Analyse
Conférence «PROMESSE DU MILLÉNAIRE» de Montréal : l'exutoire des riches et le rêve fuyant d'un monde plus juste !
2006-12-20

Par Commerce Monde

et Philippe Poitras, collaboration spéciale

 

À l’occasion de cet original événement tenu à Montréal cet automne, dans le sillon des fameuses véritables « Promesses du Millénaire » adoptées par nos chefs-d’États à l’ONU, lors du Sommet du Millénaire de l’an 2000, CommerceMonde.com a envoyé un émissaire bien spécial, doté d’une plume et d’un regard décapants. Nous lui avons demandé de livrer sa propre analyse de l’événement.

La rédaction

 

J’ai pris congé de ma vie ordinaire afin d’assister à la Conférence PROMESSE DU MILLÉNAIRE de Montréal, à l’affiche le 9 novembre dernier au Palais des congrès de Montréal.

Objectif de l’événement, tel qu’écrit texto dans le communiqué de presse : « convaincre de grandes personnalités de l’engagement social d’ici et d’ailleurs de se réunir et de mettre en commun leur talent et leur pouvoir de persuasion pour travailler collectivement à l’abolition de la pauvreté dans le monde ». 

Tout y était pour un succès glamour : méga salle dotée de cinq immenses écrans plasma géants (davantage qu’au dernier spectacle de Madonna au Centre Bell !), plus de 3 000 billets vendus dont des centaines à 1 000$ pièce (plus chers que les billets de U2), spectateurs bigarrés plutôt bien nantis (faussement qualifiés de délégués), membres du gratin montréalais (il y avait une entrée VIP !), et une brochette de vedettes américaines, canadiennes et québécoises, déjà rendues millionnaires par les cirques de la politique, des arts et des médias.   

Oui, tout baignait dans l’huile ! Tous les ingrédients étaient réunis pour assurer que la fuyante lumière des médias s’amène pour édulcorer encore un peu plus la vie des auditeurs et téléspectateurs nantis en leur vendant du rêve.  

Car vendre l’espoir d’un monde sans pauvreté était l’objectif ultime de ce spectacle haut en couleur rempli de musique, d’animateurs de foule, d’entrées en scène sur puissants riffs de U2, de discours bien pensants et d’ovations debout dont plusieurs suite à des commentaires anti Bush et anti Harper 

Ce rêve éveillé, ce « day dreaming » comme on dit en anglais, c’est celui d’un monde plus juste et plus équitable, où tous les humains auraient une petite chance de vivre dignement sur la planète bleue, sans égard au lieu de leur naissance... car c’est là que le bât blesse sur la planète bleue ! 

Parmi les messages clap-clap-clap-hey-que-ça-fait-du-bien entendus de la bouche des gens de statut :  

Bill Clinton, 42e Président des États-Unis d’Amérique :  

BC : «Dix millions d'enfants mourront cette année de maladies infantiles facilement évitables.» Question légitime qui aurait pu être posée par l’homme de la rue (HR) si des micros avaient été accessibles pour s’adresser aux conférenciers :  

HR : Monsieur le Président, pourquoi ne pas avoir ajouté que pendant vos 45 minutes au lutrin, que 856 enfants auront eu la grâce de mourir après des mois ou des années de souffrance, et que ceux-ci s’ajoutent aux 80 millions d’enfants décédés par famine lors de vos huit années à la présidence, soit près de 3 fois la population du Canada ? 

BC : «La bonne nouvelle est que, contrairement à il y a une trentaine d'années, nous savons comment résoudre le problème de la pauvreté.» 

HR : Monsieur le Président, mais où est la nouvelle nouvelle ici ?  

BC : « Qu'on soit d'accord ou non avec ces politiques, le fait demeure que les États-Unis ont dépensé 400 milliards $ pour la guerre en Irak et 100 milliards $ pour la guerre en Afghanistan [...] Si les États-Unis voulaient éradiquer la tuberculose, éliminer la pauvreté des enfants d'ici dix à quinze ans et envoyer tous les enfants du monde à l'école, il leur en coûterait probablement 30 milliards $ par année...» 

HR : Monsieur le Président, pourquoi n’avoir alors pas dit la phrase magique qu’un simple petit 100$ par année par Américain permettrait de changer radicalement le monde ? Et pourquoi ne pas avoir expliqué pourquoi vous n’avez pas été capable de le faire pendant vos huit années à la présidence, alors que les États-Unis nageaient dans une prospérité sans précédent ? Il me semble que le « timing » aurait été bon pour s’occuper des affaires, non ? Et si c’était impossible de le faire à cause de contraintes, comment espérez-vous que les leaders politiques des puissances occidentales fassent mieux que vous ?  

