ENTREVUE

Entrevue avec Anne Gaboury,

La nouvelle PDG de
Développement
International
Desjardins (DID)
vise la continuité
face à un environnement
en changement

 

Entrevue réalisée par Daniel Allard
(Cette entrevue est une commandite de la Commission de la capitale nationale du Québec.)

Le président du Conseil d'administration de Développement international Desjardins (DID), Olivier Lavoie, annonçait en octobre 2002 la nomination d'Anne Gaboury au poste de PDG de l'organisme. Détentrice d'une maîtrise en psychologie et d'un MBA, madame Gaboury, qui était jusque-là directrice principale de la systématisation et de l'instrumentation chez DID, entrait officiellement en fonction le 21 octobre dernier. Elle devenait seulement la quatrième personne à occuper cette fonction depuis le début des activités de DID, en 1970. Aujourd'hui, l'équipe compte une centaine de personnes, dont 60 au siège à Lévis et 40 sur le terrain dans plus de 20 pays à travers le monde, en plus d'une autre centaine de personnes engagées à titre d'employés locaux.

Avec DID depuis 1995 et depuis maintenant trois mois à la tête de cette composante du Mouvement Desjardins qui se spécialise dans l'appui technique et l'investissement dans le domaine de la finance communautaire à l'étranger dans les pays en développement et en transition, Anne Gaboury a accepté d'accorder une entrevue à COMMERCE MONDE, dans son bureau de Lévis, le 25 février 2003.

(Commerce Monde) Ghislain Paradis, votre prédécesseur, a mené DID pendant une douzaine d'années. Qu'est-ce que son départ représente pour l'équipe de DID?

(Anne Gaboury) " Il ne part pas vraiment, en fait, car il reste avec nous sur le terrain, en poste à Mexico plus précisément. Ghislain a eu une contribution fort importante au sein de DID. C'est lui qui, il y a dix ans, a amené le choix stratégique que DID se concentre dans les affaires financières. Ensuite, il a toujours beaucoup cru à l'instrumentation, la documentation et la méthodologie, les approches, les positionnements institutionnels. (...)Il a aussi suggéré que DID se donne des fonds d'investissement pour que la firme d'assistance technique que nous sommes se donne d'autres leviers pour aider ses partenaires du sud. Il a donné beaucoup de profondeur à DID. (...)Il était extrêmement stimulant à l'interne.

Ghislain est une des personnes qui connaissent le mieux l'Amérique latine. (...)Il avait toujours dit qu'il ne voulait pas finir sa carrière comme PDG. C'est donc une décision tout à fait personnelle. "a faisait longtemps qu'il disait qu'il allait retourner sur le terrain. Et il y a encore un énorme potentiel de développement pour nous au Mexique pour ce que nous nous appelons la finance communautaire, qui y est en cours d'implantation. (...)Au Mexique, Ghislain va travailler en appui aux fédérations de coopératives d'épargne et de crédit qui veulent se structurer en réseau, conformément à une nouvelle loi du pays qui les y encourage. Il va aussi s'intéresser à l'introduction de nouveaux produits (les assurances, le financement de la petite entreprise et de l'habitat social). Il va donc y faire de la prospection, avec l'appui dans ce dernier volet du Mouvement Desjardins d'ailleurs, qui s'intéresse à ce nouveau marché en nous fournissant des ressources spécialisées.

(...)Retourner sur le terrain, c'est d'ailleurs presque une exigence pour nous chez DID. On dit - un peu à la blague - qu'ici tout le monde peut devenir le patron de tout le monde, parce qu'il y a énormément de rotation dans les affectations(...) "

(C. M.) Qu'est-ce qui est le plus important pour vous en cette première année à la direction de DID?

