affaires européennes

Réforme de la politique commune de la pêche
La Commission européenne relance un autre dossier controversé

par Benoît Lapointe, avocat
lapointe.ben@qc.aira.com

La politique agricole commune revient, de façon récurrente, jeter des ferments de division entre les États membres de l’Union européenne, d’autant qu’il est question, en ce moment, de la réformer de manière significative. Il y a cependant un autre dossier dont on entend moins parler, bien qu’il recèle pareillement un grand potentiel de discorde entre les États membres. Il s’agit de la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), qui est dans l’air depuis plusieurs années. Mais cette fois, la Commission européenne, par la voix de son commissaire chargé de la pêche - et aussi de l’agriculture -, Franz Fischler, a décidé de frapper un grand coup. Les États membres de l’Union européenne ne peuvent néanmoins accuser le commissaire autrichien de les avoir pris par surprise. En effet, celui-ci les avait prévenus il y a déjà de cela plusieurs mois: la pêche à outrance a eu raison des capacités de reproduction des poissons, crustacés et céphalopodes. De sorte que si l’on veut éviter que l’industrie de la pêche n’en vienne à disparaître, il est impératif de réduire les prises.

«Ou bien nous avons le courage d’appliquer dès maintenant des réformes audacieuses, ou bien nous assisterons dans les années qui viennent à l'effondrement de notre secteur de la pêche». «Si nous ne procédons pas à une réforme en profondeur de la pêche, il n’y aura plus, à terme, ni poissons ni pêcheurs». Ainsi s’exprimait M. Fischler suite à l’adoption, le 28 mai dernier, par le collège des commissaires, de sa réforme controversée de la PCP. Certes dit-il redouter l’écroulement du secteur de la pêche en Europe, mais, à la base, ses inquiétudes immédiates portent sur l’épuisement des ressources halieutiques, qui constituent la matière première de ce secteur économique. C’est pourquoi le projet de réforme a été perçu, au début, comme se fondant avant tout sur des motifs écologiques, essentiellement parce ce qu’il a paru minimiser les sacrifices énormes demandés au secteur de la pêche dans le but d’assurer sa survie.

Une réforme radicale
visant la préservation des ressources halieutiques,
préalable à la survie du
secteur de la pêche

Suivant le projet de réforme présenté par M. Fischler, la préservation des ressources halieutiques passe obligatoirement par la réduction des «capacités» de pêche, c’est-à-dire d’abord par la diminution du nombre de chalutiers autorisés à pêcher dans les eaux territoriales européennes (jusqu’à 200 milles au large des côtes européennes). Ainsi, la réduction de l’effort de pêche se traduirait par le retrait de 8 600 bateaux sur quatre ans (de 2003 à 2006), soit 8,5% de la flotte européenne, ce qui entraînerait la suppression de 28 000 emplois sur ces quatre années. Afin de financer ce retrait massif de bateaux - et leur démolition - et les mesures d’aide à la reconversion des pêcheurs qui auront accepté de quitter la profession, la Commission propose de transférer à ces fins les crédits destinés à la modernisation des flottes qui avaient été programmés par le Conseil européen de Berlin de mars 1999. Quant aux pêcheurs qui conserveront leur activité, la Commission souhaite qu’ils bénéficient d’une certaine stabilité grâce à l’établissement d’une gestion pluriannuelle des quotas de pêche, fondée sur des avis scientifiques. Cette nouvelle façon de procéder remplacerait les marchandages politiques qui ont cours chaque année pour l’établissement des quotas. La gestion de ces derniers ferait ainsi l’objet d’un transfert de compétences du conseil des ministres à la Commission. Enfin, celle-ci propose de modifier le contrôle des quotas, aujourd’hui assuré par les États côtiers. Le système actuel est décrié par les pêcheurs étrangers, qui soupçonnent les autorités de s’en prendre plus fréquemment à leurs bateaux qu’à ceux des pêcheurs nationaux. La Commission propose qu’à l’avenir, les patrouilles soient composées de contrôleurs nationaux et communautaires.

