La destination touristique internationale de demain...
Ce qu'en pense le président de Transat A.T.
2006-02-23

Par Daniel Allard

C'est en plein hiver québécois que la Chambre de commerce de Québec avait invité le président et chef de la direction de Transat A.T., Jean-Marc Eustache, à être conférencier devant ses membres, dans la salle de bal du célèbre Château Frontenac, image emblématique de la force touristique de la ville de Québec, s'il en est une. En ce 21 février 2006, l'homme n'avait cependant pas beaucoup de bonnes nouvelles à partager avec son auditoire, si ce n'est que la croissance de l'industrie touristique mondiale reste impressionnante... mais combien pleine de défis et de bouleversements!

Dans cette "destination" Québec qu'il dit tant apprécier, où il souligne la réussite à concilier conservation et "évolution", l'homme d'affaires annonce clairement ses couleurs : le tourisme est une véritable industrie! « N'en déplaise aux sceptiques, le tourisme n'est pas une aimable activité de loisirs qui se trouve par chance à avoir des retombées économiques heureuses », insiste-t-il, chiffres à l'appui.

  • Si en 1975, environ 200 millions de touristes dits internationaux ont franchi une frontière, en 2005, les données préliminaires de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT) parlent de 808 millions; en 2010 il y en aura un milliard... Et un milliard et demi en 2020! Et c'est sans compter le tourisme "intérieur" qui est encore plus imposant;
  • À l'échelle de la planète, le tourisme fait travailler plus de 220 millions de personnes;
  • Au Canada, on estime que l'activité économique générée par le tourisme est de l'ordre de 220 milliards $ (la contribution directe au PIB serait de 52 milliards $, soit 3,8%), et qu'elle va doubler à plus de 400 milliards $ d'ici 2015;
  • Au Canada, plus de 2 millions d'emplois dépendent directement ou indirectement du tourisme, soient 13% de tous les emplois;
  • Au Québec, il existe plus de 26 000 entreprises dites touristiques, dont environ 18 000 dans les secteurs de la restauration ou de l'hébergement, et la plupart sont en région. Ce qui représente environ 320 000 emplois directs et indirects.

Mais l'homme parlait devant un auditoire déjà largement convaincu et c'est sur ce qu'il pense de la "destination touristique internationale de demain" qu'on souhaitait surtout l'entendre.

PREMIER DÉFI: LA MÉTAMORPHOSE
Premier défi, en matière de tourisme international: la métamorphose du marché. Avec des chargements qui s'annoncent drastiques, particulièrement dans une perspective canadienne :

  • « D'abord, les sources traditionnelles de touristes sont presque matures, leur croissance ralentie, surtout à destination du Canada;
  • De plus, de "nouvelles" sources de touristes sont prometteuses, mais le Canada en est éloigné;
  • Enfin, ce ne sont plus quelques dizaines de destinations qui se font concurrence pour se partager la part du lion du tourisme international, mais des centaines », analyse d'abord J-M Eustache.

Autre problème, pour un regard canadien, « (...) le marché américain nous pose actuellement un sérieux problème. Après quelques années de quasi-stagnation, il semble en effet vouloir rétrécir! En 2004, nous avons accueilli au Canada 15,1 millions de touristes américains... c'est environ 1% de plus qu'en 1998 ! (14,9 M)... Et attention, en 2005, les données préliminaires laissent présager une baisse de près de 5% sur 2004 ! », observe-t-il.

Devant ces chiffres, l'homme ne mâche pas ses mots : « L'heure est grave, et ce dossier préoccupe au plus haut point l'industrie et la Commission canadienne du tourisme ».

Et si on regarde l'autre contingent important pour le Québec, en 2004, les touristes français étaient au nombre de 337 000 environ, en baisse de plus de 25% en dix ans.

