affaires européennes

L'Union européenne en période de latence

par Benoît Lapointe, avocat
lapointe.ben@qc.aira.com

Lorsque l'on scrute les médias européens, ces semaines-ci, à la recherche de sujets intéressant globalement l'Union européenne, la constatation qui s'impose est que bien des choses déterminantes pour son avenir sont enclenchées : premiers pas de l'euro en tant que monnaie unique ayant remplacé les monnaies nationales de douze pays membres; négociations en vue de l'adhésion de huit États d'Europe centrale et orientale, plus Chypre et Malte; mise sur pied, lors du sommet de Laeken (Belgique) de décembre 2001, de la Convention sur l'avenir de l'Union européenne, qui vise à adapter les traités et institutions de l'Union à l'entrée des nouveaux États membres. Néanmoins, l'impression qui se dégage de cette recherche est que ces accomplissements constituent sinon les derniers actes d'une époque, du moins les jalons d'une ère qui sera déterminante pour l'avenir de l'Union. En attendant les résultats qui découleront de ces réalisations, rien de significatif ne semble pouvoir et devoir se faire, l'Union étant entrée dans une période de latence. Cet immobilisme apparent a beaucoup à voir avec les exigences démocratiques des systèmes politiques de certains des États parmi les plus importants de l'Union.

Ces exigences monopolisent en effet l'énergie autrement consacrée aux avancées de l'Union européenne. Et c'est dans les deux pays phares de l'Union, la France et l'Allemagne, que l'on peut le mieux constater à quel point cette affirmation se justifie. Ces deux grands pays sont en effet engagés dans une période importante de leur vie démocratique, au terme de laquelle seront choisis les dirigeants qui conduiront leurs destinées au cours des prochaines années. En France, tout d'abord, l'importante élection présidentielle de la fin avril et du début mai, de même que les élections législatives qui suivront, mobilisent déjà l'essentiel de la classe politique. M. Jacques Chirac tente de se faire réélire à la présidence. Pour ce faire, il devra devancer son premier ministre depuis cinq ans, M. Lionel Jospin. Le duel s'annonce redoutable et l'issue incertaine, certains candidats périphériques comme M. Jean-Pierre Chevènement (gauche) et M. Jean-Marie Le Pen (extrême droite), étant susceptibles de brouiller le paysage électoral. Il n'est toutefois pas exclu que les Français, satisfaits de la cohabitation actuelle, la reconduise, ce qui ne serait certainement pas du goût des deux principaux candidats, en particulier de M. Jospin. En ce qui concerne l'Union européenne, c'est la vision qu'ont les deux candidats du devenir de celle-ci qu'il importe de relever. Leurs projets divergent à ce titre : alors que M. Chirac est plutôt pour une confédération d'États, M. Jospin, dans un discours prononcé au mois de mai 2001, s'est au contraire montré plus favorable à la création d'une fédération, ce qui a d'ailleurs plu à l'Allemagne.

Dans ce dernier pays, les préoccupations intérieures, principalement d'ordre économique, sur fond d'élections fédérales le 22 septembre prochain, mobilisent également l'énergie de la classe politique. En pleine récession depuis la fin de l'année dernière, la plus grande puissance économique de l'Union européenne est aux prises avec plus de quatre millions de chômeurs, alors que le chancelier Schröder, au début de son mandat, avait imprudemment affirmé qu'il ne mériterait pas d'être réélu si, à l'automne 2002, il ne réussissait pas à réduire le nombre de chômeurs à moins de 3,5 millions. Bévue dont se délecte son rival conservateur (démocrate-chrétien), Edmund Stoiber, ministre-président du Land prospère de Bavière. En ce qui concerne l'avenir de l'Union, peu importe que le pouvoir échoit une nouvelle fois à une coalition dominée par les sociaux-démocrates du chancelier Schröder ou aux démocrates-chrétiens, traditionnellement proeuropéens, d'Edmund Stöber, il n'y a rien à craindre, en théorie, pour l'engagement européen de l'Allemagne. Le problème vient plutôt des difficultés économiques que connaît le pays, et qui semblent devoir se poursuivre, du moins jusqu'à l'été prochain, même si l'on a constaté une embellie ces dernières semaines. Celles-ci ont pour conséquence que l'Allemagne n'est pas en mesure actuellement et jusqu'en 2004, d'accroître sa contribution au budget de l'Union. Elle doit, en effet, remettre en ordre ses finances publiques, après avoir été épinglée, le 30 janvier dernier, par la Commission européenne en raison du fait que son déficit public a atteint, pour l'année 2001, le pourcentage de 2,6% du produit intérieur brut, s'approchant ainsi dangeureusement de la limite de 3% fixée par le Pacte de croissance et de stabilité. Ironie du sort, celui-ci avait été adopté à l'initiative de l'Allemagne elle-même, dans le but de garantir la force et la stabilité de l'euro.

