Chronique "Mondialisation"
Bamako: encore une étape importante !
2006-02-16


Par Renaud Blais
Chroniqueur
Altermondialiste pour l'espoir

Un nombre croissant de militantEs altermondialistes vivront encore une fois cette année de nombreuses rencontres porteuses de l’espoir d’un avenir meilleur : l’Autre monde possible !

ACTUALITÉS : FORUM SOCIAL MONDIAL
En 2006, le Forum social mondial (FSM) a déjà eu lieu en deux endroits de la planète. Il y aura encore deux autres rencontres qui seront considérées comme une composante du FSM 2006 polycentrique. En mars au Pakistan et, tel que retenu le 16 décembre dernier lors de la rencontre du Conseil asiatique du Forum social mondiale tenue à Hong Kong, une quatrième rencontre aura lieu les 21 et 22 octobre, à Bangkok, en Thaïlande. Cette formule originale de forum social mondial décentralisée demandera encore du recul pour être évalué adéquatement. Nous pouvons par ailleurs déjà apprécier l’importance de Bamako et de Caracas. Et, pour les détracteurs du FSM, plutôt partisans de Davos, je suppose ; avant d’affirmer que le phénomène FSM connaît un « essoufflement », ils devront attendre après Karachi et Bangkok pour compter les participantEs au FSM en 2006.

L’édition africaine du FSM 2006 polycentrique passera à l’histoire grâce à la publication de son APPEL DE BAMAKO. L’édition de Caracas, qui se voulait l’édition des Amériques du FSM 2006 polycentrique et en même temps la deuxième édition du Forum social des Amériques, passera lui probablement à l’histoire à cause de la fausse controverse complètement provoquée par les grands médias, relayeurs de la « pensée unique » à savoir que « le président Hugo Chavez a récupéré le FSM ». Cette thèse est complètement démentie par de nombreuSESx participantEs de Québec de retour de Caracas. Ces participantEs affirment clairement que Chavez, comme Lula à Porto Alegre, a effectivement convié les participantEs au FSM à une grand’messe où il a entretenu son auditoire dans un grand stade de Caracas. De plus, oui de nombreuSESx vénézuellienNEs arborent fièrement des fanions et des T-shirts à l’effigie de Chavez POUR EXPRIMER LEUR EXTRAORDINAIRE SATISFACTION envers les décisions politiques de leur président de prendre en compte les besoins des pauvres, en santé par exemple. Des soins de santé sont effectivement offerts gratuitement dans les « barrios » (expression vénézuelienne pour désigner les bidonvilles de Caracas) et partout dans le pays, par quelques uns des 20 000 médecins cubains venus au Venezuela en échange de pétrole vénézuelien livré à Cuba. S’il s’agit de récupération du FSM par Chavez, je serais très heureux que notre nouveau premier ministre canadien récupère ses projets d’investissement militaire pour financer les soins de santé universels pour toute la population canadienne.

Je limiterai, pour le moment, mes propos à la partie africaine.

L’APPEL DE BAMAKO, ce « n ième texte », parmi toutes les grandes déclarations du même genre déjà publiées à travers le monde, devra subir l’épreuve du temps. Il m’apparaît que ce texte est un très bon résumé des grandes revendications portées par les nombreux et croissants groupes qui se réunissent sous la dénomination ALTERMONDIALISTE. Pour vous donner une idée du contenu de cette Appel de Bamako, voici quelques titres de chapitres qui sont ses « grands principes » :

1.- Construire un monde fondé sur la solidarité des êtres humains et des peuples;
2.- Construire un monde fondé sur l’affirmation pleine et entière des citoyens et l’égalité des sexes;
3.- Construire une civilisation universelle offrant à la diversité dans tous les domaines son plein potentiel de déploiement créateur;
4.- Construire la socialisation par la démocratie;
[Dans ce cadre, où le marché a sa place, mais pas toute la place, l’économie et la finance doivent être mises au service d’un projet de société et non pas être soumis unilatéralement aux exigences d’un déploiement incontrôlé des initiatives du capital dominant qui favorise les intérêts particuliers d’une infime minorité. La démocratie radicale que nous voulons promouvoir restitue tous ses droits à l’imaginaire inventif de l’innovation politique. Elle fonde la vie sociale sur la diversité inlassablement produite et reproduite, et non sur le consensus manipulé qui efface les débats de fond et enferme les dissidents dans des ghettos]
5.- Construire un monde fondé sur la reconnaissance du statut non marchand de la nature et des ressources de la planète, des terres agricoles;
6.- Construire un monde fondé sur la reconnaissance du statut non marchand des produits culturels et des connaissances scientifiques, de l’éducation et de la santé;
7.- Promouvoir des politiques qui associent étroitement la démocratisation sans limite définie à l’avance, le progrès social et l’affirmation de l’autonomie des nations et des peuples;
8.- Affirmer la solidarité des peuples du Nord et du Sud dans la construction d’un internationalisme sur une base anti-impérialiste;
[Cinquante ans après Bandung, l’Appel de Bamako exprime aussi l’exigence d’un Bandung des peuples du Sud, victimes du déploiement de la mondialisation capitaliste réellement existante, de la reconstruction d’un front du Sud capable de mettre en échec l’impérialisme des puissances économiques dominantes et l’hégémonisme militaire des États-Unis.]

En prime, j’ai retenu deux extraits des chapitres 4 et 8 qui expliquent davantage le sens du titre de ces chapitres.

Cet Appel de Bamako, a été rendu publique lors de la Journée internationale sur la reconstruction de l’internationalisme des peuples. Ceci a eu lieu au Centre internationale des conférences de Bamako à la veille de l’ouverture du FSM. Il s’agissait de marquer les cinquante ans de la grande conférence de Bandung. Cette dernière avait mis en présence Nerhu, Chou en Lai et de nombreux autres dirigeants de 29 pays d’Afrique et d’Asie. Elle avait donné lieu à l’apparition du concept de « tiers monde ». « Cette journée vise à rétablir les engagements pris à Bandung en 1955. Bandung fut le lieu de l’engagement des pays dominés d’Afrique et d’Asie pour bouter au dehors les forces dominantes étrangères. »  (Extrait de l’allocution d’Aminata Dramane Traoré, figure de proue de la société civile malienne.)

L’Appel de Bamako s’inscrit toujours à la suite de la première rencontre « anti-Davos » à Paris en 2000 et qui a ensuite donné naissance au Forum social mondial. Nous pourrons, avec le recul du temps, constater si oui ou non cette Appel de Bamako prendra une place particulière dans la grande histoire.

Il se dégage des nombreuses publications autour de Bamako 2006 certains éléments consensuels d’interprétation. Ce fut encore une fois une occasion très importante de mise en commun et de partage d’analyse pour différents individus et groupes militants africains. J’ai retenu quelques extraits rapportés dans le site de Terra Viva :

« Un autre monde n’est pas possible sans une formation citoyenne des enfants ». - Cheick Oumar Coulibaly, Institut malien pour l’éducation populaire (IEP),

Un exemple très éloquent :
« Malgré que le Forum social mondial (FSM) de Bamako ait été dominé par les sujets de commerce équitable et d’allègement de la dette, les communautés marginalisées à travers l'Afrique trouvent également leur espace à l'événement. (…) C’est le cas du peuple Ogoni du Nigeria. Occupant le delta riche en pétrole du fleuve Niger, les Ogonis décrient le sous-développement de leur patrie. Avec plus de deux millions de barils par jour, le Nigeria se place au 6e rang parmi les pays producteurs de pétrole du monde.
Le pétrole représente environ 90% des revenus du Nigeria en devises étrangères et environ 80% des revenus du gouvernement. Mais les Ogonis - recensés à moins de un million sur une population totale de presque 130 millions - disent qu’ils n’en voient pas les bénéfices.
Nous n'avons pas d’eau courante, nous buvons à même des fleuves qui sont remplis de pétrole, et nous tombons malades en raison de l'eau contaminée. Nous n'avons pas d’électricité et ne pouvons même pas nous permettre le kérosène pour éclairer nos maisons parce que les prix sont trop élevés pour nous, fermiers et pêcheurs », raconte à Terra Viva, Bridget Yorgure du Mouvement pour la survie du people Ogoni (MSPO).

Selon elle, une bouteille de 50 ml de kérosène coûte environ 50 Naira (38 cents ÉU).

« Nous ne pouvons pas produire de l'énergie pour 40% du monde et ne pas savoir ce qu'est l'électricité; c'est injuste », dit-elle en colère.

La dégradation de l’environnement est aussi génératrice de soucis. Les chiffres avancés par MSPO indiquent qu’à cause de la pollution, cinq pour cent de femmes enceintes donnent naissance à des bébés handicapés physiquement. Indépendamment des versements de pétrole, le creusement de canaux a également souillé l'eau douce, tuant les poissons.