Les touristes de demain
vont venir des marchés
en émergence

« Cette baisse drastique a été pour vous beaucoup moins sévère qu'en Ontario... Pour le moment, vous vous en sortez bien, grâce à la qualité de votre destination », analyse-t-il. Mais son avertissement semble sans appel. Outre les Américains, les Anglais et les Français, se sont actuellement les Allemands, les Japonais, les Australiens, les Sud-Coréens et les Mexicains qui forment l'essentiel du contingent touristique canadien. Et pour tirer parti de la croissance future du tourisme international, il faudra « reconnaître que cette mixité relative devra s'accentuer, et agir en conséquences ».

  • En 2004, le nombre de touristes originaires d'Asie dans le monde a grimpé de 25% !
  • En 2004, les Japonais ont dépensé 25% plus à l'étranger qu'en 2003, et les Russes 15% de plus !
     
  • Selon l'OMT, il pourrait y avoir 100 millions de touristes chinois dans le monde d'ici quelques années à peine !

Un seul exemple donne toute l'ampleur des bouleversements à venir. Les Russes et les Chinois ne font que commencer à s'aventurer à l'étranger. Présentement, les ressortissants de chacun de ces deux pays dépensent annuellement environ 15 milliards $US à l'étranger, soit le même montant que dépensent les 16 millions d'habitats des Pays-Bas ! Et on pourrait faire des démonstrations analogues en parlant de l'Inde, de l'Europe de l'Est ou de l'Amérique latine.

Non seulement
l'origine des touristes change,
mais aussi leurs
destinations

En 2004, il y avait dans le monde 82 millions de touristes de plus qu'en l'an 2000. Mais pendant cette période de cinq ans, le nombre de voyageurs en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest a diminué, alors qu'il augmentait de 30% en Asie. En 2005, pour un total de 808 millions de touristes dans le monde, l'Asie affiche une croissance de 7%, contre 4% pour l'Amérique du Nord et 2% pour l'Europe de l'Ouest (source : OMT). Et il s'agirait bien d'une tendance lourde, car sur la période de 25 ans allant de 1995 à 2020, l'Organisation mondiale du tourisme estime que les parts de marché de l'Amérique du Nord et de l'Europe vont toutes deux diminuer (celle des Amériques passerait de 19,3% à 18,1% et celle de l'Europe de 59,8% à 45,9%), alors que celles de ces régions plus exotiques pourrait dans certain cas doubler.

« Au Canada, la tendance est déjà amorcée : notre part de marché de la demande touristique mondiale était de 3,5% il y a 20 ans, elle est à peu près de 2,9% au moment où on se parle, et d'ici cinq ou six ans elle sera à 2,5% », expose M. Eustache, en citant cette fois des chiffres du World Travel & Tourism Council. Conséquence pour le moins fâcheuse, en 2004, le Canada a d'ailleurs été éjecté de la liste des dix destinations les plus populaires dans le monde selon l'OMT.

Jean-Marc Eustache ne fait pas dans la demi-mesure; il a diagnostiqué une véritable métamorphose de l'industrie touristique et la réaction doit être du même ordre: "Pour toute destination qui veut se faire une place au soleil, tout doit être revu : le produit, la stratégie, le marketing, le réseau de distribution, l'appareil d'accueil, etc."

L'IMPACT FONDAMENTAL D'INTERNET
D'après le fondateur de Transat, il y a peu de secteurs économiques où l'avènement d'Internet a eu, et continue d'avoir, autant de répercussions que dans celui du voyage. « Comme source d'information, comme outil de marketing, comme canal de distribution, Internet est en train de bouleverser la dynamique touristique. Internet, c'est en somme la plus grosse agence de voyage au monde... et elle a décuplé le ''pouvoir'' du client (...) Une fois exposée sur Internet, toute entreprise de tourisme est acculée à livrer un service de calibre international." Et n'oublions surtout pas que nous sommes à l'époque où « (...) les clients frustrés pourront aisément retourner Internet contre la fautive, ils la dénoncerons par courriel, ils afficheront  des commentaires désobligeants sur des sites spécialisés, ils feront des ''blogue'' pour raconter leur mauvaise expérience », prévient-il.

