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Six grands enjeux pour le Canada dans la renégociation de l’ALÉNA

On sait maintenant que ce sera un passage obligé. Et les négociations pour remodeler l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), un processus qu’exige le nouveau président Donald Trump, s’annoncent « longues et ardues ». Même si les responsables canadiens soutiennent que « c’est le Mexique qui constitue la véritable cible de la détermination du président Trump à renégocier ce qu’il voit comme une « mauvaise entente » qui ne bénéficie pas aux États-Unis ».

Même si cette analyse s’avérait exacte, un certain nombre d’enjeux devraient malgré tout provoquer des frictions entre le Canada et son voisin immédiat du sud.

En voici une petite demi-douzaine:

Le règlement des différends

Lorsque le Canada a négocié son ALÉ avec les États-Unis en 1988, il a voulu éliminer les droits compensatoires et les droits antidumping, des mesures élaborées pour neutraliser les effets des importations dont les prix et les subventions étaient jugés inéquitables. Les Canadiens estimant que ces droits étaient utilisés avec trop de zèle par les États-Unis, et qu’ils étaient maintenus par les tribunaux pour protéger les produits de la concurrence, notamment celle du bois d’oeuvre canadien.

Il s’agissait alors d’un enjeu primordial pour le Canada: le refus des États-Unis d’en discuter a failli faire avorter l’entente. Les deux pays se sont finalement entendus sur un compromis de dernière minute visant à mettre en place un mécanisme binational temporaire de règlement des différends, connu sous le nom de Chapitre 19.

En 1994, l’Accord de libre-échange canado-américain fut remplacé par l’ALÉNA et le mécanisme est devenu permanent. Les trois pays signataires peuvent toujours imposer des droits compensatoires et antidumping, mais en vertu du Chapitre 19, un pays peut demander à un comité spécial formé de membres des deux pays impliqués dans le différend d’examiner ces pénalités. Dès qu’un comité spécial amorce son examen, l’enjeu ne peut plus faire l’objet d’une révision judiciaire.

Plusieurs études révèlent que grâce au Chapitre 19 Washington a imposé beaucoup moins de droits compensatoires et antidumping au Canada et au Mexique qu’aux autres pays du monde. Certaines industries aux États-Unis soutiennent que le Chapitre 19 enfreint leur droit constitutionnel d’obtenir une révision judiciaire juste et impartiale, et empêche le président des États-Unis d’exercer son pouvoir d’appliquer les lois du pays sur le commerce.

Donald Trump souhaite donc carrément éliminer le Chapitre 19. Le premier ministre Justin Trudeau a, lui, affirmé que son gouvernement insisterait pour qu’une version renégociée de l’ALÉNA comprenne un mécanisme de règlement des litiges « juste et équitable » et il n’a pas voulu dire si le Canada pourrait claquer la porte si l’administration Trump se montrait inflexible dans sa volonté d’éliminer le système de règlement des litiges.

Les produits laitiers

Le système de gestion de l’offre limitant la quantité de produits laitiers pouvant être importée au Canada avant que des tarifs très élevés ne leur soient imposés constitue un irritant commercial depuis longtemps. Mais un enjeu plus important touche maintenant un produit plus récent, dit lait diafiltré. On parle ici des protéines laitières qui entrent dans la fabrication de fromage, de yogourt et autres produits lactés.

Cet « ingrédient » lacté n’étant pas soumis aux tarifs sur le lait prévus par la gestion de l’offre au Canada, les producteurs aux USA ont commencé à les vendre à faible coût aux usines de traitement canadiennes. Une manoeuvre qui ferait perdre aux producteurs canadiens des centaines de millions $ chaque année. Bien que la situation a changé lorsque l’industrie laitière canadienne a conclu une entente lui permettant de vendre, elle aussi, au rabais des ingrédients lactés et depuis que le Canada a créé une nouvelle catégorie de lait, coupant l’herbe sous le pied des producteurs du sud de la frontière. Résultat : le lobby US des produits laitiers a manifesté sa colère et a attiré l’attention de Donald Trump, qui a donc accusé le Canada, plus tôt cette année, pour la crise vécue par un certain nombre de fermes laitières du Wisconsin.

Le lobby canadien, lui, plaide que la stratégie ne s’appliquant qu’au marché intérieur est légale en vertu des lois commerciales internationales. Les producteurs du Canada se demandant aussi pourquoi les produits laitiers, qui avaient été exclus de l’ALÉNA, devraient dorénavant s’y retrouver.

Le vin

Il y a ici une vieille querelle entre le Canada et les États-Unis au sujet du vin qui a émergé dans le communiqué de presse du représentant US au Commerce qui énonçait les objectifs de Washington pour la renégociation de l’ALÉNA, bien que l’enjeu n’était pas inclus dans la liste d’objectifs de négociation proprement dite. Cette bataille avait été lancée avant même que le président Trump ne soit porté au pouvoir. C’est que le gouvernement des États-Unis estime que les producteurs de vin de leur pays sont désavantagés parce que la Colombie-Britannique ne permet qu’aux vins de cette province d’être vendus en épicerie. Washington plaidant que la Colombie-Britannique semblait avoir enfreint les engagements pris par le Canada auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il s’agit assurément d’un enjeu complexe pour le gouvernement fédéral canadien, puisque l’alcool est de compétence provinciale selon la constitution du Canada. Mais le problème du vin sera presque certainement un facteur, direct ou indirect, dans les prochaines négociations de l’ALÉNA.

Les investissements

Selon la lettre du représentant au Commerce, les États-Unis souhaiteront réduire ou abolir les barrières aux investissements « dans tous les secteurs ».

Au Canada, jusqu’ici, la culture comme les soins de santé sont exemptés par des dispositions de l’ALÉNA. Les télécommunications pourraient aussi faire l’objet d’une réforme dans ce contexte.

Le commerce transfrontalier hors taxes

Les États-Unis voudraient que le Canada permette une hausse de 4 000 % du plafond fixé actuellement pour exempter de taxes de vente les produits achetés aux États-Unis. Actuellement ce plafond – un des plus bas au monde – a été fixé à 20 $ et cela il y a des décennies, bien avant l’avènement du commerce en ligne. À Washington on souhaiterait que ce plafond soit porté à 800 $, comme c’est le cas même aux États-Unis.

Une mesure qui réjouirait certes les consommateurs, mais les entreprises canadiennes ne sont pas d’accord puisque ce régime fiscal serait plus avantageux pour les détaillants étrangers que pour les entreprises canadiennes, qui elles investissent et créent des emplois au Canada. De plus, si les consommateurs canadiens font leurs achats aux États-Unis, les détaillants canadiens seraient probablement tentés d’y déménager leurs affaires. Un phénomène qui n’augurerait rien de bon pour l’économie locale au Canada.

L’eau douce

Il est difficile de penser que les politiciens de Washington ne voudront pas profiter de cette porte ouverte à la renégociation de l’ALÉNA pour, au minimum, relancer le débat sur l’énorme potentiel d’exportation de l’eau douce du Canada en gros volume vers le voisin du sud, de plus en plus assoiffé d’eau. Quelques tentatives, à Terre-Neuve et en Colombie-Britannique, furent finalement stoppées dans le passé, et depuis le sujet reste en sourdine. Mais la réalité de la rareté ne fait qu’augmenter au fil des ans et l’eau du Canada est assurément convoitée malgré tous les discours environnementalistes en vogue.

 

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