URBA 2015, Mexico ou Québec
La ressource eau au coeur des grands enjeux de l'avenir
2006-04-07

Par Daniel Allard

À quelques jours d’intervalle, alors que la planète vivait à Mexico le 4e Forum mondial sur l’eau, le ministre des Finances du Québec présentait son budget 2006-2007 en confirmant la création d’un Fonds des générations qui s’alimentera par des redevances sur la captation de l’eau du territoire. Le 22 mars était aussi La Journée mondiale de l’eau à l’échelle de la planète. L’eau est de plus en plus au centre du quotidien de tous. Pas surprenant que la conférence présentée dans le cadre du "FORUM URBA 2015", organisée par PricewaterhouseCooper à Montréal le 30 janvier dernier, comprenait également une communication sur ce thème : Financement des infrastructures liées à l’eau. Voici d’ailleurs un résumé de la présentation de la conférencière, Johanne Mullen, v-p chez PWC.

(Merci aussi à Florence Junca Adenot, de l'UQAM, pour nous avoir transmis le document écrit de cette conférence. Organisé à l’initiative de ce professeure associée au Département d’études urbaines et touristiques, le « Forum URBA 2015 » présente des activités sur des thèmes et des projets novateurs, qui façonneront la ville créative et durable de demain.)

*****

Sur les grands enjeux associés à la gestion de l’eau au Québec, madame Mullen retient d'abord que l’eau, ressource collective qui doit être protégée et bien gérée, est aussi un facteur de développement économique important. Mais, avec...

DES PROBLÈMES MULTIPLES
Il existe un écart informationnel important ! À l’heure actuelle, les gestionnaires des services d’eau ne connaissent pas l’état des infrastructures, ni le montant et la nature des investissements requis afin de remettre à niveau et de maintenir la pérennité du parc d’actifs.

Le coût des services d’eau est largement sous-évalué ! Selon les principes comptables présentement en vigueur, les municipalités québécoises utilisent une forme de comptabilité de caisse, afin de calculer le coût des services d’eau (qui reflète seulement les dépenses d’exploitation et d’entretien régulier, ainsi que le service de dettes passées). Cette méthode ne reflète pas la totalité des coûts associés à l’utilisation des infrastructures et, par conséquent, le coût des services d’eau est largement sous-évalué.

La ressource est sur-utilisée ! Les mécanismes de tarification actuels au Québec (taxe foncière ou tarif qui ne reflète pas le coût de l’eau) n’encouragent pas la conservation. De plus, l’excès de consommation mène à l’usure prématurée des infrastructures. Cette usure devance les investissements requis au renouvellement des actifs et peut même augmenter les sommes devant être investies.

Le rôle du gouvernement est conflictuel ! À l’heure actuelle, le gouvernement joue trois rôles relatifs aux services d’eau: il établit la réglementation; doit assurer le respect des règles; appuie le financement des infrastructures requises pour respecter la réglementation qu’il fixe. Mais cette structure pose un problème de conflit d’intérêts, puisque la province est responsable de la réglementation et des coûts qui en découlent.

Les besoins de renouvellement et de développement sont importants ! Malgré le manque d’information mentionné ci-dessus, certaines analyses, telles que celles réalisées pour les villes de Montréal et de Longueuil, nous permettent de constater qu’il existe un sous-financement important des infrastructures d’eau.

Les ressources financières de la province et des municipalités sont épuisées ! Malgré les besoins financiers mentionnés ci-haut, les ressources financières de la province et des municipalités sont épuisées et d’autres sources de fonds doivent être développées.

INITIATIVES EN COURS AU QUÉBEC
Certaines municipalités ont entamé des initiatives en matière de gestion et de financement des infrastructures d’eau.

Ville de Montréal
-
Augmentation des ressources financières vouées aux services d’eau au montant de 25 millions $ en 2004 et de 20 M$ en 2005 ;
-
Mise en oeuvre de trois projets majeurs:
     
•Mise à niveau normative des usines de production ;
     
•Plan d’intervention pour les réseaux d’aqueducs et d’égouts ;
     
•Mise en oeuvre d’un programme de mesure de la consommation auprès des consommateurs non-résidentiels.

Ville de Longueuil
- Mise en oeuvre d’un projet de tarification des consommateurs non-résidentiels.

