Chronique de Louis Balthazar

L'inflation du 11 septembre ou l'inflation de la peur

par Louis Balthazar

Rarement une date nous aura autant marqués. Personne n'oubliera cet événement spectaculaire et effrayant. Il est certain que bien des choses ont changé depuis ces terribles attentats au cœur de la puissance américaine. Pour une, la politique étrangère des États-Unis s'est donné une orientation tout à fait nouvelle et, bien entendu, le reste du monde en est encore profondément touché.

Dès lors, nous en sommes venus à voir dans le 11 septembre une sorte de date charnière de l'histoire contemporaine, l'avènement d'une nouvelle configuration du système international, une nouvelle façon d'envisager le monde. Plusieurs sont allés jusqu'à dire, aux États-Unis et ailleurs, que le monde n'était plus le même depuis cette date, que rien ne sera plus comme avant.

LE MONDE N'A PAS CHANGÉ

J'ose dire que c'est là une grossière erreur. Tant pis si je me trompe non moins grossièrement. Ce ne sera pas la première fois qu'un politologue frappe l'air. Mais demandons-nous seulement ceci. Qu'est-ce qui a changé? En quoi le 11 mars 2002 est-il si différent du 11 mars 2001?

Sans doute les perceptions américaines sont-elles différentes. Les Américains ont fait la terrible expérience de leur vulnérabilité. Jamais, de toute leur histoire, ils n'avaient été frappés de cette façon à l'intérieur de leurs frontières continentales. On a pris conscience de ce que la forteresse Amérique n'existe plus. Mais est-ce vraiment depuis le 11 septembre qu'elle n'existe plus? Pas vraiment. On savait depuis longtemps, au moins depuis l'attentat de 1993 au World Trade Center, que les États-Unis pouvaient être frappés durement de l'intérieur par des fanatiques islamistes. Ces organisations étaient à l'œuvre depuis au moins une vingtaine d'années. Plusieurs attentats ont été dirigés soit contre les États-Unis, soit contre d'autres sociétés industrialisées, soit contre des gouvernements arabes jugés trop complaisants à l'égard de l'Occident. À cet égard, le 11 septembre n'est qu'un événement de plus dans une longue lignée, sans doute un événement plus spectaculaire que jamais, mais bien plus quantitativement que qualitativement différent. Même son organisateur présumé, Oussama ben Laden, avouait lui-même ne pas avoir prévu son ampleur, sa réussite tout à fait exceptionnelle. Nous savions tous que la chose était possible. C'est donc l'allure catastrophique de l'attentat qui nous a marqués bien davantage que sa nature même.

D'ailleurs, si c'était vrai que nous étions entrés depuis le 11 septembre dans une ère nouvelle qui signalerait une accentuation prononcée du terrorisme international, nous aurions pu constater, au cours des six mois qui ont suivi, un nombre croissant d'attentats. Or tel n'est pas le cas. Mis à part le conflit israélo-palestinien, sans doute passablement effarant, voire monstrueux, mais qui a sa logique propre et qui tient à une conjoncture particulière, tout particulièrement au régime d'Ariel Sharon, bien peu d'attentats à signaler. Une tentative avortée de faire exploser un avion entre Paris et New York, l'enlèvement et l'assassinat monstrueux du journaliste Daniel Pearl, quelques autres incidents isolés et les attentats postaux à l'anthrax qui, tous terribles et meurtriers fussent-ils, n'ont pas constitué la conflagration qu'on craignait. On n'est d'ailleurs pas parvenu à relier ces agressions postales aux organisations terroristes redoutées. Donc, rien ne s'est passé depuis le 11 septembre qui soit profondément différent du type d'événements tragiques qui ont marqué le monde dans les années qui ont précédé.

UNE INFLATION SYSTÉMATIQUE

Ce qui a bien eu lieu toutefois, c'est l'inflation systématique du 11 septembre, qui a pu servir plusieurs causes. D'abord celle du gouvernement américain. On l'a souligné plus d'une fois. La tragédie a mis George Bush au monde. Depuis cette date fatidique, son taux de popularité est demeuré dans la stratosphère. Rien comme une grande cause, surtout un grand affront porté contre la nation américaine, pour renforcer un gouvernement, pour lui permettre de se prêter au jeu favori de la politique étrangère de Washington, le partage du monde entre bons et méchants. Et voilà que les républicains au pouvoir qui adorent les grandes stratégies agressives sont bien servis. Le pays est en guerre. Des ennemis ont été identifiés. Des ennemis difficilement identifiables sans doute, mais dès le départ, on a introduit la notion d'"États qui abritent les terroristes", une notion fort commode qui permettait de mieux cerner des cibles. On a pu placer, à juste titre, le gouvernement taliban dans la mire. Il est clair que ce gouvernement, en plus d'imposer une affreuse dictature à l'Afghanistan, pouvait être assez clairement relié au complot qui a tant blessé les États-Unis. Mais une fois le régime bien écrasé, ce qui n'est pas tout à fait terminé au moment où j'écris ces lignes, on pourrait signaler la fin de l'opération punitive. Sans doute doit-on continuer à faire la lutte, avec tous les moyens du bord, aux organisations terroristes, comme on le faisait d'ailleurs avec le 11 septembre. Bien sûr une attention toute nouvelle s'impose à tous. Mais encore une fois le phénomène n'a rien d'inédit.