Autre invité de marque présent à la conférence, le Dr Jeffrey Sachs (JS), économiste réputé, conseiller de Kofi Annan, ami de Bono et directeur du Projet du Millénaire des Nations Unies.

JS : «Nous avons plus de capacité à faire le bien, à résoudre les problèmes et à sauver des vies qu'aucune génération avant nous et pourtant nous sommes engagés depuis des années dans cette guerre (en Irak), comme si nous n'avions aucune idée du monde dans lequel nous vivons.» 

HR : Dr. Sachs, avec tout le respect statutaire que je vous dois, mais de quelle planète débarquez-vous pour venir prêcher que nous n’avons pas idée du monde dans lequel nous vivons, et pour penser apprendre au monde « que nous avons plus de capacité à faire le bien, à résoudre les problèmes et à sauver des vies qu'aucune génération avant nous »?  Ouf, heureusement que vous l’avez dit, sinon nul ne l’aurait su ou n’aurait pu s’en douter !!! 

JS : «Nous sommes la première génération dans l'histoire de l'humanité à être capable d'abolir la pauvreté. Nous pouvons aussi détruire cette planète si nous continuons à suivre la voie de la guerre.» 

HR : Merci, cher professeur, car sans vous, on n’y aurait pas pensé, nous qui ne connaissons rien de ces réalités perceptibles à l’œil nu !!! Et en passant, les guerres détruisent moins la planète que la folie consommatrice sur laquelle la richesse occidentale se fonde.

JS : «Nous avons besoin de voir nos leaders expliquer la nécessité de combattre pacifiquement la pauvreté, la faim et la maladie.» HR : Pourquoi professeur, vous qui savez ce que la majorité ne sait pas, ne pas alors expliquer pourquoi, justement, les leaders ne le font pas ? 

Parmi les éléments terre à terre, entendus entre les grands idéaux, contre lesquels nul ne peut s’opposer, notons :  

Monsieur Gérald Tremblay, maire de Montréal, l’une des grandes villes nord-américaines dites « pauvres » par les statistiques en termes de revenu per capita, qui  est venu annoncer que la Ville de Montréal parrainera la ville de Tananarive (capitale du Madagascar), en fournissant les plans et devis techniques pour l’enfouissement d’un égout à ciel ouvert de 13 km2 dans lequel trop de gens puisent encore leur eau de consommation et de lavage.  

Madame Josée Verner, ministre canadienne de la Coopération internationale, qui a aussi annoncé l’octroi à l'UNICEF et au Fonds des Nations unies pour la population d’un montant 45 millions $ sur cinq ans pour la fourniture de médicaments et de vaccins destinés aux enfants du Bengladesh. 

L’annonce faite par Monsieur Ronnen Harary, fondateur de la compagnie ontarienne de jeux et jouets pour enfants Spin Masters, d’un don de 1,7 million $ pour aider à la construction d’un village en Afrique. 

L’allocution du médecin Réjean Thomas, honorable citoyen du monde dédiant sa vie professionnelle à combattre le fléau du SIDA, qui est venu parler de son expérience en Afrique et de la bonne nouvelle qu’il en coûte maintenant beaucoup moins cher que dans les pays riches pour se soigner avec la tri-thérapie en Afrique.  

En conclusion, cette convention spectacle, malgré son noble objectif, aura encore démontré : 

Que le capital attire encore toujours aussi bien le capital, mais que la pauvreté, elle, ne l’attire pas vraiment, si ce n’est que pour se servir de la cause de la grande misère des enfants du monde pour faire un bénéfice de 200 000$ qui servira à nourrir les enfants mal nourris du Québec, nation figurant pourtant dans le top 20 des nations les plus riches de la planète… Utile, originale, mais aussi paradoxale cette superposition des pauvretés… 

Que d’entretenir le rêve coupable mais légitime d’offrir une vie minimalement digne à tous les humains naissant sur notre planète a encore la cote dans les cœurs. Mais qu’on oublie encore trop souvent que le rêve n’est qu’une condition nécessaire mais NON SUFFISANTE pour amorcer de vrais changements et changer de paradigme.  

