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Nagoya, comme Protocole de Nagoya sur l’accès et le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques

Tirer profit de la génétique ! Que de rêves ce potentiel a alimenté dans l’histoire… Comme 75% des ressources biologiques de la planète sont situées dans seulement 17 pays, l’affaire devient critique. Mais il faudra attendre le Sommet de Rio de 1992 pour voir apparaître des tentatives de meilleures gestions, puis l’initiative de Nagoya en application depuis seulement 2014. Bilan!

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Des pays, surtout ceux dits en développement, dénonçaient vivement dans les années 1970 et 1980 le fait que des ressources génétiques présentes sur leur territoire étaient souvent prélevées sans leur consentement et leur étaient revendues, à fort prix, sous forme de médicaments, de semences et de produits chimiques.

La Convention sur la diversité biologique (CDB) est venue créer un cadre juridique global organisant le marché des ressources génétiques, en respectant le fondement de la souveraineté des États. Ainsi, contrairement à une pratique millénaire qui consacrait de facto la loi du libre accès en ce domaine, la CDB implique que l’accès aux ressources doit désormais être négocié.

Comme cette convention ne faisait que prévoir les principes de dispositifs d’accès et de partage des avantages des ressources génétiques, de sorte que seule une minorité de Parties avait adopté des mesures de mise en œuvre, le Protocole de Nagoya a été adopté pour tenter d’améliorer la situation.

Il vise à la fois :

  • à favoriser l’accès aux ressources, de manière à encourager la bio-innovation ;
  • à lutter contre la bio-piraterie, que l’on peut qualifier comme «l’appropriation illicite des ressources génétiques (RG) et des savoirs traditionnels qui y sont attachés par le biais des droits de propriété intellectuelle, notamment le système de brevets, sans partage des bénéfices» ou «l’accès et la collecte non autorisés de ces ressources».

Après plusieurs années de négociations sous la Convention sur la diversité biologique de 1992, le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique a finalement été adopté le 29 octobre 2010, à la toute fin de la 10e Conférence des Parties à la CDB et est entré en vigueur le 12 octobre 2014.

Objectif : d’une part, sécuriser l’accès des entreprises et centres de recherche qui prospectent des ressources génétiques dans différents pays, de manière à encourager les investissements dans la bio-innovation ; d’autre part, rendre cet accès conditionnel au consentement préalable des pays fournisseurs, et de leurs communautés autochtones et locales.

Selon le Protocole, ce consentement doit dépendre du partage équitable des bénéfices découlant de l’utilisation de ces ressources. La mise en œuvre du Protocole repose sur l’intégration des règles qu’il prévoit, dans l’ordonnancement juridique interne des pays fournisseurs et dans celui des pays qui ont des entreprises et centres de recherche «utilisateurs» sur leurs territoires.

Une application encore toute récente et très complexe

Après d’intenses négociations, compte tenu de désaccords importants sur les questions de la reconnaissance des savoirs traditionnels, de l’adoption des mécanismes de conformité et de financement, l’application du Protocole de Nagoya n’a pas encore deux ans.

Considérant que près de 75% des ressources biologiques de la planète sont situées dans 17 pays qui sont qualifiés de pays «méga divers», et tenant compte du fait que ces derniers sont tous situés dans les tropiques, à l’exception de l’Australie et des États-Unis (PNUE, 2007), la question du partage équitable des retombées monétaires et non monétaires de l’utilisation de ces ressources est complexe.

De plus, les États-Unis ne sont pas Parties à la CDB, et ne sont pas Parties au Protocole de Nagoya (ni le Canada d’ailleurs).

Ceci affectera considérablement l’efficacité du traité concernant le partage des bénéfices résultant de l’utilisation des ressources génétiques et notamment du transfert de biotechnologies vers les pays en développement.

Mais même imparfait, ce Protocole est une avancée pour la mise en œuvre du 3e grand objectif de la CDB: le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. Il s’agit toutefois d’une avancée limitée puisque la mise en œuvre du Protocole nécessite que l’État adopte une législation nationale relative aux ressources génétiques et au partage des avantages en découlant.

En liant l’autorisation d’accès aux ressources génétiques au partage des avantages résultant de leur utilisation par l’adoption de législations nationales conséquentes, ce nouvel instrument international ne fait que fournir un cadre à l’élaboration de ces lois. Le Protocole fait donc le pari que les utilisateurs de ressources génétiques n’auront pas le choix de respecter au minimum la législation du pays fournisseur. Précisons que seules sont visées par le régime de la CDB et du Protocole les ressources qui sont fournies par les pays d’origine ou qui ont été acquises dans le cadre de la CDB.

Bref, autant en vertu de la CDB que du Protocole de Nagoya, chaque État fixe souverainement les conditions d’accès à ses ressources génétiques. Sous les grands concepts d’un « accès satisfaisant » aux ressources génétiques ; accès toutefois lié à un «transfert approprié des techniques pertinentes » et « compte tenu de tous les droits sur ces ressources et aux techniques, et grâce à un financement adéquat ».

« Dans un monde idéal, les principes fondamentaux du système d’APA mis en place par le Protocole de Nagoya reposeraient sur le consentement préalable en connaissance de cause non seulement des autorités nationales compétentes du pays fournisseur, mais aussi des communautés locales « gardiennes» de ces ressources, et cette condition devrait obligatoirement se retrouver dans les législations de tous les pays Parties. Or, en adoptant le Protocole de Nagoya, les États ont plutôt convenu que les droits des communautés autochtones seraient, à cet égard, soumis au droit interne de leurs États, droit qui, on en convient, variera considérablement, d’une juridiction à l’autre. »
– professeure Sophie Lavallée, Université Laval

« L’article 15 (1) du Protocole tente de résoudre la quadrature du cercle (…) en soumettant les lois et autres dispositifs nationaux adoptés par l’État de l’utilisateur des ressources, au respect des lois de l’État fournisseur des ressources. Il faudra être très prudents sur cette question afin de s’assurer que les lois et autres dispositifs nationaux qui seront ainsi élaborés puissent assurer pleinement que les accords de bio-prospection et de partage des avantages reposeront sur des conditions « convenues d’un commun accord » et que le consentement donné ne sera pas biaisé et vicié par le déséquilibre des rapports de forces entre les Parties aux échanges en matière d’APA », analyse-t-elle aussi.

Les prochaines années seront donc déterminantes sur un jugement positif ou non du jeune Protocole de Nagoya.

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Cet article est notamment un résumé d’une publication sur le même sujet signée par Sophie Lavallée, professeure de droit international de l’environnement, Faculté de droit, Université Laval. Texte complet : www.ifdd.francophonie.org/media/docs

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NOTE: Le Protocole de Nagoya est le deuxième protocole à la Convention sur la diversité biologique. Il fait suite au Protocole de Carthagena sur la prévention des risques biotechnologiques.

IMAGE : Logo de la Conférence mondiale sur la biodiversité de Nagoya (2010), associé à la phrase “Life in harmony, into the future”, traduite dans la langue du pays. La biodiversité y est d’ailleurs représentée par des origamis qui, au Japon, sont aussi symboles d’espoir en l’avenir, et le moyen de faire se réaliser un vœu.