Une réforme fortement contestée
par les
«amis des pêcheurs»

En théorie, personne ne conteste qu’une réforme radicale de la PCP s’impose. L’on constate, en effet, un déséquilibre important entre le grand nombre de bateaux et les réserves de poissons, qui s’amenuisent dangereusement. Ainsi, selon les estimations fournies par la Commission en regard des vingt dernières années, les réserves de hareng auraient diminué de moitié; celles de cabillaud auraient décru de 60%, celles de merlan de plus de 70%, et celles d’églefin de 80%. C’est au vu de ces chiffres pour le moins inquiétants que le commissaire Fischler avait demandé à ses services de lui préparer un projet de réforme de la PCP.

Néanmoins, les États, relais informels des puissants syndicats qui regroupent les membres de la profession, en particulier les marins pêcheurs, défendent farouchement leurs intérêts dans un dossier aux conséquences électorales potentiellement désastreuses. C’est ainsi que s’est rapidement dessinée une ligne de fracture entre deux groupes bien définis. D’une part, les «amis des pêcheurs» que sont l’Espagne, le Portugal, la France, l’Italie, la Grèce et l’Irlande. Il s’agit essentiellement d’États du Sud de l’Europe, qui possèdent une flotte importante et pratiquent des formes de pêche orientées vers la consommation humaine, précisément visées par le projet de réforme. L’on retrouve, d’autre part, le groupe des «amis de la pêche», soit l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suède, la Finlande, le Royaume-Uni et, surtout, le Danemark. Ces États du Nord de l’Europe ne sont pas concernés par le projet de réforme, qui concerne uniquement la pêche destinée à la consommation humaine. Ils se spécialisent en effet dans la pêche industrielle, c’est-à-dire de petits poissons qui sont transformés en farines destinées à nourrir les poissons d’élevage. Leurs flottes, plus réduites, pêchent le plus souvent au-delà des eaux territoriales européennes.

La réaction des États de l’Union dits «amis des pêcheurs» ne s’est pas fait attendre longtemps. Leur rejet de la réforme fut viscéral, accompagné de mots très durs à l’endroit de la Commission. Ainsi, suivant le ministre portugais de la pêche, Armando Sevinate Pinto, la réforme «dénote une hostilité envers certains États membres». Quant à son collègue français, Hervé Gaymard, «[l]e projet de la Commission manque d’ambition. Il n’accorde pas aux pêcheurs français et européens la place qu’ils sont en droit d’attendre et n’ouvre aucune perspective d’avenir.»

Le refus de la proposition de réforme fut tout aussi systématique de la part des syndicats de marins pêcheurs. Il faut dire, pour leur défense, que la Commission n’a pas jugé utile de consulter les représentants de la profession. Aussi a-t-on assisté à de grands mouvements de protestation, notamment dans les ports français de Bretagne, d’autant que la proposition de réforme survenait en pleine campagne des législatives françaises.

SUR LA VOIE DES COMPROMIS NÉCESSAIRES

La proposition de réforme devait initialement être adoptée par la Commission le 17 avril dernier. Elle ne l’a finalement été que le 28 mai, après quelques reports et maintes péripéties, dont une querelle entre M. Fischler et un autre commissaire, Mme Loyola de Palacio, ancienne ministre espagnole de la pêche, que l’on a accusée de s’être fait le relais de Madrid pour bloquer la présentation du projet. La proposition doit maintenant être adoptée par le conseil des ministres européens de la pêche, probablement d’ici à la fin de l’année, mais non sans que de difficiles négociations entre partisans et adversaires de la réforme n’aient lieu au cours des trois «conseils pêche» (14 octobre, 18 novembre, 16 et 17 décembre) qui se tiendront sous présidence danoise.

