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La démétropolisation de l'immigration au Québec: une nécessité pour l'avenir de la Capitale-Nationale et des régions

par Luciano Dorotea, Ex-président de la Confédération des associations linguistiques et culturelles de Québec (CALCQ)
 

Au début des années 1980, j'étais parmi les rares au Québec à réclamer la régionalisation de l'immigration, notamment dans la région de Québec. En plus de considérer l'immigration comme un apport positif pour une ville et une région aux plans social, économique et culturel, il m'apparaissait que les immigrants pouvaient mieux s'intégrer à la communauté d'accueil en région qu'à Montréal. Je constatais, entre autres, que l'apprentissage du français pouvait s'y réaliser plus naturellement. J'étais à cette époque président de la CALCQ, un organisme qui a déjà regroupé plus d'une vingtaine d'associations des Communautés culturelles de la région de la Capitale-Nationale.

Le 13 avril dernier, le quotidien Le Soleil nous apprenait que le ministre des Régions et de l'Immigration, M. Rémy Trudel, faisait le constat que l'immigration, pour l'instant, c'est l'affaire de la grande région de Montréal et que les tentatives gouvernementales pour inciter les nouveaux arrivants à s'implanter hors la zone métropolitaine n'ont pas donné de résultats concrets. En effet, les statistiques nous indiquent qu'à peine 13,3% des 37 498 immigrants accueillis par le Québec en 2001 ont fait ce choix.

Les statistiques : progrès pour Montréal et recul pour les régions

En analysant les données disponibles, le constat qui s'impose est le suivant : l'immigration au Québec, c'est de plus en plus l'affaire de Montréal. Si on compare les résultats pour les années 1995 à 2001, on constate que le pourcentage des immigrants qui s'établissant dans la zone métropolitaine de Montréal a tendance à augmenter, tandis que ce pourcentage a tendance à décroître pour les régions.

Au cours des cinq années qui s'échelonnent de 1995 à 1999, 78,7% ont choisi de s'établir dans la zone métropolitaine de Montréal. Pour l'année 2001, ce pourcentage a grimpé à 85,3% en faveur de Montréal. Quant aux régions, leur part de l'immigration au Québec a chuté de 1,2%, passant pour ces mêmes années de 14,5% à 13,3%.

Compte tenu de cette situation de recul des régions et de progression de Montréal, il y a lieu de s'interroger sur les «tentatives gouvernementales» pour inciter les nouveaux arrivants à s'implanter à l'extérieur de la zone métropolitaine de Montréal. Des fiches promotionnelles sur 10 régions québécoises ont été produites et sont distribuées par les services d'immigration du Québec à l'étranger. En consultant le site Internet du ministère (www.immq.gouv.qc.ca), on y trouve effectivement ces fiches régionales, mais on y apprend surtout que le ministère privilégie Montréal comme lieu d'établissement des immigrants au Québec. Pour inciter à immigrer au Québec, le site met en évidence les pages «Vivre au Québec», «Investir au Québec», «Vivre à Montréal» et «Investir à Montréal». Le site ne met pas en valeur la Capitale-Nationale comme second pôle d'immigration au Québec, et cela malgré la signature de deux ententes entre le ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration (MRCI) et la Ville de Québec. Lors de la séance du Conseil municipal du 4 mars dernier, j'ai d'ailleurs interrogé la Ville à ce sujet. Le site du ministère présente aussi la liste des 17 intermédiaires financiers autorisés par Investissement-Québec à œuvrer dans le programme des immigrants investisseurs. On y note qu'ils sont tous situés dans la zone métropolitaine de Montréal.

Depuis quelques années, le ministère organise également des sessions de promotion des régions québécoises pour les immigrants qui résident à Montréal. Ce travail d'incitation en faveur de l'établissement d'un plus grand nombre d'immigrants dans la Capitale-Nationale et les régions hors Montréal, ne serait-il pas plus prometteur de résultats s'il était effectué avant leur arrivée au Québec, et non une fois déjà établis dans la Métropole ?