C'était sans compter sur le grand désir de George Bush de rivaliser non pas avec son père, mais avec Ronald Reagan, auquel il voue une admiration sans borne. Ce dernier avait l'art des déclarations simplistes et résolues. Il avait obtenu un certain succès en identifiant une Union soviétique déjà croulante comme l'empire du mal. George Bush ne sera pas en reste : il aura, lui, son « axe du mal », une énumération de pays fort différents qui ne constituent pas du tout un axe, qui ont fort peu à voir avec les réseaux terroristes mis en cause après le 11 septembre, mais qui ont en commun d'être tout à fait fermés à l'influence américaine. Il est bien vrai que l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord, avec bien d'autres pays d'ailleurs, peuvent être objet d'inquiétudes et de condamnations, mais on n'a pas encore réussi à démontrer qu'on ait quoi que ce soit à gagner à les confronter.

Autre avantage à l'inflation du 11 septembre : une augmentation spectaculaire du budget de défense, l'instrument privilégié de la puissance américaine tant vis-à-vis du reste du monde que vis-à-vis des clientèles à l'intérieur du pays. Comme l'Oncle Sam est en guerre, comme il est menacé comme jamais, tout est permis. Le budget de la défense américaine, qui dépasse déjà celui d'une majorité des gouvernements de la planète, comptera bientôt pour la moitié des dépenses militaires de tous les pays du monde.

Les républicains salivent encore à l'idée que, la sécurité interne étant menacée, on peut tenir la population en laisse comme on l'a fait rarement dans le passé. On a beau invoquer les libertés civiles chères à la tradition américaine, quand l'ennemi est dans nos portes, il faut suspendre certains droits. Cela rappelle les années 50 et le maccarthysme qui florissait alors et qui permettait la chasse aux sorcières au nom de la sécurité nationale. Un auteur, Richard Hofstadter, avait écrit un livre alors sur le style paranoïaque dans la politique étrangère des États-Unis. Il faudrait relire ce livre aujourd'hui.

L'INFLATION À GAUCHE

Mais il n'y a pas que la droite américaine à profiter du 11 septembre. Dans certains milieux de gauche, on signale aussi avec enthousiasme l'avènement d'une ère nouvelle. L'attentat qui a détruit les tours de New York et une partie du Pentagone n'est que le début d'un grand réveil des « damnés de la terre ». Désormais, ce sont toutes les populations défavorisées du monde, toutes les victimes de l'infâme mondialisation, qui se réveillent et menacent la civilisation capitaliste dans son fondement même et dans son fonctionnement. Le mollah Omar l'avait bien dit aux Américains et à leurs comparses : « Vous ne dormirez plus en paix. Ce ne sera plus jamais comme avant. » Qu'importe si la cause des Islamistes radicaux, financée par des grandes fortunes issues du capitalisme le plus classique, a peu à voir avec celle des pauvres en Afrique et en Amérique latine! Qu'importe si le réseau al-Qaeda n'avait entretenu aucun lien avec les Palestiniens et leur leader Yasser Arafat qu'on détestait! "a fait bien de parler du 11 septembre comme le début d'une grande révolution qui annonce le déclin de l'empire américain. Pourtant, n'est-on pas obligé de constater que ben Laden a rendu un bien mauvais service aux opprimés de ce monde? Jamais les alliés occidentaux, sous la houlette de l'hégémonie américaine, n'ont été aussi loin de penser le monde en termes d'équité, de justice, de coopération internationale. Malheureusement, l'empire américain se porte plutôt bien. On est même en voie de sortir de la récession économique, qui s'était annoncée avant le 11 septembre mais qui a été sans doute alimentée par la tragédie. Pas si mal pour un empire croulant, de se relever six mois après avoir encaissé un coup si dur !

COMMENT EN SORTIR ?

Comment finirons-nous par avoir raison de l'inflation du 11 septembre, pour que la diplomatie reprenne ses droits, pour que les libertés civiles soient à nouveau protégées, pour que nous accueillions à nouveau des réfugiés, pour que nous cherchions les vraies solutions humanitaires aux disparités économiques et sociales et à tous les maux de la planète? Il faudra une bonne dose de bon sens pour en arriver là. La simple prise de conscience qu'après tout, le monde n'a pas changé tant que ça, que nous ne sommes pas menacés quotidiennement par un terrorisme apocalyptique, le simple fait de cesser d'avoir peur de prendre l'avion, de monter dans un ascenseur, de vivre comme on vivait avant, ce serait déjà beaucoup.

Il est à souhaiter que tel soit le cas de la population américaine notamment, qui finira bien par répudier l'odieux recours à la peur de la part de ce gouvernement élu par une si faible proportion de la population. Que les Américains se rendent compte que leur président est le même que celui d'avant le 11 septembre. Peut-être pourrons-nous alors espérer.

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