Les difficultés économiques de l'Allemagne surviennent à un bien mauvais moment pour l'Union, alors que celle-ci en est à négocier le montant des aides qu'elle accordera aux nouveaux membres, et en particulier à leurs agriculteurs. Pressée par la Commission européenne de remettre en ordre ses finances publiques, l'Allemagne n'est pas intéressée à accroître sa contribution au financement de l'Union, pour laquelle elle paie déjà plus qu'elle ne reçoit. Cherchant à réaliser des économies avant de se présenter aux urnes, les sociaux-démocrates allemands souhaiteraient donc que la réforme de la Politique agricole commune (PAC), à laquelle est lié le dossier du financement de l'élargissement de l'Union, ait lieu avant les élections fédérales de septembre. Aussi désirent-ils que le rendez- vous fixé cette année pour examiner, à mi-parcours, le cadre financier de l'Union établi en mars 1999 à Berlin, serve aussi à l'adoption de «réformes urgentes et nécessaires», comme celle de la PAC. Mais l'on comprendra que la France ne veuille pas que les négociations d'élargissement servent à réformer la PAC dans un sens moins favorable aux agriculteurs français avant les grandes échéances électorales du printemps.

Face à l'arrivée prochaine de nouveaux États...
l'Union doit... se donner une orientation nettement fédérale...
condition sine qua non à l'acquisition d'un statut
pouvant lui permettre de se poser en pôle véritable...
face aux États-Unis

Par-delà les enjeux intérieurs, les élections prochaines en France et en Allemagne revêtent donc une importance très grande pour l'avenir de l'Union européenne. Cette dernière se trouve en effet encore une fois à la croisée des chemins, et l'orientation qui sera imprimée à son avenir, suite aux élections dans ces deux pays considérés comme les moteurs de l'Europe, déterminera largement la physionomie de l'Union pour les prochaines décennies. Face à l'arrivée prochaine de nouveaux États qui, à terme, doubleront le nombre de ses membres, non seulement l'Union doit-elle remodeler ses institutions, mais plus encore se donner une orientation nettement fédérale. Il s'agit là de la condition sine qua non à l'acquisition d'un statut pouvant lui permettre de se poser en pôle véritable, tant politique, militaire qu'économique et monétaire, face aux États-Unis. La prédominance diplomatique et militaire des États-Unis suite aux événements du 11 septembre, ne fait-elle pas apparaître l'Union européenne, malgré son «Monsieur PESC» (politique étrangère et de sécurité commune), Javier Solana, comme un nain politique? La faiblesse de l'euro depuis son lancement ne montre-t-elle pas que la monnaie unique doit reposer sur un pouvoir politique réel? Le même constat vaut en matière d'immigration et d'environnement, pour ne mentionner que ces sujets. L'Union se doit donc de résoudre son dilemme existentiel dans un sens nettement fédéral. Pour cela, l'impulsion doit venir de l'Allemagne et de la France, et c'est pourquoi les élections prochaines dans ces deux pays revêtent des enjeux primordiaux pour le devenir de l'Union européenne. Les travaux de la Convention présidée par M. Giscard d'Estaing vont certes, d'ici à l'an prochain, baliser le terrain à cet égard, mais il demeure que ses recommandations ne peuvent se traduire dans la réalité que si elles sont endossées politiquement par l'Allemagne et la France. Or, se méfiant du «directoire» franco-allemand, certains États de l'Union, dont le Royaume uni, nouent des alliances circonstancielles avec d'autres membres pour y faire échec.

Dans l'attente des résultats des élections en Allemagne et en France, un certain nombre de problèmes plus immédiats doivent toutefois rester en suspens. Celui de la présence, à la fois en tant que chef du gouvernement italien et ministre des affaires étrangères, de M. Silvio Berlusconi, en est un. Celui de la non-acceptation, par les citoyens de la République d'Irlande, du traité de Nice du 26 février 2001 - dont la ratification par tous les membres de l'Union est essentielle à l'élargissement -, en est un autre. La période électorale amorcée en France et en Allemagne est également susceptible de retarder le règlement de la question du financement de l'élargissement de l'Union, dont les négociations ont jusqu'ici grandement mis en lumière, on vient de le voir, la nécessité, à terme, de réformer certaines de ses grandes politiques communes, au premier chef la Politique agricole commune (PAC) et la Politique d'aide aux régions. Les élections qui auront lieu ces prochains mois en France et en Allemagne conditionnent donc à plus d'un titre l'avenir même de l'Union.

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