Entrevue exclusive avec Jean-Louis Roy
Où s'en va la Francophonie économique ? Sera-t-elle absente du Sommet de Québec ?
2007-12-24

Par Daniel Allard

« Ceux qui s'intéressent à la Francophonie doivent parler maintenant. » On savait déjà que l'homme nous parlerait en connaissance de cause. Jean-Louis Roy, huit ans directeur de l'influant quotidien montréalais Le Devoir, ex-secrétaire général de l'Agence de la Francophonie et plus récemment président sortant d'un mandat de cinq ans à la tête de Droits et démocratie - une haute fonction qu'il vient de décider de ne pas renouveler et nous y reviendrons -, un des grands chevaliers de la Francophonie, sait profondément de quoi il parle quand celle-ci est en jeu. Et chance pour nous, il nous accordait une longue interview exclusive en pleine recherche d'un ouvrage qu'il prépare : « Début mai 2008, je vais publier un livre sur le bilan de la Francophonie », nous confiera-t-il d'ailleurs.

« Et votre lancement se fera à Québec ? », lui avons-nous répliqué pour le taquiner, en pensant à la Rencontre internationale de la Francophonie économique (RIFÉ 2008) qui s'y déroulera du 16 au 19 mai : « Pourquoi pas », répondra-t-il du tac au tac !

Mais revenons vite au plus pressant: « Ceux qui s'intéressent à la Francophonie doivent parler maintenant », insistait donc Jean-Louis Roy le 30 octobre 2007. Quelques jours après notre rencontre dans son appartement de Montréal, la presse quotidienne montrera bien un affrontement en règle entre Paris et Ottawa en pleine joute diplomatique pour établir l'ordre du jour du XIIe Sommet des chefs d'États et de gouvernements de la Francophonie. Et ça joue dure ! Les changements climatiques et « Kyoto... la suite », d'un côté ; une thématique plus légère sur « l'environnement en général » de l'autre. Le président français Sarkozy veut prendre le leadership ; le premier ministre canadien Harper n'entend pas le laisser faire. Mais la joute ne fait que commencer pour ce qui constituera assurément l'événement politique international de l'année à Québec. En fait, avec ses quelque 68 présidents et premiers ministres attendus, ce sera même le plus gros événement international de l'histoire du Canada qui se tiendra dans sa ville fondatrice, du 17 au 19 octobre 2008.

Qu'attendre, cette fois-ci, de ces « nations unies parlant français » en action ? Effectivement, c'est en plein le temps de parler de Francophonie ! À la mi novembre, la ministre des Relations internationales du Québec et ministre responsable de la Francophonie, Monique Gagnon-Tremblay, présidait effectivement la délégation québécoise à la 23e session de la Conférence ministérielle de la Francophonie (CMF) de deux jours à Vientiane, au Laos. Et au cours de cette réunion avait lieu la cérémonie de passation des pouvoirs de la présidence de la CMF. Le gouvernement du Québec avait à y préciser son rôle de gouvernement hôte du XIIe Sommet de la Francophonie. Le Canada et le Québec, y ont pris la parole conjointement, éclairant les membres de la Francophonie sur le déroulement des travaux du Sommet de Québec et dressant le portrait des enjeux qui y seront traités.

La CMF
réunit annuellement
les ministres de la Francophonie
des 68 États et gouvernements membres
de l'Organisation internationale de la Francophonie

Tout ceci se déroulant dans un contexte obligeant certainement à questionner le bilan économique de la Francophonie, particulièrement en ce qui a trait au Secrétariat Général du Forum francophone des affaires. Le FFA, dont le secrétariat général, longtemps basé à Montréal et maintenant situé à Bruxelles, est l'instance administrative et exécutive de l'organisation d'affaires sans but lucratif qu'est cette initiative née à Québec, rappelons-le, lors du 2e Sommet de la Francophonie... C'était en 1987 !

C'est tout ça qui était donc sur la table et dans l'air lorsque nous avons interviewé Jean-Louis Roy.

Qu'en pense ce vieux routier de la Francophonie ?

Il aura la générosité de nous accorder plusieurs heures de sa journée ; et nous l'avons beaucoup questionné sur sa vision d'un bilan économique de la Francophonie.

Il ne nous décevra pas !

*****

« La tentative de lier la Francophonie et l'économie ne date pas d'hier, rappelle-t-il. Robert Bourassa avait dit : ‘'Ça passe par l'énergie'', en 1987. Ce qui avait permis de fonder l'Institut de l'énergie de la Francophonie (maintenant l'IEPF) qui a depuis lors son siège social à Québec. Ce fut, selon moi, la première tentative sur le plan économique de la Francophonie. Mais il y en a eu d'autres... », poursuit-il, en nous annonçant qu'il va nous en faire la liste.

Deux, il y a évidemment la création du Forum francophone des affaires (FFA) qui fut aussi fondé au Sommet de Québec de 1987.

