Depuis quatre ans, 24 entrevues exclusives ont été publiées dans COMMERCE MONDE:

Aubut, Marcel
Beaudoin, Louise (MRI)
Benessahraoui, El Habib (IEPF)
Bouilhac, François (DG au MICST)
Boulanger, Pierre (SPEQM)

Boutros Boutros-Ghali (sec. gén. de la Francophonie)
Cannon, Lawrence (AmériContact)

Charbonneau Jean-Pierre (prés. ass. nat. du Québec)
Cliche, David (gouv. du  Québec)

Coulombe, Serge, (GATIQ)

De Celles, Pierre (ÉNAP)
Dorotea, Luciano (Ville de Québec)

 

Gaudreault, Ross (Port de Québec)
Hamelin, Louis-Edmond
Lafleur, Andrée (CCIEQ)

Lafleur, Michel (SPEQM)
Lagacé, Line (SPEQM)
L’Allier, Jean-Paul (Ville de Québec)
Lalande, Georges (Candidat mairie)
Marcoux,G. et A. Michaud, (Centre de foire)
Masse, Marcel (Dél. gén. du Qc.à Paris)
Myrvoll, Siri (OVPM)
Petrella, Ricardo
Picard, Bruno (Ambassadeur en Rép. Dom.)

Entrevue avec un “premier ministre en attente”
Exportation d’eau en vrac: Jean Charest ne changerait rien à la situation actuelle

 

 

Entrevue avec Jean Charest, chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale du Québec et chef du Parti libéral du Québec

 

C’est aussi en nous rappelant qu’il avait déjà été ministre de l’Environnement au Gouvernement du Canada dans le cabinet de Brian Mulroney à l’époque du Sommet de la Terre, tenu au Brésil en 1992, que nous avons vite pensé à Jean Charest pour prendre le pouls du monde politique québécois à l’heure de prises de décisions fondamentales en matière de gestion de la ressource eau au Québec. Le dépôt devant les parlementaires d’une nouvelle Politique de l’eau est en effet attendu avant la fin de l’année 2001, à Québec. Nous avions d’abord invité l’actuel ministre de l’Environnement du Québec, André Boisclair, à donner son point de vue sur la question, plus tôt cet été. Il a choisi de ne pas plonger dans le débat sur l’exportation d’eau en vrac. Son attachée de presse nous avait fait savoir qu’il aurait bien voulu nous parler de ses dernières actions en matière de réglementation de l’eau potable sur le territoire québécois, mais pas d’exportation! Voici donc ce que le chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale du Québec, qui a accepté de recevoir COMMERCE MONDE à son bureau de Montréal le 21 août dernier, avait à dire sur la question.

Le hasard a voulu que dès le lendemain de l'entrevue que Jean Charest nous avait accordée, les quotidiens à travers le Canada ont diffusé une nouvelle fracassante au sujet de l’exportation de l’eau en vrac: UN RAPPORT D’EXPERT, DATANT DE 1998, MAIS TOUT JUSTE OBTENU GRÂCE À LA LOI SUR L’ACCÈS À L’INFORMATION ET VENANT D’ÊTRE RENDU PUBLIQUE, AFFIRMAIT QU’EN VERTU DES RÈGLES DE L’ALÉNA, LE CANADA NE POURRAIT PROBABLEMENT PAS SE SOUSTRAIRE DE DEVOIR EXPORTER DE L’EAU AUX ÉTATS-UNIS, ADVENANT “UNE SITUATION DE CRISE”. Selon ce rapport, originant d’un symposium organisé par Thompson Gow and Associates: “Il a été indiqué qu’en vertu de l’ALÉNA, la communauté internationale pouvait rendre obligatoire l’exportation de l’eau en situation de crise, et que le Canada pourrait avoir de la difficulté à s’y opposer”.

 

Entrevue réalisée par Daniel Allard

“Il y a d'abord une perception à corriger, soit que l'eau est une ressource inépuisable, alors qu'elle ne l'est pas. Ceci dit, j'aborde avec une très grande prudence toute la question de l'exportation de l'eau du Québec… Je suis très, très, très sceptique.” Jean Charest ne se fait donc pas plus un grand promoteur de l’idée d’exporter en vrac l’eau du Québec que l’actuel gouvernement de la plus grande province canadienne, riche d’un territoire qui compte près de 3% des réserves mondiales d’eau douce disponible. Ceux qui y avanceront des projets d'exportation en vrac auront manifestement un très lourd fardeau sur les épaules.

“Je n'achète pas, même l'idée... je suis très sceptique et je demande à être convaincu de manière à ce que cela se fasse en respectant les écosystèmes”, de poursuivre celui qui aspire au poste de premier ministre.

Que ferait-il comme premier ministre? Quels seraient, justement, ses premiers gestes en la matière? Sa réponse est immédiate et se réfère à la réalité strictement québécoise: “Je pense d’abord que le gouvernement du Québec doit fournir 50% du financement permettant d'appliquer les nouvelles réglementations annoncées par le ministre de l'Environnement ce printemps. Vous savez, il va falloir entre 600 et 800 millions $ pour mettre ce règlement en application… et je maintiendrais le moratoire sur l'exportation.”