(A. G.) " Je suis entrée à la direction générale en disant: Je vais poursuivre dans la continuité! Déjà, c'est un gros mandat, parce qu'il y a beaucoup de choses d'installées, beaucoup de choses en initiation. On s'apprête à faire des choses que ça fait des années qu'on dit qu'on va faire. Il y a donc un impératif, non pas d'introduction d'innovation, mais un impératif de livrer la marchandise, je dirais. De concrétiser nos rêves, notre vision. Par exemple, cette année on va s'intéresser finalement à créer des unités de financement spécialisées aux petites entreprises, qu'on appelle les Centres financiers aux entreprises et dans lesquels on va investir. C'est la première fois qu'on intervient ainsi, qu'on va véritablement joindre notre rôle d'opérateur et nos ressources d'investisseur. C'est la première fois qu'on va réaliser ça cette année et on pense que cela s'inscrit dans une nouvelle tendance de l'évolution de l'aide, ou on ne parle plus seulement de subvention, d'assistance technique, mais on parle de partenariat d'affaires. Et l'opération de ces Centres de financement aux petites entreprises va concrétiser cette nouvelle approche, ces nouvelles expérimentations.

L'autre défi, c'est les changements annoncés par l'Agence canadienne de développement international (ACDI), qui veut changer le mode d'affectation de ses ressources et par exemple passer d'un mode projet à un mode programme. Elle veut que ses interventions s'incèrent dans les plans stratégiques de développement des pays qu'elle supporte, elle veut se concentrer davantage dans certains pays qui sont plus prometteurs ou qui répondent à des exigences de gouvernance. Tout ça ensemble va changer beaucoup les pratiques au niveau de l'aide et nous on a à s'adapter. Le problème que nous avons, c'est qu'on ne sait pas exactement quelle forme ça va prendre. L'ACDI est au clair avec ce qu'elle ne veut plus faire. Ce qu'elle va faire à la place de est encore en définition. Donc nous aussi on doit composer avec ça. Mais on est équipé pour répondre à ça (...) "

(C. M.) Quel poids a l'ACDI, pour vous, en matière de financement?

(A. G.) " L'ACDI, c'est encore 65 à 70% de notre financement. C'est un facteur de risque et on a progressé assez rapidement dans les dernières années à diversifier nos sources de financement. Nos contrats, notamment au Mexique, sont avec la Banque mondiale; à Madagascar aussi. "

(C. M.) Est-ce que le mandat et les objectifs de DID vont changer?

(A. G.) " La mission de DID non: aider des gens à se prendre en main par le levier de la finance communautaire(...) Les moyens, par contre, vont certainement se moderniser pour aller dans la tendance où on associe aussi les partenariats d'affaires, et non pas seulement les partenariats d'assistances techniques. Nous, avec notre fonds [FONIDI], on va en venir à être des co-investisseurs avec nos partenaires, C'est nouveau ça! C'est une chose de fournir de l'assistance technique. C'est une autre chose que d'investir dans un partenaire. Et c'est une autre chose que de co-investir avec les partenaires locaux, dans les institutions financières. On ne faisait pas ça avant. Et ce qui nous permet de le faire, c'est le dernier fonds [FONIDI] que nous avons créé.

On a trois fonds, en fait: un fonds de garantie (pas encore un million $), un fond de partenariat (rendu à 6-7 M$, mais notre ambition c'est de le monter à 10M$) et le FONIDI (Fonds d'investissement pour le développement international).Les deux premiers ont été alimentés à partir de nos surplus d'opération et on considère que c'est dans notre mission d'alimenter ces fonds qui vont resservir à faire de l'intervention. Et le FONIDI est en partenariat avec d'autres acteurs du Mouvement Desjardins (Assurance vie Desjardins-Laurentienne, Société de portefeuille du Groupe Desjardins assurances générales et Comité de retraite du Mouvement Desjardins) qui se sont engagés à y contribuer au fur et à mesure que les occasions d'investissement vont se présenter. Et ça c'est 10 millions $ (qui sont encore seulement au stade d'engagement). Il existe depuis 2 ans, mais sa mécanique n'a pas encore été testée sur le terrain. Cette année, à travers les Centres de financement aux petites entreprises, c'est la première fois qu'on va expérimenter la formule du co-investissement avec le FONIDI(...)