Ce n’est pas seulement les poissons qui meurent, les Ogonis aussi sont tués quand les vaisseaux pétroliers explosent. MSOP indique que 800 personnes ont perdu la vie dans une telle explosion il y a deux ans, la troisième à survenir cette même année.

De plus, les tentatives par les Ogonis de déposer des plaintes auprès du gouvernement Nigérien et des deux principales compagnies multinationales impliquées dans la production de pétrole ont généré de graves conséquences.

« En 1993, 3000 Ogonis employés par les compagnies multinationales ont été mis à pied pour avoir participé à une protestation pacifique invitant les multinationales pétrolières à respecter les terres des Ogonis, leur donner compensation pour dommages causés et à payer une redevance pour l'usage de la terre », fait remarquer Yorgure.

« Les compagnies exploitant le pétrole dans la région incluent la Shell (le Royaume-Uni et les Pays –Bas), l'Agip (Italie), Chevron (États-Unis) et Elf (France). »  - Joyce Mulama, Terra Viva

L’Afrique étant très grand, les Ogonis ne sont pas les seuls à avoir utiliser le FSM pour signaler leur présence.

La communauté Yaaku du Kenya est pareillement marginalisée. « Nous ne sommes pas reconnus chez nous. Il n'y a aucun document prouvant notre existence. Nous craignons d’être éradiqués bientôt », mentionne Jennifer Koinante, coordonnatrice de l'Association des Peuples Yaaku [Kenya].

Ils sont moins de 4000 dans un pays de plus de 30 millions qui vivent dans la forêt de Mukogodo dans le Laikipia, province de la vallée du Rift ; ils ont été menacés d'expulsion par leurs voisins Maasai, qui sont eux plus de 400 000.

Le fait que la forêt qu'ils occupent ait été reconnue comme appartenant au gouvernement inculque également la crainte parmi les Yaaku. « Si le gouvernement décide de nous expulser, nous ne saurions pas où aller parce que cette forêt est la seule maison que nous avons. Nous avons vécu ici toute notre vie. »

Et, pour terminer sur Bamako, un grand militant africain assassiné a été honoré par les jeunes qui ont attaché son nom au Campement international de la jeunesse (qui se tient toujours au sein, ou en retrait, du FSM). « Les altermondialistes, dans leur lutte contre l’impérialisme et le néo-libéralisme n’ont pas oublié un anti-impérialiste des premières heures, le président assassiné du Burkina Faso, Thomas Sankara. L’avenir, Thomas Sankara l’avait lui-même prédit : « Même si on m’assassinait, il y aura demain des milliers de Sankara qui vont renaître », disait l’homme en son temps. » - Almahady Cissé, Terra Viva.

ACTUALITÉS : FORUM SOCIAL QUÉBÉCOIS
J’étais resté très sceptique, après ma participation à la mi décembre dernier, ici à Québec (Université Laval), au moment de la dernière d’une série de rencontres régionales « Initiative pour un Forum social québécois ». Je trouvais tout à fait prématuré et irréaliste de vouloir tenir un Forum social québécois en 2006 et surtout dès le printemps. Je voyais se dessiner l’organisation d’un « gros campement de la jeunesse ». J’ai par contre changé d’idée après avoir pris connaissance des résultats impressionnants obtenus par les différents comités de travail internes qui s’affairent depuis cette rencontre de décembre et obtiennent des résultants très prometteurs.

Il est en ce moment possible d’affirmer que « vraisemblablement aux Trois-Rivières » et « probablement une des deux premières fin de semaines de juin 2006 se tiendra le premier véritable Forum social québécois. Je vous en reparle au plus tard après sa tenue. Pour plus de détails suivez en l’évolution dans le site : www.forumsocialquebec.org

En terminant, j’exprime encore une foi mon étonnement à propos du choix éditorial des nos grands médias, écrits et électroniques, de faire la sourde oreille aux innombrables forums sociaux qui se tiennent chaque mois dans le monde. L’espoir qui se dégage de ces rencontres aura tôt fait de contredire le petit « ronron » qui règne encore, pour l’instant seulement, chez nos élites soumises à l’interprétation du monde selon la « pensée unique » qui voit le monde uniquement à l’aide de la seule lunette des économistes « porte paroles » de cette même élite qui concentre de plus en plus de richesses dans leurs mains de moins en moins nombreuses.

Pour moi, cet unanimisme est de même nature que l’unanimisme qui prévalait au Québec durant la période généralement qualifiée de « grande noirceur »!

Pour que l’espoir en l’avenir remplace les projets de suicides chez nos jeunes de 15-25 ans, je dis PRÉSENT!

 

APPEL DU CONSENSUS DE BAMAKO

La veille de l’ouverture du Forum social mondial de Bamako, le 18 janvier, une Journée consacrée au 50e anniversaire de Bandung a été organisée dans cette ville. Il en est sorti l’« Appel de Bamako » soumis à la signature des organisations. Ce texte est l’occasion, pour les adhérents et les différentes composantes d’Attac, de poursuivre les débats engagés.
 
En 1954, Nehru veut soutenir les décolonisations en Afrique, lutter contre les difficultés économiques des nouveaux pays et les conséquences de la guerre. Il propose une conférence internationale visant à organiser un troisième pôle à côté des deux blocs soviétique et américain. La conférence se tient à Bandung, en Indonésie, en avril 1955. La conférence réunit 29 pays : 23 d’Asie, 2 du Moyen-Orient et 4 d’Afrique (aucun d’Amérique du Sud). Des représentants de l’Afrique française du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie) sont invités. C’est "L’internationale des pauvres" (Nasser). La conférence proclame l’existence politique du Tiers-Monde.
Elle décide aussi :
- Condamnation du colonialisme mais aussi de toute forme d’impérialisme.
- Condamnation de l’impérialisme comme contraire à la charte des Nations Unies.
- Appel lancé aux peuples encore colonisés pour qu’ils luttent pour leur indépendance.
- Condamnation de l’Apartheid en Afrique du Sud et du racisme en général au nom la Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 1948).
- Condamnation implicite de la politique d’Israël en Palestine.
- Condamnation de la guerre d’Algérie et de la présence des français en Afrique du Nord.
- Recherche de la voie pacifique, de la négociation, comme moyen privilégié de la décolonisation.
- Non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État.
- Non-alignement par rapport à l’un ou l’autre bloc (refus de s’appuyer sur Moscou ou sur les États-Unis). C’est le principe du neutralisme au nom de la coexistence pacifique.
La conférence de Bandung marque l’émergence du "Tiers Monde" (expression d’Alfred Sauvy). La conférence de Bandung marque aussi la naissance d’un "troisième bloc" à côté du monde soviétique et du monde pro-occidental. Elle encourage la décolonisation de l’Afrique. Mais la conférence échoue à fédérer les nations présentes autour d’une cause commune. Le Tiers-Monde est divisé :
- Les non-alignés : seuls l’Égypte de Nasser et l’Inde de Nehru se prononcent pour un non-alignement.
- Les pro-occidentaux (Pakistan, Turquie).
- Les pro-soviétiques (Vietnam Nord et Chine).
 

L’ « Appel de Bamako »
Plusieurs membres d’Attac-France ont animé des ateliers, participé à des tables rondes ou rédigé des comptes rendus pendant cette journée à Bamako : Bernard Cassen, Gus Massiah, Jacques Nikonoff, Ignacio Ramonet. Susan George était également présente.

Si le vocabulaire utilisé dans ce texte (voir ci-dessous) peut parfois surprendre par son côté un peu daté, il contient néanmoins de grandes avancées en matière d’alternatives. Que l’on approuve certaines de ces alternatives ou que l’on en désapprouve d’autres, la matière soumise au débat est considérable. Toutes les composantes d’Attac sont concernées : les adhérents à titre individuel ; les comités locaux ; le conseil d’administration qui devra se prononcer ; le conseil scientifique ; divers groupes de travail et commissions du CA (libre-échange ; manifeste, commission Europe ; orientations...). Aucun délai n’est fixé pour la signature, nous avons donc le temps de débattre.  Jacques Nikonoff
 

Appel de Bamako
I.- INTRODUCTION
L’expérience de plus de 5 années de convergences mondiales des résistances au néolibéralisme a permis de créer une nouvelle conscience collective. Les Forums sociaux mondiaux, thématiques, continentaux et nationaux et l’Assemblée des mouvements sociaux en furent les principaux artisans. Réunis à Bamako le 18 janvier 2006, veille de l’ouverture du Forum social mondial polycentrique, les participants à cette Journée consacrée au 50e anniversaire de Bandung ont exprimé leur préoccupation de définir d’autres objectifs du développement, de créer un équilibre des sociétés abolissant l’exploitation de classe, de genre, de race et de caste et de tracer la voie d’un nouveau rapport de forces entre le Sud et le Nord.