Dans les régions, une panoplie de services pour les immigrants

Quelle différence entre la situation d'aujourd'hui et celle que j'ai connue il y a 50 ans ! Il est difficile d'imaginer les conditions d'arrivée d'un immigrant à cette époque relativement récente. Après une traversée océanique de plus d'une semaine, les familles immigrantes débarquaient au port d'Halifax et arrivaient au Québec à bord du «train des immigrants». C'est ainsi qu'à l'âge de 7 1/2 ans, en provenance de mon Frioul natal (en Italie), je suis moi-même arrivé avec mes parents dans la ville de Québec, durant la nuit du 25 décembre 1951. Avec des dizaines d'autres familles venues d'Italie et de plusieurs autres pays d'Europe, nous avons été accueillis à l'édifice de l'immigration situé au Bassin Louise, là où se trouvent présentement les silos à grain. Ce «pensionnat temporaire pour immigrants», où résidaient en même temps environ 500 personnes de diverses origines (surtout européennes), possédait deux réfectoires et de très grands dortoirs avec des lits superposés. Les familles y étaient séparées : le père dans les dortoirs des hommes et la mère dans les dortoirs des femmes avec les enfants en bas âge. Ma sœur avait à peine 11 mois et nous avons dû y habiter pendant 3 mois. Aucun cours de français n'y était donné. Les immigrants devaient se débrouiller pour trouver un logement et un emploi à Québec. Ce n'est qu'au mois de mai suivant que j'ai pu aller à l'école. Ne comprenant pas le français, on m'a fait recommencer ma 1ère année alors que, dans mon pays d'origine, j'aurais normalement terminé ma 2ième année.

Depuis cette époque, la situation a bien changé. Aujourd'hui, le Québec est même reconnu pour son expertise en matière d'accueil et d'intégration des immigrants. Une panoplie de services d'accueil et d'intégration, comme l'insertion en emploi, sont maintenant offerts dans la majorité des régions du Québec : par le gouvernement, des organismes régionaux, des villes et une variété d'organismes communautaires.

L'attitude des Québécois questionnée

Les services d'accueil et d'intégration ne manquent pas en région ; il y a plutôt pénurie d'immigrants. Certains prétendent que ce faible bilan régional en matière d'immigration est dû à l'attitude des Québécois. Le 28 février dernier, le quotidien Le Soleil, dans un article-reportage intitulé «Immigration - la Capitale a un gros problème d'attitude», soulignait que «les problèmes récurrents de la Capitale en matière d'immigration ont bien peu à voir avec les infrastructures d'accueil et tout à voir avec l'attitude des Québécois eux-mêmes. C'est du moins la conclusion à laquelle en est venue la centaine de participants au colloque régional de sensibilisation à l'immigration organisé par la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain». Tout en partageant les préoccupations des organisateurs de tels colloques de sensibilisation, il est regrettable que ces réunions aient parfois tendance à se transformer en sessions d'introspection culpabilisatrice pour les Québécois.

Certains établissent même un lien entre l'attitude des Québécois et le fait qu'il y ait peu d'immigrants dans l'administration publique québécoise. Dernièrement, un membre sortant du Conseil des relations interculturelles du Québec (CRI) déclarait publiquement que la présence des immigrants dans les postes publics, au Québec, n'a pas avancé d'un seul pouce en 10 ans et que cette stagnation pourrait engendrer des tensions sociales. Il m'apparaît que c'est plutôt ce genre de déclaration qui est provocatrice de tensions sociales. La problématique dans ce dossier est tout autre : d'un côté, plus de 85% des immigrants sont établis dans la zone métropolitaine de Montréal et, d'un autre côté, l'administration publique québécoise est principalement située dans la Capitale-Nationale. La solution à la sous-représentativité des immigrants dans la Fonction publique du gouvernement du Québec ne pourra qu'être liée à la démétropolisation de l'immigration au Québec.