Donc tenir le rythme sera largement suffisant. Pas de grands changements! Des petits changements à l'interne, je vais en faire, mais je suis plutôt du genre voir avant d'agir et maîtrise avant de changer. Donc, j'en suis là! Je ne vois pas de grande déviation de trajectoire à faire. J'ai un très bon appui du comité de gestion interne - tous des collègues plus expérimentés que moi - et je n'ai pas de signe qu'il faut prendre une trajectoire extrêmement différente(...) Maintenir le cap, c'est largement suffisant. "

(C. M.) Votre nomination oblige aussi à vous remplacer dans vos anciennes fonctions, puisque vous étiez déjà dans l'équipe. Est-ce que cette situation implique de nombreux changements dans l'équipe actuelle de DID?

(A. G.) " C'est la chaise musicale. La personne qui me remplace était chargée de programme à l'interne. Il faut à son tour la remplacer. On a donc ce poste à combler, une fonction extrêmement complexe(...) Oui, on est en manque de ressources, un grand classique pour nous. On est toujours en recrutement ici. Et nous avons énormément de difficulté à recruter, car nos mandats sont de plus en plus spécialisés, avec des cibles. On est toujours en recrutement, autant à l'interne que terrain(...)

Autrement, je n'ai pas changé la structure en arrivant. J'ai fait que quelques petits ajustements, notamment au niveau des communications, pour avoir plus de profondeur, pour que nous aillions des communications qui soient plus spécialisées, étant donné la nature de ce qu'on est, mais pas de changements majeurs. "

(C. M.) Comment qualifieriez-vous DID actuellement? Un organisme à maturité bien positionné? Un organisme en forte croissance qui cherche toujours à élargir ses interventions?

(A. G.) " Sur le plan de l'organisation, certainement à maturité, par contre les changements dans les lignes d'affaires vont amener des changements. Présentement, notre principale ligne d'affaires c'est l'assistance technique. Il y en a une nouvelle depuis quelques années, l'investissement, qui va prendre de l'importance au fil du temps, puis la notion d'opérateur-investisseur va devenir une autre ligne d'affaires. Donc, au fil du temps, ça va nécessiter des réaménagements à l'interne(...)

La croissance! Depuis plusieurs années le chiffre d'affaires se maintien à 20-21-22 millions $. Par contre, à l'intérieur de ce montant, nos honoraires ont augmenté. Donc au niveau du portefeuille de projet, on n'est pas en croissance. Au niveau des honoraires, on l'est.

(...)Et c'est très difficile d'augmenter le chiffre d'affaires! Le marché change - l'ACDI en est un exemple - et c'est déjà un défi que de maintenir notre portefeuille. "

(C. M.) Considérez-vous que DID est suffisamment connu au Québec?

(A. G.) " On est très peu connu au Québec, même au sein du Mouvement Desjardins. On a d'ailleurs un projet en ce sens avec les Caisses.

(...)Oui, j'ai parlé de changements au niveau des communications. L'objectif est de nous donner plus de profondeur pour démontrer qu'il y a ici une connaissance, des opinions à partager. "

(C. M.) Dans la grande famille du Mouvement Desjardins, DID est probablement la composante qui se concentre le plus sur l'international. Peut-on considérer que DID peut aussi être une porte d'entrée pour les entreprises du Québec vers des partenariats d'affaires à l'international?

(A. G.) " C'est une question très intéressante. Et je dois vous dire que c'est la vice-présidence aux affaires internationales au Mouvement Desjardins qui s'intéresse à cet aspect. Je sais qu'ils réfléchissent activement sur ce sujet actuellement, mais sans plus.

(...)Pour notre part, je dois dire non! Parce que ce n'est pas notre mandat. Et je n'ai d'ailleurs pas d'exemple que ça se soit produit dans le passé. "

(C. M.) Qui sont vous partenaires internationaux?