L’appel de Bamako se veut une contribution à l’émergence d’un nouveau sujet populaire historique et à consolidation des acquis de ces rencontres : le principe du droit à la vie pour tous ; les grandes orientations d’un vivre ensemble dans la paix, la justice et la diversité ; les manières de réaliser ces objectifs au plan local et à l’échelle de l’humanité.


Pour qu’un sujet historique naisse - populaire, pluriel et multipolaire - il faut définir et promouvoir des alternatives capables de mobiliser des forces sociales et politiques. La transformation radicale du système capitaliste en est l’objectif. Sa destruction de la planète et de millions d’êtres humains, la culture individualiste de consommation qui l’accompagne et le nourrit et son imposition par des forces impérialistes, ne sont plus acceptables, car il y va de la vie même de l’humanité. De telles alternatives doivent s’appuyer sur la longue tradition des résistances populaires et prendre aussi en compte les petits pas indispensables à la vie quotidienne des victimes.

L’Appel de Bamako, construit autour de grands thèmes discutés en commissions, affirme la volonté de :
- construire l’internationalisme des peuples du Sud et du Nord face aux ravages engendrés par la dictature des marchés financiers et par le déploiement mondialisé incontrôlé des transnationales ;
- construire la solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique, d’Europe et des Amériques face aux défis du développement au XXIe siècle ;
- construire un consensus politique, économique et culturel alternatif à la mondialisation néo-libérale et militarisée et à l’hégémonisme des États-Unis et de leurs alliés.
 

II.- LES PRINCIPES
Notre époque est dominée par l’imposition de la concurrence entre les travailleurs, les nations et les peuples. Pourtant le principe de la solidarité a rempli dans l’histoire des fonctions autrement plus constructives pour l’organisation efficace des productions matérielles et intellectuelles. Nous voulons donner à ce principe la place qui lui revient et relativiser celle de la concurrence.
 

2.- Construire un monde fondé sur l’affirmation pleine et entière des citoyens et l’égalité des sexes
Le citoyen doit devenir le responsable en dernier ressort de la gestion de tous les aspects de la vie sociale, politique, économique, culturelle. C’est la condition d’une démocratisation authentique. À défaut, l’être humain est réduit aux statuts juxtaposés de porteur d’une force de travail, de spectateur impuissant face aux décisions des pouvoirs, de consommateur encouragé aux pires gaspillages. L’affirmation, en droit et en fait, de l’égalité absolue des sexes est une part intégrante de la démocratie authentique. L’une des conditions de cette dernière est l’éradication de toutes les formes avouées ou sournoises du patriarcat.
 

3.- Construire une civilisation universelle offrant à la diversité dans tous les domaines son plein potentiel de déploiement créateur
Pour le néo-libéralisme, l’affirmation de l’individu - non pas du citoyen - permettrait l’épanouissement des meilleures qualités humaines. L’isolement insupportable que la compétence impose à cet individu dans le système capitaliste produit son antidote illusoire : l’enfermement dans les ghettos de prétendues identités communautaires, le plus souvent de type para-ethnique et/ou parareligieux. Nous voulons construire une civilisation universelle qui regarde l’avenir sans nostalgie passéiste. Dans cette construction, la diversité politique citoyenne, et celle des différences culturelles et politiques des nations et des peuples, devient le moyen de donner aux individus des capacités renforcées de déploiement créateur.
 

4.- Construire la socialisation par la démocratie
Les politiques néolibérales veulent imposer un seul mode de socialisation par le marché, dont pourtant les effets destructeurs pour la majorité des êtres humains n’ont plus à être démontrés. Le monde que nous voulons conçoit la socialisation comme le produit principal d’une démocratisation sans rivages. Dans ce cadre, où le marché a sa place, mais pas toute la place, l’économie et la finance doivent être mises au service d’un projet de société et non pas être soumis unilatéralement aux exigences d’un déploiement incontrôlé des initiatives du capital dominant qui favorise les intérêts particuliers d’une infime minorité. La démocratie radicale que nous voulons promouvoir restitue tous ses droits à l’imaginaire inventif de l’innovation politique. Elle fonde la vie sociale sur la diversité inlassablement produite et reproduite, et non sur le consensus manipulé qui efface les débats de fond et enferme les dissidents dans des ghettos.
 

5.- Construire un monde fondé sur la reconnaissance du statut non marchand de la nature et des ressources de la planète, des terres agricoles
Le modèle capitaliste néo-libéral assigne l’objectif de soumettre tous les aspects de la vie sociale, presque sans exception, au statut de marchandise. La privatisation et la marchandisation à outrance entraînent des effets dévastateurs sans précédents : la destruction de la biodiversité, la menace écologique, le gaspillage des ressources renouvelables ou non (pétrole et eau en particulier), l’anéantissement des sociétés paysannes menacées d’expulsions massives de leurs terres. Tous ces domaines doivent être gérés comme autant de biens communs de l’humanité. Dans ces domaines, la décision ne relève pas du marché pour l’essentiel, mais des pouvoirs politiques des nations et des peuples.
 

6.- Construire un monde fondé sur la reconnaissance du statut non marchand des produits culturels et des connaissances scientifiques, de l’éducation et de la santé
Les politiques néolibérales conduisent à la marchandisation des produits culturels et à la privatisation des grands services sociaux, notamment de l’éducation et de la santé. Cette option entraîne la production en masse de produits para-culturels de basse qualité, la soumission de la recherche aux priorités exclusives de la rentabilité à court terme, la dégradation - voire l’exclusion - de l’éducation et de la santé pour les classes populaires. Le renouvellement et l’élargissement des services publics doivent être guidés par l’objectif de renforcer la satisfaction des besoins et les droits essentiels à l’éducation, la santé et l’alimentation.
 

7.- Promouvoir des politiques qui associent étroitement la démocratisation sans limite définie à l’avance, le progrès social et l’affirmation de l’autonomie des nations et des peuples
Les politiques néo-libérales nient les exigences spécifiques du progrès social - qu’on prétend produit spontanément par l’expansion des marchés - comme de l’autonomie des nations et des peuples, nécessaire à la correction des inégalités. Dans ces conditions, la démocratie est vidée de tout contenu effectif, vulnérabilisée et fragilisée à l’extrême. Affirmer l’objectif d’une démocratie authentique exige de donner au progrès social sa place déterminante dans la gestion de tous les aspects de la vie sociale, politique, économique et culturelle. La diversité des nations et des peuples, produite par l’histoire, dans ses aspects positifs comme dans les inégalités qui l’accompagnent, exige l’affirmation de leur autonomie. Il n’existe pas de recette unique dans les domaines politique ou économique qui permettrait de faire l’impasse sur cette autonomie. L’objectif de l’égalité à construire passe par la diversité des moyens à mettre en œuvre.
 

8.- Affirmer la solidarité des peuples du Nord et du Sud dans la construction d’un internationalisme sur une base anti-impérialiste
La solidarité de tous les peuples - du Nord et du Sud - dans la construction de la civilisation universelle ne peut être fondée ni sur l’assistance ni sur l’affirmation qu’étant tous embarqués sur la planète, il serait possible de négliger les conflits d’intérêts opposant les différentes classes et nations constituant le monde réel. Cette solidarité passe par le dépassement des lois et valeurs du capitalisme et de l’impérialisme qui lui est inhérent. Les organisations régionales de la mondialisation alternative doivent s’inscrire dans la perspective du renforcement de l’autonomie et de la solidarité des nations et des peuples sur les cinq continents. Cette perspective contraste avec celle des modèles dominants actuels de régionalisation, conçus comme autant de blocs constitutifs de la mondialisation néo-libérale. Cinquante ans après Bandung, l’Appel de Bamako exprime aussi l’exigence d’un Bandung des peuples du Sud, victimes du déploiement de la mondialisation capitaliste réellement existante, de la reconstruction d’un front du Sud capable de mettre en échec l’impérialisme des puissances économiques dominantes et l’hégémonisme militaire des États-Unis. Ce front anti-impérialiste n’oppose pas les peuples du Sud à ceux du Nord. Au contraire, il constitue le socle de la construction d’un internationalisme global les associant tous dans la construction d’une civilisation commune dans sa diversité.
 

III.- OBJECTIFS À LONG TERME ET PROPOSITIONS POUR L’ACTION IMMÉDIATE
Pour passer de la conscience collective à la construction d’acteurs collectifs, populaires, pluriels et multipolaires, il a toujours été nécessaire d’identifier des thèmes précis pour formuler des stratégies et propositions concrètes. Ces thèmes de l’Appel de Bamako couvrent les 10 domaines suivants, en fonction d’objectifs à long terme et de propositions d’action immédiate.