Trois, c'était peu de temps après ce même Sommet de Québec, il mentionne la Conférence des ministres de la jeunesse et du sport « qui a entre autres eu pour mandat d'aider les jeunes à créer leur entreprise. »

Quatrièmement, la création du Mondial de la publicité francophone, avec ces éditions à Marrakech au Maroc, au Liban, en France et aussi au Québec, présidé par Michel Pauzé.

Cinquièmement, la mise en place de l'Agence des universités francophones, avec ses réseaux ayant des liens avec l'économie.

Il citera ensuite son souvenir de la conférence de mai 2004 à Paris, à la suite du Sommet de Beyrouth qui en avait décidé sa tenue... « Un symposium sur l'accès aux financements internationaux qui fut une des conférences les plus concrètes que j'ai pues voir sur le sujet », rappellera-t-il, en nous reliant à l'estime qu'il garde pour une roumaine responsable de cet événement, madame Maria Niculescu.

En sept, il rappellera la Conférence des ministres des finances de la Francophonie, tenue qu'une seule fois, c'était à Monaco. « Ce fut très intéressant ce qui s'est passé à Monaco », conviendra Jean-Louis Roy. Mais comme plusieurs, il posera la question : « Pourquoi n'a-t-elle été organisée qu'une seule fois ? »

Ensuite, il s'étendra avec enthousiasme sur le MASA, le Marché africain du spectacle et des arts : « 650 acheteurs y étaient venus, à leurs frais, à la première édition (...) Un événement organisé depuis à cinq occasions, toujours à Abidjan - ce qui sera une erreur finalement ! - alors qu'au début on voulait en faire un Canne africain de la culture... Une idée d'ailleurs pas morte, parce que sa 5e édition ‘'Spécial Paix en Côte-d'Ivoire'', cette année même en 2007, a été tenue malgré le contexte difficile de ce pays dans les dernières années (...) Je vous donnerai un seul exemple qui démontre la pertinence d'un événement comme celui-là : le Ballet moderne de Tunisie, qui depuis son passage au 1er MASA est continuellement en tournée internationale partout à travers le monde. »

Finalement, monsieur Roy soulignera des initiatives prises par la Francophonie concernant l'unification du droit au sein de l'Union économique et monétaire de l'ouest africain (UEMOA). Il citera des exemples en droit des affaires, ainsi qu'en droit des assurances, ayant permis d'améliorer un état de droit dans plusieurs pays d'Afrique de l'ouest, y facilitant d'autant le développement économique. « Je suis très impressionné par les travaux de l'UEMOA », insistera-t-il pour souligner l'appuie de la Francophonie institutionnelle à la mise en place des communautés économiques régionales UEMOA et la CÉDEAO.

On pourrait aussi parler du Fond francophone de l'autoroute de l'information. Du bilan d'un organisme comme l'Association internationale des maires francophones, qui suscite la coopération ville-ville : « J'ai récemment rencontré le maire de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, qui m'a confié que l'AIMF était finalement la seule coopération internationale qui a véritablement aidé sa ville », lancera-t-il au passage.

La Francophonie économique est évidemment multiforme et faite de chemins divers, mais nous tenions à insister en lui demandant directement de porter un jugement sur le Forum francophone des affaires. Parce que ce dernier est l'organisme de la Francophonie qui permet le plus directement de favoriser le développement économique à la base avec l'implication individuelle des gens d'affaires, par la promotion d'occasions d'affaires et l'organisation d'activités de réseautage.

LE FFA, UN ÉCHEC ?
Pourquoi le FFA n'a pas réussi ? Pourquoi son secrétariat international a sans grand bruit quitté Montréal il y a quelques années déjà ? Quel bilan en faire à moins d'un an d'un Sommet qui se tiendra dans la même ville qui l'a fait naître il y a vingt ans ? 

Jean-Louis Roy s'abstiendra ici de plonger dans ce sujet et se contentera de nous donner le numéro de téléphone de Michel Côté : « Je vous renvoie à lui, j'en dirais des approximations », se contentera-t-il de dire. Manifestement, le FFA n'est pas un sujet populaire !

Message reçu ! On poursuivra l'entrevue sur les autres thèmes. Dont celui de l'état de santé général de la Francophonie, prise dans son ensemble. Ici, l'homme n'aura pas de réserve à lancer ses messages.

«Ceux
qui s'intéressent
à la Francophonie
doivent parler
maintenant»

« Il y a beaucoup d'interrogations, d'inquiétudes... Bien qu'il ne faut pas porter de jugement immédiatement, nous vivons tout de même dans un contexte où il y a une certaine forme de fatigue, ne nous en cachons pas. » À dire que la Francophonie est à une croisée des chemins, il y a là un pas que ce diplomate homme de communication ne franchira pas. Mais il dira sans nuance : « Ceux qui s'intéressent à la Francophonie doivent parler maintenant ».