Mon expérience personnelle et mes constatations sont à l'effet que l'attitude des Québécois peut avantageusement se comparer à celle de bien d'autres populations à travers le monde. Il faut bien sûr reconnaître que, dans un passé relativement récent, cet esprit d'accueil et d'ouverture des Québécois était plutôt restrictif à l'égard de certains groupes d'immigrants. On se rappellera, par exemple, que le réseau scolaire francophone-catholique n'avait pas tendance à accueillir les enfants d'immigrants de religion non catholique. Par ailleurs, on se rappellera aussi l'accueil exceptionnel que les Québécois, à Montréal et dans plusieurs régions, ont réservé à certains groupes d'immigrants qui, en raison d'un contexte politique particulier ou d'une situation de guerre, ont été obligés de quitter leur pays comme la Grèce, le Vietnam, le Chili, le Cambodge, le Rwanda et l'ex-Yougoslavie.

Des difficultés, mais non des obstacles

L'isolement et les difficultés liées à l'emploi sont d'autres raisons fréquemment évoquées pour expliquer qu'il y a peu d'immigrants qui s'établissent à l'extérieur de Montréal. L'immigrant qui arrive dans une métropole, comme Montréal, ne doit-il pas lui aussi faire face à un certain isolement ? À des degrés divers, les difficultés liées à l'emploi, ne sont-elles pas aussi le lot de la majorité des personnes immigrantes qui arrivent dans un nouveau pays ? À Montréal, les immigrants ont sans doute accès à un bassin plus grand d'emplois disponibles. Cependant, à Montréal comme en région, un grand nombre d'immigrants doivent souvent accepter des emplois qui ne correspondent pas à leurs qualifications. À cet égard, il est heureux de constater qu'il y a une volonté gouvernementale d'intervenir pour permettre un meilleur accès des immigrants à la pratique de leur profession au Québec. Récemment les médias rapportaient que le président du Conseil du Trésor, M. Joseph Facal, qualifiait d'«un peu médiévale» l'attitude des corporations professionnelles dans ce dossier.

Malgré les difficultés, un certain nombre d'immigrants ont tout de même choisi les régions québécoises comme lieu d'établissement et ont pu y réaliser leur rêve : y établir leur famille ou en fonder une, trouver un travail, acquérir une maison et donner un avenir à leurs enfants. Lorsqu'il m'est arrivé de parler d'emploi avec plusieurs d'entre eux, ils me référaient à leur expérience en affirmant que «du travail, il y en a toujours pour une personne qui veut travailler». Certains se sont encore davantage enracinés dans la Capitale-Nationale ou en région, en y mettant sur pied un restaurant, un commerce ou une entreprise. Ils ont ainsi contribué à la création d'emplois et au développement de leur nouveau milieu de vie.

La priorité d'action: l'attraction des immigrants

Jusqu'à maintenant, peu d'énergies ont été consacrées à ce volet de la régionalisation de l'immigration au Québec, ce qui explique, en grande partie, le faible pourcentage des immigrants établis en région. Les régions ne pourront par ailleurs compter uniquement sur le gouvernement pour modifier cette situation. Dorénavant, l'attraction des immigrants devrait être assumée, en responsabilité partagée, par le gouvernement et les régions ; étant bien entendu que la sélection des immigrants au Québec relève de la responsabilité partagée du gouvernement québécois et du gouvernement canadien.

Pour pouvoir accroître de façon significative le nombre d'immigrants dans les régions québécoises, il faudra que le gouvernement et les régions se dotent d'une stratégie d'actions conjointes et complémentaires qui tienne compte d'un certain nombre d'éléments : les caractéristiques régionales ; le profil des immigrants pouvant s'adapter en région ; les catégories d'emplois disponibles et les emplois pouvant être développés par les immigrants ; les secteurs en développement dans les régions; les pays, les régions et les villes dans le monde d'où pourraient provenir les immigrants les plus susceptibles de s'établir dans des villes à taille plus humaine, et non dans des métropoles.