Ces thèmes de l’Appel de Bamako, présentés plus en détail ci-dessous, se recoupent, sans toutefois se recouvrir totalement, les interconnexions entre eux étant multiples. Ils couvrent les dix domaines suivants, en fonction d’objectifs à long terme et de propositions d’action immédiate :
  1- l’organisation politique de la mondialisation ;
  2- l’organisation économique du système mondial ;
  3- l’avenir des sociétés paysannes ;
  4- la construction du front uni des travailleurs ;
  5- les régionalisations au service des peuples ;
  6- la gestion démocratique des sociétés ;
  7- l’égalité des sexes ;
  8- la gestion des ressources de la planète ;
  9- la gestion démocratique des médias et de la diversité culturelle ;
10- la démocratisation des organisations internationales.

L’appel de Bamako est une invitation à toutes les organisations de lutte représentatives des vastes majorités que constituent les classes travailleuses et les exclus du système capitaliste néo-libéral, ainsi qu’à toutes les personnes et forces politiques qui adhèrent à ces principes, d’œuvrer ensemble pour parvenir à la mise en œuvre effective de ces objectifs.
 

PROPOSITIONS DE L’APPEL DE BAMAKO
La constitution de synergies et de solidarités au-delà des frontières géographiques et sectorielles est la seule manière d’agir dans un monde globalisé et de déboucher sur des alternatives. Des groupes de travail continueront au cours de cette année d’approfondir et de concrétiser les thèmes abordés ci-dessous, pour à nouveau faire le point lors d’une nouvelle rencontre et de proposer des priorités stratégiques d’action.
 

1.- Pour un système mondial multipolaire fondé sur la paix, le droit et la négociation
Pour penser un système mondial multipolaire authentique qui rejette le contrôle de la planète par les États-Unis d’Amérique et garantisse l’ensemble des droits des citoyens et des peuples à disposer de leurs destinées, il est nécessaire :
1) de renforcer le mouvement de contestation contre la guerre et les occupations militaires, ainsi que la solidarité avec les peuples en lutte dans les points chauds de la planète. À cet égard, il serait très important que la manifestation mondiale contre la guerre en Irak et la présence militaire de l’Afghanistan prévue les 18 et 19 mars 2006, soit articulée avec :
- l’interdiction de l’usage et de la fabrication des armes nucléaires et la destruction de tous les arsenaux existants ;
- le démantèlement de toutes les bases militaires hors du territoire national, notamment celle de Guantanamo ;
- la fermeture immédiate de toutes les prisons de la CIA.
2) de refuser les interventions de l’OTAN hors d’Europe et d’exiger que les partenaires européens se dissocient des guerres préventives états-uniennes, tout en engageant une campagne destinée à sa dissolution.
3) de réaffirmer la solidarité avec le peuple de Palestine qui symbolise la résistance à l’apartheid mondial exprimé par le mur établissant la fracture entre « civilisation » et « barbarie ». A cet effet, le renforcement des campagnes pour exiger la démolition du mur de la honte et le retrait des troupes israéliennes des territoires occupés apparaît comme prioritaire.
4) d’élargir les campagnes de solidarité avec le Venezuela et la Bolivie, en tant que lieux de construction d’alternatives au néo-libéralisme et d’artisans d’une intégration latino-américaine.

Au-delà de ces campagnes, pourraient être envisagés :
- la constitution d’un réseau de chercheurs, travaillant en liaison étroite avec des associations de militants agissant au niveau local, à la construction de bases de données actualisées et exhaustives relatives aux bases militaires des États-Unis et de l’OTAN. Une information précise sur ces questions militaires et stratégiques permettrait d’accroître l’efficacité des campagnes menées pour leur démantèlement ;
- la création d’un Observatoire « Imperialism Watch » qui dénoncerait non seulement les guerres et leur propagande, mais aussi toutes les manœuvres et pressions, économiques et autres, exercées sur les peuples ;
- la création d’un réseau anti-impérialiste mondial qui coordonnerait l’ensemble des mobilisations à travers la planète.
 

2.- Pour une réorganisation économique du système mondial
La perspective d’une stratégie d’action pour transformer le système économique mondial, nécessite de :
1) renforcer les campagnes de protestation contre les règles actuelles de fonctionnement de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et pour la définition de règles alternatives (pour la sortie de l’OMC de l’agriculture, des services, de la propriété intellectuelle...).
2) créer des groupes de travail, en relation avec les associations et mouvements sociaux ayant déjà entrepris ce travail de longue date, pour établir, de la manière la plus sérieuse et exhaustive que possible, un état des lieux des propositions de mesures alternatives dans les domaines économiques les plus fondamentaux :
- l’organisation des transferts de capitaux et de technologies ;
- la proposition de régulations (« codes d’investissements » par exemple) précisant les droits des nations et des travailleurs ;
- l’organisation du système monétaire : contrôle des flux de capitaux (en particulier spéculatifs), suppression des paradis fiscaux, édification de systèmes régionaux de gestion des changes et leur articulation dans un système mondial rénové (remise en question du FMI et de la Banque mondiale,
- retour au principe de la primauté du droit des nations à définir leur système économique, abolition des entraves imposées par les décisions non négociées des organisations internationales...) ;
- l’élaboration d’une véritable législation concernant les dettes extérieures (exiger des États des audits permettant d’identifier les dettes odieuses) et le renforcement de la mobilisation, à très court terme, pour l’annulation de dette du Tiers Monde ;
- les réformes des services sociaux et de leur financement : éducation, santé, recherche, retraites...
3) créer des groupes de chercheurs spécialisés pour suivre les évolutions des mouvements de capitaux et des mécanismes de dépendance du capital financier national vis-à-vis du capital financier international.
4) créer des groupes de travail, avec site Internet et groupes de discussions, par pays et région, pour l’étude des structures de propriété du capital et des mécanismes de fonctionnement du capitalisme dans chaque pays et dans ses rapports avec le système financier international.
5) créer des lieux de formation de journalistes pour les informer sur les mécanismes complexes de la mondialisation néo-libérale.
6) mettre en contact, sous la forme de sites Internet connectés, les différentes associations d’économistes progressistes et militants engagés dans la recherche d’alternatives à la mondialisation néo-libérale dans chaque région du monde (Asie, Afrique, Amérique latine, Océanie, Europe, Amérique du Nord).
 

3.- Pour des régionalisations au service des peuples et qui renforcent le Sud dans les négociations globales
Partant du constat que le libre-échange, en favorisant les plus forts, est l’ennemi de l’intégration régionale et que cette dernière ne peut pas être réalisée selon ses règles, il est nécessaire de dégager les conditions d’une coopération alternative au sein de chaque grande région, comme aussi celles du renouveau de la Tricontinentale, en liaison étroite avec l’action des mouvements sociaux.

- En Amérique latine, face aux agressions des multinationales, les travailleurs ont inscrit la question de l’intégration régionale dans une perspective nouvelle, fondée sur des avantages coopératifs, et non plus sur des avantages comparatifs. Tel est le cas des expériences alternatives de coopération au Sud en matières de pétrole (Petrocaribe), de réduction de la dette (rachat de dettes entre pays du Sud) ou d’éducation et de santé (médecins cubains), par exemple. Ce sont des principes politiques qui doivent fonder cette coopération destinée à favoriser la croissance et la solidarité dans tous les pays, et non plus les règles imposées par l’OMC.

- En Afrique, l’aspiration à l’unité est très présente, de même que la conscience de l’impossibilité d’une résistance ou d’un développement isolés face aux pressions de la mondialisation néo-libérale. Les institutions d’intégration, nombreuses, y sont cependant inefficaces, et les plus actives sont celles héritées des périodes de la colonisation et de l’apartheid. L’Union africaine et son programme économique et social (NEPAD) n’intègrent aucune idée de résistance collective. C’est dans ce contexte que les sociétés civiles doivent prendre conscience la nécessité de dépasser leurs divisions. Pour les pays nord-africains des pourtours méditerranéens, les accords Euro-Méditerranée constituent un exemple supplémentaire de régionalisation menée aux dépends du Sud.

- En Asie, pour faire face à la mondialisation néo-libérale, et malgré les difficultés, des initiatives populaires pour une autre intégration régionale, réunissant nombre d’organisations des sociétés civiles, d’ONG, etc., se sont mis en marche dans la plupart des pays, aboutissant notamment à l’élaboration d’une charte populaire visant au renforcement de la coopération dans les échanges.