Monsieur Charest reconnaît cependant que sur une perspective à plus long terme, le Québec devrait avoir une attitude sensiblement différence et plus ouverte au partage de cette ressource vitale qu'est l'eau. Les Québécois, à l’instard du rôle que les Casques bleus onusiens jouent déjà dans les contextes d’aide humanitaire dans le monde, ne pourraient-ils pas chercher à se positionner pour devenir, par exemple, des experts en matière d’approvisionnement en eau en cas d’urgence? “Effectivement, on a intérêt au Québec à faire une réflexion sur cette réalité de pénurie mondiale avant que les événements nous rattrapent”. Cela étant dit, encore ici, Jean Charest se fait prudent: “C'est très dangereux de s'offrir comme pourvoyeur du reste de la planète”.

UNE ANECDOTE QUI EN DIT POURTANT LONG SUR LA QUESTION

Jean Charest a derrière lui une expérience à titre de ministre de l’Environnement du Canada dans une période très riche en matière de négociations internationales. C’est lui qui était à Rio de Janeiro, au Brésil, pour représenter le Canada lors de l’historique Conférence des Nations Unies sur l’environnement et de développement, le fameux Sommet de la Terre de 1992, qui aura mis à l’agenda de tous les gouvernements du monde la priorité de converger vers le ¨Développement durable".

En cours d’entrevue, il a d’ailleurs raconté une anecdote qu’il a vécue personnellement et qui en dit long sur la question de l’eau dans le monde: “C'était pendant les préparatifs de la Conférence de Rio en 1992. Lors d'un dîner de travail réunissant les ministres de l'Environnement du G7 avec ceux représentant le Groupe des 77 - soit une quinzaine de personnes autour de la table en tout - je me souviens d’avoir posé la question à savoir ce que serait le problème le plus important sur lequel il faudrait se pencher s'il devait y en avoir qu'un seul. Et bien tous ont été unanimes à répondre que se serait la question de l'eau potable”.

 

L'EAU CANADIENNE
ET LES FUTURS TRAITÉS COMMERCIAUX

Selon le vice-président du Conseil mondial de l'eau, un Canadien, William Cosgrove, l'eau potable sera si précieuse au cours des prochaines années qu'elle deviendra un important sujet lors des négociations de prochains traités commerciaux internationaux. “L'un des points cruciaux dans ces négociations consistera en la capacité du Canada à exporter de l'eau en vrac”, pense-t-il également.

En ce moment, 450 millions de personnes manquent d'eau sur la planète. Selon des scientifiques, ce nombre pourrait grimper à 2,7 milliards d'ici 2025.

 

Le Québec n’est pas seul à pouvoir compter sur un énorme potentiel de commercialisation de cette ressource naturelle. L'actuel premier ministre de Terre-Neuve, Roger Grimes, a déjà largement fait connaître son ambition de passer à l’action. En Colombie-Britannique, le sujet est également périodiquement d’actualité. Les exemples d’initiatives en ce sens sont multiples. Jean Charest voit-il un danger pour le Québec? Pourrait-il, en quelque sorte, manquer le bateau si le gouvernement n’est pas davantage pro actif dans ce dossier?

“La déclaration de 1993 de l’ALÉNA tient toujours, à ce que je sache”. Jean Charest sait également qu’en 1999, les trois pays de l'ALÉNA ont par ailleurs rendu publique une déclaration concernant la souveraineté du Canada sur ses ressources hydriques. La déclaration ne fait pas partie du texte formel de l'ALÉNA. Elle porte depuis à des interprétations contradictoires. En clair, plus les pressions du contexte mondial augmenteront, plus la réalité rattrapera les textes de ces accords et forcera à des actions. Des actions envers lesquelles les politiciens, au Québec, hésitent manifestement à se mouiller.

POLITIQUE OU CODE DE L’EAU
LE BRÉSIL, UN EXEMPLE PARMI D’AUTRES POUR LE QUÉBEC

"L'usage diversifié de l'eau prévu dans le code de l’eau est un mythe au Brésil, où 94% de l'énergie électrique provient du harnachement des eaux. La loi 9433 du 8 janvier 1997 qui a établi la politique et le système national de gérance des ressources en eau du Brésil offre d'ailleurs des principes fantastiques. Là bas, elles sont aussi la preuve éclatante que les lois demeurent des beaux principes qui s'envolent en fumée lorsqu'il est temps de les confronter à la réalité et de les faire appliquer."

Roberto Malvezzi

 

Le Code de l’eau du Brésil soutient que:

  • L'eau est un bien qui appartient à tous
  • L'eau est une ressource naturelle limitée, dotée de valeur économique
  • Lorsqu'elle viennent à manquer, les ressources hydrauliques servent en premier à la consommation humaine et animale
  • La gestion des ressources hydrauliques doit toujours garantir l'utilisation diversifiée des eaux