Et à ceux qui soutiennent qu'il faut laisser les forces naturelles du marché agir, il répondra cinglant : « Malheureusement, ça ne marche pas comme ça ! Prenez simplement l'exemple du Commonwealth, ou encore celui de la Communauté hispanophone dans le monde ou encore celui de la diaspora chinoise. Eux s'organisent... Et nous on décrocherait ! Ça n'a pas de sens. »

Il importe cependant de se faire réaliste face à ce que les pays qui forment l'ensemble francophone peuvent construire ensemble. S'il juge extrêmement important de souligner que la Francophonie s'est dotée d'un volet politique fort, avec par exemple l'existence d'un poste de secrétaire général, le jeu que sa diplomatie multilatérale impose n'est pas simple. Avec 68 pays membres, elle est une grande famille à géométrie variable où chacun ne fait pas toujours le bonheur de tous : « Dans une communauté, on n'a pas les partenaires qu'on veut, on a les partenaires qu'on a », expose à ce titre un Jean-Louis Roy conscient de la complexité des enjeux.

Alors qu'attendre du Sommet de Québec ?

TROIS PISTES DE MOBILISATIONS POUR L'AVENIR DE LA FRANCOPHONIE
« Si, par un sommet faible, on confirme les doutes des gens actuellement, le poids politique à supporter sera lourd sur les épaules de ceux qui auront à le porter », lance ici Jean-Louis Roy en direction des politiciens actuellement aux postes de décisions. « (...) L'idée de décrocher est tout à fait absurde », insistera-t-il ensuite, comme pour maintenir la pression et montrer que la seule option est d'oser agir.

N'hésitant pas à plonger dans le débat, il identifie devant nous trois pistes de mobilisation pour la Francophonie :

  • « La Francophonie est l'endroit dans le monde où il y a le plus d'enfants qui ne vont pas à l'école. Le défi : que tous les enfants francophones soient à l'école en 2020 ! C'est ma première piste de mobilisation ;
  • Il y a aussi la piste de l'audiovisuel. La bataille de la diversité a été gagnée. Mais quel contenu allons-nous mettre dans cette victoire de la diversité culturelle ? Allons-nous laisser tomber TV-5 ? Bravo à la France avec sa Chaîne 24. Moi je dis félicitations à cette initiative. Il ne faut pas opposer TV-5 et la Chaîne 24. Mais il faut entrer en dialogue. Je suis sûr que l'on peut convaincre nos amis français de collaborer là-dedans (...) Si ce dossier n'est pas réglé au Sommet de Québec, beaucoup de gens vont le ressentir. Personnellement, je pense que le Québec devrait doubler son financement actuel à TV-5. Par exemple, le faire passer à 10 millions $/an ;
  • Troisièmement, je souhaite que le Sommet de Québec crée une Grande Commission, conduisant à un rapport, au sommet suivant, sur une synthèse Francophonie-Économie. »

Que faut-il attendre du Sommet de Québec ? Si les premiers ministres Charest et Harper, à titre d'hôtes, auront le privilège de gérer l'agenda, il faut savoir que ce genre d'événement répond très souvent à la logique du moment et que l'actualité internationale immédiate peut très bien emporter tous les efforts de préparation de longue haleine. Au surplus, homme d'expérience, Jean-Louis Roy sait pertinemment que la réflexion de nos chefs d'États et de gouvernements n'est pas faite et qu'il est largement possible d'alimenter le débat sur l'avenir de la Francophonie après octobre 2008 et le Sommet de Québec.

S'inquiète-t-il de voir le premier ministre du Québec, Jean Charest, parler de projet d'accord de libre échange avec l'Europe, plutôt que d'initiatives économiques plus larges à l'échelle de la Francophonie, ce à moins d'une année du Sommet ? Que se prépare-t-il en la matière ; ou que ne se prépare-t-il pas ?

« J'applaudis sans condition aux initiatives actuelles du premier ministre Charest en Europe », répondra-t-il spontanément. Jean-Louis Roy n'en dira pas plus. Il faudra attendre pour avoir son jugement profond sur la Francophonie économique. L'hiver qui arrive le verra se retirer dans ses terres ; il s'isolera en Afrique, chez sa famille d'accueil du Burkina Faso, pour y écrire ce fameux livre-bilan qu'il rêve d'écrire depuis longtemps.

« Le gouvernement canadien m'avait demandé de faire un autre mandat de cinq ans à la direction de Droits et démocratie. J'ai beaucoup réfléchi mais ma décision est maintenant prise : je vais passer le bâton à du sans plus jeune et me plonger dans de nouveaux défis. »

Que la Francophonie reste avec vous! Mais surtout, meilleure chance et fertile rédaction, Jean-Louis Roy... Tous les francophones et francophiles de la Terre attendent impatiemment la fin heureuse de votre projet littéraire !

Fait à Québec le 24 décembre 2007.


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