(A. G.) " Principalement l'ACDI, mais de plus en plus la Banque mondiale, le PNUD, FIDA. On tente de percer au sein des banques régionales de développement. Nous sommes, par ailleurs, déjà partenaire d'investissement avec la SFI (filiale de la Banque mondiale) et un fonds britannique, en plus d'être partenaire d'exécution avec la SCHL, l'UPA, SOGEMA, SOCODEVI. "

(C. M.) Comment faut-il percevoir DID? Comme un organisme de coopération internationale à but non lucratif ou comme une entreprise privée active sur le marché de la finance internationale?

(A. G.) " Nous sommes légalement un organisme sans but lucratif [filiale du Mouvement Desjardins]."

(C. M.) Dans votre secteur d'activité sur la scène internationale, contre qui vous mesurez-vous et y êtes-vous considéré comme un gros joueur ou comme un joueur parmi bien d'autres?

(A. G.) " Je considère que nous sommes dans le peloton de tête, parmi les cinq premiers, au niveau mondial, dans notre domaine. C'est pourquoi on gagne des contrats!

La concurrence vient d'Allemagne (IPC, un groupe privé), d'Europe de l'Est, ainsi que des États-Unis avec WOCCU (World Council Credit Union) et FINCA.

On regarde aussi avec beaucoup d'attention le projet FIRST des Anglais, un consortium de bailleurs de fonds dédié à la consolidation du système financier et qui démarre actuellement. "

(C. M.) Quelles ont été, selon-vous, les plus belles réalisations de DID jusqu'ici?

(A. G.) " Il y a deux éléments qui me font dire qu'un projet est un succès: quand on part de rien et qu'on met quelque chose en place; quand le tout est réapproprié par la partie locale. À ce titre, je pense particulièrement au réseau urbain de caisses qui a été mis en place au Sénégal en 5-6 ans. Un projet qui se termine d'ici un an. Autre bel exemple, le Viêt-nam. Un réseau de 1000 caisses! Je pense encore à la mise en place du réseau de surveillance du réseau des caisses au Mexique. "

(C. M.) Qu'est-ce que représente DID, pour la région de Québec, en matière de rayonnement international?

(A. G.) " Aujourd'hui, l'équipe compte une centaine de personnes, dont 60 au siège, ici à Lévis, et 40 sur le terrain dans plus de 20 pays à travers le monde. Nous engageons en plus une autre centaine de personnes à titre d'employés locaux dans les pays en question. Périodiquement, tout ce monde passe par ici pour des réunions de formation, par exemple, parce qu'il y a souvent des trainings techniques ici. Plus souvent qu'autrement, ils viennent aussi pour une prise de contact avec le Mouvement Desjardins. Le nombre de visites varie beaucoup d'une année à l'autre, mais je l'évaluerais à environ une centaine de visiteurs. "

(C. M.) Comment voyez-vous DID dans cinq ans?

(A. G.) " On a des lignes d'affaires en balbutiement. J'espère que dans cinq ans on aura vraiment trois lignes en harmonie: assistances techniques, investissements et opérateur-investisseur.

On aura certainement plus de partenariats d'affaires avec même des agences d'aide dans les pays (exemples, des firmes conseils africaines, mexicaines, à titre de co-exécutants). Des alliances financières même.

On va pousser à fond le paradoxe de joindre à la fois les objectifs d'aide et du développement des affaires. "

Comité de direction
Debout, de gauche à droite :
M. Yvon Bernier, directeur principal, Région Afrique
M. Pierre Giguère, directeur principal, Régions Amérique, Asie et Europe centrale et de l'Est
Mme Anne Gaboury, présidente-directrice générale, Direction générale
M. Pierre Émond, directeur principal, Investissements, finances et administration corporative

Assis, de gauche à droite :
M. Jean Bernard Fournier, directeur principal, Systématisation et instrumentation
M. Yves Boily, directeur, Développement des marchés
Mme Paule Drouin, directrice, Ressources humaines et communications

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Pour en apprendre encore plus:
www.did.qc.ca

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Commerce Monde #34