Pour dénouer l’impasse, les Quinze devront s’efforcer d’en arriver à des compromis lors de ces réunions, transactions à l’égard desquelles il n’y a maintenant plus d’opposition systématique. Car, malgré les positions initiales apparemment irréductibles, d’une part de la Commission, d’autre part des États «amis des pêcheurs», tous reconnaissent maintenant qu’ils ne pourront camper sur leurs positions. Le conseil des ministres européens de la pêche qui s’est tenu le 11 juin à Luxembourg a, à cet égard, tracé la voie qu’il convient de suivre. En effet, alors que l’on s’attendait à une réunion extrêmement conflictuelle, le climat de travail s’est néanmoins révélé étonnamment constructif. Même si la ligne de partage entre partisans et adversaires de la réforme est demeurée intacte, le climat de travail au cours de cette réunion n’était toutefois aucunement caractérisé par l’intransigeance, mais plutôt par une ouverture annonciatrice de compromis éventuels. Les uns et les autres semblent désormais ouverts à un assouplissement de leurs positions. Pour leur part, les États «amis des pêcheurs» reconnaissent qu’une réforme radicale de la PCP est nécessaire et qu’ils devront accepter d’importants sacrifices, mais ils ne peuvent aller aussi loin, socialement, que le demande la Commission. Cette dernière, de son côté, ayant apparemment sous-estimé les conséquences sociales de sa réforme pour les États qui seront les plus touchés, devra s’efforcer d’alléger les sacrifices demandés. Elle devra surtout adopter un ton moins intransigeant et - même si cela devait retarder l’adoption de sa réforme - consulter les représentants de la profession. Car, même si cette réforme est, de l’avis de tous, indispensable, elle doit néanmoins impérativement tenir compte des conséquences sociales fâcheuses qui en découleront dans les États concernés au premier chef. Il s’agit là de la seule manière de procéder qui puisse conduire à rallier non seulement une majorité qualifiée d’États au sein du conseil des ministres européens de la pêche, mais également ceux qui sont concernés en première ligne par la réforme, à savoir les membres de la profession. En fait, tout est dans la manière et l’approche. Celles de la Commission sont traditionnellement décriées comme étant cavalières. Ainsi, Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen, a déclaré dans un communiqué que «la Commission vient de se comporter comme elle ne devrait plus jamais le faire», car «la technocratie sans consultation tue l’Europe».

Après une discussion franche au sujet des données contenues tant dans les avis scientifiques sur lesquels la Commission s’est fondée pour préparer sa réforme, que dans les contre-expertises déposées par les professionnels de la pêche, la Commission espère que le débat qui s’engagera sur le fond de la réforme, et particulièrement sur l’ampleur des sacrifices demandés, se fasse dans un esprit «constructif et non émotionnel», pour reprendre les mots de M. Fischler, de façon à permettre les concessions nécessaires à l’adoption de la réforme par les ministres de la pêche des Quinze.

Concilier impératifs écologiques et enjeux socio-économiques est un exercice périlleux. En ce sens, les prochains «conseils pêche» conduiront vraisemblablement la Commission à revoir sa copie, d’abord afin que la proposition tienne compte des avis exprimés par les représentants de la profession, probablement ensuite de manière à répondre à un sérieux grief formulé par les États «amis des pêcheurs» à l’endroit de la réforme, à savoir qu’elle ne prend pas en considération les conséquences écologiques de la pêche industrielle, qui impose, elle aussi, un prélèvement important sur les ressources halieutiques. L’on est en droit de se demander, à cet égard, si le Danemark, qui assume la présidence de l’Union jusqu’au 31 décembre prochain et donc celle des «conseils pêche» de la fin de l’année, du fait de sa très grande spécialisation dans ce type de production, est le mieux placé pour permettre la recherche des compromis indispensables. Devrons-nous plutôt attendre la prochaine présidence européenne? Les prochains mois nous le diront.

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