le temps perdu pour repérer un témoignage.

Il semble exister un fort consensus sur le fait que le nombre de concepteurs de logiciels continuera à diminuer rapidement au cours des prochaines années. Tout ce qui touche l’infrastructure risque de se retrouver entre les mains de quelques grands. Le défi pour les concepteurs de ces grandes et complexes applications n’est d’ailleurs pas de les simplifier – c’est probablement hors de portée – mais plutôt de les rendre plus faciles à utiliser et à déployer.

Pour les entreprises québécoises, les implications sont importantes. La grande complexité dynamise le secteur des services mais pénalise les producteurs de logiciel dont le nombre continuera à diminuer et qui devront se concentrer sur des applications qui règlent des problèmes d’entreprises très précis et bien concrets. Bref, de la technologie appliquée à la résolution de problèmes. Il y a aussi la production de contenus que l’on a tendance à oublier, même si elle est à la source des succès plus récents, qu’il s’agisse de Google qui migre rapidement vers les contenus avec ses inventaires de photos, de contenus locaux et de numérisation des grandes bibliothèques ou de Yahoo , ou de Bloomberg , pour ceux que la finance intéresse et qui a fait la fortune du maire de New York. Il existe une demande de plus en plus forte pour de l’information structurée et plusieurs entreprises ont choisi cette voie avec succès. Atrion International de Montréal est une de celles-là.

Il y a là, à mon sens, belle matière à réflexion pour les entreprises d’ici.

Écrivez moi à jpigeon@elara.ca ou visitez mon site www.elara.ca

 

* Je préside le conseil d’administration de cette entreprise de Lévis.


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