Lors d’études réalisées au cours des deux dernières années pour la Ville de Montréal, la Ville de Longueuil et le Secrétariat du Conseil du trésor, nous avons recensé les pratiques de gestion et de tarification des services d’eau de cinq grandes villes canadiennes hors Québec (Ottawa, Toronto, Calgary, Edmonton et Vancouver) et de trois villes au Québec (Laval, Longueuil, et Québec). Parmi les pratiques observées, retenons:
     •Les pratiques en matière d’identification des coûts de gestion des services d’eau ;
     
•Les pratiques de tarification ;
    
•Les politiques adoptées relativement à l’autonomie financière.

Pratiques de tarification

Selon les expériences observées à l’extérieur du Québec, la tarification directe liée à la consommation permet d’atteindre plusieurs objectifs, dont les suivants :
     
•Favorise l’équité financière entre les catégories de consommateurs ;
     
•Favorise la conservation de la ressource ;
     
•Favorise la gestion efficace de la demande et la mise en oeuvre de stratégies de conservation de la ressource ;
     
•Permet le rehaussement de la gestion du réseau d’eau par la mesure précise des tendances de consommation et le suivi de l’eau non comptabilisée ;
     
•Permet de disposer d’un outil puissant de gestion de la consommation ;
     •Facilite l’autonomie financière, car une source de revenus distincte est créée et affectée au financement des coûts.

Autonomie financière

- L’autonomie financière est réalisée lorsque les revenus associés à la prestation des services permettent de récupérer le coût total des services.
-
L’autonomie financière des services d’eau se définie également par l’absence de financement par voie de subventions des paliers supérieurs de gouvernement.

Par exemple, à Edmonton et Calgary, la pleine autonomie financière est atteinte depuis déjà plusieurs années, alors que pour Toronto, Ottawa et Vancouver, l’autonomie financière est partiellement atteinte. En regard aux villes québécoises l’autonomie financière n’est pas atteinte à deux chapitres : elles reçoivent des subventions importantes pour leurs investissements et elles n’investissent pas les sommes nécessaires pour assurer la pérennité des infrastructures.

PLUSIEURS CONCLUSIONS
-
La mise en oeuvre d’une tarification directe liée à la consommation correspond aux meilleures pratiques observées.
-
Afin de permettre aux consommateurs/contribuables d’évaluer le caractère raisonnable de la tarification imposée par les municipalités, ces dernières devraient faire rapport des résultats financiers des services d’eau potable et d’eaux usées (obligation d’information / principe d’imputabilité).
- Par contre, la transition vers le comptage universel et la tarification volumétrique représente un changement important au Québec. Ce changement exige des municipalités une planification minutieuse et l’élaboration d’une stratégie globale de mise en oeuvre.

- L’autonomie financière des grandes municipalités québécoises correspondrait aux meilleures pratiques observées dans les villes sondées à l’extérieur du Québec.
-
Ceci pourrait dégager des sommes importantes vers le financement des infrastructures d’eau.

RÉGIME PRIVÉ OU RÉGIME PUBLIC ?
Après cette analyse, il est d’autant plus pertinent de se demander quel type de régime de gestion s’applique le mieux à une telle ressource. Cette réflexion a été faite en profondeur par Sylvie Paquerot, alors chercheure au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (Cérium), dans une publication d’octobre 2004. Son étude portant spécifiquement sur le contexte des Amériques, avait pour titre : L’eau : un régime privé ou public dans les Amériques?

La gestion de la précieuse ressource eau doit-elle privilégier les règles déterminées par la société ou les règles du marché ? Car tel est l’enjeu derrière la question du statut privé ou public ! « (...) c’est le caractère hégémonique de la sphère économique, celle de l’économie capitaliste de marché mondialisée qui rend irrecevable la proposition d’un régime privé pour l’eau dans les Amériques, en premier lieu parce qu’elle tend à renverser le rapport historique entre souveraineté – politique – et marché », affirme la Ph.D. en sciences juridiques et politiques.

Si l'eau est effectivement un bien économique, nul ne le conteste, elle est aussi un bien social, un bien culturel, un bien environnemental, etc. L'eau est un « bien fondamental total », selon l'expression de Riccardo Petrella, et ériger une seule de ses dimensions en définition relèverait d'un choix purement idéologique, qui consiste à imposer, parmi les multiples dimensions de l'eau, la valeur relative à la dimension économique, au détriment de toutes les autres. Pourquoi donc soumettre les valeurs sociales, humaines, culturelles et surtout vitales à la valeur marchande ?

