Vers un régime unique ou une foresterie colorée ?

par Sylvain Boisclair

Nos forêts aux multiples couleurs sont au régime depuis 1986. Les grandes étapes de révision du régime forestier québécois sont franchies. La récolte des consultations et des représentations approche.

Un seul élément est responsable à lui seul de tout l'enjeu: la ressource forestière. Cette ressource que l'on croyait renouvelable à souhait, dont on vantait la pérennité aux investisseurs industriels dans le domaine, s'essouffle. Cette notion d'abondance débordante appartient à l'histoire maintenant. Le tandem Desjardins-Monderi dans " l'Erreur Boréale " l'illustrait sans équivoque.

Les industriels en sont tout autant conscients. Dans le numéro 16 de Commerce Monde, Jacques Robitaille de l'AMBSQ (l'Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec) nous prévenait que le Québec est dans une situation où il exploite presque 100% de sa ressource et que le potentiel de croissance de l'industrie doit maintenant viser les gains en valeur ajoutée. L'augmentation de la production sera faible et les gains technologiques (12% depuis 1993), dont notamment l'informatisation de la production, sont des facteurs clés des succès à venir.

Lors de son 47e congrès tenu à Québec en mai 2000, l’AMBSQ reflétaient bien les préoccupations de réflexion, de transparence, d’efforts pour l’émergence d’un Régime forestier porteur d’avenir. C’est sous la thématique « s’ouvrir sur le monde » que c’est déroulé cet événement. Ce congrès, dont les majeurs de l’industrie du bois de sciage était présents, porta attention aux marchés, au partage des ressources et aux défis et potentiels mondiaux.  

 

Les couleurs qui circulent en foresterie…

Les encadrés ci-dessous illustrent les trois grands axes rencontrés dans les multiples publications sur le sujet en rapport avec la préservation de la ressource forestière :

Les multiples utilisateurs de cette ressource publique

Un territoire de 750 300 km2 de forêts, dont 92% est public
3,5 millions d'utilisateurs (récréotourisme, plein air, chasse, pêche et autres)
2,4 milliards en activités économiques
688 pourvoiries, 19 parcs et 22 réserves fauniques
62 zones d'exploitation contrôlées (ZEC) et 22 ZEC à saumon
40 000 personnes qui détiennent des baux de villégiature sur le territoire public
58 réserves écologiques
11 nations autochtones (Premiers Peuples) représentant une population en forte croissance de plus de 100 000 autochtones.

Les enjeux économiques

18 milliards de dollars/année en livraisons manufacturières
90 000 emplois directs et des dizaines de milliers d'emplois indirects

Les grands acteurs en gestion

L'acteur principal, le ministère des Ressources naturelles
255 détenteurs de CAAF (contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestier)

Bien que les chiffres de 18 milliards de dollars, cités plus haut, proviennent d’une seule et même ressource, les efforts considérables pour positionner les produits du bois sur les marchés mondiaux, sont attribuables à des organismes comme l’AMBSQ. La concurrence mondiale porte une  forte pression sur tous les grands producteurs de l’industrie du bois. L’innovation technologique, le positionnement stratégique sur les marchés, l’augmentation de la valeur ajoutée des produits ainsi que la diversification de ces derniers en sont les outils de maintien et du développement économique de cette industrie.

La ressource ne peut plus absorber les contre-coups de ces variations de marché. Les grands décideurs de l’industrie sont clairs à ce sujet et le gouvernement québécois s’en préoccupe particulièrement. Les efforts de modification législative et les consultations publiques avec l’ensemble des intervenants le démontrent. En  septembre prochain, la tenue d’une commission parlementaire viendra chapeauter ce processus en vue d’un avenir meilleur pour nos forêts et son industrie.

UN PARADOXE ÉMERGE

Même si l’ensemble des discours soufflent sur nos forêts dans la même direction, un paradoxe demeure. Récemment, Michel Venne, dans l’éditorial du Devoir, du 5 juin 2000 nous l’illustrait de cette façon :

 « Ces acteurs (voir encadré en rouge) nous disent que, depuis 1986, date d’entrée en vigueur du régime actuel, ils ont failli à la tâche de mettre en œuvre les moyens d’intervention nécessaires pour protéger adéquatement le paysage, les habitats fauniques et la biodiversité et ils voudraient qu’on leur fasse confiance pour l’avenir. »

C’est la crédibilité et la confiance envers l’acteur principal, le ministère des Ressources naturelles, qui fait le plus souvent litige des utilisateurs non-industriels ( 3,5 millions d’individus) et qui inquiète la population. Les intérêts économiques de toute cette industrie propulsent ce régime vers « l’avenir » mais les pouvoirs de gestion demeurent sensiblement les mêmes. Un mauvais plan de match pour le ministère des Ressources naturelles et les détenteurs de CAAF et les prochaines générations en feront les frais. Voilà la souche de bien des inquiétudes.