En conséquence, il paraît opportun de recommander, au-delà de l’intensification des campagnes contre les guerres et les menaces de guerres, les propositions suivantes :
1) pour l’Amérique latine : élargir les campagnes de soutien à l’ALBA, en mettant définitivement en échec la stratégie états-unienne de la ZLÉA, promouvoir l’indépendance et le développement dans la justice et l’équité entre les peuples et construire une intégration fondée sur la coopération et la solidarité qui sache s’adapter aux spécificités de ces derniers ; mobiliser les mouvements sociaux pour un élargissement et un approfondissement des processus d’intégration alternative, de type Petrocaribe ou Telesur ; promouvoir les échanges répondant à une logique coopérative ; et renforcer les articulations des actions organisations sociales et politiques pour mettre en œuvre ces recommandations.
2) pour l’Afrique : sensibiliser les mouvements des sociétés civiles sur la nécessité de formuler des propositions alternatives dans les initiatives africaines ; prendre en compte la nécessité d’articuler les actions entreprises aux niveaux régional et national ; lancer des campagnes pour la paix pour mettre fin aux conflits existants ou prévenir les risques de nouveaux conflits ; se départir de conceptions de l’intégration, fondée sur la race ou la culture.
3) pour l’Asie : contrecarrer l’expansion et la compétition du capital entre pays et renforcer la solidarité entre classes laborieuses des différents pays ; promouvoir le circuit local entre production et consommation ; promouvoir les sciences pour la reconstruction rurale.
Pour être efficace, la coopération entre pays du Sud doit exprimer la solidarité des peuples et des gouvernements qui résistent au néo-libéralisme et cherchent des alternatives dans la perspective d’un système mondial multipolaire.
 

4.- Pour la gestion démocratique des ressources naturelles de la planète
Le concept de « ressources naturelles » doit être subordonné à celui du vivant, et donc du droit à la vie, afin d’arrêter la dévastation et la déprédation de la planète. Il s’agit donc d’un principe vital et non d’une simple gestion des ressources naturelles. Ces dernières ne peuvent être utilisées au-delà de leur capacité de renouvellement, en les ajustant selon chaque pays. Des critères de leur utilisation doivent être définis pour garantir le développement et préserver la biodiversité et les écosystèmes. Il faut donc encourager le développement de substituts aux ressources non renouvelables. La marchandisation de la vie (commodification of life) se traduit par des guerres pour le pétrole, l’eau, etc. L’agrobusiness privilégie la culture de rente sur la culture de subsistance tout en imposant des modalités techniques qui produisent dépendances et destruction de l’environnement (contrats d’exploitation pour imposer certains matériels, engrais et semences comme les OGM).

Concrètement, deux niveaux d’actions sur l’environnement doivent être combinées : micro et macro. Au niveau macro, qui concerne les États, il serait souhaitable qu’un cadre interétatique de concertation multilatéral ait des moyens d’actions et de pression politique sur les États pour prendre des mesures globales. Le niveau micro concerne quant à lui les actions locales ou régionales, où la société civile a un rôle important à jouer, notamment pour diffuser l’information et changer les pratiques afin d’économiser les ressources et protéger l’environnement. Le niveau local doit être renforcé, les décisions étant trop souvent pensées au seul niveau macro.
 

Les actions suivantes pourraient en résulter :
1) constituer un tribunal international chargé de juger les crimes écologiques : les pays du Nord et leurs relais locaux pourraient alors être condamnés à payer des réparations aux pays du Sud (dettes écologiques) ;
2) rendre illégaux les contrats imposant une dépendance entre agriculteurs et fournisseurs de semences, et qui conduisent à l’esclavage technologique et à la destruction de la biodiversité ;
3) abolir les « droits à polluer » (pollution rights) et leur marché et obliger les pays riches à diminuer leur taux de production de dioxyde de carbone (5,6 tonnes par an et par personne pour les États-Unis) pour permettre aux pays pauvres (0,7 tonnes par an et par personne pour les pays hors G8) de s’industrialiser ;
4) interdire que les grands barrages, dans la mesure où ils sont vraiment nécessaires, soient construits sans compensation pour les populations déplacées (réfugiés économiques);
5) protéger les ressources biologiques et génétiques des brevets du Nord et qui appauvrissent les pays du Sud, qui constituent un vol de type colonial ;
6) combattre la privatisation de l’eau, telle que promue par la Banque Mondiale, même sous sa forme de partenariat privé-public (PPP) et garantir une quantité minimum d’eau par personne dans le respect du rythme de renouvellement des nappes phréatiques ;
7) créer un Observatoire de l’environnement (Ecologic Watch) susceptible de dénoncer et de réagir aux agressions caractérisées contre l’environnement.
 

5.- Pour un avenir meilleur des agricultures paysannes
Dans le domaine de l’agriculture paysanne, il existe d’abord des objectifs à moyen et long termes, liés à la souveraineté alimentaire et qui se situent à la fois aux niveaux national, international, multilatéral (celui de l’OMC) et bilatéral (Accords de partenariat économique [APE], négociés entre les pays ACP et l’Union européenne). Ensuite, au niveau national, cela concerne aussi bien la politique des prix et marchés agricoles que la politique des structures, l’accès des agriculteurs aux moyens de production et d’abord à la terre. A très court terme, en 2006, il s’agit de faire échouer la finalisation du Doha Round, ce qui facilitera le refus de conclure les Accords de partenariat économique. À cet effet, les propositions portent sur deux axes : les moyens pour imposer la souveraineté alimentaire à moyen terme, et comme préalable la mise en échec du Doha Round et les Accords de partenariat économique.

1) Propositions pour imposer la souveraineté alimentaire :
La souveraineté alimentaire est le droit qui doit être reconnu à chaque État (ou groupe d’États) de définir sa politique agricole intérieure et le type d’insertion qu’il souhaite dans le marché mondial, avec le droit de se protéger efficacement à l’importation et de subventionner ses agriculteurs à condition de s’interdire toute exportation de produits agricoles à un prix inférieur au coût de production total moyen sans subventions directes ou indirectes (en amont ou en aval). Elle est le bras de levier devant permettre à tous les pays de recouvrer leur souveraineté nationale dans tous les domaines. C’est aussi un outil de promotion de la démocratie puisqu’elle nécessite d’impliquer fortement les différents acteurs des filières agroalimentaires à la définition de ses objectifs et moyens, en commençant par les agriculteurs familiaux. Elle implique donc des actions de régulation aux niveaux national, sous-régional et international.

-  Au niveau national :
Les États doivent garantir l’accès des exploitations paysannes aux ressources productives, et d’abord à la terre. Il faut arrêter de promouvoir l’agriculture d’agrobusiness avec accaparement de terres par les bourgeoisies nationales (dont fonctionnaires) et les firmes transnationales au détriment des exploitations paysannes. Cela implique de faciliter les investissements des exploitations familiales et de transformer les produits locaux pour les rendre plus attractifs aux consommateurs. L’accès à la terre de tous les paysans du monde doit être reconnu comme un droit fondamental. Sa mise en œuvre exige des réformes adéquates des systèmes fonciers et parfois des réformes agraires.
Pour faire partager l’objectif de la souveraineté alimentaire aux consommateurs urbains - condition indispensable pour que les gouvernements s’y engagent -, trois types d’actions sont à mener :
- encadrer l’action des commerçants qui pénalise les agriculteurs et consommateurs.
- faire des campagnes de sensibilisation des consommateurs sur le tort immense fait à l’agriculture et à toute l’économie par la dépendance des produits importés, qui sont pratiquement les seuls vendus, par exemple dans les supermarchés d’Afrique de l’Ouest.
- relever progressivement les prix agricoles par la hausse des droits à l’importation pour ne pas pénaliser les consommateurs au pouvoir d’achat très limité. Cela doit s’accompagner de la distribution à ceux-ci de coupons d’achat au prix ancien des produits alimentaires locaux, à l’image de ce qui se fait aux États-Unis, en Inde et au Brésil, et cela en attendant que les gains de productivité des agriculteurs aient fait baisser leurs coûts de production unitaires, leur permettant de baisser leurs prix de vente aux consommateurs.

-  Au niveau sous-régional :
Pour que les États puissent recouvrer leur pleine souveraineté, et d’abord la souveraineté alimentaire, l’intégration politique régionale s’avère incontournable pour les petits pays du Sud. À cet effet, il faut réformer les institutions régionales actuelles, notamment, en Afrique, l’UEMOA et la CEDEAO, trop dépendantes de ces diverses méga-puissances.

-  Au niveau international :
Faire pression pour que les Nations unies reconnaissent la souveraineté alimentaire comme un droit fondamental des États indispensable pour mettre en œuvre le droit à l’alimentation défini par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1996. À ce niveau, quatre instruments de régulation des échanges agricoles internationaux sont à instaurer pour rendre la souveraineté alimentaire effective :
- Une protection efficace à l’importation, c’est-à-dire fondée sur des prélèvements variables garantissant un prix d’entrée fixe de manière à garantir des prix agricoles intérieurs minima sécurisant les investissements des agriculteurs et les prêts des banques, les droits de douane étant insuffisamment protecteurs face à des prix mondiaux fortement fluctuants, fluctuation aggravée par celle des taux de change.
- L’élimination de toutes les formes de dumping, en interdisant toute exportation au dessous du coût de production total moyen du pays sans subventions directes ou indirectes.
- Des mécanismes de coordination internationale de la maîtrise de l’offre, de manière à éviter des surproductions structurelles et à minimiser les surproductions conjoncturelles qui font s’effondrer les prix agricoles.
- La nécessité de sortir l’agriculture de l’OMC en confiant la régulation internationale des échanges agricoles à une institution des Nations Unies qui pourrait être la FAO. En particulier en réformant son organisation sur le modèle tripartite de l’OIT (Organisation internationale du travail), ce qui associerait à la régulation les représentants des syndicats agricoles (FIPA et Via Campesina) à côté de représentants des firmes agroalimentaires (qui agissent déjà dans l’ombre sur les gouvernements négociant à l’OMC) et des États.