Certaines caractéristiques de l'eau rendent au surplus irrecevable la proposition de régime privé et d’application des règle du marché: son caractère irremplaçable et non substituable. Rappelons qu’admettre la dimension de bien économique de l'eau n'équivaut pas à accepter sa transformation en bien appropriable, en marchandise, ni sa soumission aux règles du marché. De plus, selon les principes mêmes de la théorie économique classique, le fonctionnement efficace des mécanismes de marché exige que les biens soient substituables. « Ainsi donc, l'eau n'est pas qu'un bien économique, le marché n'est pas le seul système économique et l'eau ne peut être soumise aux règles du marché parce que sa nature ne respecte pas les principes de fonctionnement de ce mécanisme économique spécifique. »

Pourtant, la chercheure rappelle qu’en 1997, un Rapport d’évaluation des eaux douces du monde déposé à l’ONU mentionnait, tout à fait dans l’air du temps : “Il faut une approche plus orientée vers le marché pour gérer les fournitures d’eau, et l’eau doit être une marchandise dont le prix est fixé par l’offre et la demande.” Mais, on suppose ici que la fixation d'un prix induit automatiquement une utilisation rationnelle, alors que le mythe de la « vérité des prix » ne résiste pas à l’analyse des faits... D’autres, surtout parmi les économistes de la Banque mondiale, considèrent que la résolution des conflits internationaux autour des ressources en eau passe par l’exploitation d’un marché commun de l’eau entre les États d’un bassin et même pour des transferts entre bassins.

« L'idée de mettre en place
un dispositif international de répartition de l'eau
en la monétisant
est séduisante à tous égards,
[…] elle ne résiste malheureusement pas à une
analyse approfondie de la
situation. » 

N. Tien-Duc,
L’humanité mourra-t-elle de soif?
(1999) Paris, Hydrocom éd, p. 129.
 

Par ailleurs, les limites de l'offre (soit le renouvellement naturel des ressources en eau, estimé au plan mondial à environ 40 000 km3 par an) ne sont pas « naturellement » respectées, lorsqu'elles ne sont pas politiquement et juridiquement imposées. « Déjà au Chili, certaines compagnies d’eau achètent les droits d’accès des paysans pour les revendre ensuite aux municipalités. Seul pays, outre les États-Unis, à avoir développé à large échelle un marché des droits de l'eau, le Chili n'apporte pas un exemple probant de l'efficacité de tels mécanismes du point de vue des droits humains et du développement durable », explique Sylvie Paquerot.

« Comme le souligne Federico Mayor, « l'eau est un bien social et patrimonial dont les utilisations humaines [doivent être] réglées par le droit. ». Or, le droit, son contenu, doit être déterminé démocratiquement, dans l’espace politique donc PUBLIC. Si le statut public d’une ressource ne garantit pas automatiquement que les règles devant s’y appliquer soient conformes à l’intérêt public de préservation et à la responsabilité publique de respect et de mise en œuvre des droits humains, il fournit au moins la possibilité de faire prévaloir des règles visant ces finalités sur les règles du marché », argumente-t-elle encore.

Au nombre de ces règles, elle cite :

  1. Une limite obligatoire : la capacité portante des écosystèmes ;
  2. Une hiérarchie des usages : qui suppose donc que nous établissions juridiquement une hiérarchie des usages plutôt que de laisser les priorités et les répartitions s'établir selon la loi de l'offre et de la demande, ceci tant au plan international que national ;
  3. Une valeur socialement et politiquement déterminée ;
  4. La fin du "droit de détruire".

« On le voit bien, pour la préservation et la redistribution des ressources en eau douce, il y a urgence à reposer collectivement les questions fondamentales sur les choix politiques qui décideront de l'avenir et les choix politiques sont par définition publics et non privés », conclut-elle.

Fiche d'information
Optimiser l'utilisation d'un volume minimal d'eau


L'Initiative régionale concernant la demande d'eau (WaDImena), que finance le CRDI, aide les pays de la région aride du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord à mettre en commun les leçons apprises sur la façon dont la gestion de la ressource peut permettre d'éviter une crise imminente de l'eau.

http://www.idrc.ca/fr/ev-94457-201-1-DO_TOPIC.html

Fait à Québec le 7 avril 2006.


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