Du côté gouvernemental, le ministre Rémy Trudel a récemment fait deux annonces qui constituent des pas dans la bonne direction. Les balises du programme des immigrants investisseurs seront modifiées afin que ces investisseurs soient jumelés avec des entreprises, des entrepreneurs et des projets dans les régions du Québec. Afin de s'attaquer à la pénurie de main d'œuvre spécialisée en optique-photonique dans la région de la Capitale-Nationale, un guichet unique sera également créé pour accélérer les procédures d'immigration des travailleurs étrangers de ce secteur. Une stratégie d'attraction de l'immigration en faveur des régions devra s'appuyer sur plusieurs autres mesures ou modifications aux façons de faire actuelles. Par exemple, la présentation du site du MRCI devrait être repensée. Il serait souhaitable de réviser les critères de sélection des immigrants au Québec en prenant davantage en compte le lieu d'établissement. Pourquoi dans la grille de sélection, ne pas accorder un pourcentage de points aux personnes qui choisiraient de s'établir en région hors métropole ?

Les régions et les villes qui entendent miser sur l'immigration pour faire face à une situation démographique préoccupante, ainsi qu'à une pénurie de main d'oeuvre spécialisée, n'auront d'autre choix que de s'investir dans ce nouveau champ d'intervention pour elles : l'attraction des immigrants. Elles devront, toutefois, avoir accès à des ressources leur permettant de réaliser ce mandat. Plusieurs régions ont déjà relevé avec succès des défis analogues. On sait à quel point, par exemple, l'apport touristique est important pour le développement des villes et des régions québécoises. La Capitale-Nationale a notamment relevé ce défi, en attirant annuellement près de 4 millions de touristes. Si les régions ont été capables d'attirer les touristes, pourquoi ne seraient-elles pas également capables d'attirer les immigrants ?

Le plan d'action de la Ville de Québec en matière d'immigration pour les 3 années 2001 à 2003 vise à accueillir jusqu'à 11 000 nouveaux immigrants. De ce nombre, 1 758 immigrants se sont établis à Québec en 2001. Il reste donc plus de 9 000 personnes à accueillir pour les 2 années 2002 et 2003. Si la Ville de Québec veut véritablement atteindre ses objectifs, elle ne pourra limiter ses interventions d'attraction et de promotion à quelques «petites» actions, comme ce fut le cas l'an dernier. En matière d'attraction, la Capitale-Nationale du Québec doit se donner les moyens d'action à la hauteur de ses aspirations… ainsi qu'une véritable stratégie d'attraction des immigrants.

Conclusion

D'année en année, l'immigration contribue à diminuer le poids démographique du Québec au sein du Canada. Sur un total de 250 386 immigrants admis au Canada en 2001, l'Ontario en a accueillis 59,3%, la Colombie-Britannique 15,3%, le Québec 15% et le reste du Canada 10,4%. La démétropolisation de l'immigration au Québec ne doit donc pas viser à diminuer le nombre d'immigrants qui s'établissent à Montréal. Au contraire, il faut tout mettre en oeuvre pour augmenter ce nombre. La démétropolisation de l'immigration vise essentiellement à augmenter, de façon substantielle, la part de l'immigration au Québec en faveur des régions. Voilà un des défis des prochaines années pour le Québec, la Capitale-Nationale et les régions.

Tableau 1

L'immigration au Québec selon les régions projetées de destination
1995 à 2001

Années (5 ans) 1995-1999 (5 ans) 1996-2000 (5 ans) 1997-2001 (1 an) 2001
Nombre d'immigrants 140 366 145 619 153 407 37 498
Zone de la Métropole (1) Zone de la Capitale-Nationale (2) 78,7% 5,1% 80,0% 4,7% 81,8% 4,9% 85,3% 4,8%
Ile de Montréal Région de la Capitale-Nationale (3) 75,0% 4,9% 76,5% 4,5% 78,3% 4,7% 81,7% 4,7%
Zone de la Métropole (1) Régions (4) Non déterminées 78,7% 14,5% 6,8% 80,0% 13,7% 6,3% 81,8% 13,8% 4,4% 85,3% 13,3% 1,4%

Source : Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration
Ile de Montréal, nouvelle ville de Longueuil et région administrative de Laval
Régions administratives de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches
Région administrative de la Capitale-Nationale
Régions hors zone métropolitaine de Montréal

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