2) Propositions à court terme pour mettre en échec le Doha Round et les Accords de partenariat économique :
Un enseignement majeur de la Conférence ministérielle de l’OMC à Hong Kong est que le Brésil et l’Inde, et avec eux le G-20, se sont distancés des intérêts des populations du Tiers Monde et se sont révélés des promoteurs les plus déterminés de la mondialisation néo-libérale. Puisque le Doha Round est un « paquet global » (single undertaking), il y a moyen de le mettre en échec. La société civile internationale, et d’abord les organisations paysannes du Nord et du Sud, pourront dans une campagne médiatique, montrer que ces subventions (particulièrement de la « boîte verte »), sont un instrument de dumping bien plus considérable que les subventions explicites à l’exportation, et le seront encore plus à partir de 2014 lorsque les premières auront été éliminées.
 

6.- Pour la construction du front uni des travailleurs
Deux des armes principales entre les mains de travailleurs sont le droit de vote et le droit de constituer des syndicats. La démocratie et les syndicats, jusqu’à présent, ont été construits principalement sur une base nationale. Cependant, la mondialisation néo-libérale est un défi pour les travailleurs du monde entier et le capitalisme mondialisé ne peut être affronté uniquement au niveau national. Aujourd’hui, la tache est double : renforcer le niveau national et simultanément mondialiser la démocratie et réorganiser une classe ouvrière mondiale.

Le chômage massif et le caractère croissant du travail informel sont une autre raison majeure pour repenser les organisations existantes des classes travailleuses. Une stratégie mondiale du travail doit considérer non seulement la situation des ouvriers au travail munis de contrats stables. L’emploi hors des secteurs formels concerne une partie croissante des travailleurs, même dans les pays industrialisés. Dans la plupart des pays du Sud, les travailleurs du secteur non formel - travailleurs avec des emplois temporaires, travailleurs des secteurs informels ; auto-emplois, les chômeurs, les vendeurs de rue, ceux qui vendent leurs propres services -, forment ensemble la majorité des classes travailleuses. Ces groupes sont en croissance dans la plupart des pays du Sud à cause d’un chômage élevé et du double processus, d’une part la raréfaction et l’informatisation des emplois garantis et d’autre part l’exode rural continu. La tâche la plus importante sera pour les travailleurs hors du secteur formel de s’organiser et pour les syndicats traditionnels de s’ouvrir afin de réaliser une action commune.

Les syndicats traditionnels éprouvent des difficultés à répondre à ce défi. Toutes les organisations des travailleurs hors secteurs formels ne seront pas nécessairement des syndicats, ou organisations similaires et les syndicats traditionnels devront aussi se transformer. De nouvelles perspectives de construire ensemble, fondés sur des liens horizontaux et le respect mutuel, doivent se développer entre les syndicats traditionnels et les nouveaux mouvements sociaux. À cet effet, les propositions suivantes sont soumises à considération :
1) Une ouverture des syndicats vers une collaboration avec les autres mouvements sociaux sans essayer de les subordonner à la structure syndicale traditionnelle ou à un parti politique spécifique.
2) La constitution de structures syndicales effectivement transnationales afin de faire face aux employeurs transnationaux. Ces structures syndicales devraient avoir en même temps une capacité de négociation et un mandat d’organiser des actions communes au-delà des frontières nationales. À cet effet, un pas important serait d’organiser des structures syndicales fortes au sein de certaines transnationales. Ces dernières possèdent un réseau de production complexe et sont souvent très sensibles à toute rupture dans les chaînes de production et de distribution, ce qui indique vulnérabilité. Quelques succès dans les combats contre les transnationales pourraient avoir un impact réel sur les rapports de forces mondiaux entre capital et travail.
3) Le développement technologique et le changement structurel sont nécessaires pour améliorer les conditions de vie et éradiquer la pauvreté, mais les relocalisations de production ne sont pas aujourd’hui réalisées dans l’intérêt des travailleurs, sinon selon une logique exclusive de profit. Il est nécessaire de promouvoir une amélioration graduelle des salaires et des conditions de travail, une production locale croissant avec la demande locale et un système de négociation pour les relocalisations en tant qu’alternatives à la logique du profit et du libre-échange. Ces relocalisations pourraient faire partie de négociation transnationales, afin d’éviter que les travailleurs des différents pays soient forcés d’entrer en concurrence les uns avec les autres dans une lutte implacable.
4) Considérer les droits des travailleurs migrants comme une préoccupation de base pour les syndicats en assurant que la solidarité entre travailleurs ne soit pas liée à leur origine nationale. En effet, la ségrégation et la discrimination, que ce soit sur des bases ethniques ou autres, sont des menaces pour la solidarité de la classe travailleuse.
5) Veiller à ce que l’organisation transnationale future de la classe travailleuse ne soit pas conçue comme une structure unique, hiérarchique et pyramidale, mais bien comme une variété de différents types d’organisations, et une structure en réseau avec de nombreux liens horizontaux.
6) Promouvoir un front du travail réorganisé dans des structures couvrant aussi les travailleurs hors du secteur formel dans le monde entier, capable en action coordonnée d’affronter efficacement le capitalisme mondialisé.
Seul un tel mouvement global mondial et renouvelé des travailleurs, agissant ensemble avec d’autres mouvements sociaux pourra transformer le monde présent et créer un ordre mondial fondé sur la solidarité plutôt que sur la concurrence.
 

7.- Pour une démocratisation des sociétés devant permettre un plein développement humain
Les forces progressistes doivent se réapproprier le concept de démocratie, car une société alternative, socialiste, doit être pleinement démocratique. La démocratie ne se décrète pas d’en haut. Elle est un processus de transformation culturelle, car les personnes se transforment au travers de leurs propres pratiques. Il est donc indispensable que les acteurs des mouvements populaires et des gouvernements de gauche ou progressistes comprennent qu’il faut créer des espaces d’une réelle participation tant au niveau des lieux de travail qu’à celui des lieux géographiques de vie. Sans la transformation des personnes en acteurs protagonistes de leur histoire, on ne pourra point résoudre les problèmes des peuples : santé, alimentation, éducation, logement.... La chute des pays socialistes d’Europe de l’Est a beaucoup à voir avec cette absence de participation. Les citoyens de ces pays n’étaient plus guère motivés à défendre des régimes où ils étaient des observateurs et non des acteurs.

La lutte pour la démocratie doit aussi être liée à la lutte pour l’éradication de la pauvreté et de toutes les formes d’exclusion. En effet, si l’on veut résoudre ces problèmes, il faut que le peuple devienne le sujet du pouvoir. Cela implique la lutte contre la logique de profit du capital et de mettre en place, dans les espaces que l’on peut conquérir, une logique différente, humaniste et solidaire. Car, la seule affirmation de la nécessité d’une société alternative ne suffit plus et il est donc nécessaire de proposer des initiatives populaires qui soient des alternatives au capitalisme et qui cherchent à briser la logique marchande et les rapports que cette dynamique impose.

Mais il s’agit aussi d’organiser des luttes qui ne se réduisent pas à de simples revendications économiques, même si ces dernières sont nécessaires, et qui proposent un projet social alternatif, incluant de réels niveaux de pouvoir et de démocratie, dépassant les formes actuelles de la démocratie représentative, parlementaire, électoraliste. Il est donc nécessaire de lutter pour un nouveau type de démocratie, venant d’en bas, pour ceux d’en bas, par le biais des gouvernements locaux, des communautés rurales, des fronts de travailleurs, des citoyens... Cette pratique démocratique, solidaire, sera la meilleure manière d’attirer de nouveaux secteurs sociaux dans une lutte pour la société alternative pleinement démocratique.