Pour lui, Internet contribue fortement à rendre le marché du tourisme à peu près ''parfait'' au sens économique du terme. « Vous pouvez gérer un ''bed&breakfast'' de trois chambres à Madrid, si vous avez un site Web, vous avez le monde entier à vos pieds. Vous êtes sur le même écran radar que le Hilton de l'autre côté de la rue », image qu'il.

Pour le monde du tourisme, jamais la concurrence n'a été aussi rude!

DEVENIR UNE "EXPÉRIENCE" PLUS QU'UNE "DESTINATION"!
Parmi les autres phénomènes nouveaux à considérer, il y a le fait que le touriste d'aujourd'hui recherche une ''expérience'' davantage qu'une destination. « Dans sa récente politique touristique, le Gouvernement du Québec a ainsi identifié une quinzaine de ''créneaux'' sur lesquelles notre Ministère du tourisme travaille en ''priorité''. Cette approche est tout à fait valable. À condition qu'on comprenne bien qu'elle, pour chaque créneau, nous faisons face à une concurrence mondiale », juge l'homme d'affaires.

Face à l'émergence de ce marché à créneaux spécialisés, il faut faire des choix. Mais attention, s'adapter à ces nouvelles réalités ne sera pas suffisant, parce que tout le monde va le faire. Et le Canada devra d'autant plus faire mieux que les autres qu'il fait face à certains obstacles structurels:

  • « Le Canada est très loin des marchés émergents, et pas seulement géographiquement parlant;
  • Le Canada est immense et les points d'intérêt sont très éloignés les uns des autres;
  • Et il y a l'hiver, un attrait indubitable... mais qui est aussi un obstacle auquel nombre de nos compétiteurs ne font pas face. »

Et que conseille l'homme d'expérience ? « Personnellement, je vois au moins trois grandes directions dans lesquelles il faut travailler :

La première (...) le développement et la mise en oeuvre d'une nouvelle vision et de nouvelles stratégies, parce qu'il est impératif d'admettre que le modèle actuel n'aura pas le même succès au cours des 25 années qui viennent. Il nous faut donc une nouvelle approche. (...) Et une destination touristique, ça se gère. Isolément, ni les gouvernements, ni les entreprises, ni la communauté n'ont le contrôle. Ce n'est qu'en travaillant ensemble, qu'on peut arriver à se donner une stratégie qui fonctionne.

Deuxième chantier, celui des recherches humaines : (...) Nous risquons la pénurie, nos taux de roulement sont trop élevés, surtout en région, et, de manière générale, la formation et le perfectionnement, dans les entreprises touristiques, sont inadéquats (...) À ce chapitre, on a une grosse, grosse commande devant nous.

Troisième dossier majeur, le marketing au sens large, incluant toute la question d'Internet. (...) Saupoudrer quelques millions de dollars à gauche et à droite ne donnera aucun résultat. Il va falloir à la fois du courage et de l'imagination. Le courage de faire des choix, le courage de mettre la main au portefeuille. L'imagination nécessaire pour coiffer au poteau les centaines et les centaines de concurrents qui, déjà, sont à pied d'œuvre », a averti le fondateur et toujours dirigeant de Transat, devenue, en une vingtaine d'années, l'une des dix plus grandes entreprises de tourisme intégrées au monde. Son chiffre d'affaires atteignant aujourd’hui les 2,4 milliards $ !

« Il va falloir être très agressif au plan du marketing, et cela va coûter cher, très cher », a-t-il conclu.

Jean-Marc Eustache n'a pas manqué, aussi, de souligner fortement le travail acharné de Pierre Labrie, qui depuis des années à la tête de l'Office du tourisme de Québec « ...a prouvé son engagement à développer Québec comme une grande destination touristique ».

Fait à Québec le 23 février 2006.


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