M.Venne dit aussi : « Un bon régime forestier devrait confier des pouvoirs au ministère de l’Environnement et instaurer un mécanisme public d’évaluation des impacts dans lequel les citoyens se voient accorder non seulement l’accès aux documents mais des ressources pour bien analyser les projets. » 

UN SAVOIR ANCESTRAL À CONNAÎTRE

La décentralisation des pouvoirs de contrôle, de gestion et de planification s’estompe au profit de la règlementation. Notre courte histoire sur ce territoire devrait nous enseigner des exemples à ne pas répéter. Par ailleurs, aurions-nous encore besoin d’écouter la vision de peuples avec une histoire plus longue sur ces mêmes terres pour s’imprégner de cette notion de durabilité, de décentralisation, de coopération. Ce serait les Premiers Peuples qui pourraient fort probablement nous enseigner  cette vision.  Ces derniers sont à construire des forêts modèles autochtones et ils se souviennent de ce que représente la responsabilité communautaire. Mais, pour y inclure ces connaissances ainsi que toute autre provenant de multiples groupes d’intérêts (écologistes, environnementalistes, etc), il faut passer la barrière des préjugés et de l’ignorance.

Dans l’article Les enjeux autochtones en foresterie : de l'inquiétude à l'ouverture,  par Martin Pelletier et Luc Bouthillier., on peut lire :  « Le rapport de la Commission Brundtland spécifie que les peuples autochtones sont dépositaires d'une somme de connaissances et de savoir-faire pouvant contribuer à l'aménagement durable des forêts (CMED, 1987). Cette situation a été reconnue lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992. On s'est engagé à promouvoir l'inclusion des peuples autochtones dans la réalisation d'un développement durable (CNUED, 1993).

La cogestion des ressources forestières représente un passage obligé qu'un dialogue constant dans un esprit d'apprentissage rendra tangible. Le maître-mot demeure : ouverture. »

UN CHOIX DÉTERMINANT POUR L'AVENIR

Avec la ressource forestière qui pourrait manquer ou diminuer si elle est mal gérée, on  comprend fort bien qu’une erreur d’orientation ou de gestion pourrait altérer ou détériorer 90 000 emplois, des milliards de dollars de valeur commerciale, ainsi que notre magnifique ressource. En guise de complément au présent Régime forestier, on  peut fort bien redistribuer les pouvoirs de gestion et les rendre davantage accessibles à plusieurs. L’erreur ou les erreurs seraient ainsi répartie sur une plus petite échelle. Cela nous apporterait un outil supplémentaire pour éviter une erreur boréale. Une socialisation économique et forestière en quelque sorte. N’était-ce pas partie vibrante du parti au pouvoir, il y a quelques années ? Le développement de plusieurs collectivités, la préservation de la ressource et le maintien de l’industrie en dépendent.  Les différentes couleurs de ce paysage seront à suivre cet automne avec les résultats de la commission parlementaire et des actions qui en découleront.


Invitation à participer à la consultation générale en commission parlementaire du 6 septembre 2000

Toutes les personnes intéressés par la gestion forestière sont invitées à participer à la consultation générale en Commission parlementaire du 6 septembre 2000. Vous pouvez vous adresser au Secrétariat des commissions de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
Secrétariat des commissions
835, boul. René-Lévesque Est, bureau 3.29
Québec (Québec) G1A 1A3
(418) 643-2722

Un avis public sera diffusé dans la Gazette officielle et dans les journaux

Les mémoires peuvent être expédiés par la poste ou déposés à la réception du Secrétariat des commissions avant le 18 août 2000.

Il est également possible d’avoir accès aux documents relatifs à la révision du Régime forestier en consultant le site Internet du ministère des Ressources naturelles au www.mrn.gouv.qc.ca


LES GRANDES ÉTAPES DE RÉVISION DU RÉGIME FORESTIER QUÉBÉCOIS

Depuis 15 ans, le Régime forestier du Québec a connu des changements importants. Les citoyens et les organisations ont toujours eu la chance d'exprimer leurs préoccupations afin d'influencer le gouvernement sur la gestion forestière. L'histoire de la Loi sur les forêts en est la preuve :

  • 1985 : Consultations sur le Livre blanc " Bâtir une forêt pour l'avenir "
  • 1986 : Adoption unanime de la Loi sur les forêts par l'Assemblée nationale
  • 1987 : Mise en place du nouveau Régime forestier
  • 1991 : Consultations lors d'audiences publiques du BAPE sur le projet de Stratégie de protection des forêts
  • 1992 : Consultations lors d'audiences publiques du BAPE sur la pulvérisation aérienne d'insecticides contre certains insectes nuisibles
  • 1994 : Mise en place de la Stratégie de protection des forêts
  • 1995 : Consultations lors du Sommet sur la forêt privée
  • 1996 : Début des travaux sur le bilan du Régime forestier québécois
  • 1997 : Consultations lors du Forum-Forêt, regroupant des représentants de l'industrie, du milieu faunique, du milieu environnemental, des municipalités et du gouvernement
  • 1998 : Publication du bilan du Régime forestier et des propositions préliminaires ministérielles
    Consultations publiques sur la révision du Régime forestier
  • Mai 2000 : Dépôt du Projet de loi no 136 modifiant la Loi sur les forêts et d'autres dispositions législatives
  • Sept. 2000 : Consultation générale lors d'une commission parlementaire

Source : ministère des Ressources naturelles