Afin de concrétiser les principes énoncés, les grandes lignes suivantes sont proposées :
- Inscrire la démocratie dans l’ensemble des conditions qui caractérisent les mouvements d’émancipation et de libération, dans leur dimension individuelle et collective.
- Reconnaître que l’échec du soviétisme et des régimes issus de la décolonisation résultent en grande partie de leur déni des libertés et de leur sous-estimation de la démocratie. L’élaboration d’alternatives doit intégrer ce constat et donner une place prééminente à la construction démocratique.
- Contester le double discours des puissances dominantes promptes à donner des leçons de démocratie. Le cynisme de l’impérialisme américain est particulièrement insupportable alors qu’ils se manifestent comme fauteurs de guerres, de tortures, de violations de libertés. Pour autant, cela ne saurait servir de prétexte à limiter les libertés et l’exercice de la démocratie.
-  Récuser la conception dominante de la démocratie avancée par les États-Unis et les puissances occidentales. La démocratie ne peut être définie comme l’acceptation des règles du marché et la subordination au marché mondial, d’élections pluralistes contrôlées de l’extérieur et d’une idéologie réductrice des droits de l’homme. Ce type de démocratie consiste à imposer l’expansion de la marchandisation en la liant arbitrairement à l’importance reconnue des élections libres et du respect des droits. On ne fait pas alors que restreindre la démocratie, on en pervertit le sens.
- Reconnaître qu’il existe une forte dialectique entre démocratie politique et démocratie sociale, car une démocratie politique est incomplète et ne peut durer si persistent les inégalités et l’exploitation et l’injustice sociale. Une démocratie sociale ne peut progresser sans lutte contre l’oppression et les discriminations, tout en rappelant qu’aucune politique sociale ne peut justifier l’absence de libertés et le non-respect des droits fondamentaux.
- Affirmer que la démocratie nécessite une participation effective et croissante de la population, des producteurs et des habitants. Celle-ci implique une transparence dans les processus de décision et dans les responsabilités et elle n’annule pas l’importance de la démocratie représentative. Au contraire, elle la complète et l’approfondit.
- Puisque la démocratie doit faciliter la lutte contre la pauvreté, les inégalités, les injustices et les discriminations, elle doit laisser une place stratégique aux pauvres et aux opprimés, à leurs luttes et à leurs mouvements. Dans ce sens la démocratie dans le fonctionnement de ces mouvements concourre à leur pérennité et à leurs succès.
- La démocratie dans le mouvement altermondialiste est une indication de l’importance que le mouvement accorde à la démocratie dans ses orientations. Elle implique un renouvellement de la culture politique et de la culture d’organisation, une attention particulière accordée à la question de l’autorité et de la hiérarchie. A cet effet, une des propositions d’action immédiate est de mener une campagne pour que les mouvements d’éducation populaire fassent une place importante à l’éducation citoyenne et à l’éducation à la démocratie et que cette dimension soit présente dans l’enseignement. Rappelons, en effet, que le mouvement altermondialiste est porteur d’un projet foncièrement démocratique. Il revendique l’accès pour tous aux droits fondamentaux. Il s’agit des droits civils et politiques et notamment des droits à la libre organisation et à la libre expression qui sont les fondements des libertés démocratiques. Il revendique aussi les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux qui sont les fondements de la démocratie sociale. Il revendique enfin les droits collectifs et les droits des peuples à lutter contre l’oppression et contre les violences qui leurs sont imposées. Il s’agit là de la définition d’un programme de mise en œuvre de la démocratie.
- Le mouvement altermondialiste reconnaît aussi l’importance des services publics comme un des moyens essentiels de garantir l’accès aux droits pour tous et l’égalité des droits. Il défend les luttes des travailleurs et des usagers des services publics. Il met en avant les propositions issues des mouvements de défense des services publics, et notamment des services d’éducation et de santé. Par exemple pour la santé l’accès à une liste de médicaments gratuits et le refus des monopoles, de la dictature des brevets et de la prétention à breveter le vivant.
- La lutte pour la démocratie doit tenir compte des différents niveaux d’intervention suivant les espaces. Nous en retiendrons cinq : l’entreprise, la démocratie locale, la démocratie nationale, les grandes régions, la démocratie mondiale. Pour chacun de ces niveaux, à titre d’illustration, une action peut être proposée. Le choix des priorités résultera du débat stratégique.

1) La démocratie dans l’entreprise est une revendication majeure. Elle implique la reconnaissance du pouvoir des travailleurs, des usagers et des collectivités publiques territoriales et nationales. Elle nécessité le refus de la dictature des actionnaires et de la logique destructrice du capital financier. Elle débouche sur le contrôle des décisions, et notamment des délocalisations. La mise en valeur des formes innovantes d’auto-organisation et de mutualisation est une des manières de revendiquer la pluralité des formes de production et de refuser la fausse évidence de l’efficacité de l’entreprise capitaliste privée. Le mouvement pour la responsabilité sociale et environnementale des entreprises présente un grand intérêt, malgré les risques de récupération, à condition de déboucher sur des normes publiques contraignantes dans le droit international.

2) La démocratie locale répond à la demande de proximité et de participation. Elle repose sur des institutions locales qui doivent garantir les services publics et qui augurent d’une alternative au néo-libéralisme préférant le niveau local et la satisfaction des besoins à l’ajustement de toute la société au marché mondial. Elle permet de renouveler la citoyenneté, notamment à travers celle de résidence et de ses conséquences en termes de droits de vote.

3) La démocratie nationale reste l’échelon stratégique. Les questions des identités, des frontières, du respect des droits des minorités, de la légitimité des institutions participent aux fondements de la souveraineté populaire. Les politiques publiques peuvent être des espaces d’affrontement contre le néo-libéralisme. La redistribution des richesses fondée sur la fiscalité est à défendre et à étendre. Des mesures comme le revenu minimum et la couverture sociale fondée sur la solidarité entre générations ne sont pas réservées au pays riches, mais découlent des conditions du partage entre rémunérations du travail et profits spécifiques à chaque société.

4) Les grandes régions peuvent être aussi bien des vecteurs de la mondialisation néo-libérale, comme dans l’Union Européenne, que des contre-tendances et des lieux de résistance, comme le montre les évolutions du Mercosur et la mise en échec de l’ALCA. De ce point de vue, les forums sociaux continentaux ont des enjeux considérables.

5) La démocratie mondiale est une perspective de réponse à la mondialisation néo-libérale. Dans la situation actuelle, les mobilisations prioritaires portées par le mouvement altermondialiste sont : l’annulation de la dette, la remise en cause fondamentale de l’OMC, la suppression des paradis fiscaux, la taxation internationale et tout particulièrement celle du capital financier (transferts de capitaux, profits des firmes transnationales, écotaxes...). Une réforme radicale des institutions financières internationales est nécessaire (avec notamment le principe un pays, une voix), la réforme des Nations unies dans le respect des droits des peuples et le refus de la guerre préventive est aussi nécessaire.

Il serait donc nécessaire de : se doter d’un Observatoire de la démocratie, qui soit en mesure de résister à l’hégémonie des pays dominants, au premier rang desquels les États-Unis, et à leur discours fallacieux sur la démocratie ; encourager le contrôle citoyen ; promouvoir les formes démocratiques inventées et mises en œuvre par les mouvements sociaux et citoyens.
 

8.- Pour l’éradication de toutes les formes d’oppression, d’exploitation et d’aliénation des femmes
Les formes du patriarcat sont multiples, comme ses liens avec l’impérialisme et le néo-libéralisme. Il est important et nécessaire d’en analyser l’impact sur les femmes. Le concept de patriarcat se réfère à la domination du père/patriarche et a servi à décrire un modèle familial dominé par les hommes ayant autorité sur tous les autres membres de la famille. Le modèle n’est certes pas universel, nombre de sociétés africaines ayant été matrilinéaires ou à régime dualiste, avec des lignages paternels et utérins qui ont leurs rôles pour l’individu. Ce système patriarcal s’est étendu avec l’essor des religions abrahamiques et des idéologies et législations coloniales. Aujourd’hui, le patriarcat désigne surtout la domination masculine, l’inégalité entre les sexes au détriment des femmes et leurs multiples formes de subordination. La famille qui socialise l’enfant reste le lieu premier de la « domestication » des filles et des femmes. Cette hiérarchisation des sexes est d’autant plus marquée qu’elle est soutenue par des normes culturelles et des valeurs religieuses menant à l’appropriation des capacités productives et reproductives des femmes. L’État renforce ce pouvoir patriarcal avec ses politiques et ses codes de la famille. Des discriminations persistent dans les relations au sein de la sphère familiale, dans l’éducation, dans l’accès aux ressources naturelles, matérielles et financières, à l’emploi, dans la participation au pouvoir politique, etc. Malgré une avancée sensible des droits des femmes, la domination masculine s’inscrit encore durablement avec la « masculinisation » des institutions que reproduisent les organisations néo-libérales.