Que le spectacle de la pauvreté, basé sur le rêve idéalisé d’un monde égalitaire, attire encore la lumière fuyante des médias sans toutefois apporter d’éclairages nouveaux sur les causes profondes de notre honteuse indifférence citoyenne. Vous cherchez un remède à l’indifférence des leaders politiques qui choisissent l’inertie plutôt que le changement devant notre complaisance? Et bien, prenez un miroir et regardez-vous bien dedans car les leaders politiques, c’est vous, c’est moi et c’est nous ! 

Que, malgré les intentions légitimes de ses organisateurs, la conférence n’aura pas permis de «permettre à la population de voir plus clairement comment elle peut s'impliquer». Car primo, je ne sais toujours pas à qui envoyer le 100 $US annuel que Jeffrey et Bill demandent au capita que je suis et secondo, au-delà de l’excitation, des applaudissements nourris et des cris d’émotion spontanés, cette conférence s’est encore appuyée sur les mêmes bons vieux mécanismes, réflexes et paradigmes qui justement n’ont jamais vraiment généré les ultimes ruptures de paradigme nécessaires à l’atteinte de ce rêve pourtant atteignable que serait d’offrir une vie honorable à tous les humaines de la Terre d’ici 2015.  

« Si la conférence a encore permis aux vedettes (...) de se faire du bien,
elle n’aura pas permis aux 4 000 participants
de quitter la salle avec des outils tangibles en main
pour agir concrètement...

Ainsi, si la conférence a encore permis aux vedettes de claironner leurs messages quasi publicitaires et de se faire du bien, elle n’aura pas permis aux 4 000 participants de quitter la salle avec des outils tangibles en main pour agir concrètement en faveur de la réduction de la pauvreté dans le monde. Peut-être que les 200 000$ de bénéfices générés par la conférence auraient été ici utiles afin de concevoir des outils novateurs de communication et d’action pour mobiliser ceux et celles souhaitant agir concrètement pour le changement ? 

Pour terminer sur une note malheureusement réaliste, deux articles ont retenu mon attention dans un grand journal de Montréal deux jours après la conférence.

Le premier résumait les grandes lignes d’une entrevue avec le Dr. Jeffrey Sachs qui répétait que pour 50$ par canadien, le Canada pourrait faire une différence significative dans la lutte contre la pauvreté.  

L’autre papier, plus factuel celui-là, présentait des statistiques qui en disent long sur les vraies priorités des gens, une fois retournées dans leur univers privé. Selon Statistique Canada, les dépenses pour les animaux de compagnie serait de l’ordre de 592 millions $ au Québec et de 40 milliards $ US aux États-Unis, soit presque autant que les 48 milliards $ US dépensés pour les jeux pour enfants dans le plus riche pays de la planète… 

Ainsi, un calcul grossier donne donc 79$/année/per capita au Québec et 133 $US/per capita aux États-Unis pour alimenter, entretenir, soigner et cajoler nos petites bêtes favorites. Bill et Jeffrey, vous qui demandez 100$ par Américain et 50$ par Canadien pour enrayer la faim dans le monde, vous êtes battus par les petites bêtes qui l’emportent haut la main sur les 350 millions d’enfants souffrant de malnutrition sur la Terre.  

Autre indice de l’insoutenable folie du modèle occidental, les dépenses mondiales de publicité, selon le ZenithOptimedia Group Limited, se chiffraient à 385 milliards $US en 2004 et à 427 milliards $US en 2006, soit une augmentation de 11% en 2 ans.  

Dire qu’avec seulement 30 milliards $ US par année, l’humanité entière pourrait éradiquer d’ici 15 ans la tuberculose et la faim dans le monde, en plus d’envoyer à l’école tous les enfants du monde… 

Désolé pour vous Bill et Jeffrey, meilleure chance sur une planète plus humaine !  

En terminant, je me dois de mentionner que le temps d’écrire ce modeste papier de 1 750 mots, 1 750 enfants auront eu le temps de mourir. Un enfant par mot ! 

J’ai profondément honte de cet intolérable statu quo pour quiconque a une vision globale du monde.  

Messieurs Germain, Clinton et Sachs, lors de la conférence de 2007, SVP laissez tomber les écrans géants, les flashs médiatiques et le prêche clinquant. Plutôt, guidez nous et outillez nous pour que nous puissions ensuite agir concrètement pour atteindre cet idéal partagé par les coeurs!

Fait à Montréal le 16 décembre 2006.  


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