L’analyse des rapports entre patriarcat et impérialisme et le bilan, mitigé, des luttes des femmes contre ces systèmes amène à proposer plusieurs actions :
1) Rompre avec la marginalisation de la question des femmes, qui aboutit à un apartheid politique et scientifique. La question du genre étant transversale, elle doit être prise en compte dans toutes les recommandations.
2) Poursuivre le lobbying des organisations de la société civile et de la classe politique, de façon à renforcer l’alliance entre organisations féministes et forces progressistes et inscrire dans leur agenda le plaidoyer en faveur des femmes, comprenant :
- la lutte contre l’image de leur position d’infériorité dans les discours sociaux, politiques, culturels et religieux de la société globale ;
- le développement de l’éducation et de la formation des femmes afin de briser l’internalisation de cette position d’infériorité;
- la diffusion d’une meilleure conscience de leurs rôles actifs dans la société ;
- l’incitation des hommes à s’interroger sur cette domination masculine pour en déconstruire les mécanismes ;
- le renforcement des dispositions juridiques pour une égalité effective entre les sexes ;
- l’accroissement de leur représentation dans les institutions (parité).
3) Rendre visible l’histoire des femmes, leurs actions individuelles et collectives, notamment :
- le projet d’attribution du prix Nobel de la Paix 2005 à Mille femmes, institution mise sur pied par des associations de Hong Kong ;
- la campagne de Women say no to war contre la guerre en Irak ;
- diverses campagnes sur des sujets d’actualité ou des projets de société.
4) Promouvoir le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps physique et mental, à contrôler elles-mêmes les décisions relatives à leur choix de vie : éducation, emploi, activités diverses, mais aussi sexualité et fécondité (droit à la contraception, choix de la fécondité, droit d’avortement...), le corps des femmes étant le site d’oppressions et de violences de toutes natures.
5) Soutenir la réflexion théorique, à partir des expériences féminines, pour aller à l’encontre de la domination masculine. Renforcer les perspectives des femmes sur diverses questions affectant la société afin d’ouvrir de nouveaux horizons pour la recherche et l’action, en matières notamment de population, dans le prolongement de la Conférence du Caire sur la population (1994), ou d’environnement, à la suite du Sommet de la terre à Rio de Janeiro (1992), au cours duquel les femmes ont exigé le droit de vivre dans un environnement sain.
6) Développer les bases de données et un portail Internet sur les rapports entre les femmes et l’impérialisme et le néo-libéralisme.
 

9.- Pour la gestion démocratique des médias et de la diversité culturelle
1) Pour le droit à l’éducation :
En amont du droit à la culture, du droit à l’information et du droit d’informer, se pose le problème fondamental du droit à l’éducation. Ce droit, s’il est officiellement reconnu partout, reste sans effectivité dans de nombreux pays, et tout particulièrement pour les filles. C’est donc une tâche prioritaire pour tous les mouvements sociaux que de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils remplissent leurs obligations les plus élémentaires dans ce domaine.

2) Pour le droit à l’information et le droit d’informer :

- Initiatives en direction des grands médias
Le droit à l’information et le droit d’informer entrent en contradiction avec la logique générale du système médiatique. Par sa concentration croissante à l’échelle mondiale, il est en effet non seulement partie prenante directe, et bénéficiaire des mécanismes de la mondialisation néo-libérale, mais également vecteur de son idéologie. Il faut donc lutter pied à pied pour mettre des grains de sable dans cette entreprise de « formatage » des esprits, qui prétend faire accepter comme inévitable et même souhaitable l’ordre néo-libéral. À cette fin, des campagnes doivent être lancées dans chaque pays, dans le cadre d’une coordination internationale :
- pour des initiatives législatives visant à lutter contre la concentration des médias ;
- pour des initiatives législatives visant à garantir l’autonomie des rédactions par rapport aux actionnaires et propriétaires, en encourageant, là où elles n’existent pas, la création de sociétés de journalistes, et en leur donnant des pouvoirs réels ;
- pour l’éducation à la critique des médias dans le système scolaire et dans les organisations populaires.

-  Favoriser les médias alternatifs
Les médias alternatifs et à but non lucratif, sous toutes leurs formes (papier, radio, télévision, Internet), jouent déjà un rôle important pour une information pluraliste et non soumise aux diktats de la finance et des multinationales. C’est pourquoi il faut exiger des gouvernements que ces médias bénéficient de conditions réglementaires et fiscales privilégiées. Un Observatoire des médias alternatifs pourrait identifier les législations les plus avancées existant actuellement dans le monde. À l’instar de ce que font les propriétaires et directeurs des grands médias, il serait utile d’organiser chaque année une rencontre des responsables des médias alternatifs du monde entier, éventuellement dans le cadre du processus des Forums sociaux mondiaux.

- Ne pas laisser le monopole des images du monde aux télévisions du Nord. Les grandes chaînes de télévision internationale du Nord, comme CNN, ont longtemps bénéficié d’un monopole de fait et donné une vision du monde correspondant aux intérêts des puissances dominantes. Dans le monde arabe, la création d’Al-Jazeera a permis, avec un grand professionnalisme, de rompre avec la vision unilatérale des conflits du Proche-Orient. Le récent lancement de Telesur permet à l’Amérique latine de ne plus se voir seulement à travers le prisme des médias nord-américains. La création d’une chaîne africaine répond à un besoin identique, et tous les efforts doivent être déployés pour qu’elle voie le jour.

3) Pour le droit de s’exprimer dans sa langue :
Pour toutes les élites off-shore de la planète, l’usage de l’anglais est le premier des signes de reconnaissance. Il existe un lien logique entre la soumission volontaire ou résignée à l’hyper-puissance états-unienne et l’adoption de sa langue comme unique outil de communication internationale. Or le chinois, les langues romanes - si l’on promeut l’intercompréhension au sein de la grande famille qu’elles forment - et demain l’arabe ont tout autant vocation à jouer parallèlement ce rôle. C’est affaire de volonté politique. Pour lutter contre le « tout-anglais », les mesures suivantes devraient être encouragées :
- Se donner comme objectif, dans les systèmes éducatifs, et quand les conditions le permettent, d’enseigner deux langues étrangères (et pas seulement l’anglais) pour des compétences actives et passives (comprendre, parler, lire, écrire) et une ou deux autres langues pour des compétences passives (lire et comprendre oralement).
- Mettre en pratique, dans les systèmes éducatifs, les méthodes d’intercompréhension des langues romanes (espagnol, catalan, français, italien, portugais, roumain qui sont langues officielles dans 60 pays). C’est quand chacun parle sa langue et comprend celle de son interlocuteur que la communication est la plus efficace.
- Dans le cas spécifique de l’Afrique, faire de l’enseignement et de la promotion des langues nationales une priorité politique de l’Union africaine.
Créer un fonds international de soutien à la traduction du maximum de documents dans les langues des pays à faibles ressources, en particulier pour qu’elles soient présentes sur Internet.
 

10.- Pour la démocratisation des organisations internationales et l’institutionnalisation d’un ordre international multipolaire
Les Nations unies constituent une institution des peuples, qui représente à ce titre un acquis. Mais il s’agit aussi d’un lieu de rapport de forces entre États, dont l’impact peut s’avérer ambivalent, voire négatif, dans le cas de certains peuples ou en certaines circonstances. Des transformations sont donc nécessaires, dans la mesure où l’hégémonie des pays les plus puissants a pour effet l’instrumentalisation à leur profit de l’ONU. Il est par conséquent proposé les initiatives suivantes :
1) Démocratiser l’espace que signifie les Nations unies ;
2) Initier les « réformes » de l’ONU dans le but de limiter les inégalités de rapports de forces entre États ;
3) Agir sur les gouvernements qui constituent l’ONU, et pour cela, constituer dans chaque pays un Observatoire qui permette une transparence de l’action des gouvernements au sein des Nations unies, des organismes spécialisés et des instances créées à Bretton Woods (FMI, Banque mondiale, OMC) ;
4) Refinancer les organisations spécialisées telles que la FAO ou l’OMS, pour éviter leur dépendance vis-à-vis d’entreprises transnationales ;
5) Assurer une présence étendue et effective des mouvements sociaux et des organisations non gouvernementales au sein des institutions internationales ;
6) Promouvoir des Cours internationales de Justice, notamment concernant les crimes économiques, en évitant qu’elles soient instrumentalisées par les puissances dominantes, et, dans le même temps, constituer des tribunaux d’opinion afin de promouvoir des manières alternatives d’établir la justice ;
7) Pour démocratiser les Nations unies, accroître le pouvoir de l’Assemblée générale et démocratiser le Conseil de Sécurité afin de briser les monopoles (droit de veto, puissances atomiques) ;
8) Promouvoir une Organisation des nations unies qui permette une régionalisation dotée de réels pouvoirs sur les différents continents. Il est en particulier proposé de promouvoir un Forum social du Moyen Orient, rassemblant les forces progressistes des pays de la région pour rechercher des solutions alternatives au projet états-unien de « Grand Moyen Orient ».
9) Promouvoir à l’intérieur de l’ONU le respect de la souveraineté des nations, tout spécialement face aux actions entreprises par le FMI, la Banque mondiale et l’OMC.
10) Promouvoir une Assemblée mondiale des peuples pour sortir du cercle vicieux de la pauvreté.

Forum pour un autre Mali, Forum du Tiers Monde, Forum mondial des Alternatives, ENDA.
Grain de Sable n° 540 – 27 janvier 2006


Fait à Québec le 10 février 2006.

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